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CHAPITRE 8
POLITIQUES DE TECHNOLOGIE AGRICOLE
(Cont.)

8.5.2 Centrer davantage les services de vulgarisation sur le client

Le manque fréquent d'une ‘orientation client’ des services de vulgarisation a déjà été noté dans ce chapitre. Il est essentiel de renforcer la responsabilisation des agents de vulgarisation à l'égard des agriculteurs, afin que leur mission première devienne de comprendre et de résoudre les besoins des agriculteurs, femmes comprises. Pour les agents de vulgarisation, être chargés de comprendre les besoins des agriculteurs dépasse de très loin la simple transmission de «messages» de vulgarisation conçus par l'administration centrale. Cela requiert souvent qu'ils comprennent, non seulement les conditions agronomiques de l'exploitation, mais aussi les contraintes des agriculteurs en matière d'accès aux intrants et aux marchés, et parfois également le rôle du genre et des facteurs communautaires qui influent sur leurs décisions. Pour répondre aux besoins des agriculteurs, les agents doivent aussi faire remonter les informations aux chercheurs agricoles et rester en contact avec eux pour recevoir leurs réponses.

Pour que cette orientation porte ses fruits, il faut que les performances des agents de vulgarisation soient évaluées par les agriculteurs eux-mêmes, et pas seulement par les échelons supérieurs de leur hiérarchie centralisée. Confier ce rôle aux agriculteurs est essentiel pour que les agents se sentent responsabilisés à leur égard. Dans les meilleurs systèmes de vulgarisation, l'évaluation des performances s'appuie au moins en partie sur le retour d'informations des agriculteurs, mais cet élément du système est souvent faible. Cette exigence constitue le cœur de l'argument en faveur de services de vulgarisation privés, payés en partie au moins par les agriculteurs, parfois grâce à des subsides gouvernementaux. Le fait que les utilisateurs paient motive fortement les agents de vulgarisation à les satisfaire, de préférence à leurs supérieurs hiérarchiques. Le fait de payer confère également le droit aux agriculteurs de choisir les agents de vulgarisation et d'en changer si leurs performances ne donnent pas satisfaction, en accord avec le principe du Groupe de Neuchâtel que les paysans soient en mesure de «choisir parmi un ensemble de fournisseurs de services».

Antholt a traité de l'importance de telles incitations, et de la responsabilité qu'ont les clients d'aider à les établir:

L'autre versant de la responsabilisation, c'est demander aux bénéficiaires de la vulgarisation d'accepter une certaine responsabilité financière du soutien qu'ils reçoivent, même si cela ne représente qu'une partie des coûts totaux. Ceci est important pour trois raisons. Tout d'abord, cela confère aux bénéficiaires la propriété des services et le droit d'y accéder. Ensuite, cela soulage un peu la pression financière sur le gouvernement central et touche donc au problème de la durabilité financière. Enfin, transférer la propriété et la responsabilité aux clients pose les bases d'un service davantage axé sur la demande et plus réactif118

En Estonie, le gouvernement finance les agriculteurs pour qu'ils louent des services de vulgarisation privés; il finance aussi l'activité, en matière de transfert de technologies, des associations d'agriculteurs, lesquelles passent ensuite contrat avec des firmes de vulgarisation privées. Néanmoins, il maintient pour les agriculteurs pauvres un service public de vulgarisation119. La vulgarisation privée est aussi utilisée en Hongrie, en Slovaquie et en République tchèque120. Elle se développe en Azerbaïdjan121. En El Salvador, dans les années 90, les membres de l'association nationale des éleveurs laitiers (APROLECHE) ont financé un contrat avec l'un des plus grands experts internationaux en gestion d'entreprises laitières, ce qui leur a permis d'augmenter leurs rendements laitiers de manière très importante.

Un autre scénario de la même approche serait que les services de vulgarisation passent des accords coopératifs ou contractuels avec des organismes locaux, comme en Chine. Dans ce cadre, les organisations locales pourraient se charger de fournir elles-mêmes les services de vulgarisation, mais le centre leur rembourserait un pourcentage donné de leurs coûts. Ou bien, comme dans certaines régions de Chine ou en Équateur… on pourrait envisager un accord de partage des produits de l'entreprise agricole.
Le Chili donne l'exemple d'une autre possibilité: la conclusion de contrats avec des sociétés privées ou des ONG pour la prestation des services de vulgarisation. Le rôle du gouvernement est de définir les règles du jeu du service, de sélectionner les cabinets de conseil par le biais d'un appel d'offre ouvert, d'évaluer les performances et de subventionner le coût des services. Les consultants se chargent des services de vulgarisation technique et les agriculteurs passent contrat avec le cabinet de leur choix… les coûts sont partagés entre le gouvernement et les agriculteurs, dans une proportion qui dépend de la quantité de terres dont l'agriculteur est propriétaire122.

L'importance des organisations d'agriculteurs réapparaît dans le contexte du paiement des services de vulgarisation:

Si les agriculteurs parviennent à surmonter les obstacles et à se constituer en groupe, les associations d'agriculteurs peuvent permettre aux petits paysans de mettre en commun leurs ressources pour acheter des informations de vulgarisation, qu'ils ne pourraient pas s'offrir individuellement.(D. Umali-Deininger, 1997, p. 217)

Outre qu'elle accroît de manière générale l'efficacité du travail de vulgarisation, l'existence d'une organisation d'agriculteurs est un préalable à la participation des petits agriculteurs aux programmes de distribution de bons d'achat pour régler une partie du coût des services de vulgarisation. Ce type de programme a été mis en œuvre au Costa Rica123, au Nicaragua à titre expérimental, et soumis officiellement pour réflexion au Honduras. Il s'agit là d'un moyen d'amener les petits agriculteurs sur le marché des services de vulgarisation et de garantir l'existence d'un marché aux agents de vulgarisation qui, sinon, pourraient craindre les conséquences de la privatisation du système de vulgarisation. (Il vaut la peine de garder à l'esprit les cas dans lesquels les agriculteurs seraient prêts à payer des services de vulgarisation, mentionnés en section 8.3.2 ci-dessus).

Il faut néanmoins faire preuve de prudence en matière de capacité des agriculteurs pauvres à payer pour la vulgarisation. Le principe de paiement partiel des services est bon, mais il peut arriver que l'on fixe des attentes irréalistes aux montants qu'ils sont à même de payer. Par exemple, une formule type de la Banque mondiale consistait à augmenter le pourcentage du coût de la vulgarisation payé par les agriculteurs, indépendamment de leur niveau de revenu, de montants égaux sur cinq ans, afin qu'ils paient 20%, puis 40%, etc., jusqu'à ce qu'ils arrivent à prendre en charge 100% du coût à la cinquième année du programme. En dépit de sa simplicité arithmétique et de ses effets budgétaires bénéfiques, la formule s'est avérée totalement irréaliste pour les agriculteurs à faibles revenus. Il faut comprendre dès le départ que les agriculteurs pauvres seront pendant longtemps encore, sinon toujours, dans l'incapacité de payer la totalité du coût des services de vulgarisation.

