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4. LA POLLUTION DES EAUX EN COTE-D'IVOIRE

Sur le plan hydrographique, la Côte-d'Ivoire se caractérise par une série de cours d'eau à peu près parallèles, à débit irrégulier, s'écoulant du nord vers l'océan Atlantique. Les plus importants de ces cours d'eau sont les rivières Bandama, Komoé et Sassandra. Le long de la côte s'étendent de vastes lagunes; Abidjan est construite sur l'une de ces lagunes. Dans l'intérieur du pays, il existe plusieurs lacs artificiels.

4.1 Charges théoriques en polluants

4.1.1 Eaux résiduaires

Dans beaucoup de grandes villes d'Afrique, les réseaux de tout-à-l'égout ne desservent qu'une petite partie de la population, la majeure partie des eaux usées étant évacuées non traitées dans des voies d'eau naturelles, ce qui entraîne naturellement contamination bactérique, eutrophisation et réduction des teneurs en oxygène.

Abidjan est passée de 46 000 habitants en 1946 à environ 1 600 000 habitants ajourd'hui. D'après un rapport d'experts (Colcanap et Dufour, 1982), 340 000 habitants seulement sont desservis par le réseau d'égouts.

Pagès (1975) a analysé pour plusieurs années la contamination fécale de la lagune d'Abidjan (lagune d'Ebrié). Plusieurs autres travaux ont été faits récemment et la situation est relativement bien connue. En fait, dans un travail plus complet, Pagès et Citeau (1978) ont décrit la pollution bactérique et, preuves en main, ont qualifiée la situation d'alarmante; ils ont observé en outre que l'ouverture d'un émissaire collectif ne résoudrait pas les problèmes car on a trouvé trace de résidus solides d'Abidjan entraînés par les courants jusqu'à la hauteur de Grand-Bassam, à environ 50 kilomètres à l'est de la ville. Arfi et al. (1981) ont étudié le phytoplancton et les conditions d'eutrophisation et ont constanté que plusieurs effluents sont toxiques pour le milieu biotique avant dilution, tandis que la plupart des baies sont fortement eutrophisées. Etant donné que la lagune d'Ebrié abrite un stock économiquement important de poissons et de crustacés dont le cycle biologique s'effectue en partie en mer et en partie dans la lagune, cette situation risque de perturber la migration des juvéniles, stade de développement particulièrement sensible, ce qui ferait basser les rendements de la pêche.

D'après Dufour et Slépoukha (1975), la saturation en oxygène des eaux du fond en périodes de basses eaux est de 30 à 40 pour cent à la périphérie de la ville (Marcory, Cocody, Bietri et Koumassi) et descend même à 20 pour cent ou moins encore dans certains endroits. Par contre, si l'on va vers l'ouest, en direction d'Azito et au-delà, la saturation en oxygène augmente progressivement pour s'établir autour de 60 pour cent.

Zabi (1982) a passé en revue les renseignements existants concernant les charges théoriques en polluants et l'hydrologie de cette zone et a décrit les populations benthiques du point de vue de la pollution. Cette étude a confirmé que les populations benthiques ont évolué et que, dans certains endroits, on ne trouve plus que des oligochaètes Pachymelania aurita et Tympanotonus fasciatus, deux espèces dont la présence est considérée comme symptomatique d'un état de pollution. En revanche, dans des zones non polluées, on trouve Ethmalosa fimbriata, Acartia clausi et Corbula trigona: un poisson, un crustacé et un mollusque caractéristiques des eaux en bonnes conditions. Malheureuse-ment, on manque d'informations de ce genre pour d'autres villes. Par exemple, à Bouaké, l'une des principales villes, la contamination existe d'après les administrateurs et les services publics, mais on ne dispose pas de données quantitatives. Bouaké ne possède pas d'égouts, mais seulement des canaux collecteurs. L'eau potable provient d'un petit lac qui est parfois pollué; on a donc largement recours à la javellisation.

4.1.2 Effluents industriels

A quelques exceptions près, la plupart des industries de la Côte-d'Ivoire sont localisées dans la zone côtière, essentiellement autour d'Abidjan, où elles contribuent de façon sensible à accroître les charges en polluants. La plupart de ces industries produisent des déchets de composition semblable aux effluents domestiques ou sont, pour le moins, passibles d'un traitement biologique. On compte en fait plusieurs brasseries, usines de mise en bouteille du vin, industries de boissons non alcoolisés, une raffinerie d'huile de palme, une conserverie de légumes et un abattoir. Une raffinerie de pétrole et plusieurs usines textiles peuvent aussi être considérées comme à l'origine de rejets organiques (Colcanap et Dufour, 1982).

