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Les politiques commerciales forestières et leurs incidences sur l’administration des forêts

M. Richards

Michael Richards est un consultant indépendant basé près d’Oxford (Royaume-Uni).
Cet article se fonde sur les travaux entrepris par l’Institut international pour l’environnement et le développement, pour l’étude de la FAO intitulée «Impact assessment of Forest Products Trade in the Promotion of Sustainable Forest Management» (Richards et al., 2003).

Les politiques commerciales tendent à amplifier les effets des politiques et des règlementations forestières existantes sur l’administration – mais des facteurs extérieurs au secteur comme la libéralisation du commerce des produits agricoles, la stabilité politique et le progrès économique ont ordinairement une incidence plus marquée sur l’administration des forêts.

Les délits commis dans le secteur sont désormais l’un des plus grands défis auxquels est confrontée la foresterie tropicale. La corruption et l’exploitation forestière illicite compromettent le développement économique et social en affaiblissant l’état de droit et les institutions publiques. Les conséquences environnementales, sociales et économiques sont énormes; ainsi, la Banque mondiale (2002) estime que l’exploitation illégale des forêts représente un manque à gagner d’au moins 10 milliards de dollars EU par an pour les gouvernements de la planète.

Les approches d’administration des forêts axées sur l’offre, telles que le renforcement de l’application des lois, sont rarement efficaces si elles ne sont pas accompagnées de mesures correspondantes axées sur la demande. Les politiques commerciales établies par les pays producteurs ou leurs partenaires commerciaux font partie des instruments qui peuvent être utilisés pour influencer la demande.

Récemment, les possibilités offertes par la libéralisation du commerce pour améliorer la gouvernance des forêts – en réduisant les coûts et les obstacles à la libre circulation des biens et des services – ont suscité un vif intérêt (Rytkönen, 2003). En théorie, la libéralisation devrait accroître le prix payé à l’exportateur et baisser le prix payé par l’importateur et par conséquent, dynamiser les échanges. La libéralisation du commerce peut se faire en réduisant les droits d’importation ou d’exportation, en éliminant certains obstacles au commerce, comme les interdictions d’exporter les grumes, ou en limitant d’autres mesures non tarifaires comme les réglementations phytosanitaires, les contingents et les normes de qualité des produits.


EFFETS FAIBLES, INDIRECTS ET NON INTENTIONNELS SUR LA GOUVERNANCE DES FORÊTS

Le débat sur l’impact de la libéralisation du commerce sur l’administration des forêts oppose deux clans radicalement opposés. D’un côté, les partisans du libre-échange affirment que la levée des interdictions d’exporter les grumes peut réduire la corruption et que le libre-échange favorise des approches de «commerce vert», comme la certification et les règles du pays d’origine. De nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) actives dans le domaine environnemental soutiennent cependant que la libéralisation du commerce accroît les pressions de la demande sur la gouvernance dans les pays les plus pauvres, par exemple le versement de pots de vin aux dirigeants politiques et le pouvoir des multinationales axées sur la maximisation de la rente.

Les éléments de réponse sont contradictoires et ambigus. Tout d’abord, l’idée selon laquelle il y aurait eu une nette tendance à la libéralisation du commerce des produits forestiers au cours des dernières années, est fausse. En réalité, la plupart des pays ont continué à protéger leurs industries forestières, soit en restreignant les exportations (mesures non tarifaires) soit en subventionnant la production; de plus, les droits d’importation ont effectivement progressivement diminué, mais ils étaient déjà faibles par rapport à ceux appliqués dans d’autres secteurs, en particulier dans les pays les plus industrialisés. Le deuxième problème est que l’on ne sait pas au juste quelle incidence a le retrait ou l’imposition d’une restriction commerciale sur la demande; par exemple, en Indonésie où une interdiction d’exporter les grumes et le bois a été imposée en 1985, on a vu se développer la plus grande industrie de contreplaqués du monde au début des années 90.

Une étude reposant sur un examen de la littérature et sur des études de cas réalisées sur le terrain au Brésil, en Indonésie et au Mexique (Richards et al., 2003) a révélé qu’en général, les pressions commerciales avaient des effets faibles, indirects et parfois non intentionnels sur la gouvernance des forêts. Les politiques et les pressions commerciales sont imprévisibles car elles interagissent avec d’autres politiques et d’autres facteurs structurels qui ont une influence plus directe sur l’administration des forêts.