En même temps, on peut réaliser des économies budgétaires en ciblant les subventions des services publics de vulgarisation, ce qui en élimine du même coup l'aspect régressif mentionné plus haut dans ce chapitre. Il est possible d'abaisser le coût de la vulgarisation pour le gouvernement, sans que les agriculteurs pauvres aient à le prendre intégralement en charge. Le gouvernement doit alors décider sur qui et comment cibler ce service.

Umali-Deininger (pages 213–214) fournit d'autres exemples d'associations d'agriculteurs qui fournissent ou louent des services de vulgarisation, en Argentine, en République centrafricaine et au Zimbabwe. Elle souligne également le rôle de prestataires de vulgarisation que peuvent jouer les entreprises agro-alimentaires:

Pendant les années 70, les éleveurs laitiers argentins se sont trouvés confrontés à des obstacles de taille. Leur bétail n'était pas productif, la production de lait était instable et souvent de mauvaise qualité. Ces problèmes résultaient principalement d'une mauvaise nutrition animale et d'une hygiène inadaptée sur les exploitations. Les deux plus grands transformateurs de lait, Santa Fe-Córdoba United Cooperatives (SANCOR) et La Serenísima, dont la propre croissance pâtissait des difficultés des éleveurs, ont lancé des programmes de vulgarisation afin de les surmonter. SANCOR a créé un service de vulgarisation comprenant huit bureaux régionaux, dirigés chacun par un agronome assisté de techniciens d'échelon intermédiaire. Chaque bureau dispensait des services de vulgarisation à près de quarante coopératives et apportait son assistance à des petits groupes d'agriculteurs (en général six à quinze) qui se réunissaient une fois par mois pour discuter des progrès et des problèmes d'une exploitation qu'ils avaient visitée. Au départ, SANCOR finançait l'assistance technique de ces petits groupes, mais au bout de 30 mois, chaque groupe prit en charge le coût de l'agronome professionnel. En 1990, 120 groupes d'agriculteurs participaient au programme de SANCOR124.

En fin de comptes, la démarche choisie doit s'adapter aux circonstances, et plusieurs façons de combiner efforts publics et privés peuvent se développer. Dans l'État allemand de Thuringe, par exemple, le gouvernement fournit des services de vulgarisation relatifs à des biens publics, par exemple l'environnement ou la protection des plantes, ainsi que pour promouvoir des objectifs nationaux, tel que le progrès des agricultrices. Les services de vulgarisation à la ferme sont distribués par des acteurs privés en Thuringe et en Saxe-Anhalt, mais ils sont partiellement subventionnés dans ce dernier État. En 2000, la Thuringe a décidé d'introduire elle aussi un remboursement partiel aux paysans; auparavant, les grandes exploitations représentaient la grande majorité de celles qui employaient des vulgarisateurs privés125. Le Agricultural Advisory Service en Norvège fournit trois types de services: «certains complètement financés par le gouvernement, certains partiellement financés par lui, et un autre service qui ne reçoit aucun fonds du gouvernement.»126

Comme l'illustre l'expérience argentine, la filière de commercialisation agricole constitue elle-même une source de services de vulgarisation. De plus en plus, les agriculteurs, quelle que soit la taille de leur exploitation, se trouvent contraints de comprendre les besoins du marché et d'adopter des modes de fonctionnement plus commerciaux, y compris la tenue de registres de coûts de production et de trésorerie. De ce point de vue, un autre élément absent de la plupart des programmes de vulgarisation était la formation aux notions de comptabilité et aux principes de gestion des exploitations. Le but du développement agricole est de permettre aux agriculteurs de devenir des chefs d'entreprise plus performants; sans formation aux outils de base de la direction d'entreprise, il est difficile pour eux d'avancer. Le fait que le travail de vulgarisation doive couvrir, outre des considérations agronomiques, les principes de base de la comptabilité des coûts et de la gestion d'exploitation, réunit un consensus de plus en plus large. Par exemple:

Les candidats vulgarisateurs doivent d'abord apprendre à penser et agir en termes de systèmes de production et en termes d'entreprise, plutôt que d'activités [agricoles]… Leur mode de penser technique doit être complété par l'aptitude à une réelle communication (écouter est essentiel) et aux relations sociales127.

Comme noté plus haut, le groupe de Neuchâtel a fait sienne l'idée que la vulgarisation agricole doit aider les paysans à améliorer leur relation avec les marchés des intrants et des produits. Umali-Deininger aussi considère que les fonctions essentielles de la vulgarisation comprennent le conseil pour la mise en marché et le travail de développement communautaire (cf. section 8.3 ci-dessus). La vulgarisation ne peut se borner aux questions techniques de la culture des végétaux, si elle doit aider au développement économique du secteur rural. Ce rôle exige d'élargir la formation des agents de vulgarisation. Dans le cadre de l'Europe centrale et orientale, on a observé que:

La seule façon pratique de conseiller les petites exploitations mixtes est que ce soit fait par des conseillers généralistes, capables d'apprécier les besoins de l'unité familiale dans son ensemble. Former des spécialistes à devenir des généralistes n'est pas facile, mais on y est parvenu dans certains pays (Estonie, Slovaquie, Lituanie et Lettonie)128.

L'une des façons les plus efficaces de promouvoir une orientation-client dans le travail de vulgarisation est le recours aux approches participatives. Les fondements de l'expérience zimbabwéenne de vulgarisation participative (VP) ont été décrits comme suit:

Le concept [d'] innovation et vulgarisation participatives s'appuie sur la communication (par le dialogue), l'expérimentation paysanne et le renforcement de la capacité des communautés rurales à s'auto-organiser. Encourager la participation active et le dialogue … entre tous les acteurs du niveau local, par exemple, les agriculteurs et leurs institutions, les vulgarisateurs et les chercheurs, [tel est] l'essentiel.
Dialogue et expérimentation paysanne sont encouragés dans un environnement où, depuis pratiquement trois générations, un puissant service de vulgarisation d'en haut vers en bas avait considéré les connaissances paysannes comme rétrogrades et sans intérêt, et où les agriculteurs avaient été conditionnés à accepter des techniques standard développées ailleurs… les connaissances et la compréhension acquises grâce à ce [nouveau] processus ont renforcé la confiance des paysans en leurs propres solutions, et accru leur aptitude à choisir parmi les options et à développer des formules adaptées à leurs conditions écologiques, économiques et socioculturelles particulières… 129

Evison Moyo et Jürgen Hagmann ont résumé les leçons de l'expérience zimbabwéenne en matière de vulgarisation participative. La vulgarisation participative entraîne nécessairement aussi le développement participatif de technologies. Voici leur synthèse:

Dans de nombreux pays, les services publics de vulgarisation ont accepté le besoin d'une approche participative de la fourniture des services agricoles, dès que le potentiel de ces approches a été démontré par les ONG. Mais l'adoption et la promotion de ces approches dans les bureaucraties hiérarchiques des gouvernements, où elles sont souvent mises en œuvre par des personnels mal payés et peu formés, se sont avérées difficiles. Beaucoup d'organisations existantes vont devoir transformer leurs démarches de vulgarisation, depuis celles basées sur l'enseignement d'en haut vers en bas et une approche limitée à la production, vers celles centrées sur les gens, orientées sur l'apprentissage et la participation…
La vulgarisation au niveau de la collectivité, l'appropriation complète du processus par la collectivité et l'apprentissage conjoint sont les piliers de la VP. Les caractéristiques de la VP comprennent:

La VP est bien plus qu'une méthode participative, et se distingue clairement du [diagnostic participatif rural] qui n'est qu'une boîte à outils. La VP est une démarche totale et itérative d'apprentissage vers l'innovation et la résolution de problèmes en milieu rural, qui renforce la gouvernance et la société civile des régions rurales130.

