Document basé sur les travaux de M. Njunkeng P.B. Satia
Division des Pêches
Ministère de l'Elevage, des Pêches et des Industries Animales
Yaoundé, Cameroun
Résumé |
Le présent document expose en détail une approche systématique de la planification de l'aquaculture dans les pays africains. Il examine quelques unes des raisons de la croissance médiocre de l'aquaculture depuis quelques années et propose des solutions pratiques pour identifier, concevoir et mettre en oeuvre des projets d'aquaculture. L'auteur décrit une méthode d'analyse du cadre logique du projet au moyen d'un tableau matriciel et souligne l'importance du suivi et de l'évaluation des projets, ainsi que du choix judicieux de leurs responsables. Les ouvrages cités dans la bibliographie permettront d'approfondir ces questions. |
1. INTRODUCTION A LA PLANIFICATION DE L'AQUACULTURE
1.1 Généralités
L'aquaculture, c'est-à-dire la culture d'organismes aquatiques (animaux ou végétaux) en milieu contrôlé, a moins de 50 ans d'histoire dans la plupart des pays africains. Elle a fait ses premiers pas sous les administrations d'avant l'Indépendance, qui cherchaient à enrichir en protéines le régime des ruraux tout en apportant une activité secondaire aux familles dont l'emploi principal était dans les plantations (cacao, café, caoutchouc, huile, produits du palmier, etc.) qui alimentaient en matières premières les industries d'outre-mer.
On s'est essayé, selon les conditions écologiques, à deux grands types d'aquaculture: pisciculture (élevage des poissons d'eau douce) d'une part, et aquaculture côtière d'autre part. Cette dernière peut se subdiviser en mariculture, soit la propagation d'organismes animaux en milieu marin, et en valliculture, qui désigne l'élevage d'organismes animaux dans les lagunes et les estuaires.
Ces activités se conduisent dans divers types d'enclos: étangs, viviers, cages, canaux, akadjas, etc.
De ces deux types principaux d'aquaculture, c'est l'élevage du poisson en eau douce dans des étangs artificiels (levée de terre, mur de béton ou autre structure) qui est le plus répandu et se pratique depuis fort lontemps dans la plupart des pays. Dans certains cas, les résultats sont bons, voire spectaculaires, mais trop souvent il faut en constater la médiocrité qui ne récompense pas l'effort fourni.
Se fondant sur des statistiques officieuses mais néanmoins fiables, un Groupe de travail du CCRRM sur l'aquaculture (FAO, 1982) a en effet constaté que le taux de croissance de l'aquaculture en Afrique avait été de moins 13 pour cent entre 1975 et 1980. La production a progressé de 2 356 t par an; mais rapportée à la population, elle a diminué de 5 g par personne et par an. Ce taux négatif de développement de l'aquaculture en Afrique s'explique par de nombreux facteurs, notamment l'indigence de la recherche et la multiplicité des obstacles à l'innovation, l'adoption de techniques inappropriées, l'impuissance à synchroniser des activités interdépendantes, la faiblesse des services de vulgarisation et l'absence de plans de développement mûrement réfléchis et bien conçus pour l'aquaculture. Dans la plupart des cas, les “plans” existants ne sont guère qu'une liste d'aspirations et de voeux bien intentionnés, et leur exécution est laissée à l'inspiration de qui est censé commander. Projets mal identifiés, mal préparés, inexistants ou mauvaise exécution de plans pourtant bien conçus et mis au point: le secteur aquacole national tout entier en souffre, et des ressources précieuses sont ainsi gaspillées. L'objet du présent document est de proposer quelques grands principes et techniques de planification de l'aquaculture, et de démontrer qu'il est indispensable de se doter d'un plan rationnel pour développer l'aquaculture avec succès.
1.2 La planification en aquaculture (définition)
Planifier, c'est prévoir des activités à entreprendre, dans le domaine de l'aquaculture en l'occurrence, et établir un calendrier d'exécution. Le planificateur doit aller le plus loin possible dans le détail de ce qui doit être fait, par qui, quand, pourquoi et si possible comment. Un plan national d'aquaculture peut être contenu dans un projet unique ou se distribuer sur une série de projets étroitement liés.
Un “projet” peut se définir comme une entreprise planifiée, c'est-à-dire une unité de gestion qui précise clairement ce qui doit être accompli, pour qui, pendant quelle durée, et pour quel coût prévisionnel. Il s'agit d'une activité spécifique, qui commence à une date précise et se termine à une date tout aussi précise, et qui a pour objet d'atteindre un objectif donné. Il porte habituellement sur une zone géographique déterminée, ou du moins se caractérise par un degré entendu de concentration géographique; il vise un groupe cible qu'il est censé atteindre; il s'ordonne selon un calendrier relativement précis d'activités d'investissement et de production; enfin, il comporte un groupe spécifique d'activités à financer et un ensemble de bénéfices dont on peut à la fois identifier et estimer la valeur. Il peut être doté d'une structure administrative partiellement ou entièrement indépendante, ainsi que de plusieurs comptes.
La figure 1 montre quelles sont les ambitions de l'activité aquacole, et indique les types d'eaux, d'animaux, et de facteurs scientifiques et techniques dont il faut tenir compte pour développer l'aquaculture. La mise au point d'un plan national d'aquaculture passe par l'examen de tous ces aspects.
1.3 Pourquoi planifier?
Rappelons quelques principes:
L'art de la planification tient en grande partie à la bonne distribution temporelle des activités de développement, et oblige à se poser des questions telles que: “La situation est-elle mûre pour tel projet aquacole? Quels en seront les effects positifs et négatifs sur le développement global? Quels sont les obstacles éventuels? L'aquaculteur ou le pays sont-ils techniquement et financièrement prêts à entreprendre cette tâche, étant donné le climat social et administratif du pays?” etc. Le travail de planification fait apparaître les grandes lignes qui gouverneront le choix des projects de développement.
Pour pouvoir planifier, les décideurs doivent prendre le temps de réfléchir, formuler des objectifs à long terme et aligner l'action immédiate sur les perspectives futures.
La planification évite de gaspiller des ressources.
Les projets qui comportent une composante économique, lorsqu'ils sont réussis, ont invariablement des effets sociaux. Ils peuvent créer des emplois, donner lieu à des recettes en devises; ils sont formateurs pour la main-d'oeuvre, diversifient les activités possibles et insufflent une vitalité nouvelle à une économie souvent peu prospère.