Il semble largement démontré que les restrictions au commerce favorisent la corruption et les activités illégales. Les restrictions à l’exportation de grumes et de bois tendent à conduire à une surcapacité industrielle qui favorise l’exploitation forestière illicite, comme cela s’est produit en Indonésie, au Ghana et dans d’autres pays. Lorsque le marché extérieur est important, les restrictions du commerce entraînent une baisse des prix intérieurs des grumes, qui dissuade d’investir dans la gestion des forêts. Là où la demande de terres est élevée et les forêts accessibles, les probabilités de coupe rase illicite des forêts au profit d’autres utilisations des terres plus rentables sont grandes. À l’inverse, là où les terres sont relativement abondantes et les ressources forestières distantes ou inaccessibles, comme dans certaines régions de l’Amazonie et de l’Indonésie orientale, la moindre rentabilité de l’exploitation forestière devrait jouer en faveur de la conservation des forêts.

Il n’est pas pour autant démontré que la suppression des obstacles au commerce améliore la gouvernance des forêts. Théoriquement, lorsqu’une mesure restreignant le commerce est abolie, l’ampleur de la corruption parmi les responsables du secteur diminue car leurs pouvoirs discrétionnaires sont réduits et la transparence augmente, mais incite d’autres acteurs des secteurs public et privé à se lancer dans des activités de maximisation de la rente.

Une importante étude sur l’effet des poussées des exportations de bois en Asie du Sud-Est (Ross, 2001) a mis en évidence un lien empirique entre les pressions de la demande d’exportation, la corruption et l’effondrement des institutions. Toutefois, bien que la demande régionale de bois soit restée ferme, et ait même probablement augmenté depuis que la Chine a interdit l’exploitation forestière, les principales causes de la diffusion de la corruption et de l’exploitation forestière illicite en Indonésie depuis 1998 ont été la décentralisation trop rapide, la faible capacité de gouvernance, et l’instabilité politique et économique chroniques (Casson et Obidzinski, 2002).

En Indonésie, les restrictions frappant les exportations de grumes et de bois d’œuvre ont conduit à une surcapacité industrielle, qui favorise l’exploitation forestière illicite
S. ROSE


POLITIQUES COMMERCIALES ET CAPACITÉS DE RÉGLEMENTATION

Les effets probables de la libéralisation du commerce sur l’administration des forêts sont avant tout déterminés par les capacités institutionnelles ou réglementaires existantes. Lorsque ces capacités sont faibles ou s’amenuisent, les problèmes de gouvernance des forêts peuvent être exacerbés aussi bien par la libéralisation des échanges que par le protectionnisme accru. Lorsque les capacités de réglementation sont en voie d’amélioration, la libéralisation du commerce tend à renforcer les améliorations de la gouvernance. Par exemple, au Mexique, une réduction des droits de douane et une loi déréglementant le secteur forestier introduite en 1994 dans le sillage de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), ont entraîné une forte augmentation de l’exploitation sauvage (Richards et al., 2003). Mais depuis 1997, où des réglementations plus sévères ont été introduites, les normes de gouvernance dans le secteur des exportations forestières se sont améliorées. D’autres exemples sont donnés dans le tableau qui décrit de façon schématique les interactions entre les politiques commerciales et les régimes de réglementation.

Le tableau montre également que la libéralisation du commerce favorise automatiquement une baisse des coûts de production; en général, l’efficacité du système de réglementation détermine si la baisse des coûts s’obtient en réduisant les coûts de mise en application ou en gérant les forêts de manière plus efficiente, mais légale. Il est également évident que le renforcement des réglementations et des institutions doit précéder la libéralisation du commerce. C’est la qualité de la gouvernance qui détermine les résultats de la libéralisation du commerce, et non l’inverse (Stiglitz, 1998).

Incitations en matière de gestion forestière dérivant de l’effet combiné des politiques commerciales et des capacités de réglementation: quelques résultats de l’étude de cas

Politiques commerciales

Faible capacité de réglementation

Forte capacité de réglementation

Effet

Exemple

Effet

Exemple

Libéralisation du commerce et élévation des prix/marges

Accroissement des recettes provenant de la corruption et de l’exploitation forestière illicite

Mexique (1994-1997): recrudescence de l’exploitation forestière illicite résultant de la déréglementation et de la mise en œuvre de l’ALENA

Fédération de Russie: corruption et exploitation forestière illégale, en particulier après le démantèlement du Service des forêts russe (2000)

Gestion forestière durable et utilisation plus efficiente du bois, favorisées par une augmentation des recettes

Mexique (post-1997): gouvernance améliorée dans des entreprises de foresterie communautaire (capital social et naturel) (par exemple:intérêt pour la certification), stimulées par les possibilités de marché offertes par l’ALENA

Protection du commerce et baisse des prix /marges

Baisse des marges de profit incitant les gestionnaires à réduire les dépenses de mise en application et/ou à convertir les forêts

Indonésie: commerce illégal, délits et corruption accrus par l’interdiction d’exporter les grumes/bois, de 2001.