En résumé, conduite jusqu'au bout de son idée, la VP converge efficacement avec la démarche de recherche agronomique participative. Elle est plus difficile à mettre en œuvre que la vulgarisation traditionnelle d'en haut vers en bas, au début, mais elle s'avère un réel moyen de lancer le processus du changement technologique dans des régions rurales laissées de côté jusqu'ici par les systèmes de transfert technologique. Elle semble particulièrement convenir aux collectivités de petits paysans en conditions agricoles hétérogènes. Son application requiert des changements institutionnels significatifs, avec un ferme engagement des niveaux supérieurs de gouvernement responsables de la politique et des services agricoles, et un accent mis avant tout sur la facilitation plutôt que sur la distribution de messages techniques.

8.5.3 Questions de genres et vulgarisation agricole

La primauté accordée au client dans la vulgarisation se traduira par une augmentation de la prestation de services de vulgarisation aux femmes. Cependant, il faut consentir un effort particulier pour dépister dans les programmes de vulgarisation les distorsions en faveur des hommes qu'il faudra surmonter. Par exemple, avant les réformes de la recherche et de la vulgarisation menées au Malawi mentionnées plus haut dans ce chapitre:

Le travail de vulgarisation visant l'adoption et la production efficace des … cultures était principalement confié à des agents masculins et s'adressait aux agriculteurs commerciaux plus performants et évolués, qui étaient surtout des hommes… Les services de vulgarisation faisaient partie d'un ensemble que [leur] relayaient les «clubs d'agriculteurs», dominés par les hommes… Bien que plus d'un tiers des ménages agricoles sont dirigés par des femmes, la plupart des agricultrices en étaient exclue. Dans l'incapacité d'accéder aux clubs d'agriculteurs et au crédit, elles n'étaient pas en mesure d'appliquer les propositions ni de bénéficier des conseils de la vulgarisation131.

La FAO présente plusieurs actions clés indispensables pour que le travail de vulgarisation agricole s'attaque avec succès aux disparités entre les genres:

La recherche participative et les systèmes de vulgarisation suivent déjà ces orientations. Il est important que celles-ci soient incorporées dans les directives de surveillance qui s'appliquent tant aux services de vulgarisation subventionnés privés qu'aux services de vulgarisation publics mêmes.

Dans le cadre des réformes du service de vulgarisation au Malawi:

Les agents masculins de vulgarisation ont reçu des indications spécifiques pour travailler avec les agricultrices, et les démonstrations chez l'exploitant recourent désormais souvent à des exploitations d'agricultrices. La participation des femmes aux séances de formation a énormément augmenté depuis que leurs propres exploitations ont été intégrées au programme de démonstration et formation. De plus, les agents de vulgarisation ont reçu pour instruction d'inclure dans leurs activités aussi bien les agriculteurs et agricultrices aux ressources agricoles faibles qu'élevées, et les femmes aussi bien chefs de famille qu'épouses (FAO, 2001, Module 12).

8.5.4 Relever le défi du VIH/SIDA

Comme on l'a indiqué plus haut, l'expansion de l'infection de VIH/SIDA dans de nombreux pays a non seulement un effet dévastateur sur les populations, mais aussi sur les services ruraux et la production agricole. Il est clair que ce sont les agences nationales de santé qui ont la première responsabilité de coordonner les réponses à ce fléau, mais les services de vulgarisation eux aussi doivent réviser leur démarche à la lumière des transformations que l'épidémie provoque dans la force de travail rurale et dans les services de vulgarisation eux-mêmes:

Ce ne sont pas les services de vulgarisation agricole qui peuvent ou devraient mettre fin au SIDA … Mais … il reste que ce sont les seuls organismes dont le personnel de terrain connaît très bien la vie rurale. Ces personnels par conséquent peuvent et devraient jouer un rôle utile en aidant les communautés paysannes à se protéger contre le SIDA. S'ils n'agissent pas promptement, en collaboration avec les autres institutions concernées, pour répondre comme il convient à l'impact croissant du VIH/SIDA sur la situation agricole en général et sur la capacité déclinante de leurs propres organisations, les conséquences en seraient désastreuses et à longue portée133.

Qamar esquisse plusieurs stratégies possibles face au défi du VIH/SIDA dans les campagnes, comme celles qui suivent:

Daphné Topouzis a rapporté elle aussi ce qui suit, sur l'incidence et la gravité de l'impact du VIH/SIDA sur la production agricole:

Les systèmes de production aux sols fertiles, avec des pluies abondantes et bien réparties, et une large gamme de cultures, seront normalement moins sensibles à la perte de force de travail que ceux aux sols pauvres, aux maigres précipitations et avec une étroite gamme de cultures… Par exemple, les systèmes de production de l'Ouganda sont moins vulnérables à l'épidémie VIH que ceux à base de maïs de l'Afrique australe.
… la production agricole au Zimbabwe a baissé de presque 20% parmi les familles frappées du SIDA. La production de maïs des petits paysans et des exploitations commerciales a baissé de 61% à cause de la morbidité et de la mortalité par le SIDA. La culture du coton, des légumes, de l'arachide et du tournesol a été divisée presque par deux, et l'élevage du bétail a diminué de près d'un tiers …135

Elle insiste sur le besoin de renforcer les réponses multi-sectorielles existantes et sur l'urgence d'améliorer notre compréhension des implications de l'épidémie pour les programmes de formation:

Les démarches multisectorielles de réaction au VIH/SIDA ont été largement adoptées dans les années 90 lorsqu'on a reconnu que l'épidémie n'était pas seulement un problème de santé, et que l'intervention des ministères de la santé ne pouvait suffire à arrêter l'expansion de l'épidémie et à contrôler ses effets.
Dans les ministères de l'agriculture, les démarches multisectorielles ont généralement deux composantes: l'établissement de points focaux VIH/SIDA dans le ministère; et des actions d'information, d'éducation et de communication pour le personnel du ministère et les groupes cibles. Ces deux composantes ont été surtout orientées vers les questions sanitaires. Des activités d'information, éducation et communication ont souvent été ajoutées aux programmes de formation et aux projets, mais on a rarement touché au noyau central du travail de développement agricole et rural. En d'autres termes, ces réponses multisectorielles ont consisté essentiellement à exécuter des actions SIDA-spécifiques en isolation relative des activités normales du ministère. De même, en grande majorité, les projets des donateurs des ministères de l'agriculture n'ont pas traité des conséquences du VIH/SIDA en termes de sécurité alimentaire et des moyens d'existence…
Á la lumière de ce qui précède, il convient de redéfinir la conception des réponses multisectorielles pour que la réaction au VIH/SIDA aille au-delà du secteur de la santé et pénètre le cœur des domaines techniques de l'agriculture et du développement rural…136

Elle recommande que l'on examine les questions qui suivent pour améliorer la réaction au VIH/SIDA:

8.5.5 Résumé des nouvelles tendances de la vulgarisation agricole

En bref, de multiples approches de la vulgarisation, caractérisées par un rôle accru des entités non gouvernementales et l'insistance sur la participation des agriculteurs, ont apporté la preuve de leur utilité dans les pays en développement. Autre exemple: en Thaïlande, c'est au secteur privé que l'on doit la diffusion réussie de nouvelles variétés de manioc. Le cas du Bangladesh, présenté par Antholt, citant les travaux de Chowdhury et de Gilbert, constitue un microcosme de ces nouvelles tendances138:

L'expérience du Bangladesh en matière de vulgarisation présente un intérêt général… parce que le gouvernement a dépassé le système F&V et mis en place une nouvelle stratégie de vulgarisation, moins coûteuse, davantage à l'écoute de la demande, plus décentralisée, et s'appuyant fortement sur les ONG… L'approche F&V était … en cohérence avec la vision du développement des années 70, dans laquelle l'État jouait un rôle central et l'on ne prêtait qu'une attention très relative à la possible contribution des ONG aux activités de vulgarisation ou à celle des entreprises privées dans la fourniture des intrants et la commercialisation… le système F&V présentait plusieurs faiblesses majeures, dont la diffusion aux agriculteurs de messages systématiques qui ne tenaient pas compte de leurs contraintes et de leurs priorités. Le recours aux agriculteurs contacts s'est lui aussi avéré inefficace, et le programme n'était pas financièrement soutenable. Enfin, l'impact de F&V sur la production agricole du Bangladesh a été mitigé…
La nouvelle stratégie de vulgarisation du Bangladesh comprend les réformes et innovations institutionnelles suivantes: décentralisation accrue de l'autorité et de la responsabilité, du centre vers les districts; utilisation de groupes de producteurs, de préférence à des agriculteurs de contact; méthodes et recommandations de vulgarisation pilotées par la demande; participation plus large du secteur privé, ONG comprises; focalisation accentuée sur les défavorisés, dont les femmes, et attention accrue à la durabilité financière139.

Antholt a livré un résumé pertinent des nouvelles orientations des approches de la vulgarisation agricole:

… la réflexion sur les services de vulgarisation agricole doit élargir ses horizons conceptuels au-delà du secteur public conventionnel. Il s'ensuit également qu'il faut se préoccuper davantage du financement.
L'heure du changement a sonné, compte tenu des longues périodes de gestation de la modernisation institutionnelle. On trouvera ci-dessous quelques paramètres généraux pour l'avenir, qui guideront utilement à notre époque les changements de politique et les initiatives d'investissement:

À mesure que les systèmes publics de vulgarisation sont élagués, il leur faut veiller à améliorer leurs normes de recrutement, dont l'exigence d'une expérience de l'agriculture. Les mêmes critères peuvent s'appliquer à la qualification des entreprises de vulgarisation privées voulant participer aux programmes financés par les pouvoirs publics. Dans le passé, la plupart des systèmes de vulgarisation ont été affligés d'une faiblesse de gestion criante, à savoir l'ignorance du besoin d'agents féminins. Les femmes jouent un rôle important dans l'agriculture de tous les pays en développement, elles peuvent être des catalyseurs de l'organisation des communautés et constituer des agents efficaces du changement. Cette faiblesse doit être corrigée de toute urgence.

8.5.6 Synthèse des nouvelles approches de la vulgarisation agricole

Les crises budgétaires qui ont envahi les pays en développement dans les années récentes ont leur responsabilité dans les faiblesses des systèmes de vulgarisation, mais il y avait aussi dans la structure et la gestion de ces systèmes de quoi être gravement préoccupé, y compris en ce qui concerne les incitations à la performance et les critères de recrutement. Face aux besoins de vulgarisation, il est clair que les anciens systèmes centralisés ne sont plus viables aujourd'hui et que des approches renouvelées sont indispensables.

Les expériences récentes en de nombreux pays, et les idées émises dans la littérature sur la vulgarisation agricole, convergent en un consensus à propos des nouvelles modalités de la vulgarisation. Actuellement, les défauts des anciennes démarches sont devenus évidents et ont provoqué des initiatives pour élaborer de nouvelles orientations dans beaucoup de pays. Comme l'illustrent les éléments présentés dans ce chapitre, ces approches nouvelles sont diverses et peuvent être caractérisées selon plusieurs points de vue: une orientation vers la clientèle, des démarches participatives, une pleine conscience des questions de genres, le pluralisme des fournisseurs, le partage des coûts, l'effort de faciliter les relations entre producteurs, marchés et fournisseurs d'intrants, et autres. En fin de compte, la structure et les modes de fonctionnement des services de vulgarisation seront différents de pays à pays et entre régions d'un même pays, mais il y a néanmoins des lignes communes de réflexion qui inspirent ces nouvelles démarches. Beaucoup de ces orientations découlent de quelques idées de base de plus en plus généralement admises. Ces idées de base et leurs corollaires peuvent être présentés de façon plus systématique, comme on le montre ci-dessous.

8.5.6.1 Propositions de base pour la rénovation de la vulgarisation agricole.

Les orientations communes aux nouvelles approches peuvent se déduire de quelques propositions centrales, que voici:

  1. Les agriculteurs peuvent souvent reconnaître et définir leurs problèmes mieux que les experts, peuvent en établir la hiérarchie, et savent au moins certaines choses utiles à la découverte des solutions. Plus les conditions agricoles sont hétérogènes, plus cette proposition est pertinente. À partir de cette observation essentielle, deux autres idées importantes se font jour:

  2. Les programmes de vulgarisation doivent mettre l'accent sur le développement des ressources humaines; renforcer la capacité intrinsèque des paysans à résoudre leurs propres problèmes et à prendre les bonnes décisions est la clé de la promotion du développement agricole et rural. Cette proposition fondamentale rejoint un objectif de base du développement rural durable, qui est de développer la capacité des familles et des collectivités rurales à améliorer leurs conditions de vie par leur propre effort. Cette capacité se décline en plusieurs dimensions: capital humain, capital social, capital physique sur l'exploitation, infrastructure locale. Le développement des ressources humaines comprend à la fois le capital humain et le capital social.