1.4 Les principaux ingrédients pour qu'un plan réussisse
Le plan national d'aquaculture, surtout lorsqu'il fait intervenir des projets à l'échelle du pays, doit faire autorité-c'est-à-dire être approuvé par le gouvernement, sous peine de dégénérer rapidement en une politique anonyme. Ce point est important, car c'est le Ministère des finances qui met à disposition les fonds nationaux ou empruntés, en quantité voulue et en temps opportun.
Le plan doit faire état des prérogatives et des responsabilités. Il doit non seulement recevoir un financement ferme, mais aussi une dotation en personnel chargé d'exécuter les activités prévues; il doit également prévoir de rétribuer les auteurs des réussites et de pénaliser les fauteurs d'échecs.
Il doit se donner des objectifs spécifiques, c'est-à-dire désigner une clientèle précise et indiquer la mesure, objectivement vérifiable, des résultats escomptés à des échéances déterminées.
Il doit mettre en place un réseau de communications pour acheminer l'information et les directives. L'information doit circuler en permanence entre l'échelon supérieur et l'échelon inférieur des personnels qui participent à la planification, la volonté d'accepter les révisions qui s'imposent devant être égale de part et d'autre. Les planificateurs disent procéder par “approximations successives”.
Le plan doit traduire des initiatives internes et non pas des pressions extérieures.
Les propositions inscrites au plan doivent être révisées régulièrement à mesure que les circonstances se modifient et que de nouvelles informations deviennent disponibles.
La méthode de planification doit être adaptée à la situation socio-économique du pays et tenir compte des institutions qui président à la croissance. Dans certains cas, il sera nécessaire d'en créer de nouvelles.
Le plan doit porter plus particulièrement sur quelques domaines clés (notamment lorsque le tissu économique est fragmentaire et le secteur industriel peu développé, comme c'est souvent le cas dans les pays d'Afrique).
L'aquaculture étant une activité pluridisciplinaire, l'équipe de planificateurs devra être composée de représentants d'autant de disciplines concernées que possible. La planification en équipe a pour avantage de multiplier les points de vue, les types d'expérience et les compétences. Les membres de l'équipe doivent avoir l'expérience professionnelle requise, et être formés à la mise au point de plans à la fois maniables et logiquement conçus, ainsi qu'à leur exécution.
1.5 Quelques explications à l'échec de plans existants
La planification de l'aquaculture reste une discipline récente. Dans bien des pays développés eux aussi, le secteur est jugé trop marginal pour mériter l'attention de spécialistes et on a tendance à confier aux planificateurs agricoles les projets d'aquaculture, qui sont annexés aux “plans cadres”. Souvent donc les projets d'aquaculture retenus ne sont guère qu'une liste d'activités envisagées, et non point un plan ou un document de projet au sens que nous venons de définir, conçu de la manière que nous présenterons ci-après.
Certes, l'agriculture et l'aquaculture ont beaucoup de traits communs d'un point de vue théorique, en ce sens que dans ces deux disciplines la corrélation entre apports et produits est plus étroite qu'entre la pêche de capture et l'aquaculture; mais lorqu'on en vient aux détails opérationnels, il faut une formation à l'aquaculture et une expérience spécifiques qui peuvent faire défaut à l'agronome. Dans certains cas, il est demandé à des techniciens des pêches de participer à la préparation de plans; mais il peut leur manquer la familiarité nécessaire avec les concepts et techniques de la planification économique et sociale.
Certains pays prennent souvent l'aide étrangère comme un “cadeau”, sans se soucier des conséquences adverses qu'elle peut avoir sur le développement à long terme faute de plan raisonné permettant d'en faire bon usage. L'intrusion de personnes mal informées animées d'intentions politiques, de même que la corruption dans les hautes sphères, nuisent parfois à l'élaboration de plans de bonne qualité, ou à l'exécution efficace des plans existants.
Nombreux sont les plans qui ne traduisent tangi'lement aucune initiative propre au pays, et ne sont que le fruit de pressions extérieures. On découvre des exemples dans tous les domaines, y compris en aquaculture; ces plans-là, dictés de l'extérieur, sont promis à rester sur les rayonnages d'un bureau ou d'une bibliothèque.
Parfois le peu, voire l'absence pure et simple d'esprit d'entreprise des personnes privées exclut toute possibilité de concevoir des plans rationnels et efficaces.
1.6 Validité des plans
On peut distinguer trois types de plans: à court, moyen et long terme. Le plan à court terme est annuel, et il constitue un instrument de contrôle; le plan à moyen terme a une portée de trois à sept ans, le plan quinquennal étant le plus répandu. Le plan à long terme, sur dix ans et plus est parfois appelé “plan de perspective”.
Tout plan national d'aquaculture doit comporter un plan annuel ou de contrôle. Cette application tient au fait que c'est là le seul document qui, voté par le Parlement ou le Conseil d'administration d'un organisme, autorise le responsable de l'exécution des activités à engager des dépenses. On comprend donc bien pourquoi il importe que tout plan soit dûment entériné par les autorités.
Le plan annuel est en même temps un document de travail, qui permet de comparer chaque année ressources et réalisations.
Compte tenu de l'importance potentielle de l'aquaculture, il semble judicieux que les pays encore dépourvus de plan national se dotent d'un premier plan d'une durée d'au moins cinq ans. L'élaboration de ce premier plan impose une évaluation des perspectives à long terme. Il pourra par exemple être nécessaire de constituer un service de vulgarisation efficace, et de former du personnel. Cela prend du temps. Le délai est long avant qu'un programme ne devienne autonome; il faut produire des reproducteurs, organiser le marché et la distribution, entreprendre des recherches, toutes ces activités étant liées à la formation de la maind'oeuvre. Pour encourager et favoriser les investissements, il faut obtenir des résultats tangibles, qui sont eux aussi affaire de temps.
Pour des motifs politiques, il peut être nécessaire d'étaler le plan sur plusieurs zones, mais les ressources disponibles au départ - en capital et en personnel-risquent d'être insuffisantes pour ce faire. Pour obtenir le soutien dont il a besoin, le gouvernement pourra souhaiter voir les divers aspects du plan intéresser toutes les zones où les conditions techniques, écologiques et administratives sont favorables. C'est pour ces raisons que le premier plan doit être tracé à moyen ou long terme.
1.7 Le processus de planification
La planification s'articule en quatre phases corrélées:
collecte de l'information;
conception du projet;
évaluation;
exécution.
