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11. CIFA/85/Symp/DP.28
VERS L'EXPLOITATION ET L'AMENAGEMENT RATIONNELS D'UN GRAND RESERVOIR TROPICAL TYPIQUE: LE LAC VOLTA

par

C.J. Vanderpuye
Université du Ghana
Legon, Ghana

1. INTRODUCTION

Par sa surface, le lac Volta est le plus grand lac artificiel du monde (Bernacsek, 1984). D'une superficie de 8 700 km2, il a une profondeur maximum de 75 m, une profondeur moyenne de 18,8 m, 5 200 km de rives et un indice de développement des berges de 16.

Le lac a été avant tout mis en eau pour produire l'énergie hydroélectrique. Cependant, si l'on compare les recettes tirées des captures commerciales de poisson et de la production d'énergie pour les années 1977 et 1978, il semblerait que celles de la pêche soient plusieurs fois supérieures à celles de la vente de courant électrique (Vanderpuye, 1985). De 1970 à 1977, le total des captures effectuées dans le lac a avoisiné 40 000 tonnes (les captures annuelles représentent en général 20 pour cent environ du total des prises en mer et en eau douce). Bien que ce chiffre soit jugé substantiel, on estime que l'on pourrait faire davantage en améliorant les techniques d'aménagement.

2. LA PECHERIE

En raison de la présence d'arbres et de buissons immergés dans le lac, les engins de pêche utilisés sont surtout de type statique. Coppola et Agadzi (1977) ont établi pour l'année 1977 les statistiques suivantes: 61 000 filets maillants, 370 éperviers, 10 500 lignes et 4 000 nasses ont été en moyenne utilisés chaque jour; on comptait 1 500 villages de pêcheurs le long des rives du lac; le nombre total des pirogues de pêche s'élevait à 13 800 et celui des pêcheurs à plein temps à 20 600. Bazigos (1974) a pu décrire cette pêcherie comme “disséminée, désordonnée et se trouvant au premier stade de son évolution”. Cette description vaudrait pour bien des pêcheries africaines intérieures, et notamment des pêcheries en lac de retenue.

3. AMENAGEMENT

3.1 Objectif

L'objectif visé était le Rendement maximum équilibré. Il va sans dire que, compte tenu de l'étendue du lac et des difficultés inhérentes à l'estimation des captures commerciales et de la population ichtyque, cet objectif ne s'est pas révélé réaliste. En conséquence, la tendance actuelle en matière d'aménagement consiste à réaliser le Prélèvement de sécurité sur le plan biologique (ces expressions sont utilisées conformément aux définitions données par la FAO en 1979).

3.2 Structure administrative

Depuis sa création en 1946, le Département des pêches est le seul organisme qui donne des avis au Gouvernement sur les questions relatives à la conservation générale des stocks de poissons, tant d'eau douce que de mer. Pour cela, il formule à l'intention du Gouvernement des mesures réglementaires qui sont ensuite traduites en instruments législatifs. En 1968, cependant, au moment où a été lancé le Projet multi-organisations d'étude et de mise en valeur du lac Volta, une structure administrative propre au lac Volta a été mise en place pour donner des avis à l'Administrateur en chef des pêches sur l'exploitation rationnelle des ressources ichtyques de cet immense réservoir. Cette structure, dont l'organigramme est représenté dans la figure 1, s'inspire de l'approche pluridisciplinaire intégrée actuellement appliquée pour résoudre les problèmes relatifs aux perturbations de l'écosystème. Un Directeur de projet supervise l'ensemble du Projet, et a notamment pour tâche de coordonner les activités des différents sous-comités et unités du Projet, de fixer les priorités, et de limiter au maximum les doubles emplois entre les différentes unités.

Malheureusement, faute de crédits (après expiration de l'assistance du PNUD en 1977), cette structure déjà passablement délabrée sera démantelée en mars de l'année prochaine (1986). Après quoi, le Projet de recherche sur le bassin de la Volta de l'Université du Ghana et l'institut de biologie aquatique pourraient se charger de l'aspect recherche, tandis que le Département des pêches s'occuperait des Programmes de développement et des statistiques des captures de poisson. L'Autorité de la Volta restera responsable des questions de santé publique.