  3. Le gouvernement à lui seul ne peut pas fournir un service de vulgarisation pleinement satisfaisant, en partie à cause de la proposition (1) ci-dessus, qui entraîne que les paysans doivent participer à la formulation des solutions, et en partie parce que les organismes gouvernementaux ont des limitations organisationnelles et financières dans l'ensemble du monde en développement. La centralisation de nombreux services et processus de décision gouvernementaux est en soi un obstacle sévère à la capacité des gouvernements d'interagir avec les producteurs agricoles.

On peut appeler ces trois idées de base, ou propositions centrales, les axiomes des nouvelles démarches de la vulgarisation agricole. Bien que liés entre eux, chacun découle d'un fondement indépendant ou partiellement indépendant. On peut les baptiser respectivement l'axiome du savoir paysan, l'axiome de la capacité pour le développement, et l'axiome des limitations du gouvernement.

8.5.6.2 Principes complémentaires pour la vulgarisation agricole.

De ces trois propositions centrales, ou axiomes, s'ensuivent plusieurs autres considérations clés pour les nouvelles démarches de vulgarisation. Sous une forme abrégée, ces autres considérations (ou principes complémentaires pour la vulgarisation) sont les suivantes:

A. Implications, pour la politique agricole, de l'axiome du savoir paysan.

  1. Les services de vulgarisation doivent avoir un plus grand souci de leur clientèle, et être responsables d'abord devant leur client, le paysan. Les agriculteurs ne sont pas les récipiendaires passifs des bénéfices de la vulgarisation, mais bien des parties prenantes au processus. Les messages que les vulgarisateurs transmettent couramment sur le terrain ne répondent pas toujours correctement aux besoins des clients.

  2. La vulgarisation est un processus qui facilite l'acquisition des connaissances et savoir-faire, plus qu'un processus de transfert de technologie. Il facilite les contacts directs avec les autres agriculteurs, avec les chercheurs, avec les fournisseurs de services, et avec les autres acteurs économiques et sociaux de la société rurale. Cette proposition répond au fait que les agents de vulgarisation n'ont pas toujours l'expérience et les connaissances qu'il faudrait pour résoudre les problèmes des paysans141.

  3. La vulgarisation participative est une approche efficace. Il s'agit d'une approche qui utilise les connaissances locales autant que possible, fait des paysans des agents de vulgarisation (et éventuellement des chercheurs), et qui travaille avec des groupes de paysans plutôt qu'avec des agriculteurs de contact dans chaque zone. Elle implique les agriculteurs dans l'identification des problèmes, dans la hiérarchisation des questions à résoudre, dans la résolution des problèmes par l'analyse et la prise de décision. L'approche participative est la conséquence directe et logique de l'axiome du savoir paysan, et c'est le meilleur moyen de garantir la pertinence des nouvelles technologies.

  4. Le système de motivation des agents de vulgarisation doit les inciter à satisfaire leurs clients agriculteurs, plutôt que leurs supérieurs dans la hiérarchie institutionnelle. Même si certains vulgarisateurs tiennent à travailler en proche relation avec leurs clients pour mieux en comprendre et résoudre les problèmes, souvent, les incitations que leur donne leur institution ne tendent pas à les pousser dans cette direction.

  5. La décentralisation des services publics de vulgarisation devrait améliorer leur efficacité, en les rapprochant des clients, les agriculteurs. Plus les décisions sur les services à fournir sont prises au niveau local, plus elles ont des chances de répondre aux besoins des clients. On a là un exemple du principe de subsidiarité.

B. Implications, pour la politique agricole, de l'axiome de la capacité pour le développement.

  1. Les services de vulgarisation doivent élaborer des démarches appropriées pour les femmes rurales, qui ont été largement ignorées jusqu'ici par le travail de vulgarisation. Il ne peut y avoir de développement suffisant des familles rurales si l'une de leurs ressources principales, les femmes, reste en jachère. À travers le monde, 5% seulement des moyens de la vulgarisation sont dirigés vers les femmes, alors que la proportion de femmes parmi les exploitants agricoles des pays en développement est considérablement plus élevée.

  2. L'éducation de base rend la vulgarisation beaucoup plus fructueuse. L'éducation est le facteur le plus important du développement économique, et l'éducation féminine est particulièrement bénéfique à cet égard.

  3. La vulgarisation doit faciliter non seulement l'acquisition de compétences pour la culture et l'élevage, mais aussi pour la gestion de l'exploitation, la comptabilité, la mise en marché, le traitement des relations avec les institutions de crédit, les fournisseurs d'intrants, les organisations communautaires, et pour le comportement face à la menace du VIH/SIDA. Avec la mondialisation, l'agriculture doit de plus en plus répondre aux préférences des consommateurs, aux possibilités d'exportation, aux exigences des entreprises agro-alimentaires, si bien que la maîtrise des techniques agricoles ne peut plus suffire à la réussite d'un producteur agricole.

C. Implications, pour la politique agricole, de l'axiome des limitations du gouvernement.

  1. Ce n'est pas parce que le gouvernement finance la vulgarisation qu'il doit nécessairement l'exécuter lui-même. Il est souhaitable qu'il y ait plusieurs fournisseurs de vulgarisation, qu'ils soient en concurrence entre eux, et que les agriculteurs soient en mesure de les juger et d'exercer leur choix. Sans mesures propres à assurer la concurrence, un monopole public de la vulgarisation pourrait être remplacé par un monopole privé. Les fournisseurs peuvent être des ONG, des entreprises privées spécialisées, des fournisseurs d'intrants, des exportateurs, des industriels agro-alimentaires, des universités, en plus des agences publiques de vulgarisation.

  2. Il est besoin de dispositifs d'aide pour que les agriculteurs pauvres aient accès aux services de vulgarisation. Différentes modalités d'aide ont été explorées, telles que des bons d'achat des services de la vulgarisation, le remboursement aux agriculteurs par le gouvernement d'une partie du coût de ces services, ou le paiement direct par le gouvernement aux fournisseurs après vérification du service rendu, etc. Ce qu'il est important de reconnaître, c'est que les agriculteurs pauvres ne sont normalement pas capables, dans un futur prévisible, de payer les services de la vulgarisation, et que le caractère de bien public d'une grande part des technologies agricoles oblige le gouvernement à partager les coûts de la vulgarisation avec les agriculteurs.

  3. Il faut explorer diverses manières de financer la vulgarisation, y compris le partage des coûts avec les agriculteurs qui peuvent se le permettre. Une contribution financière des agriculteurs les met en meilleure position pour juger de la qualité du service et le diriger vers leurs propres priorités. En outre, faire payer les agriculteurs plus aisés réduit l'élément de subvention régressive que comportait le service public gratuit de vulgarisation.

