Page précédente Table des matières Page suivante


4. DISCUSSION

4.1 Facteurs affectant les résultats

Cinq facteurs affectent les résultats de l'étude et les interprétations correspondantes. Le premier est le choix des seuils fixés pour chaque critère; le deuxième est l'utilisation de données de substitution; le troisième tient à la précision des données utilisées; le quatrième est lié à l'importance relative de chaque critère et à la manière dont son analyse a été associée à celle des autres critères et le cinquième se rapporte à la résolution spatiale de l'analyse ainsi menée à bien.

4.1.1 Choix des valeurs seuils

Le choix des valeurs seuils conditionne dans une large mesure les résultats puisque ces valeurs définissent les zones dites optimales, adéquates et peu adaptées. Si possible, les valeurs en question ont été identifiées en s'appuyant sur des travaux publiés, (par exemple, grossissement des poissons en fonction de la température) et en se fondant conjointement sur l'examen des publications disponibles, sur les analyses réalisées dans le cadre de l'étude (par exemple, précipitations annuelles et demandes du marché local en fonction de l'emplacement des exploitations piscicoles existantes) et sur la synthèse des informations disponibles. Toutefois, le choix de ces valeurs implique nécessairement une appréciation comportant une certaine part de subjectivité. A cet égard, il y a une volonté délibérée de placer les choix effectués sous le signe de la prudence. Par exemple, un type de choix critique a été celui de la température minimale d'hivernage sûr fixée à 14° C pour Nile tilapia. Rétrospectivement, cette valeur était sans doute trop élevée de 1 ou 2° C: en effet, l'étude ne prévoit pas de possibilités de'pisciculture dans des eaux à température élevée dans le cas de l'Egypte, alors que l'élevage de Nile tilapia est pratiqué dans ce pays, mais sans doute à une échelle très limitée dans les petits étangs qui constituent les conditions d'élevage types considérées dans la présente étude.

Figure 3.25 Possibilités de pisciculture commerciale autorisant deux récoltes par an et un grossissement assez bon à bon exprimées en termes de superficie par pays

Figure 3.25

Figure 3.26 Possibilités de pisciculture commerciale autorisant deux récoltes par an et un grossissement assez bon à bon exprimées en termes de pourcentage de superficie par pays

Figure 3.26

En ce qui concerne les caractéristiques techniques des étangs, les valeurs seuils utilisées étaient intrinsèquement liées aux données d'origine prises en considération. Il s'agissait en effet de jeux de données constitués pour l'agriculture et non pour l'aquaculture; aussi a-t-il été impossible de modifier les données de façon à ce que les seuils définis pour la texture du sol et la pente tiennent compte davantage des critères de construction des étangs. Cette carence a toutefois été notée.

Quant à la demande du marché local, une hypothèse de base a consisté à supposer que la consommation locale s'élèverait à 1 kg par personne et par an. Si cette consommation est en fait plus faible, les ventes à la ferme ou les échanges de troc seront moins importants que prévu et en définitive, une densité de population donnée autorisera une densité d'exploitation piscicole plus faible que prévu d'après cette étude.

4.1.2 Données de substitution et données calculées

Il a été indispensable d'utiliser des données de substitution et des données calculées, puisque l'on ne disposait pas de données synoptiques de base pour nombre des principaux critères, tels que l'alimentation en eaux de surface, la température de l'eau et la demande du marché. La question soulevée à cet égard consiste à savoir dans quelle mesure des données de substitution peuvent définir un critère.

Les précipitations annuelles moyennes représentent vraisemblablement une variable de substitution relativement peu satisfaisante en ce qui concerne l'alimentation en eau de surface dans les régions où les précipitations sont fortement saisonnières; leur usage peut néanmoins s'avérer satisfaisant dans les régions où les précipitations sont plus régulièrement réparties tout au long de l'année. Les zones qui reçoivent des précipitations saisonnières sont précisément celles où le développement de la pisciculture risque d'être limité par la possibilité d'alimenter suffisamment les étangs de façon à ce qu'ils restent pleins. C'est pourquoi l'utilisation de domaines de variation largement définis pour les précipitations annuelles risque d'exclure à tort certaines zones, qui en réalité pourraient être suffisamment approvisionnées au moyen des eaux de surface pour autoriser la présence d'exploitations piscicoles.