Elle commence par la définition des besoins d'information; il faut ensuite planifier la collecte de l'information, la conception des projets et leur exécution. Les méthodes et les critères de mesure et d'évaluation de la performance globale des projets et du degré de réussite de chacun doivent aussi être prévus au plan.
On n'oubliera jamais que ces phases de planification sont interdépendantes et peuvent être dans une certaine mesure simultanées. C'est donc par stricte commodité que nous les examinerons successivement dans les pages qui suivent.
2. COLLECTE DE L'INFORMATION
Pour préparer un plan, il convient en premier lieu de réunir l'information qui permettra d'identifier, de concevoir, d'exécuter et d'évaluer les projets et leurs résultats. J'utilise intentionnnellement le mot “information” plutôt que le terme habituel ou traditionnel “donnée” pour souligner le fait que les informations simples et quantitatives (les données), si elles sont très utiles, ne suffisent pas aux planificateurs. Divers types d'informations non quantifiables - attitudes gouvernementales, traditions, genre de vie, niveau d'éducation, troubles civils, capacité administrative et organisationnelle, etc. - ont une incidence sur le développement de l'aquaculture et doivent être pris en compte.
Quel que soit son objet, la planification s'appuie toujours davantage sur les techniques de l'information. Cette évolution a plusieurs raisons:
Toute action délibérée s'appuie sur la détention et l'utilisation d'informations. Un plan ne doit pas se fonder sur des besoins, mais sur des ressources disponibles et leur potentiel de développement.
L'information est essentielle pour éclaircir les problèmes, comprendre le contexte dans lequel le plan devra se traduire en action, et pour appréhender les dimensions, l'échelle et les limites de l'action.
La disponibilité de l'information, habituellement sous forme de données quantifiables, et sa qualité sont des facteurs contraignants quant au mode de planification que l'on pourra appliquer.
La qualité intrinsèque et l'efficacité d'un plan dépendent de la nature et de la qualité des information biotechniques, socio-économiques, juridiques et politiques dont on peut disposer.
Catégories d'informations pour la planification de l'aquaculture
Pour pouvoir planifier utilement le développement de l'aquaculture, il faut disposer non seulement d'informations d'ordre biologique, technologique et juridique, mais aussi de renseignements socio-économiques. Le tableau 1 résume les principales exigences de la planification de l'aquaculture en matière d'information sous cinq rubriques principales et 15 rubriques secondaires, et fait place à quelques précisions et à des exemples pour chacun des facteurs. Tous ceux-ci peuvent avoir une incidence positive ou négative sur le développement de l'aquaculture. Leur analyse permet d'obtenir le principal de la somme de connaissances nécessaires à la bonne préparation d'un projet ou d'un plan.
Lorsqu'on prépare un plan ou un projet aquacole, il faut rechercher ce qui s'est fait jusque là dans le secteur (lieu, individus-participants, capacité, etc.) et s'interroger sur le succès ou l'échec de ces entreprises. On cherchera donc le maximum d'informations, tant en termes de temps que de coût, même si ces renseignements sont difficiles à obtenir, la majorité des entreprises aquacoles africaines ne constituant pas d'archives suffisantes, ce qui est fort regrettable.
Il est en général besoin de formation et de vulgarisation pour que le développement de l'aquaculture repose sur une base technologique saine. Il faut donc étudier les ressources en personnel compétent ou prévoir la formation d'un noyau de techniciens, et examiner la compétence des services de vulgarisation existants.
Tableau 1
Informations requises pour planifier l'aquaculture
Facteurs | Sub-divisions | Exemples d'informations nécessaires pour l'aquaculture | |
Milieu | Physique | - | terre/eau: température, salinité, pH, marées; |
- | type de sol, végétation, etc. | ||
Institutionnel | - | attitudes du gouvernement/soutien à la formation, aux services de vulgarisation, aide financière; | |
- | existence d'organismes s'occupant d'aquaculture; niveau de la recherche, performance des projets en cours. | ||
Social (pour plus de détails sur les facteurs liés au milieu social, se reporter à l'annexe 1) | - | densité de population, croissance démographique, composition; | |
- | schémas migratoires; | ||
- | traditions socio-culturelles, genres de vie; | ||
- | système et événements politiques; | ||
- | analyse sectorielle de l'économie; | ||
- | infrastructure. | ||
Espace | Terre/eau | - | disponibilité, accès et utilisation de l'espace: lacs, réservoirs, baies, lagunes, estuaires, mangroves, marais |
- | modalités économiques d'utilisation de l'espace (propriété, louage, fiscalité, etc.) | ||
- | contraintes juridiques, par exemple relatives à l'évacuation des effluents | ||
Technologie | Méthodologie de culture (techniques et méthodes récentes de culture des espèces aquatiques) | - | espèces: quantité, qualité, coûts, alimentation naturelle/artificielle; |
- | disponibilité des matières premières. | ||
Produits | - | systèmes opératoires de récolte, transformation, conservation, emballage et stockage correct; réseaux de distribution et techniques de transport; | |
- | besoins et disponibilités énergétiques, régularité de fourniture et coûts; | ||
- | existence d'une législation relative au contrôle de la qualité, du personnel correspondant et d'un système d'inspection. | ||
Production | Planification et gestion | - | espèces actuellement cultivées, sites utilisés, types et techniques de construction; |
- | ressources en personnel présentant des compétences techniques et gestionnaires | ||
Intrants | - | reproducteurs: espèces, quantité disponible, qualité, coûts, adaptation à la culture, accueil dans la population, etc. | |
- | alimentation et fumure: types, quantité, qualité, coûts, disponibilité; | ||
- | eau: débit, quantité, qualité, coûts, contraintes juridiques, régime pluviométrique, etc. | ||
- | énergie: sources d'énergie disponible, pour maximiser les profits aux divers postes; préparation des aliments, transformation des produits, distribution de l'alimentation, commercialisation, etc., et coûts; | ||
- | matériels: disponibilité et coûts de l'outillage, des machines et des engins: bouteurs, rouleaux, bêches, rateaux, pics, filets, etc. | ||
- | main-d'oeuvre: conduite des étangs, récolte, transport du poisson au marché, disponibilités en personnel qualifié et non qualifié, et coûts; compétence et efficacité du personnel disponible. | ||
Opérations | - | empoissonnement, fumure des étangs, alimentation du poisson, contrôle de la qualité de l'eau, opérations sanitaires préventives et curatives (maladies et parasites), récolte et commercialisation. | |
Coûts (fixes et variables) | - | fermage, travaux de construction, eau, empoissonnement, alimentation et/ou fumure, main-d'oeuvre, commercialisation et intérêts des emprunts | |
Commercialisation | Planification et gestion | - | le produit de la ferme est vendu vif, frais, entier, décortiqué, transformé, etc. |
- | stratégie de commercialisation: à la ferme piscicole, au marché local, à l'exportation; par des personnes privées ou des coopératives; à des intermédiaires ou directement aux consommateurs; échelonnement dans le temps, saisons. | ||
- | avantages et inconvénients d'une stratégie commerciale donnée | ||
Demande | - | demande à la consommation: influence des coutumes, des habitudes alimentaires, des croyances religieuses; compétitivité des prix des produits de l'aquaculture par rapport aux autres produits de la pêche, à la viande, etc.; qualité des produits; revenu par habitant et distribution du revenu; connaissance du produit. | |
- | demande intermédiaire: influence des prix, des coûts de commercialisation, des profits offerts par les activités concurrentes; coûts de transport, obstacles à l'importation; stabilité de la demande et de l'offre. | ||
Opérations | - | installations d'épuration ou systèmes de stockage du produit vif avant commercialisation. | |
- | conservation, transformation, transport, stockage, commissions, fiscalité | ||
- | disponibilité des aliments, contrôle de la qualité, réglementation, application des normes; disponibilité en personnel qualifié. | ||
Rapport | - | production totale et production par unité de superficie; | |
- | volume de poisson vendu; | ||
- | prix du kilogramme. |
Le tableau qui précède résume dans les grandes lignes les divers types d'informations qu'il convient de réunir pour pouvoir planifier l'aquaculture. La collecte de l'information doit porter tout particulièrement sur les secteurs ou les facteurs qui, selon toute probabilité, seront en rapport étroit avec les objectifs du plan.