  4. La multiplication des services de vulgarisation rend nécessaire une coordination, particulièrement avec les ONG, sans que cela entrave leurs efforts. Trop souvent, chaque ONG suit sa propre voie, sans savoir ce que les autres ONG et les services publics ont pu faire en matière de vulgarisation, ni quels résultats ont été obtenus.

  5. Le gouvernement a la fonction importante d'établir les normes de qualité auxquelles doivent satisfaire ces services de vulgarisation, et la réglementation applicable. En fait, les fournisseurs de services de vulgarisation devront recevoir une licence pour ce faire.

D. Une implication supplémentaire de la proposition (6) sur l'approche participative.

  1. Les organisations paysannes et communautaires ont un important rôle à jouer pour que les services de vulgarisation soient efficaces, et elles doivent y être encouragées par le système de vulgarisation lui-même. Ceci s'applique particulièrement au cas des agricultrices. Les ONG se sont avérées particulièrement utiles pour promouvoir les organisations locales.

Les services de vulgarisation du monde entier évoluent dans plusieurs de ces directions. Il faut répéter qu'une même formule ne peut convenir à toutes les circonstances rencontrées, ni même à beaucoup. La variante adaptée à chaque pays ou région doit être définie cas par cas par les parties prenantes au processus. Néanmoins, les principes ci-dessus, ou tout au moins plusieurs d'entre eux, se sont avérés pertinents dans pratiquement tous les cas.

Il faut répéter que, comme l'a signalé le Groupe de Neuchâtel, le contexte d'une politique saine, encourageant la croissance agricole, est une condition préalable à la réussite de tout effort de vulgarisation agricole.

Enfin, on n'insistera jamais assez sur l'importance d'une meilleure éducation des populations rurales, et ce d'autant plus que la tendance actuelle est de transférer aux agriculteurs eux-mêmes la responsabilité d'acquisition de nouvelles connaissances. La réceptivité des populations rurales aux informations nouvelles, et leur aptitude à les assimiler et à les appliquer, augmentent remarquablement avec le niveau d'éducation.

L'éducation est le facteur déterminant le plus important pour que les populations rurales parviennent à améliorer leur bien-être. Lorsqu'il faut choisir à la marge, pour une population rurale donnée, entre allouer des ressources à la vulgarisation agricole ou les allouer à l'alphabétisation de base, la balance doit toujours pencher en faveur de cette dernière. L'alphabétisation de base ouvre la porte à de nombreuses dimensions du développement qui, sans elle, demeureront à jamais hors de portée.

POINTS IMPORTANTS DU CHAPITRE 8

  1. Les trois quarts des pauvres du monde en développement vivent dans les campagnes, mais augmenter la productivité agricole devient difficile parce que les cultures s'étendent sur des terres plus marginales et que les terres déjà cultivées perdent leur potentiel à cause de la dégradation des sols et des eaux.

  2. Dans de nombreux cas, la productivité agricole des pays en développement a effectivement baissé, malgré la forte rentabilité des investissements en recherche agricole. Ce peut être attribué pour partie à un choix de cultures dans l'ensemble du secteur qui ne correspond pas aux avantages comparatifs du pays, mais cela reflète aussi pour partie l'existence de problèmes de gestion des sols et des ravageurs au niveau de l'exploitation. La recherche suggère que des politiques généralement défavorables de prix agricoles (y compris les politiques macroéconomiques qui influencent les prix) peuvent avoir aussi leur responsabilité à cet égard.

  3. Le financement de la recherche agricole dans les pays en développement a baissé en termes réels, et l'on s'accorde à considérer que l'investissement dans ce domaine est très au dessous de ce qu'il faudrait, compte tenu de la haute rentabilité de ce type de dépenses.

  4. Le défi majeur pour la recherche agricole est de produire des résultats qui répondent aux besoins des paysans. La collaboration avec les agriculteurs pour établir les priorités de la recherche aide à résoudre ce problème.

  5. La technologie agricole n'est pas neutre en termes de genres, mais en pratique, les besoins des agricultrices sont généralement ignorés dans le développement et la dissémination des technologies.

  6. Les femmes, et les familles entières, peuvent bénéficier non seulement de technologies appropriées pour l'agriculture, mais aussi de technologies domestiques qui permettent d'économiser le temps des femmes.

  7. Les secteurs privé aussi bien que public ont tous deux leur place importante dans la recherche. Le caractère de bien public de nombreux résultats de la recherche limite l'intérêt potentiel du secteur privé à s'y engager, bien que la biotechnologie ouvre des avenues nouvelles à la participation du secteur privé. Des droits de propriété intellectuelle clairement définis aident à encourager les investissements privés dans la recherche agricole.

  8. On estime qu'entre un tiers et la moitié des récoltes mondiales sont détruites par les ravageurs, et la proportion est plus forte dans les pays en développement. Devant cela, certains chercheurs conseillent de donner une plus haute priorité aux programmes de recherche agricole qui visent à accroître la résistance aux ravageurs.

  9. La lutte chimique contre les ravageurs est souvent anti-économique en même temps que nocive pour l'environnement.

  10. Les Écoles paysannes de terrain (Farmer Field Schools) de la FAO se sont avérées un bon moyen pour que les agriculteurs prennent part eux-mêmes au développement des techniques de protection intégrée contre les ravageurs.

  11. La vulgarisation agricole dans les pays en développement a été conçue initialement pour transmettre les messages technologiques des chercheurs aux paysans, avec peu de souci d'un retour d'information ou d'une participation des agriculteurs à l'identification des problèmes que les chercheurs devraient étudier.

  12. Le système de Formation et visites (F&V) a réformé la façon de faire de nombreux systèmes de vulgarisation mais, pour la relation entre chercheurs et agriculteurs, il retenait essentiellement une approche d'en haut vers en bas.

  13. La technologie agricole est parfois incorporée dans des intrants améliorés, mais souvent elle consiste en pure information. Cette information se répartit en continu depuis celle qui a le caractère d'un bien public pur jusqu'à celle qui relève du bien privé pur. La nature d'un bien public est que personne ne peut être empêché d'y accéder, et que sa ‘consommation’ ou son utilisation par quelqu'un ne diminue pas sa disponibilité pour les autres. Le caractère de bien public, partiel ou pur, d'une grande partie de la technologie agricole est l'argument de base pour un service public de vulgarisation, puisqu'un service privé ne pourrait pas s'approprier les bénéfices qui découlent de la diffusion de ce type d'information.

  14. Cependant, même lorsque l'information a certains caractères de bien public, les agriculteurs peuvent vouloir l'acquérir s'ils trouvent avantage à disposer de l'information au bon moment, ou si se servir de cette information (par exemple pour pénétrer un marché) leur permet d'exclure de fait d'autres producteurs de la même opportunité, ou simplement de réduire l'incertitude sur les risques d'une culture.

