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2. IMPORTANCE DE LA PECHE SPORTIVE EN EUROPE

2.1 Pêcheurs sportifs

Les adeptes de la pêche sportive en Europe sont incroyablement nombreux. Le tableau l, sans entrer dans le détail, ni définir ce que l'on entend par “pêcheurs sportifs”, donnera une idée de la situation.

Tableau 1

PayesNombre de pêcheurs sportifs
(en milliers)
Population
(in millions)
Pourcentage
Autriche2007,42,7
Belgique2309,62,4
Chypre30,60,5
Danemark3004,96,1
Finlande (1971)7504,716,0
France5 00050,310,0
Allemagne (Rép.féd.d')62258,71,1
Irlande502,92,0
Italie85053,21,6
Pays-Bas74012,85,8
Norvège (1972)2423,86,4
Pologne40032,61,3
Roumanie20020,01,0
Espagne45032,91,4
Suède1 5008,018,7
Suisse2506,24,0
Royaume-Uni (Angleterre et Pays de Galles)2 80048,45,8
Yougoslavie15820,30,8
Total:
14 545377,33,7

L'Union soviétique non comprise, l'effectif des pêcheurs sportifs européens dépasse sensiblement 14 millions et s'accroît rapidement dans la plupart des pays. Ainsi, la Pologne signale une augmentation annuelle de 8 pour cent et en Espagne la progression se situe entre 12 et 16 pour cent. En France, cet effectif s'est accru de 54 pour cent entre 1950 et 1967, avec un gain de 322 pour cent pour les seuls pêcheurs au lancer. Il semble toutefois que, depuis cette date, l'effectif total diminue légèrement. En Roumanie, les pêcheurs sportifs sont deux fois plus nombreux qu'il y a dix ans. Si, sous l'effet du mieux-être, les mêmes tendances devaient se manifester dans d'autres pays européens et si, par exemple, les pêcheurs sportifs devaient représenter d'ici à 1980 10 pour cent de la population en moyenne (chiffre qui est bien inférieur aux pourcentages actuels de la Finlande, de la Norvège et de la Suède et correspond à peu près à celui de la France), le nombre total des pêcheurs sportifs en Europe dépasserait alors très largement 50 millions.

L'origine sociale des pêcheurs sportifs est très diverse, bien qu'ils proviennent pour la plupart de la classe ouvrière. En Suède et aux Pays-Bas, toutefois, les pêcheurs sportifs se recrutent à peu près également dans toutes les classes de la société.

2.2 Disponibilités d'eaux pour la Pêche

Malgré l'industrialisation et, en conséquence, la pollution qui a stérilisé des centaines de cours d'eau, il reste en Europe un nombre appréciable de rivières à saumon et à truite et de très nombreuses eaux peuplées de poissons blancs. La Pologne, qui se considère mal pourvue en eaux intérieures, puisque la densité est d'un pêcheur à la ligne pour 1,23 hectare de lacs, rivières et barrages, indique néanmoins qu'il existe 1 100 lacs, couvrant au total 110 000 hectares, dans la province de Mazurie. Les cours d'eau de l'Europe méridionale, plus courts et plus torrentiels que les grands fleuves européens, comme la Volga, le Danube, le Rhin et l'Elbe, sont néanmoins très nombreux, particulièrement en Espagne, où ils s'étendent sur plus de 100 000 km, dont 20 000 km d'eaux à truite et 2 000 km d'eaux à saumon. La Finlande, la Norvège, la Suède et l'Irlande du Nord, à l'instar du Canada, possèdent les milliers de lacs qui se prêtent à la pêche. La Norvège dispose de 300 000 lacs recensés, 20 000 km de côtes à quoi il faut ajouter 56 000 îles, ainsi que 150 grandes rivières à saumon et truite de mer (CBS, Norvège, 1971). La Finlande signale de son côté l'existence de 60 000 lacs, représentant au total environ 32 000 km2 et 160 000 km de rives à quoi s'ajoutent les 50 000 km de littoral de la partie continentale du pays, des nombreuses îles et du grand archipel sud-occidental. L'Irelande du Nord, comme la République d'Irelande, a la chance de disposer d'eaux douces abondantes et en général non polluées. On y trouve quelque 2 000 km de cours d'eau, de grands lacs comme le Lough Neagh, et le Lough Erne supérieur et inférieur, et plus de 200 petits lacs. Il existe en Yougoslavie des centaines de rivières, torrents, lacs et retenues, parfois “vierges” du point de vue de la pêche. La Roumanie, avec la côte de la mer Noire, le delta du Danube et plus de 25 000 km de rivières peu ou pas du tout polluées, offre encore un important potentiel. Aux Pays-Bas, les eaux de surface s'accroissent en superficie, sinon en qualité. La surface couverte par les polders, les retenues, les rivières et les lacs est passée de 104 700 ha en 1958 à 109 000 ha en 1965, non compris le lac IJssel, qui couvre 200 000 ha; le Lauwerszee, 2 000 ha (bonifiés en 1969), le Grevelingen, 11 000 ha (bonifiés en 1971) ainsi que le Haringvliet et le Holland Diep (13 000 ha).