Les sources d'information sont diverses: cartes géographiques, prospection sur le terrain, télédétection, entrevues et questionnaires, consultations de rapports et autres publications.
Il est conseillé au lecteur de se reporter aux travaux de Shang (1981), Schmidt (1982) et Williams (1983) qui font une analyse détaillée des facteurs socio-économiques en aquaculture. Shang propose une méthode d'enquête socio-économique pour l'aquaculture. Avec les précautions voulues, il est possible d'adapter cette méthode pour réunir la majeure partie de l'information nécessaire à la planification dans le secteur aquacole.
3. IDENTIFICATION ET CONCEPTION DES PROJETS
Au cours de la conception du projet, il faut en arrêter l'intention, le plan, définir les hypothèses qui le sous-tendent et les moyens de mesurer les progrès accomplis. On distinguera quatre éléments principaux: objectifs quantitatifs, objectifs qualitatifs, apports et produits. On prévoira aussi un plan d'exécution et les modalités de l'analyse technique et économique des activités.
3.1 La méthode classique de conception des projects
La conception d'un projet peut être aussi complexe que son exécution. La procédure que nous esquissons ci-après pourrait être considérée comme la “méthode classique”. Mais n'oublions pas qu'en Afrique les équipes chargées de la conception des projects d'aquaculture doivent souvent s'atteler à des tâches qui semblent démesurées. La manque de données à lui seul exclut souvent toute possibilité d'analyse de faisabilité, à moins de consacrer tout le temps et l'argent qu'il faut à réaliser des enquêtes. Dans d'autres cas, les concepteurs découvrent un vide institutionnel qui les oblige à préparer des plans hors de tout contexte. On peut contourner ces difficultés en modifiant le processus de conception du projet de la manière que nous examinerons à la fin du présent chapitre sous le titre “autres méthodes”.
Selon la méthode “classique”, la conception du projet se subdivise en quatre phases principales:
identification du projet;
conception générale et ordonnancement du projet;
planification et analyse de l'exécution;
analyse biotechnique et économique.
3.2 Phase d'identification du projet
Il s'agit ici tout simplement d'identifier le projet; c'eat-à-dire de répondre aux questions suivantes:
Que peut-on faire, et comment; à quoi doit s'attaquer le projet, et quels résultats peut-on en attendre?
Quelles sont les données requises; quelles sont celles qui sont déjà disponibles, et quelles sont celles qu'il faut rechercher ou revoir en profondeur?
Quelles sont les compétences requises; dispose-t-on du personnel adéquat, ou faut-il le recruter sous contrat; dans ce dernier cas, selon quelles modalités et quelle séquence temporelle engager des consultants?
Quelles sont les ressources à apporter, par type et par quantité?
Quels doivent être la composition de l'équipe chargée de la planification du projet et le niveau de formation, l'expérience professionnelle, le rôle et la description du poste de chacun de ses membres?
l'équipe doit-elle être fractionnée pour se relayer par phases, ou doit-elle fournir un travail global et simultané? Nombre de projets complexes ou novateurs s'accommodent mieux d'une succession de “miniéquipes” que d'une grande équipe unique. Les premières équipes à intervenir sont alors chargées de définir les contraintes fondamentales et de proposer un programme en conséquence. Le responsable de la planification examine alors les recommandations et définit les éléments du projet. Enfin, l'équipe chargée de la conception définitive, qui doit si possible compter certains des membres de la “mini-équipe” antérieure, prépare de façon détaillée la description, le budget et l'analyse du projet.
Combien de temps doit durer la phase de conception pour que l'on dispose d'analyses valables et de plans précis?
3.3 Phase de conception proprement dite du projet
Il s'agit maintenant de concevoir le projet dans tous ses détails techniques. Il faut spécifier les caractéristiques techniques, les besoins de formation, de matériel et de fournitures, le budget, le calendrier, etc. pour l'ensemble du projet. Ce travail de préparation doit s'agencer selon une séquence logique et aboutir à un “document de projet”. Ledit document doit présenter, dans un langage direct et de manière raisonnée et honnête les objectifs, les buts, les apports et les produits du projet, avec à l'appui un résumé descriptif. Il doit aussi comporter un plan d'exécution et une analyse biotechnique et économique du projet.
Chacun des objectifs, des finalités, des apports et des produits d'un projet donné doit pouvoir se mesurer objectivement (indicateurs); il faut prévoir des moyens d'évaluation, c'est-à-dire permettant de vérifier que les objectifs sont atteints. Le document de projet doit aussi exposer les hypothèses et les conditions sur lesquelles reposent la conception du projet et ses divers éléments.