  15. Si le caractère de bien public d'une grande partie de l'information technologique agricole est un argument pour subventionner les services de vulgarisation, la pauvreté de nombreux agriculteurs du monde en développement en constitue un autre. La dissémination d'informations technologiques ayant des externalités environnementales positives justifie elle aussi le subventionnement de la vulgarisation. Néanmoins, de nombreux agriculteurs plus aisés dans les pays en développement peuvent se permettre de payer pour la vulgarisation, et sont prêts à le faire lorsqu'elle porte sur des informations de type bien privé, ou lorsque l'une ou l'autre des conditions énoncées plus haut s'applique. Fournir à tous les agriculteurs un service gratuit de vulgarisation constitue une subvention régressive.

  16. Dans de nombreux pays en développement, la performance des services de vulgarisation a été décevante. Un consensus croissant se dégage pour considérer que des améliorations ne pourront venir que d'une ‘orientation clientèle’ bien plus prononcée dans les services de vulgarisation, laquelle doit être stimulée par des changements appropriés dans le système de motivation du personnel.

  17. Les services de vulgarisation ont aussi beaucoup tardé à répondre aux besoins des agricultrices. Mondialement, 5% seulement des ressources de la vulgarisation sont allouées à des programmes pour les femmes exploitantes agricoles, alors que celles-ci constituent une proportion bien plus grande des exploitants dans leur ensemble; diriger vers elles les efforts de vulgarisation s'est avéré très fructueux.

  18. L'épidémie de VIH/SIDA, qui ravage les campagnes de nombreux pays, affaiblit également et démoralise certains services de vulgarisation. Dans ces conditions, les services de vulgarisation doivent diffuser des technologies agricoles mieux adaptées aux personnes faibles physiquement, très âgées ou très jeunes. Il leur faut aussi répondre aux besoins d'informations et de conseils sur la façon de se comporter face à l'épidémie, et en général assister les communautés à affronter la crise.

  19. À travers le monde, les services de vulgarisation sont soumis à réévaluation et on explore de nouvelles manières d'assurer la vulgarisation. À la base de cette évolution, les restrictions budgétaires des États, les faiblesses reconnues des services existants, l'apparition de technologies agricoles plus spécialisées requérant de nouvelles formes de vulgarisation, l'importance croissante de la réduction de la pauvreté comme objectif des politiques, et la nécessité de plus en plus pressante pour les agriculteurs d'être bien reliés aux marchés et de savoir gérer leur exploitation.

  20. Le commerce international des semences et des intrants est un canal important pour améliorer le stock de technologies agricoles d'un pays. Certains pays restreignent l'importation de ces produits tant qu'ils n'ont pas été certifiés efficaces et sans danger. Cependant, cette attitude conservatrice risque de ralentir le rythme du progrès technique dans le pays. Une approche plus libérale a été proposée: elle consiste à effectuer les test des produits ex post et à disséminer leurs résultats aux fins d'information, et non de contrôle.

  21. De même que pour la vulgarisation, les systèmes de recherche agricole sont repensés à travers le monde. Pourquoi? Les augmentations de rendement des cultures ont été décevantes, les budgets de recherche ont été sabrés, la qualité du personnel s'est dégradée de façon évidente dans certains cas, et la recherche ne s'est pas assez souciée des problèmes perçus dans chaque pays comme les plus importants par les agriculteurs, spécialement les plus pauvres.

  22. Une question majeure est celle du programme de la recherche agricole. La tradition est que les chercheurs établissent celui-ci; mais cette approche risque de passer à côté des problèmes principaux que rencontrent un grand nombre d'agriculteurs. Il s'agit donc de rendre la recherche pertinente au regard des vrais problèmes des paysans.

  23. On a utilisé plusieurs approches pour accroître la pertinence pour les paysans de la recherche agricole, par exemple: faire de ceux-ci des membres des conseils d'administration des institutions (locales) de recherche; les faire contribuer financièrement à la recherche; les engager dans des équipes pluridisciplinaires de recherche; leur confier les rênes de certaines étapes du processus de recherche.

  24. Les agriculteurs ont capitalisé un savoir considérable sur les conditions agro-climatiques et les systèmes de culture de leurs régions, et ils ont aussi en général l'habitude d'expérimenter des variétés et des techniques culturales. Les méthodes de recherche qui impliquent les paysans dans la démarche d'investigation scientifique ont démontré leur efficacité à produire des résultats bien adaptés aux besoins des agriculteurs et à améliorer le revenu des paysans pauvres.

  25. Les méthodes participatives [de recherche] donnent souvent naissance à des activités économiques auxiliaires, telles que des entreprises de commerce de semences pour les petits exploitants. Lorsque ces méthodes réussissent, les paysans eux-mêmes deviennent les diffuseurs des découvertes obtenues.

  26. La recherche participative demande à être conduite intelligemment, et les facilitateurs y ont un rôle important. De plus, des petits financements sont nécessaires au niveau local, sous contrôle des paysans, pour acheter les intrants utiles à leur recherche.

  27. Autres domaines dans lesquels il est important de renforcer les systèmes nationaux de recherche agricole: l'adaptation des résultats de la recherche conduite dans d'autres pays et dans les centres internationaux; des laboratoires pour l'analyse des sols au niveau local; la recherche sur la gestion après récolte et les techniques de transformation et manutention des cultures; et la durabilité environnementale des technologies agricoles.

  28. De plus en plus, les systèmes nationaux de recherche agricole adoptent une gestion de type ‘entreprise’. Recruter un personnel de bonne qualité, et lui donner les motivations convenables, sont des aspects centraux de la gestion de ces systèmes.

  29. La recherche agricole est désormais effectuée par une plus grande diversité d'organismes qu'autrefois. Cela inclut les ONG, les associations de producteurs, les universités, les entreprises privées. Une façon de les impliquer est d'allouer chaque année les financements de recherche par un appel d'offres mettant en compétition les propositions de recherche.

  30. Il faut aussi diversifier les sources de financement de la recherche. De nos jours, les principales ressources financières proviennent des revenus de la vente des résultats de la recherche, de l'encouragement à la contribution financière des agriculteurs, et des donations en support de fondations pour la recherche.

  31. Un débat s'est ouvert pour savoir si la recherche agricole ne bénéficie pas plutôt à l'agriculture commerciale, parce que ses exploitants sont généralement localisés dans les régions agronomiquement les plus favorisées, et à cause des modalités selon lesquelles les priorités de la recherche sont établies et la recherche elle-même est menée.

  32. Les paysans pauvres peuvent bénéficier d'une recherche qui privilégie les variétés n'exigeant pas un usage intensif d'intrants à acheter, l'étude des systèmes de production, celle de techniques améliorées de gestion des ressources naturelles, et aussi des méthodes de la recherche participative, qui centre ses efforts sur les problèmes principaux rencontrés par les paysans et puise dans le savoir qu'ils ont accumulé. Les méthodes de recherche participative constituent peut-être le meilleur moyen de faire bénéficier les familles agricoles pauvres des fruits du progrès technologique.

  33. La recherche participative peut avoir ses meilleurs résultats quand elle prend un soin particulier à impliquer les femmes dans son processus. Ceci requiert un engagement soutenu envers les questions de genre de la part des institutions de recherche et facilitation.