La charge totale représenterait environ 5 200 tonnes par an de DBO, 75 tonnes par an d'ammoniac et 5 tonnes par an de phénols. La charge déversée par d'autres industries, comme celles des engrais, emballages de pesticides, peinture et galvanisation ou placage, ne peut être que difficilement évaluée mais comprendrait, par exemple, quelques tonnes par an de chrome et autres métaux, environ 20 tonnes par an de fluorure et quelque 65 tonnes par an de phosphate (ONUDI/PNUE, 1982).

Plusieurs sucreries, conserveries de fruits ou usines alimentaires sont situées dans l'intérieur du pays, généralement à proximité de grandes rivières comme la Sassadra ou la Bandama, et les possibilités de forte pollution sont limitées.

Bouaké fait exception en ce sens que deux grandes industries, une filature et usine textile travaillant le coton et une huilerie-savonnerie, employant plus de 2 000 et 1 000 travailleurs respectivement, ont fortement pollué la très petite rivière Loka, pollution qui est à l'origine de gros problèmes, notamment sanitaires (Préfecture de Bouaké, communication personnelle).

4.1.3 Pesticides

Les pesticides sont très employés par l'agriculture ivoirienne, en particulier pour les cultures particulièrement importantes comme le coton, le cacao, le café, la banane et le riz.

Ainsi, en 1976, 300 tonnes de DDT, 100 tonnes de méthylparathion et 30 tonnes d'autres composés organophosphorés ont été utilisés sur les champs de coton, et 600 tonnes de lindane sur les cacaoyers. Depuis 1979, le DDT et autres hydrocarbures chlorés sont interdits et ont été remplacés par des composés organophosphorés, des carbamates et des pyréthroïdes naturels et artificiels. On peut donner une idée approximative des charges théoriques actuelles en supposant qu'environ 10 pour cent des champs de coton, soit un total de 2 000 000 hectares, ont été traités cinq fois par an, deux fois avec un produit organophosphoré associé à des pyréthrines (6–10 grammes/hectare) et trois fois avec des pyréthrines seules (12–15 grammes/hectare).

Sur les plantations de cacaoyers, le propoxure a maintenant remplacé le lindane et des applications de 335 grammes/hectare (75 pour cent d'ingrédient actif) sont faites deux fois par an entre juillet et septembre. Environ 20 pour cent des 1 200 000 hectares sont actuellement traités et il est prévu d'étendre, d'ici 1987, la superficie traitée a 50 pour cent de la superficie cultivée.

Avant 1979, le caféiers étaient traités avec du DDT et du lindane: ces produits ont maintenant été remplacés par plusieurs pesticides appartenant à différentes familles chimiques. La dieldrine est encore utilisée en combinaison avec le fénithrotion contre l'orthoptère Zonocerus variegatus. Le carbofuran est utilisé dans les rivières; enfin, dans les bananeraies, on emploie comme nématocide le fenamiphos (6 kg/ha au pied des arbres). Les applications d'engrais sont aussi à l'origine d'une certaine charge polluante. Vingt à 30 pour cent des superficies cultivées reçoivent des engrais, en particulier pour les caféiers. Cependant, la charge exacte ainsi que les effets eutrophisants sont difficiles à évaluer, car les quantités appliquées changent en fonction du type de sol, de l'âge de la culture, de caractéristiques de drainage, etc.

Un autre domaine important en Afrique du point de vue des applications de pesticides est celui du secteur de la santé publique et animale dans lequel des campagnes ont été entreprises pour faire reculer, voire éliminer des maladies endémiques comme le paludisme, l'onchocercose, la schistosomiase et la trypanosomiase en luttant contre les insectes ou mollusques qui en sont les vecteurs.

L'un des plus grands projets de ce type est le programme OMS anti-Simulium, qui couvre 18 000 kilomètres de rivières dans plusieurs pays de la région du golfe de Guinée. Les larves aquatiques de ce diptère sont tuées au moyen de pesticides directement pulvérisés sur l'eau. Le témephos (Abate) et la chlorphoxim, ainsi que l'insecticide biologique Bacillus thuringiensis, sont les produits les plus largement utilisés. Il est très difficile d'obtenir des données exactes pour chaque pays et pour chaque rivière mais, à titre d'indication, on peut se fonder sur les quantités totales appliquées par mois en saison sèche et en saison humide.

Les pulvérisations sont répétées aussi fréquemment que l'exigent la charge transportée par les cours d'eau et la présence de larves: en février 1983, on a appliqué 3 015 litres d'Abate (20 pour cent i.a.) et 5 666 litres de B. thuringiensis; en août 1983, 13 600 litres d'Abate, 24 100 litres de B. thuringiensis et 7 700 litres de chlorphoxim (20 pour cent i.a.). l'OMS a organisé et réalisé un grand nombre d'études de laboratoire et d'études de terrain sur la pré-sélection de nouveaux pesticides (voir Troubat et Lardeaux, 1982), sur l'efficacité de traitements et sur les conséquences écologiques indésirables.