Ce document doit être rédigé dans un langage simple et précis.
Tableau matriciel du cadre logique
Pour faciliter la conception du projet, on peut conseiller d'utiliser un tableau matriciel qui résumera le cadre logique dans une grille divisée en quatre rangées (où figureront les buts, les finalités, les apports et les produits) et quatre colonnes (résumé narratif, objectifs vérifiables (indicateurs), moyens de vérification et hypothèses fondamentales de travail (voir tableau 2)) pour l'analyse de la conception du projet et son évaluation.
Cette matrice logique est utilisable tant pour la conception initiale du projet que, lorsqu'il s'agit d'évaluer un projet existant, pour analyser et clarifier systématiquement sa conception originelle. Lors de la préparation de la matrice de base, il peut être plus commode de noter d'abord les idées sur des feuilles séparées plutôt que sur la grille elle-même; l'information sera condensée dans un deuxième temps.
Cette matrice logique présente plusieurs avantages: elle est commode pour mettre en évidence les éléments critiques dans la conception d'un projet; la concision qu'elle impose permet d'écarter tout verbiage et de ramener les facteurs à leurs éléments les plus significatifs; engin, elle facilite considérablement l'analyse des divers éléments qui caractérisent le projet et leur agencement logique.
Tableau 2
Tableau matriciel du cadre logique
1. Résumé narratif | 2. Objectifs vérifiables/ indicateurs | 3. Moyens de vérification | 4. Principales hypothèses d'analyse | ||
A. | BUTS | ||||
B. | FINALITES | ||||
C. | APPORTS | ||||
D. | PRODUITS |
On peut définir les têtes de colonne du tableau matriciel de la manière suivante:
Résumé narratif: résumé du projet: historique, descriptif, besoins, objectifs et effets possibles en cas de réussite.
Indicateur: instrument de mesure explicite et objective des résultats escomptés. Dans un projet bien conçu, il faut savoir d'avance ce que l'on va mesurer ou observer pour mettre en évidence la progression des résultats. Cette progression doit être objectivement vérifiable afin qu'inconditionnels du projet et sceptiques conviennent, chiffres en main, que les résultats sont ou ne sont pas ceux qui étaient prévus. En outre le fait de choisir d'avance des indicateurs objectifs et vérifiables permet de centrer les débats sur des faits plutôt que de laisser des opinions s'affronter.
Moyen de vérification: le moyen de vérifier les résultats, quantitatifs ou qualitatifs, à l'aide des indicateurs appropriés, par exemple la croissance du revenu par habitant sur une période donnée; l'accroissement de la production d'alevins; etc.
Condition: événement ou action qui doit avoir lieu, ou condition requise pour la réussite du projet, mais sur lequel l'équipe du projet n'a guère de prise ou pas du tout. En formulant explicitement ces conditions, on canalise l'incertitude en ce qui concerne le milieu dans lequel se déroule le projet; ayant codifié les événements extérieurs significatifs, on peut procéder à une évaluation nouvelle et à une revision du projet en fonction de l'évolution des conditions ambiantes. Malgré le caractère global qui doit être celui de ces conditions, il est essentiel de ne retenir que les plus importantes. Elles doivent d'autre part faire l'objet d'une étude analytique systématique et critique.
3.4 Autres méthodes de conception du projet
Dans certaines circonstances, la méthode classique, globale ou unifiée de conception du projet demande à être modifiée. Nous donnerons trois exemples, et conseillons aux lecteurs curieux de consulter les ouvrages courants de planification pour complément d'information sur l'utilisation de ces variantes.
Développement séquentiel: lorsqu'un projet porte sans ambiguïté sur le long terme (objectifs institutionnels, ou relatifs à un système ou à un secteur), son exécution peut se subdiviser en phases distinctes. La première phase pourra par exemple jeter des bases institutionnelles, mettre en place une structure de recherche et une infrastructure pendant quelques années, après quoi une phase opérationnelle élargie s'engagera sur le terrain.
L'approche évolutive: l'approche évolutive de la conception des projets consiste en une dynamique de conception suivie d'exécution, puis d'une révision de la conception et d'un remodelage du plan. Elle est tout indiquée lorsque des expérimentations sur le terrain sont nécessaires en même temps que la collecte et l'analyse de données pour façonner et retoucher les interventions de façon adéquate.
L'approche modulaire: variante de la “conception séquentielle”, on y aura recours lorsque les objectifs et contraintes atteignent un degré de complexité et une ampleur tels qu'on peut craindre que les organismes de financement soient réticents à apporter les fonds nécessaires. Il s'agira alors de concevoir un “projet pilote” comportant des interventions initiales modestes, tandis que les spécialistes des disciplines techniques poursuivent les travaux nécessaires à la mise au point du projet principal, plus ambitieux.
4. PLANIFICATION ET ANALYSE DE L'EXECUTION
En général, la planification et l'analyse de l'exécution consistent à réaliser un diagramme en bâtons, voire faire la liste des actions à entreprendre selon un calendrier approximatif. Parfois les plans d'exécution sont préparés hors de tout contexte, pour parer au plus pressé, et figurent en annexe au “document de conception du projet”. Cela ne suffit point. L'exécution doit être planifiée et analysée avec le même rang de priorité que les autres éléments principaux du projet dès sa conception. Quelles que soient par ailleurs les qualités et le détail des autres éléments du projet, la faisabilité de l'exécution est d'importance capitale.
Le plan analytique d'exécution servira de guide, et permettra d'éviter maints problèmes pratiques et techniques (retards, faux départs, erreurs d'enchaînement des activités, goulots d'étranglement, etc.) dans la mise en oeuvre du projet. Un plan d'exécution mal conçu peut donner lieu à des problèmes graves et susciter de faux espoirs, donc nuire au moral de l'équipe et perturber la dynamique de l'action, outre qu'il entraîne des dépenses inutiles pour réviser les plans et la conception du projet.
Lorsque l'on analyse et planifie l'exécution d'un projet, il faut entrer dans plusieurs considérations de nature technique, gestionnaire, administrative, organisationnelle, commerciale, financière et économique:
Le personnel du projet a-t-il les capacités voulues pour administrer les activités requises?
Les cultivateurs ont-ils la possibilité d'acquérir les compétences nécessaires pour adopter des pratiques ou structures d'activité nouvelles?
L'autorité et les responsabilités sont-elles clairement définies et coordonnées ou non?