  34. On a remarqué parfois que les agricultrices sont plus lentes que les hommes à adopter les innovations technologiques; mais une étude de l'adoption des technologies au Ghana a révélé que la cause en est l'accès habituellement plus difficile des femmes aux moyens de production, et non pas leur moindre volonté intrinsèque d'adopter ces méthodes.

  35. Les systèmes de vulgarisation agricole à travers le monde sont en train de se transformer de façon significative, l'accent étant mis sur le rôle des vulgarisateurs en tant que facilitateurs et sur la promotion d'un réel dialogue entre paysans et chercheurs sur le sujet des technologies agricoles. De nombreux systèmes de vulgarisation s'efforcent de mettre en pratique l'idée que les paysans sont les clients, et non pas les bénéficiaires, de la vulgarisation.

  36. En plus de la fourniture de conseils techniques, les responsabilités de l'agent de vulgarisation comportent l'aide à un diagnostic, conjoint avec l'agriculteur, des problèmes de l'exploitation; la transmission vers les chercheurs d'une information en retour; le développement de l'aptitude à bien gérer les entreprises agricoles; et l'établissement des relations entre les agriculteurs et les ONG, les organisations paysannes, et les marchés d'intrants et de produits agricoles.

  37. Il y a certes des raisons valables pour un financement public d'une part de l'effort de vulgarisation, mais cela ne signifie pas que son exécution doive nécessairement être entreprise par un organisme public. Dans ces organismes, la performance des agents tend à être surtout motivée par le souci de satisfaire les supérieurs administratifs, qui n'ont pas toujours à leur disposition une information fiable sur ce que les agriculteurs en pensent. Par contraste, dans les services de vulgarisation du secteur privé, la motivation est plutôt de satisfaire les clients. Pour cette raison, certains pays ont trouvé le moyen de partager les coûts de la vulgarisation entre secteurs public et privé, tout en confiant à ce dernier le soin de fournir le service. L'un des principes qu'a établi le Groupe de Neuchâtel pour la vulgarisation est que les agriculteurs devraient pouvoir choisir entre plusieurs fournisseurs de vulgarisation.

  38. Une bonne organisation d'agriculteurs est souvent indispensable pour que les petits paysans puissent participer à toutes sortes de programmes, y compris ceux de recherche et vulgarisation. Les ONG jouent souvent un rôle fort utile de promotion de meilleures organisations paysannes.

  39. Les systèmes de vulgarisation doivent accentuer leurs efforts pour répondre aux besoins des agricultrices, et prendre des mesures spécifiques dans ce but, telles que recruter davantage de femmes dans leur personnel, militer pour que se multiplie l'enrôlement féminin dans l'éducation supérieure agricole, programmer les visites de vulgarisation à des moments où elles ne sont pas en conflit avec les travaux domestiques des paysannes, élargir la gamme des cultures et produits animaux pris en compte par la vulgarisation pour y inclure ceux qui importent le plus pour les femmes, et promouvoir la formation de groupe de femmes interagissant avec les services de vulgarisation.

  40. Lorsque la crise du VIH/SIDA atteint des dimensions graves, il faut réorienter les systèmes de vulgarisation. Les agents de vulgarisation doivent être mieux préparés pour y faire face, et la politique nationale de vulgarisation doit être établie en fonction de l'épidémie. Cette réorientation comporte l'élaboration de messages technologiques mieux adaptés aux personnes âgées, aux jeunes, aux veuves et aux malades, parce que la crise affecte sérieusement la structure d'âge de la population rurale en maints endroits. Les vulgarisateurs doivent aussi être préparés à répondre aux questions des communautés rurales en ce qui concerne la réaction à la crise et le ralentissement de son expansion.

  41. Les nouvelles approches de la vulgarisation visent à mettre le paysan au premier plan, et les services publics de vulgarisation sont redimensionnés dans la plupart des pays en faveur d'une plus grande participation du secteur privé, des ONG et des agriculteurs eux-mêmes. Ce chapitre, dans sa section 8.5.6.1, offre un résumé de ces nouvelles orientations sous la forme de dix-sept propositions de base pour la vulgarisation agricole, ainsi que les hypothèses fondamentales, ou axiomes, sur lesquelles elles s'appuient.

118 C. Antholt, 1998, pages 360–361.

119 M. K. Qamar, 2000, p. 161.

120 Geoffrey Adams, Extension advisory services in Central and Eastern Europe, dans M. K. Qamar (éd.), Human Resources in Agricultural and Rural Development, FAO, Rome, 2000, p. 12. Adams signale aussi que des services de vulgarisation complètement publics sont encore le cas en Albanie, Bulgarie, Croatie, Pologne et Roumanie.

121 John Lamers, Georg Dürr et Petra Feil, Developing a client-oriented, agricultural advisory system in Azerbaijan, dans Qamar (éd.), op. cit., pages 105–107.

122 C. Antholt, 1998, p. 361.

123 M. K. Qamar, 2001, p. 160.

124 D. Umali-Deininger, 1997, p. 212.

125 Jochen Currle et Paul Schütz, Privatizing agricultural extension services in two new German federal states: necessary conditions emerging from experience, in M. K. Qamar (Ed.), Human Resources in Agricultural and Rural Development, FAO, Rome, 2000, pp 131–140.

126 W. M. Rivera, 2001, p. 21.

127 J. Lamers, G. Dürr et P. Feil, 2000, pages 110–111.

128 G. Adams, 2000, p.15.

129 J. Hagmann, E. Chuma et K. Murwira, Improving the output of agricultural extension and research through participatory innovation development and extension: experiences from Zimbabwe, Journal of Agricultural Education and Extension, volume 2, №3, 1996, p. 16.

130 Evison Moyo et Jürgen Hagmann, Facilitating competence development to put learning process approaches into practice in rural extension, in M. K. Qamar (Ed.), Human Resources in Agricultural and Rural Development, FAO, Rome, 2000, pages 143–146.

131 FAO, 2001, module 12, encadré 1.

132 FAO, 2001, module 12 [souligné par nous].

133 M. K. Qamar, 2001, p. 6.

134 Op. cit., pages 7–8.

135 Daphné Topouzis, The impact of HIV on agriculture and rural development: implications for training institutions, in M. K. Qamar (Ed.), Human Resources in Agricultural and Rural Development, FAO, Rome, 2000, p. 94.

136 Op cit., p. 99.

137 Op cit., p.100.

138 Mrinal K. Chowdhury et Elon H. Gilbert, Reforming Agricultural Extension in Bangladesh: Blending Greater Participation and Sustainability with Institutional Strengthening, Agricultural Research and Extension Network, Document № 61, Overseas Development Institute, Londres, 1996.

139 C. Antholt, 1998, pages 364–365.

140 C. Antholt, 1998, pages 365–366.

141 Cette proposition est au coeur des recommandations du Groupe de Neuchâtel d'agences donatrices (voir Groupe de Neuchâtel, 1999).


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