Réduction des incitations en faveur de la gestion forestière durable et de l’exploitation forestière rationnelle, mais principales opérations illicites empêchées grâce à un contrôle plus strict.

Brésil: secteur axé sur l’exportation mieux réglementé et plus respectueux de la légalité, et adoption de la certification.


LE COMMERCE VERT INTERNATIONAL ET LES ÉCARTS AU NIVEAU DE LA GOUVERNANCE

Au Brésil, en Indonésie et au Mexique, la majorité du bois industriel est consommé localement (Richards et al., 2003). Des approches de commerce vert, comme la certification et les partenariats bilatéraux du secteur privé ont contribué à améliorer la gouvernance dans des secteurs axés sur l’exportation au Mexique et au Brésil. Dans ce dernier pays, l’un des premiers effets positifs de la certification a été d’entraîner la formation d’un groupe d’acheteurs nationaux, et le processus national de fixation de normes du Forest Stewardship Council (FSC) a favorisé la participation de la société civile à la formulation de la politique forestière.

Cependant, l’écart de gouvernance s’est creusé entre le secteur des produits de plus grande valeur axés sur l’exportation et le secteur des produits de moindre valeur axés sur le marché intérieur. Ainsi, au Brésil, l’attention accrue des médias et des instances de réglementation pour le secteur de l’acajou axé sur l’exportation a été contrecarrée par une diminution de la réglementation du commerce intérieur (Richards et al., 2003). Dans les trois pays, les carences de la gouvernance étaient beaucoup plus importantes dans le secteur axé sur le marché intérieur. On en déduit que les pressions pour un commerce vert international ne peuvent qu’avoir un impact marginal sur la gouvernance des forêts.

Lorsque le marché extérieur est important, les mesures restreignant les échanges entraînent une baisse des prix intérieurs des grumes, qui dissuade d’investir dans la gestion des forêts
FAO/CFU000569/R. FAIDUTTI

Des approches de commerce vert comme la certification et les partenariats bilatéraux du secteur privé ont aidé à améliorer la gouvernance dans le secteur axé sur les exportations, au Brésil
FAO/CFU000538/R. FAIDUTTI


LES RESTRICTIONS COMMERCIALES ET LA NÉCESSITÉ D’ADOPTER DES APPROCHES RÉGIONALES ET MULTILATÉRALES

Les politiques commerciales, en particulier les restrictions des échanges, ne sauraient être considérées comme un moyen fiable pour atteindre des objectifs environnementaux, et elles peuvent avoir des conséquences non recherchées (Barbier et al., 1994). Par exemple, l’interdiction frappant les exportations d’acajou introduite en 2001 au Brésil, a probablement accru la corruption, en particulier les déclarations mensongères sur les espèces, et détourné l’acajou vers des marchés moins regardants. En raison des moyens de répression insuffisants, l’interdiction des exportations de grumes, introduite en Indonésie en 2001, a eu pour principal effet d’accroître les exportations illégales et non de réduire les flux d’exportations (Richards et al., 2003).

Le commerce international et la disponibilité de marchés non discriminants favorisent aussi le déplacement des problèmes de gouvernance d’un pays à l’autre. Ainsi, en Indonésie, les problèmes de gouvernance ont été aggravés par l’interdiction d’exploiter les forêts en Chine et la légère amélioration de l’administration des forêts dans la Malaisie voisine (Richards et al., 2003). Les pays qui interdisent l’exploitation des forêts accroissent considérablement leurs importations de bois (Commission des forêts pour l’Asie et le Pacifique, 2001), ce qui intensifie les pressions exercées sur les forêts d’autres pays où les systèmes de réglementation sont moins sévères. Cela explique l’observation de Sedjo (1996) «les mesures restreignant l’exploitation forestière dans certains endroits seront tout simplement compensées par des augmentations de l’exploitation ailleurs. Bref, la question n’est pas de savoir s’il faut exploiter mais où il faut le faire».

Cette constatation confirme l’importance des initiatives régionales sur la mise en application des lois et la gouvernance dans le secteur forestier (FLEG). Toutefois, une législation des pays consommateurs contre les importations illégales de bois est certes indispensable, mais elle risque de produire des effets non intentionnels sur les pays producteurs plus pauvres, si elle n’est pas accompagnée d’une amélioration des capacités de réglementation intérieure et/ou d’une élévation des normes éthiques ou environnementales sur les marchés qui ne sont (pour l’instant) pas regardants quant aux produits. Lorsque les mécanismes de réglementation sont faibles, les coûts de vérification de la production légale sont plus élevés, ce qui peut inciter à ne pas respecter les règlements. Cela nous ramène à la constatation précédente de Stiglitz.