Les principaux objectifs des différentes unités de cette structure ont été décrits par Vanderpuye (1984). Les interactions entre les sous-comités et les unités sont considérables (relations en toile d'araignée), mais nous examinerons ici surtout les unités relevant du Sous-Comité des pêches et de l'hydrobiologie dont les activités ont un rapport direct avec le thème retenu pour le présent colloque.

L'Administrateur en chef des pêches est aussi Président du Sous-Comité des pêches et de l'hydrobiologie. Les autres membres sont le Chef de projet, le Directeur de l'Institut de biologie aquatique et le Président du Projet de recherche sur le bassin de la Volta de l'Université du Ghana.

Le Comité est l'instance au sein de laquelle les résultats de la recherche scientifique peuvent être examinés de façon approfondie. Les résultats susceptibles d'être appliqués sont transmis à l'Unité de mise en valeur, puis à l'Unité de vulgarisation.

L'Unité de vulgarisation devait à l'origine faire partie du Projet mais, en pratique elle se compose du personnel du Département des pêches, directement responsable devant l'Administrateur en chef des pêches. Ce dernier est le seul à donner des avis aux pouvoirs publics sur la conservations des stocks. Comme ces attributions et les tâches de vulgarisation se complètent, cet arrangement a été jugé commode.

Grâce à une rétro-information constante des vulgarisateurs au souscomité par l'intermédiaire de l'Administrateur en chef des pêches, il est possible d'ajuster l'exécution des programmes en fonction des besoins. A cet égard, le rôle joué par l'Unité socio-économique mérite d'être souligné. En règle générale, cette Unité conduit des enquêtes socio-économiques pour évaluer l'impact de l'introduction de technologies, ou de méthodes nouvelles sur l'industrie de la pêche, et l'accueil qu'elles recevront.

4. PRINCIPAUX PROBLEMES RENCONTRES DURANT LA PLANIFICATION ET L'EXECUTION DU PROJET

4.1 Estimation des stocks des captures commerciales

La planification scientifique devrait reposer principalement sur la connaissance de (i) la dimension des stocks et (ii) l'importance des facteurs de production et des captures totales effectuées par les pêcheries commerciales.

4.1.1 Dimension des stocks

Les problèmes de l'évaluation des stocks dans le lac Volta sont les mêmes que pour tous les réservoirs africains. Cela fait quelque temps déjà qu'ils retiennent l'attention du Service de l'évaluation des stocks du CPCA. On s'est surtout attaché à trouver des méthodes plus rapides d'évaluation de la dimension des stocks. L'élaboration et l'affinement de l'Indice Morpho-Edaphique (IME) (total des solides dissous/profondeur moyenne) pour les eaux intérieures africaines semblent être la principale réalisation dans ce domaine. Tout récemment, Bernacsek (1984) a fait savoir que l'on a mis au point un IME spécifique pour les réservoirs africains. Cela signifie que les rendements des réservoirs africains peuvent désormais être prévus moyennant une erreur associée relativement plus faible que ce n'était le cas jusqu'ici.

4.1.2 Statistiques des captures commerciales

Ces statistiques sont établies par l'Unité d'évaluation des captures qui travaille en étroite association avec l'Unité d'évaluation des stocks. Ensemble, les programmes des deux unités doivent fournir une évaluation aussi exacte que possible de l'abondance et de la répartition des principales espèces commerciales, de façon que l'on puisse planifier une exploitation aussi poussée que possible et prévoir les futures captures.

Les intrants de la pêche et les captures totales sont estimés d'après les résultats d'enquêtes de probabilité. Les paramètres sont estimés moyennant une erreur associée de 5 pour cent. Une méthode (reposant sur la technique de l'échantillonnage multistratifié), d'abord mise au point pour le lac Volta, a été étendue à d'autres grandes retenues africaines (Kainji, Mariba, lac Nasser, Kossou) et au lac Tanganyika (Bazigos, 1974).

Les principaux problèmes auxquels nous nous sommes heurtés pour établir des estimations fiables sont les suivants: (i) impossibilité de mener les enquêtes à leur terme pour des raisons logistiques et (ii) manque d'encadrement du personnel de terrain.