En Côte-d'Ivoire, la station de l'ORSTOM (Office de la recherche scientifique et technique outre-mer) de Bouaké et l'Institut d'écologie tropicale d'Abidjan, ont participé à des projets de recherche. Actuellement, sur les rivières Bandama, Nzi, Maraouè et Komoé, on emploie beaucoup B. thuringiensis; sur la rivière Sassandra on applique plutôt le chlorphoxim dans le nord et l'Abate dans le sud-est. Le traitement le plus couramment utilisé consiste en une application hebdomadaire de 0,1–0,5 mg/l. Il existe sur cette question un grand nombre de publications et de rapports et il semble toutefois que si la population des invertébrés réagit à l'emploi du temephos, les zones traitées sont facilement et en peu de temps recolonisées à partir de zones adjacentes. Lévêque et al. (1982) ont conclu, après cinq années de recherches, que l'introduction du temephos n'a pas d'effets décelables sur les populations ichtyques des rivières ivoiriennes. Maslin Leny et al. (1978) sont arrivés aux mêmes conclusions après plusieurs années de recherches sur la rivière Komoé, et des considérations analogues ont été faites par Dejoux (1978). Malheureusement, depuis 1979, certaines espèces de Simulium ont commencé à manifester une résistance à l'Abate; cet insecticide a donc été remplacé par le chlorphoxim (qui est plus toxique) et par B. thuringiensis. On considère que cet insecticide biologique n'a que peu d'effet sur les espèces non ciblées (CNRC, 1977) mais que son emploi en saison humide pose néanmoins des problèmes car il est difficile d'atteindre la concentration active; il faut alors utiliser du chlorphoxim.

Au cours d'une enquête qui a duré trois ans, Kassoum et Yte (1982) ont relevé, sur plusieurs stations ou rivières, une diminution des captures par unité d'effort et une diminution des facteurs de condition du poisson. Ces auteurs ont cepedant hésité à attribuer ces conclusions en totalité au traitement anti-Simulium et mentionnent, parmi les causes possibles de ces phénomènes, l'emploi de pesticides autres que les anti-vecteurs et des fluctuations naturelles des populations ichtyques. Elouard et Gibon (1982) ont étudié les effets éventuels d'applications alternées de trois insecticides sur la faune non ciblée du cours inférieur de la rivière Maraoué. Pour le moment au moins, les effets ne semblent pas différents de ceux qui ont été observés à la suite de l'application régulière d'un seul insecticide.

Il semble, étant donné l'importance de cette campagne intensive contre le Simulium, qu'il faille continuer à chercher à déceler les effets indésirables de ces traitements car la marge de sécurité entre les seuils de tolérance des produits chimiques et les doses susceptibles de provoquer des modifications dramatiques de l'environnement est probablement très mince.

Contrairement aux traitements anti-Simulium qui sont effectués directement sur les cours d'eau, contre les Glossina spp. les forêts sont pulvérisées par hélicoptère. Ce type d'intervention a, dans plusieurs cas, provoqué une mortalité de masse des poissons (Dejoux et al., 1980); mais, si l'application est correctement effectuée, les effets secondaires sont certainement limités.

Evert et al. (1982) ont évalué les effets secondaires d'une application expérimentale de pyréthroïdes (permethrine et deltamethrine) au moyen d'hélicoptères dans un habitat forestier en bordure de rivière, à Bouaflé. Il n'a pas été observé de cas de mortalité de poissons bien que cette substance ait une toxicité aiguë élevée, mais les populations d'invertébrés ont été touchées. Apparemment, les populations d'insectes aquatiques se sont très bien rétablies, mais certaines espèces de crustacés ont été pratiquement anéanties.

4.2 Pêches

Les captures totales de poisson de la Côte-d'Ivoire s'élevaient, en 1983, d'après la FAO (1984) à quelque 94 000 tonnes, dont 16 pour cent proviennent des eaux continentales. Selon des estimations locales, cependant, les captures continentales pourraient être augmentées (20 000–40 000 tonnes par an) sous l'effet de l'exploitation de plusieurs grands lacs artificiels. Des projets de recherche concernant la limnologie et les pêches sont en cours sur plusieurs de ces lacs. Les plus importants sont les lacs de Kossou, Ayamé, Taabo et Buyo. Dans plusieurs lacs et dans la baie de Bietri des cas de mortalité massive ont été enregistrés qui seraient dus à une anoxie consécutive à l'eutrophisation: dans la lagune d'Aghien et dans un certain nombre d'autres cas à la suite d'un mauvais emploi des pesticides.