La densité de population est une variable de substitution logique en ce qui concerne le marché local potentiel. L'hypothèse implicite correspondante consiste à supposer que plus la concentration humaine est importante, plus la probabilité est élevée de compter dans cette population des personnes dotées d'un pouvoir d'achat suffisant pour acheter du poisson provenant d'une exploitation piscicole. Il a été impossible d'essayer d'ajuster la demande du marché local au moyen du revenu disponible utilisé comme variable supplémentaire. Premièrement, les données de ce type n'étaient pas disponibles pour l'ensemble du continent africain au niveau des subdivisions statistiques intérieures à chaque pays, et deuxièmement, la plus grande partie de la production piscicole fait l'objet d'échanges de troc, non vendus au comptant. Un élément qui n'a pas été pris en compte dans la présente étude, mais susceptible d'avoir des répercussions négatives sur la pisciculture commerciale, est le risque - aux densités de population très élevées - de provoquer un renchérissement probablement excessif du terrain pour autoriser l'installation d'exploitations piscicoles.

4.1.3 Résolution spatiale et échelle

La résolution spatiale de cette étude a été déterminée essentiellement par défaut. Il s'agit là d'une conséquence de l'utilisation de données déjà numérisées. Les données détaillées concernant l'Afrique, comme celles de la carte des sols d'où proviennent les informations de texture des sols et de relief, sont au 1:5 millionième et ont été numérisées avec une résolution de 10'. Quant aux données de précipitations et de population, elles ont été obtenues pour des mailles de 10' et de 5' respectivement. En raison des contraintes spatiales propres à la procédure d'interpolation, il a fallu établir les données de température pour des mailles de 20'. Toutefois, comme l'objectif poursuivi consistait à obtenir une estimation des possibilités de pisciculture en eaux à température élevée à l'échelle du continent africain, la résolution spatiale choisie adoptée convient à ce type d'évaluation stratégique.

4.1.4 Précision des données

La présente étude s'est appuyée sur des jeux de données importants, diversifiés et complexes - à l'exception des données de température, générées pour répondre aux besoins d'autres travaux de recherche. Aussi serait-il malaisé de vérifier la précision des données d'origine. Les données proprement dites comportent très certainement un certain nombre d'erreurs. Il importe néanmoins davantage pour l'interprétation des résultats de savoir comment les procédures d'analyse et les hypothèses ont été combinées de façon à obtenir les estimations potentielles de développement de la pisciculture. Pour cette raison, les sources d'information et les méthodes ont été exposées en détail et une annexe méthodologique a été ajoutée de façon à ce que le lecteur intéressé puisse prendre connaissance en détail des résultats des analyses du système d'information géographique.

4.1.5 Importance relative des critères

La principale variable indépendante par rapport à laquelle tous les autres critères ont été évalués a été la température de l'eau, traduite en termes de nombre possible de récoltes par an, de potentiel de grossissement des poissons et de capacité d'hivernage sans précautions particulières. Cela se justifie parce que la température de l'eau est directement liée à la production potentielle. Hormis les méthodes de gestion de l'eau, il n'existe pas de moyen simple et peu coûteux d'accroître et de maintenir des températures plus élevées de l'eau dans le cas d'une exploitation piscicole de subsistance. Des mesures de ce type sont vraisemblablement de nature à entraîner des coûts notables au niveau d'une exploitation commerciale.

A l'exception de l'alimentation en eau assurée par les rivières et les cours d'eau permanents, tous les critères ont reçu une pondération identique lorsqu'ils ont été regroupés par catégories et également lorsque les catégories ainsi créées ont été analysées conjointement pour établir les cartes et tableaux de données définitifs.

La pondération des critères pose deux types de problèmes. Le premier est lié à la nécessité de disposer de données techniques et économiques sur lesquelles fonder le choix de coefficients de pondération appropriés. A cet effet, les modèles bioéconomiques devraient être liés spatialement ou intégrés au système d'information géographique. La difficulté ne vient pas de l'absence de techniques d'intégration des modèles, mais plutôt de l'absence de données de base sur lesquelles ces derniers peuvent être élaborés.

Le deuxième problème est le suivant: même lorsque les coefficients de pondération physio-biologiques et économiques ont été définis, leur valeur est tributaire de la fiabilité des données employées (par exemple, précision et résolution spatiale). Aussi, bien que l'on sache intuitivement que la température de l'eau et sa disponibilité figurent parmi les principaux critères physiques, cette première donnée présente une résolution spatiale relativement faible, tandis que la seconde est représentée par une variable de substitution dont le choix est loin d'être parfait. Compte tenu de ces handicaps, il serait vain de chercher à obtenir une meilleure quantification des relations entre les différents critères. De fait, en attribuant apparemment aux résultats une fiabilité injustifiée, l'effet obtenu irait à l'inverse du but recherché.