Il a donc fallu recourir à différents modèles mathématiques pour extrapoler et intrapoler les rares données de terrain et parvenir à des estimations (Coppola et Agadzi, 1976 et 1977).

4.2 Réglementation

L'élaboration d'une réglementation reposant sur des bases scientifiques pour des retenues de cette dimension est une tâche énorme. Sans parler du problème de taille, il faut compter avec les difficultés habituelles liées à l'exploitation rationnelle de chacune des espèces composant une pêcherie multispécifique (FAO, 1978).

En matière de conservation, notre première démarche a consisté, lorsque les stocks de poissons du lac étaient très abondants, à laisser la pêcherie se développer (processus lent), tout en surveillant les indices biologiques de surpêche. Un indice de pression exercée par la pêche mis au point par Vanderpuye (1972) a permis de déterminer quelles étaient les espèces surexploitées et celles qui ne l'étaient pas assez. Par la suite, on a fixé un maillage minimum (100 mm) d'après la taille moyenne à sa première maturité de Sarotherodon galilaeus, l'espèce pour laquelle l'indice de pression de la pêche était le plus élevé.

Depuis lors, la composition des espèces a continué d'évoluer, enlevant ainsi toute signification à l'interdiction des mailles de moins de 100 mm qui reste en vigueur. Nous admettons la nécessité de revoir périodiquement le maillage; malheureusement, nous n'avons plus les moyens de le faire.

Pour être sûr que des maillages inférieurs ne sont pas utilisés pour la pêche, nous en avons interdit l'importation. Malgré l'interdiction, des filets à maille fine continuent d'entrer des pays voisins.

Un fait nouveau tout à fait imprévu et assez singulier a beaucoup préoccupé le Département des pêches ces derniers temps. Il s'agit de la transformation du filet maillant statique en une sorte de senne coulissante (on pensait que les arbres morts continueraient à faire encore quelque temps barrage à l'emploi d'engins mobiles). Ce filet est connu sous son nom local de “winch net”. La transformation s'obtient en suspendant des anneaux de fer (de 3 à 5 cm de diamètre) à la ralingue plombée avec des bouts de cordelette (de 1 à 2 m). Un cordon passé dans les anneaux permet de transformer le filet en senne coulissante. Le filet est manié par 6 à 8 pêcheurs qui le calent en demi-cercle. On tire sur les extrémités du filet et sur le cordon (ce dernier plus rapidement que les premières) jusqu'à ce que le filet maillant forme un sac. Cette innovation a été rendue possible par le pourrissement progressif des arbres morts dans bien des endroits du lac.

Du point de vue de la conservation, la principale objection que l'on peut faire à l'emploi de ce filet est la finesse du maillage (jusqu'à 25 mm parfois). Il existe certes beaucoup de poissons adultes de petite taille (en particulier les clupéidés, très abondants), mais le Département des pêches fait valoir que le filet prend également les jeunes de nombreuses espèces commerciales. On ne dispose pas pour le moment de données suffisantes pour le prouver. En attendant, la controverse se poursuit entre le Département et les adeptes du nouveau filet qui estiment qu'on devrait plutôt les féliciter d'avoir mis au point un filet permettant de pêcher les petites espèces.

4.3 Application de la législation

Elle s'est révélée en grande partie inefficace, simplement en raison de la dimension du lac. Les effectifs du Département des pêches et de la police ne suffisent pas à surveiller les 22 000 pêcheurs qui opèrent à partir d'embarcadères éparpillés tout le long des rives du lac. Aussi n'est-ce que rarement qu'un contrevenant est pris sur le fait. On obtient bien davantage avec les émissions de radio. En plusieurs occasions, les villageois ont spontanément arrêté et déféré des contrevenants à la police, notamment ceux qui pêchent à l'explosif, aux produits chimiques ou aux plantes vénéneuses.