Le projet prévoit-il d'organiser la formation de la main-d'oeuvre à grande échelle (si nécessaire)?
Quelles sont les dispositions relatives au suivi et à l'évaluation des activités du projet?
Les paiements peuvent-ils s'effectuer rapidement?
Les dispositions permettant de commercialiser les produits du projet et de s'approvisionner en matières (reproducteurs, fumure, aliments, matériel, matériel de contruction, etc.) et de s'assurer des prestations de service pour mettre en place et faire fonctionner le projet sont-elles bien définies?
Le revenu des familles agricoles et les incitations sont-ils suffisants pour motiver les cultivateurs participants?
Existe-t-il des organismes publics ou privés tels que coopératives, banques et sources privées de financement, distributeurs et sociétés de transformation, et quelles sont leurs capacités?
Le projet promet-il de fournir une contribution significative au développement de l'économie dans son ensemble? Cette contribution sera-t-elle suffisante pour justifier l'absorption d'une fraction des maigres ressources disponibles?
C'est après avoir répondu à ces questions, et d'autres encore, qu'on peut alors rédiger le plan d'exécution du projet en veillant aux principes suivants:
Toute équipe de conception doit participer à l'élaboration du plan d'exécution. Chacun de ses membres doit s'assurer que toute décision ou action dans son domaine de compétence est convenablement arrêtée dans le temps, dans la séquence appropriée, et dans le rapport juste avec les autres facteurs.
Le plan d'exécution doit être honnête. S'abstenir de susciter de faux espoirs.
Les travaux et les actions doivent être soigneusement synchronisés et avoir avec les autres la juste relation mutuelle.
Le plan d'exécution doit être présenté sous forme de diagramme en bâtons ou de tableau graphiquement clair (voir tableau 3). Il doit néanmoins s'accompagner d'un descriptif concis mettant en évidence les articulations importantes et précisant honnêtement les difficultés potentielles que l'on peut prévoir.
Le tableau 3 donne un exemple de plan d'exécution, avec l'enchaînement de 18 activités distinctes sur une période de quatre ans.
5. ANALYSES TECHNIQUE ET ECONOMIQUE
La détermination de la faisabilité technique et économique du projet est capitale dans la préparation d'un plan d'aquaculture, et doit figurer à ce titre au document de conception du projet.
Tableau 3
Plan d'exécution type
Première année | Deuxième année | Troisième année | Quatrième | ||||||
1. | Formation de 5 personnes au niveau moyen | X | X | X | X | ||||
2. | Arrivée de l'assistance technique | X | X | ||||||
3. | Formation de 40 personnes au niveau subalterne (année) | X | X | X | X | ||||
4. | Séminaire pour le personnel | X | X | X | X | ||||
5. | Construction de la station piscicole (20 ha) | X | X | ||||||
6. | Construction des logements des ouvriers | X | |||||||
7. | Achat de quatre véhicules tout terrain | X | X | X | X | ||||
8. | Construction et installation d'un atelier de fabrication d'aliments | X | |||||||
9. | Construction d'étangs | X | |||||||
10. | Achat et installation d'un générateur électrique | X | |||||||
11. | Premier empoissonnement des étangs | X | |||||||
12. | Construction et aménagement d'incubateurs | X | |||||||
13. | Achat de 45 motocyclettes | X | X | ||||||
14. | Production d'aliments pour poisson | X | X | X | X | ||||
15. | Production de reproducteurs | X | X | X | X | ||||
16. | Services de vulgarisation | X | X | X | X | X | X | ||
17. | Evaluation | X | X | X | X | ||||
18. | Voyages à l'étranger du Directeur du projet | X | X |
5.1 Faisabilité technique
Le terme “technique” recouvre ici des considérations tant biotechniques qu'administratives. Pour déterminer la faisabilité technique des projets d'aquaculture, ou pour apporter des améliorations dans ce domaine, il faut faire appel à des techniciens; de toute évidence, l'efficacité des projets est étroitement liée à leur qualité technique. Pour déterminer leur bien-fondé, tant technique que social, il faut prendre en compte de nombreux facteurs. L'équipe de planification doit s'assurer:
que les technologies envisagées sont à la portée de ceux à qui elles sont destinées;
que l'interaction avec les spécialistes locaux est satisfaisante, et que les ensembles technologiques n'ont pas été mis au point “in vitro”;
que le projet est une expression de “l'art du possible”, s'inscrit dans une perspective historique, et que les prévisions en matière de résultats sont suffisamment modestes;
que le niveau d'apports et de services techniques a été mesuré en tenant compte à la fois des coûts de fonctionnement et des diverses contingences pratiques;
qu'il existe un marché et que les prix sont suffisamment attrayants pour créer des incitations à la production;
que la main-d'oeuvre qualifiée est suffisamment nombreuse pour mener à bien les travaux du projet, et si ce n'est pas le cas que le projet prévoit une formation;
que les ministères ou les organismes qui seront vraisemblablement en rapport avec le projet, directement ou indirectement, soient au courant de son existence et donnent un accord de principe pour collaborer à son exécution;
que la législation et réglementation relatives à l'aquaculture (environnement, investissements, régime foncier ou locatif, allocation des ressources, etc.) aient été prises en compte dans la conception du projet;
que l'étude technique et financière soit adaptée au projet et à ses éléments;
que le projet réunisse tous les éléments nécessaires à sa bonne exécution;
que toutes les questions relevant du génie civil aient été abordées (qualifications, type(s) de sol, alimentation hydraulique, disponibilité de matériaux de construction, etc.) et que l'on dispose de cartes topographiques de la zone concernée;
que l'équipe de conception du projet a pris en compte les effets éventuels de l'opération sur un environnement fragile: atmosphère, eau, terre, flore et faune, et situation socio-économique de la population locale;
que le degré d'organisation est suffisant pour assurer la bonne marche du projet;
qu'une assistance technique est ou non nécessaire pour sa mise en oeuvre. Dans l'affirmative, le plan prévoit-il les qualifications et l'expérience souhaitées pour les personnes qui apporteront cette assistance (rôle et description des postes)? Il est essentiel que les experts affectés à un projet soient plus hautement qualifiés et aient une expérience plus fournie que les techniciens locaux, sans quoi ces derniers auront tôt fait de mettre le doigt sur les faiblesses des “experts” et les rivalités personnelles condamneront le projet à l'échec;
qu'un financement extérieur est bien nécessaire. Dans l'affirmative, quelle est l'entité morale ou juridique bénéficiaire, c'est-à-dire qui emprunte? L'emprunteur ou le bénificiaire sont-ils juridiquement habilités à recevoir et à accepter un prêt? La source de financement envisagée est-elle bien adaptée au type d'activité prévue?