4.1.6 Vérification des résultats

La vérification des résultats ne saurait reposer sur la simple comparaison des emplacements prévus par le système d'information géographique pour les possibilités qu'ils offrent en matière de pisciculture à température élevée, avec les emplacements réels des exploitations piscicoles. En effet, l'étude prédit la localisation des zones offrant des possibilités d'exploitation piscicole en eaux à température élevée, sans toutefois prétendre rendre compte des emplacements de pratique actuelle de la pisciculture. La pisciculture en eaux à température élevée est très peu développée dans nombre de pays africains: aussi, une grande partie de la superficie pour laquelle l'étude prévoit des caractéristiques adéquates à optimales ne comprend-elle guère de secteurs dans lesquels cette activité est d'ores et déjà développée. Un meilleur contrôle de la qualité des résultats de l'étude consiste à analyser les zones dans lesquelles ce type de pisciculture est pratiquée, mais où les possibilités de développement des exploitations piscicoles n'ont pas été prévues. Cette façon de procéder permettrait de réévaluer les valeurs limites des critères utilisés; si ces valeurs sont suffisantes, différentes zones pourraient être ajoutées. A présent, peu de données sont disponibles pour procéder à ce type de vérification. La section intitulée Préparation du présent document, au début de ce rapport invite les lecteurs bien informés à communiquer à cet effet les emplacements d'exploitations piscicoles qu'ils connaissent.

La vérification des résultats de l'étude soulève une autre difficulté: il existe certes des publications contenant des données sur l'emplacement des exploitations piscicoles, mais les informations qui y figurent ne mentionnent pas en règle générale la nature des espèces cultivées et sont rapportées à des unités administratives trop étendues. Or, les critères utilisés dans la présente étude ignorent les frontières et se rapportent à des mailles de 10', ce qui correspond à une résolution nettement plus fine par comparaison à la taille des unités administratives.

Une dernière difficulté vient de ce que les données les plus détaillées sur les emplacements des exploitations piscicoles provenant de 123 districts situés au Ghana, au Kenya, en Zambie et au Zimbabwe, ont servi à définir les valeurs seuils concernant l'alimentation en eau et la demande du marché local; les résultats relatifs à ces pays se trouvent donc exclus des comparaisons avec les données réelles.

Compte tenu de toutes ces difficultés, il est cependant possible de procéder à quelques comparaisons globales entre les possibilités de développement prévues et la répartition effective de la pisciculture à l'intérieur d'unités administratives étendues. Au Nigéria, Balarin (1990) recense 10 Etats sur un total de 21 dans lesquels la pisciculture commerciale est pratiquée. Deux de ces dix Etats, situés au nord du Nigéria, ne figurent pas dans la zone de pratique potentielle de la pisciculture définie dans la présente étude, en raison du niveau relativement faible de précipitations annuelles. Les huit autres Etats où la pisciculture commerciale est pratiquée se trouvent dans des zones pour lesquelles des possibilités de développement de la pisciculture sont prévues.

Au Cameroun, Balarin (1985) recense les principales exploitations piscicoles de chaque province. Une grande partie des provinces dotées des étangs de pisciculture les plus nombreux figure parmi les zones désignées par la présente étude comme étant adaptées à la pisciculture; celles-ci se trouvent également dans les deux provinces dans lesquelles la pisciculture est particulièrement développée, selon les données cartographiques établies par Satia, Satia et Amin (1992). Les autres provinces recensées par Balarin comprennent également des secteurs de différentes tailles adaptés à la pisciculture. De plus, conformément aux indications de Balarin (op. cit.), quatre des six provinces pratiquent l'élevage de Nile tilapia.

En Tanzanie, Balarin (1985a) a classé les nombres d'étangs de pisciculture ruraux par régions administratives. Les régions de Tanzanie dotées des effectifs les plus importants d'étangs ruraux de pisciculture correspondent bien aux emplacements désignés par la présente étude comme présentant des caractéristiques adéquates à optimales quant aux possibilités de pisciculture en eaux à température élevée. A un niveau de résolution plus fin et sur la base de données plus récentes, Seki et Maly (1993) ont recensé les étangs de pisciculture par district dans la région de Ruvuma au sud de la Tanzanie. Les limites de deux des districts coïncident bien avec les zones pour lesquelles le système d'information gégraphique prévoit des caractéristiques adéquates à optimales. Les zones des districts pour lesquelles une telle correspondance n'est pas observée offrent des possibilités limitées de pisciculture à température élevée, uniquement en raison de la texture grossière du sol, d'après les résultats du système d'information géographique.