5. DISCUSSION

Le Projet de recherche sur le lac Volta qui collabore avec l'Administrateur en chef des pêches à l'aménagement du lac a été conçu selon une approche pluridisciplinaire des problèmes liés aux perturbations de l'écosystème. Il se compose de trois principaux Sous-Comités, dont le Sous-Comité des pêches et de l'hydrobiologie. Ce Sous-Comité étant subdivisé en unités spécialisées plus restreintes, les problèmes des pêches peuvent être traités efficacement par des experts spécialisés dans chacun de ces domaines. Un directeur des pêches (dont le poste n'a jamais été pourvu) devrait normalement coordonner les activités, faire la synthèse des résultats de la recherche et fournir des directives pour la mise en valeur globale des pêcheries du lac. Un spécialiste de la planification du développement, nommé ultérieurement, s'est chargé d'une partie de ces tâches.

Si cet organigramme semble sans défaut sur le papier, sur le terrain un certain nombre de problèmes se posent, dont les principaux sont: (i) l'insuffisance des crédits de fonctionnement et (ii) le manque d'experts locaux pour constituer les effectifs des différentes unités spécialisées. Ces problèmes ont commencé à se faire jour quand l'assistance du PNUD a pris fin.

Un bon aménagement doit reposer sur l'information scientifique. Une fois réuni le personnel du Projet, on disposait d'informations suffisantes à partir desquelles il a été possible de planifier l'exploitation rationnelle des ressources halieutiques. Des projets de développement ont également pu être élaborés sur la base de ces informations.

L'application de la réglementation dans le cas d'un lac de cette étendue s'est révélée une tâche redoutable; en conséquence, seuls quelques règlements figurent dans les statuts. Les restrictions sur la dimension des mailles ont été appliquées en interdisant l'importation de maillages inférieurs à 100 millimètres. Dans les circonstances présentes, cette mesure d'aménagement s'est révélée la meilleure. Il convient néanmoins de suivre cette question de près et d'ajuster de temps à autre le maillage en fonction des circonstances.

La mise au point du “winch net” constitue un fait nouveau imprévu qui, selon le Département des pêches, a des effets extrêmement préjudiciables sur les stocks; l'emploi de ce filet est donc interdit sur le lac. La recherche ayant montré que les stocks du large sont surtout constitués de clupéidés de petite taille (Vanderpuye, 1973), il faudra évaluer dans les meilleurs délais l'effet de ce filet sur les stocks. Sans cela, il pourrait y avoir gaspillage de la biomasse par mortalité naturelle.

6. REFERENCES

Bazigos, G.P., 1975 La conception des enquêtes statistiques halieutiques - eaux intérieures. FAO Doc.Tech.Pêches, (133):143 p. Publié aussi en anglais et espagnol.

Bernacsek, G.M., 1984 Guidelines for dam design and operation to optimise fish production in impounded river basins (based on a review of ecological effects of large dams in Africa). CIFA Tech.Pap., (11):98 p.

Coppola, S.R. et K. Agadzi, 1976 Frame surveys at Volta Lake (Ghana). Volta Lake Research and Development Project. Statistical studies. Rome, FAO, FAO/GHA/71/533/St.S/5:148 p.

Coppola, S.R. et K. Agadzi, 1977 Evolution of the fishing industry over time at Volta Lake, 1970–76. Volta Lake Research and Development Project. Statistical studies. Rome, FAO, FAO/GHA/71/533/St.S/6:41 p.

FAO, 1978 Quelques problèmes scientifiques sur les pêcheries multispécifiques. Rapport de la Conférence d'Experts sur l'aménagement des pêcheries multispécifiques. Rome, Italie, 20–23 septembre 1977. FAO Doc.Tech.Pêches, (181):46 p. Publié aussi en anglais.

FAO, 1979 Interim report of the ACMRR Working Party on the scientific basis of determining management measures. Rome, 6–13 December 1978. FAO Fish.Circ., (718):112 p.

Vanderpuye, C.J., 1972 Fishery resource assessment and monitoring in the development and control of fisheries in Lake Volta. Afr.J.Trop. Hydrobiol.Fish., Spec. Issue 2:115–34

Vanderpuye, C.J., 1973 Population of Clupeids in Volta Lake. Ghana J.Sci., 13(2):179–93

Vanderpuye, C.J., 1984 Lac Volta (Ghana). CIFA Tech.Pap./Doc.Tech.CPCA, (10):261–319

Vanderpuye, C.J., 1985 Evaluation guidelines for rational planning and management of tropical and subtropical inland fisheries (Africa). Document établi à la demande de la FAO (mimeo)


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