5.2 Faisabilité économique
La planification des projets impose des recherches tant techniques qu'économiques. Nous l'avons vu, le technologue est chargé de concevoir les installations, les méthodes de production et d'établir les coûts. L'économiste, quant à lui, doit choisir entre différentes méthodes, évaluer les avantages indirects et les relations des divers éléments, et juger de l'échelle des opérations et de leur implantation géographique en fonction des produits. C'est là un travail de longue haleine et la qualité des études de faisabilité économique est étroitement liée au fait que l'on dispose ou non de données techniques fiables (informations sur la gestion des établissements).
L'étude de la faisabilité économique d'un projet fait intervenir toute une série d'hypothéses et de conditions; il est vital que l'économiste qui en est chargé les indique explicitement et en fasse une analyse claire.
Le rôle de l'étude de faisabilité économique
Cette étude est un outil de décision, qui a pour rôle de faciliter et d'améliorer les choix, et non point de remplacer le bon sens. Lorsqu'elle est correctement conduite, elle:
aide à déterminer si le revenu est suffisant pour permettre aux agriculteurs, individuellement, de bien gagner leur vie et donc d'être suffisamment motivés pour travailler de leur mieux;
permet de juger en meilleure connaissance de cause quelle est celle des solutions de développement qui devrait permettre de faire progresser le plus rapidement le revenu;
permet de juger de la cohérence interne du plan, c'est-à-dire si l'accroissement de la production prévu pour chacun des secteurs est proportionnel à l'accroissement prévu des apports;
permet de décourager les projets dont les motivations politiques sont flagrantes et qui grèveraient un budget national limité sans ouvrir de perspectives en conséquence;
permet de s'assurer que les besoins de financement correspondant à la progression envisagée de la consommation privée, des services publics et aux investissements ne sont pas supérieurs à ce dont on dispose;
aide à s'assurer que la demande et l'offre s'équilibreront, en ce sens que la demande de la population portera bien sur ce que le projet aura à offrir;
fournit des données de référence pour les évaluations futures;
permet à l'analyse des projets de dépasser le stade du préambule et autorise une certaine quantification des mérites du projet.
L'analyse de la faisabilité économique oblige à faire la synthèse d'une grande masse d'informations techniques et à juger: elle permet donc de réparer des oublis ou de corriger des faiblesses dans chacun des domaines qu'elle doit aborder.
Quelles que soient les qualités de l'analyse de faisabilité économique, sa valeur reste fonction de plusieurs paramètres: fiabilité de la base de données, existence de recherches dans le domaine concerné, degré d'organisation et de complexité du projet et orientations du pays en ce qui concerne l'aquaculture.
Les types d'étude de faisabilité économique
On distingue deux types fondamentaux d'étude de faisabilité économique: l'analyse financière, lorsqu'intervient le secteur privé, et l'analyse économique (et sociale) lorsque les projets intéressent le secteur public. Pour ces deux types d'analyse, la méthodologie, qui consiste à comparer les “coûts” et les “bénéfices” est comparable, mais la définition des coûts et des bénéfices diffère de l'une à l'autre.
Voici trois des points importants sur lesquels l'analyse économique se distingue de l'analyse financière:
Dans l'analyse économique, on peut modifier des prix pour mieux traduire une valeur sociale ou économique véritable. On appelle souvent prix “fictifs” ou “comptables” les prix ajustés de l'analyse économique; il s'agit en fait des prix qui seraient pratiqués si l'économie était en équilibre parfait dans une situation de concurrence absolue. Les devises, les produits qui jouent un rôle important sur les marchés mondiaux et la main-d'oeuvre non qualifiée doivent aussi recevoir un prix fictif. En analyse financière, on utilise toujours les prix de marché, taxes et subventions comprises.
L'analyse économique traite les taxes et les subventions comme des paiements de transfert, et les élimine donc. L'analyse financière considère les taxes comme des coûts, et les subventions comme des recettes.
En analyse économique, on ne comptabilise pas séparément ni ne déduit des recettes brutes les intérêts du capital car ils sont un élément des recettes totales de l'économie. Ce sont ces recettes totales, intérêts compris, que l'analyse économique a pour but d'estimer. En analyse financière, les intérêts payés aux bailleurs de fonds extérieurs sont traités comme un coût et le remboursement de l'argent emprunté est déduit dans le calcul des bénéfices. Les intérêts imputés ou payés à l'entité du point de vue de laquelle se fait l'analyse financière ne sont pas traités comme un “coût” car ils sont un élément de la rémunération totale du capital propre apporté par l'entité en question. Ils sont donc comptabilisés comme partie de la rémunération financière que reçoit l'entité considérée.
Méthologie d'évaluation de la faisabilité économique
Il existe plusieurs méthodes d'évaluation de la faisabilité économique des projets d'aquaculture. Certaines sont meilleures que d'autres, mais il n'existe pas de technique absolue. Les trois méthodes les plus répandues sont les suivantes: la méthode des amortissements, la méthode du taux moyen de rendement, et la méthode d'actualisation (valeur actuelle). Cette dernière implique le calcul:
de la valeur nette actualisée,
du taux interne de rentabilité,
du rapport bénéfice/coût.
La méthodologie la plus appropriée pour un projet donné dépendra dans une grande mesure des données analytiques, du fait que l'on dispose ou non de données de référence précises, et des caractéristiques de la trésorerie du projet.
6. EVALUATION ET PLANIFICATION
On peut définir l'évaluation comme la mesure et la comparaison des progrès réels par rapport aux prévisions, en vue d'améliorer les plans pour favoriser les travaux futurs d'exécution. L'évaluation est donc partie intégrante du processus de planification, et doit donc être systématique et régulière.
L'évaluation a cinqufonctions au moins au sein du processus de planification:
elle est une interrogation sur le bien-fondé du projet;
elle remet en question tous les aspects de la conception du projet;
elle examine la performance et le caractère approprié des apports et des agents d'exécution;
elle mesure la progression effective des résultats par rapport aux objectifs (produits et effets);
elle conduit, le cas échéant, à réviser la conception ou le plan des activités.