Dans plusieurs pays africains, les pesticides sont souvent illégalement utilisés pour capturer du poisson; en Côte-d'Ivoire, le paraquat est l'un des produits les plus employés. Le résultat de cette pratique est que plusieurs cas d'intoxication ont été signalés après consommation de poisson et d'eau contaminée. Les autorités ont pris le problème très au sérieux et ont lancé à ce sujet une campagne d'information dans les villages (Hifognan, communication personnelle).

Une étude préliminaire, comparant les populations de poisson de différentes baies polluées (Bietri et Koumassi) et non polluées de la lagune d'Abidjan, n'a pas révélé de différences substantielles (Albaret, communication personnelle). Pourtant, dans les zones polluées, plusieurs cas de nanisme ont été observés chez le poisson, la maturité sexuelle intervenant quand le poisson a une taille de 6–8 centimètres au lieu de la taille normale de 13 à 15 centimètres.

4.3 Recherche

Les résultats publiés de plusieurs travaux de recherche ont été utilisés pour rédiger les sections précédentes. Zabi (1981) a recensé les projets de recherche concernant les sciences aquatiques en cours d'exécution au Centre de recherches océanographiques et auprès d'un certain nombre d'instituts conduisant des recherches sur la pollution et a noté que, en dépit des préoccupations manifestées par les autorités publiques, les problèmes de pollution ne reçoivent pas une attention suffisante du côté de la recherche. A cette liste, il faut ajouter les travaux menés par l'Institut d'écologie tropicale sur les lacs artificiels et la surveillance des effets écologiques indésirables de la campagne contre l'onchocercose. Dans le cadre des activités du CRO-ORSTOM, des recherches sont faites sur les concentrations de pesticides et de métaux lourds dans les sédiments hydrologiques et dans des poissons prélevés en 56 stations d'échantillonnage installées sur la lagune d'Abidjan.

4.4 Législation

Il n'existe pas de législation générale complète concernant le contrôle de la pollution des eaux, mais un certain nombre de ministères travaillent actuellement sur divers aspects du problème (Zabi, 1981). En 1981, un Ministère de l'environnement a été créé pour coordonner les divers aspects de ce travail. A l'heure actuelle, des négociations avec des associations industrielles sont bien avancées; elles ont pour but de cataloguer les industries et d'établir des critères de qualité des eaux tenant compte des réglementations qui existent déjà dans d'autres pays.

La mise en place du réseau d'observation des eaux (ROE) en est aussi à un stade avancé; il aura pour objet de surveiller la qualité des eaux au moyen de laboratoires mobiles. Les autorités sont conscientes du problème et un certain nombre d'initiatives et de mesures de contrôle ont déjà été prises; voir, par exemple, le projet d'assainissement de la ville d'Abidjan (Colcanap et Dufour, 1982).

4.5 Conclusions

Le point le plus névralgique en ce qui concerne les problèmes de pollution des eaux en Côte-d'Ivoire est certainement la lagune d'Ebrie, car la ville d'Abidjan ne cesse de s'étendre. La charge polluante la plus importante est celle des eaux résiduaires et de déchets domestiques dont la DBO théorique est d'environ 37 000 tonnes par an. Des mesures ont déjà été prises mais la situation, comme le démontrent un certain nombre d'études scientifiques, exige une intervention concrète et immédiate si l'on ne veut pas qu'elle devienne irréversible.

La situation est aggravée par la présence d'effluents industriels, comparables pour l'essentiel à une charge organique d'environ 5 000 tonnes par an. Les nations industrialisées ont un rapport de l à l pour ces deux types de charge, alors qu'en Côte-d'Ivoire le rapport est de 6 à l. Cela signifie qu'il serait relativement facile de contrôler les charges actuelles et que, pour la suite, il suffirait de réglementer les émissions polluantes. Dans l'intérieur du pays la situation concernant les activités industrielles et les émissions d'eaux usées n'est, à quelques exceptions près (comme les activités industrielles de Bouake), certainement pas critique et il serait facile de prendre des mesures correctives.

Un grand point d'interrogation reste celui des effets de l'emploi des pesticides. Les charges ont été calculées de façon approximative et il faudrait des données plus précises. Malheureusement, il n'existe aucune donnée sur la toxicité des pesticides pour les espèces ichtyques africaines, ni sur leur bio-accumulation en milieu tropical et les plus grandes incertitudes planent concernant le sort réservé, dans l'environnement, aux plus largement employées de ces substances. Cette question est probablement celle qui nécessite le plus de recherches. En ce qui concerne l'emploi des pesticides dans la lutte contre les vecteurs de maladies, un grand nombre de mesures de surveillance permettraient sans doute de déceler immédiatement les effets indésirables de ces produits.


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