En raison des moyens de répression insuffisants, l’interdiction frappant les exportations de grumes introduite en Indonésie en 2001, a eu pour principal effet d’accroître les exportations illégales; ici, bois de ramin introduit en contrebande d’Indonésie, saisi par la douane à Port Kelang, (Malaisie), 2003
TRAFFIC SOUTHEAST ASIA/ H.K. CHEN


LES EFFETS EXTRASECTORIELS ET LE CADRE ÉLARGI

En conclusion, la libéralisation du commerce des produits forestiers, en soi, ne devrait pas avoir d’effets majeurs sur la gouvernance des forêts; en revanche la déréglementation du commerce dans d’autres secteurs peut avoir des incidences très fortes sur l’administration des forêts, même si, là encore, les relations sont indirectes et imprévisibles. La libéralisation du commerce des produits agricoles, soumis à des droits de douane beaucoup plus élevés, peut avoir une incidence significative sur les pressions d’utilisation des terres et, par voie de conséquence, sur les objectifs de politique forestière (A. Contreras-Hermosilla, communication personnelle). Si la libéralisation du commerce favorise des cultures d’exportation à fort coefficient de capital, comme le soja, et si les terres sont rares, le risque d’exploitation illicite par coupe rase et de conversion des forêts est important. Le déplacement des travailleurs, dû à la production de cultures agricoles basées sur capital, peut aussi intensifier les pressions dans les pays voisins. En revanche, si la libéralisation du commerce favorise les cultures basées sur la main-d’œuvre (par exemple les cultures maraîchères irriguées), les pressions pour la conversion des forêts peuvent être réduites ailleurs. Par ailleurs, si la libéralisation du commerce encourage l’exploitation minière, et par voie de conséquence la construction de routes dans des zones forestières, les pressions tendent à augmenter dans les pays voisins.

Enfin, la gouvernance des forêts a une importante dimension de politique économique internationale. La plupart des analystes s’accordent pour dire que la qualité de la gouvernance est étroitement liée au développement économique, à la stabilité politique et à la progression de la démocratie. Certains pays producteurs plus pauvres, comme l’Indonésie, sont fortement tributaires des exportations de ressources naturelles, et souffrent donc de problèmes de gouvernance dus à la «malédiction des ressources». C’est pourquoi, alors que des pays à revenu intermédiaire plus stables et démocratiques comme le Brésil et le Mexique accroissent quelque peu leurs exportations, la situation de l’Indonésie semble vouée à s’aggraver. Les défaillances de la politique forestière jouent certes un rôle, mais l’amélioration de la gouvernance des forêts dépend avant tout de facteurs et de politiques extérieurs au secteur.

Bibliographie

Asia-Pacific Forestry Commission. 2001. Forests out of bounds: impacts and effectiveness of logging bans in natural forests – executive summary, par C. Brown, P.B. Durst et T. Enters. Bangkok, Thaïlande, Bureau régional de la FAO pour l’Asie et le Pacifique.

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Barbier, E., Burgess, J., Bishop, J. et Aylward, B. 1994. The economics of the tropical timber trade. Londres, Royaume-Uni, Earthscan.

Casson, A. et Obidzinski, K. 2002. From new order to regional autonomy: shifting dynamics of “illegal logging” in Kalimantan, Indonesia. World Development, 30: 2133-2151.

Richards, M., Palmer, C., Young, C.F. et Obidzinski, K. 2003. Higher international standards or rent-seeking race to the bottom? The impacts of forest product trade liberalisation on forest governance. Background paper for the global project Impact Assessment of Forest Products Trade in Promotion of Sustainable Forest Management, GCP/INT/775/JPN. Rome, FAO. Disponible à l’adresse suivante: www.fao.org/forestry/foris/data/trade/pdf/richard.pdf

Ross, M.L. 2001. Timber booms and institutional breakdown in southeast Asia. Cambridge, Royaume-Uni, Cambridge University Press.

Rytkönen, A. 2003. Market access of tropical timber. Rapport soumis à la 34e session du Conseil international des bois tropicaux (CIBT), 12-17 mai 2003, Panama, Panama.

Sedjo, R. 1996. Local timber production and global trade: the environmental implications of forestry trade. Dans W. Adamowicz, éd. Forestry, economics and the environment, p. 49-67. Wallingford, Royaume-Uni, CAB International.

Stiglitz, J. 1998. Towards a new paradigm for development: strategies, policies and processes. 1998 Prebisch Lecture, Genève, Suisse, 19 octobre.

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