Le tableau matriciel d'analyse du cadre logique peut servir à l'évaluation des projets, car il faut en effet réexaminer chacun des éléments qui en caractérisent la conception et dont la liste a été donnée à la section 3.3, pour juger de leur progression. La structure qui a présidé à la conception originale du projet doit donc être celle sur laquelle travaille l'évaluateur.
Pour la première évaluation du projet, le tableau matriciel schématise chacune des caractéristiques du projet dont il faut mesurer l'efficacité. Pour les évaluations ultérieures, il aide à déterminer si la conception continue d'être valable ou doit être modifiée pour tenir compte de l'évolution des circonstances et de l'expérience acquise.
6.1 Les étapes de l'évaluation du projet
L'évaluation d'un projet comporte quatre étapes:
clarification de la conception du projet;
evaluation de la progression;
examen collectif;
rapport et recommandations.
Clarification de la conception du projet
Il s'agit ici de reprendre les caractéristiques de la conception du projet, y compris la hiérarchie des objectifs, les indicateurs de progression et les hypothèses relatives aux conditions d'exécution.
Evaluation de la progression
Il conviendra d'examiner les facteurs suivants:
Données objectives sur la fourniture des apports au projet; en d'autres termes les apports sont-ils fournis selon le calendrier et peut-on raisonnablement espérer que ce flux se maintiendra?
Données objectives sur les résultats produits par le projet:
les résultats sont-ils produits selon le calendrier prévu? Dans la négative, à quelles modifications procéder (type, quantité ou dans le temps)?
les résultats prévus et les hypothèses sur lesquelles on s'est fondé sontils réalistes?
est-il vraisemblable que les résultats du projet conduisent à la situation que l'on attend à l'achèvement du projet? Dans la négative, quelles autres actions entreprendre pour y parvenir?
compte tenu de l'expérience aquacole dans la zone concernée et ailleurs dans des conditions semblables, les hypothèses relatives aux apports et aux résultats sont-elles raisonnables? Dans la négative, que peut-on faire, ou que doit-on faire?
faut-il prévoir de nouveaux apports ou rechercher d'autres résultats pour assurer la réussite du projet?
Il faut enfin déterminer si le projet contribue de façon significative et selon les prévisions à la finalité supérieure:
à l'achèvement du projet, la situation nouvelle montrera-t-elle que le but du projet a été atteint?
les hypothèses relatives aux conditions d'exécution du projet sont-elles correctes?
l'obtention de résultats conduira-t-elle à la réalisation des objectifs du projet?
Si la réponse à ces trois questions est oui, on pourra conclure que le projet s'exécute avec succès. Dans le cas contraire, il faut réexaminer la conception du projet et prendre note de toutes les modifications nécessaires.
Examen collectif
La clarification de la conception du projet et l'évaluation de la progression, telles que nous venons de les examiner, incombent normalement aux responsables de l'exécution du projet ou à un expert en évaluation. Après quoi on doit inviter d'autres personnes, y compris les membres de l'équipe et des personnalités extérieures, dont des consultants, à examiner l'évaluation du projet. La participation de personnes ayant des points de vue différents enrichit le débat, mais peut aussi lui donner un certaine lourdeur.
Le responsable du projet, ou le spécialiste de l'évaluation, doit jouer un rôle de modérateur. Le responsable du projet gère l'entreprise au bénéfice d'autrui, et les résultats de l'examen collectif gagneront à ce qu'il soit un interlocuteur passif.
Le groupe doit examiner le projet logiquement, en prenant comme documents de travail le tableau matriciel du cadre logique original ou sa version révisée, et le rapport d'évaluation de la progression.
L'examen d'évaluation est positif lorsque les participants repartent en ayant une réponse aux questions suivantes:
Quel est aujourd'hui le bilan des réalisations?
Quel est l'écart entre les réalisations et les prévisions?
Quelles chances le projet a-t-il d'atteindre ses objectifs ultimes?
Est-il vraisemblable que le projet ait l'impact prévu sur le secteur ou le sous-secteur?
Quels changements imprévus se sont produits et quels ont été leurs effets?
Quelles autres solutions pourraient remplacer ou modifier le plan actuel?
Le même objectif peut-il être atteint avec plus d'efficacité et à moindre coût par d'autres moyens?
Quelles sont les modifications qui permettraient d'améliorer le projet? Par exemple accroissement des apports, accroissement ou réduction de l'assistance technique, de la formation, de la durée du projet, abandon pur et simple, etc.
Rapport et recommandations
L'équipe d'évaluation devra préparer un rapport contenant des recommandations et précisant l'action consécutive à entreprendre. Le plan d'action correctrice doit s'accompagner d'un calendrier, et la supervision des activités devrait être confiée, si possible, à une personne distincte du responsable de l'exécution du projet.
L'examen du rapport sur l'action consécutive recommandée sera inscrit en tête de l'ordre du jour de la réunion d'évaluation suivante.
7. EXECUTION
L'exécution consiste à traduire en actes les instructions et les orientations contenues dans le document de conception du projet. Tout projet doit avoir un responsable. Administrativement, ce responsable est le foyer du projet. Il supervise et assure le suivi des activités, c'est-à-dire qu'il préside aux décisions au cours de l'exécution du projet et fait en sorte qu'actions et décisions soient fidèles à l'esprit du document de projet, que les apports soient convenablement utilisés et que les actions s'enchaînent conformément au calendrier choisi. C'est de lui que peut dépendre le succès ou l'échec du projet, aussi le choix de la personne doit-il être judicieux. Il doit être techniquement compétent et expérimenté en matière de développement aquacole, et de préférence avoir l'habitude de la gestion des projets et du travail en commun. Le projet doit prévoir des incitations et des garde-fous pour son responsable.
Ce n'est pas au moment où l'on donne le “feu vert” à la phase d'exécution d'un projet qu'il faut apporter des changements précipités au plan d'exécution. Ceux-ci doivent avoir été faits dès la phase de conception du projet, ou doivent attendre les résultats d'une évaluation poussée (chapitre 6). Pour formuler un plan bien conçu et efficace d'aquaculture, il faut des mois, voire des années. Lorsque les ressources, notamment en personnel et en capital, et un climat social et politique favorable sont réunis, tous les efforts doivent converger sur l'exécution du plan. Le document de projet est une ressource précieuse - investissement intellectuel de tous les spécialistes qui y ont collaboré, il représente beaucoup de temps et d'argent. Rien de tout cela ne doit être gaspillé.