Les possibilités de pisciculture prévues au Rwanda peuvent être comparées aux données cartographiques établies par Nathanael et Moehl (1989) indiquant l'implantation par région des activités piscicoles. Sur les huit régions considérées (toutes situées dans la moitié occidentale du Rwanda) où la pisciculture est pratiquée, quatre coïncident avec les zones identifiées par le système d'information géographique pour leur potentiel piscicole. Les régions pour lesquelles on constate un recoupement des résultats du système d'information géographique sont généralement celles qui comprennent le plus grand nombre de communes où la pisciculture est pratiquée et correspondent à 63 pour cent des étangs en activité des huit régions. Par contre, les régions de pisciculture qui n'ont pas été désignées par le SIG au moins comme adaptées à la pisciculture s'avèrent faiblement adaptées du point de vue du critère de la pente, comportent des températures de l'eau trop basses pour assurer une récolte par an et s'avèrent peu adaptées quant à la disponibilité des facteurs de production. En ce qui concerne la température de l'eau, une souche de Nile tilapia particulièrement résistante au froid a été importée et largement répandue de façon à encourager la pisciculture au Rwanda. Elle semble résister à des températures inférieures à la température limite considérée dans la présente étude, soit 14°C, ce qui explique sans doute son usage plus répandu dans les exploitations piscicoles du Rwanda, par comparaison aux prévisions du système d'information géographique.

Les hautes terres de Vakinankaratra, au centre de Madagascar, permettent de comparer les résultats du système d'information géographique et les emplacements réels d'exploitations piscicoles, puisque ces derniers ont été cartographiés par Lardinois (1992). La région de Vakinankaratra pratique surtout l'élevage de la carpe dans les rizières. D'après les résultats du système d'information géographique, la région en question est trop fraîche pour vérifier les critères d'élevage piscicole à température élevée considérés dans la présente étude. De fait, d'après les données classées par Ranaivoarijaona (1992), les altitudes des 13 stations pluviométriques de la région sont comprises entre 915 et 2 100 m. Les températures atmosphériques moyennes mensuelles de 11 stations au cours des mois les plus froids dépassent 14°C un mois seulement et dans une seule des stations. La présence de pentes supérieures à 30% constitue la seule autre caractéristique de nature à classer cette zone parmi les zones faiblement adaptées à la pisciculture.

4.1.7 Améliorations

Les résultats de l'étude pourraient être améliorés de deux façons. La première serait d'accroître la résolution des données utilisées en ce qui concerne les critères déjà pris en compte, et la seconde serait de considérer des critères supplémentaires.

La généralisation de l'utilisation des systèmes d'information géographique en tant qu'outil de planification du développement conduit à employer de plus en plus des données de meilleure résolution. La température correspond au critère pour lequel une amélioration de la collecte des données s'impose tout particulièrement.

L'utilisation de données de précipitations mensuelles et non annuelles permettrait d'obtenir une certaine amélioration en termes d'évaluation de l'approvisionnement en eaux de surface; cela permettrait d'associer les disponibilités saisonnières d'eaux superficielles au caractère saisonnier des températures favorables au grossissement des poissons, de façon à optimiser ces deux caractéristiques en présence de ressources en eau peu abondantes. Les données concernant les ressources en eaux souterraines devraient compléter utilement les informations concernant les eaux de surface afin d'évaluer les possibilités de pisciculture dans les zones particulièrement sèches. Le Zimbabwe, où les précipitations sont relativement peu importantes, s'est avéré pourvu d'eaux souterraines qui constituent la principale source d'approvisionnement des étangs de pisciculture.

La définition des classes de pente du terrain établies par la FAO et associées à la carte des sols est trop sommaire pour pouvoir apprécier de manière fiable les possibilités techniques de création d'étangs et, de manière analogue, les données de texture des sols de la FAO ne correspondent pas bien aux critères de construction d'étangs. Une carte des sols d'Afrique au 1:1 million est en cours de préparation et les données topographiques présentant une résolution de 1 km commencent à être disponibles; aussi ces deux sources d'informations pourraientelles servir à améliorer les études futures.

Un critère supplémentaire permettant de mieux localiser les possibilités d'exploitations piscicoles à température élevée est fourni par la définition des limites des parcs nationaux et des zones réservées, de telle sorte que les possibilités de pisciculture ne soient pas attribuées par erreur à des zones faisant déjà l'objet d'autres utilisations prioritaires.


Page précédente Début de page Page suivante