Les Pays-Bas sont un cas unique en Europe, car ils éprouvent de grandes difficultés à se procurer, emmagasiner et traiter une quantité suffisante d'eau potable. Etant donné que les eaux de surface sont souvent mauvaises, la qualité de l'eau limite également le développement des populations de poisson et de l'horticulture. Au printemps 1972 le débit du Rhin était si faible (800 m3/seconde) que la salinité avait atteint une valeur exceptionnellement élevée. Des pluies sont heureusement survenues par la suite, mais le fait montre combien précaire est la situation d'équilibre dans laquelle se trouvent actuellement certaines des eaux européenes.

Chypre, où il n'existait naguère aucune masse d'eaux douces, dispose maintenant de 12 petites retenues où il est possible de pêcher la truite, à condition de les repeupler, car elles sont vidangées tous les ans.

Aux eaux intérieures s'ajoute le littoral européen, où la pêche sportive se pratique en saison. D'après une étude effectuée sur la côte septentrionale de la Finlande, 62,4 pour cent des personnes ayant répondu au questionnaire se considèrent comme pêcheurs sportifs (maritimes) dans la mesure où le coût de leur passe-temps deasse la valeur commerciale de leurs prises.

2.3 Espèces pêchées

Les espèces exploitées par les pêcheurs sportifs en Europe vont, selon la qualité de l'eau, du saumon et de la truite de mer et d'eau douce en eaux claires aux cyprinidés tels la carpe commune, le gardon, le rotengle, la brême et les prédateurs de poissons blancs dans les eaux plus fortement eutrophisées. C'est ainsi que l'on trouve en Tchécoslovaquie 60 espèces, dont la plupart fort prisées par les pêcheurs sportifs. Aux Pays-Bas, on trouve même de la truite arc-en-ciel et de la truite de rivière dans deux grands lacs du delta méridional (lac Veere - 2 000 ha empoissonné en 1968, et Grevelingen- 11 000 ha - empoissonné en 1971) dont les eaux vont pourtant de saumâtres à franchement salées. En France, la préférence des pêcheurs sportifs s'oriente nettement vers les espèces de haute qualité, comme les poissons carnivores, tandis qu'aux Pays-Bas, les efforts de sélection d'une carpe plus combattive ont marqué un certain succès.

Banarescu et al. (1972) ont démontré en Europe 396 espèces de poissons d'eaux douces, dont beaucoup font l'objet de la pêche sportive. Il y a nettement corrélation entre la qualité des eaux, d'une part, et la densité et la qualité du poisson, d'autre part. A la différence du Canada, la difficile pêche aux cyprinidés est un passe-temps très goûté en Europe.

2.4 Importance économique et sociale de la pêche sportive en Europe

Sans pouvoir encore chiffrer la valeur de la pêche sportive en Europe, on peut néanmoins affirmer qu'elle est considérable. D'après une enquête nationale sur la pêche à la ligne effectuée au Royaume-Uni (1972), les passionnés de la gaule en Angleterre et au Pays de Galles seraient au nombre de 2,8 millions, qui dépensent en moyenne environ £80 par an et dont plus de la moitié s'adonnent à leur passe-temps au moins une fois la semaine. Leurs dépenses brutes se situent entre £200 et £250 millions, dont les deux tiers environ pour la pêche en eaux intérieures. Suivant cette étude, la partie de cette dépense correspondant à leurs déplacements (environ £70 millions) pourrait se réduire sensiblement s'ils trouvaient à proximité plus immédiate des eaux moins polluées ou plus poissonneuses. Du coup, et cela n'a rien d'étonnant, la valeur nationale des pêches (c'est-à-dire les montants versés pour droits de pêche) est très élevée. En Angleterre et au Pays de Galles, la valeur marchande des pêches de saumon, calculée d'après les prises moyennes des cinq dernières années, représente de £500 à £750 par poisson capturé. Ainsi, un cours d'eau dans lequel la prise moyenne sur cinq ans serait de 100 saumons par an vaudrait de £50 000 à £75 000 sur le marché libre. La valeur des eaux à truites, calculée essentiellement en fonction de la qualité et de la longueur des berges et selon qu'une seule ou les deux berges sont exploitées peut s'élever, dans le cas d'un cours d'eau de première classe, à £7 600 à £10 900 au kilomètre. Les eaux à poissons blancs atteignent elles aussi des prix étonnamment élevés sur le marché libre et, récemment, un cours d'eau, exploité sur une seule rive pour la pêche du saumon et du poisson blanc, avec prédominance de ce dernier, s'est vendu pour l'équivalent de £11 200 au kilomètre (Conseil de la recherche sur le milieu naturel, 1972). Les prix sont parfois plus hauts encore s'il s'agit d'eaux où peuvent être organisées de grandes compétitions du type championnats de pêche nationaux ou internationaux. Ces chiffres sont probablement des maximums, mais ils montrent bien que les pêches intérieures ont une valeur très élevée au niveau national.

Le fait est que la pêche sportive a pris dans certains pays une telle importance que l'on a souvent préconisé d'interdire la pêche commerciale du saumon et de la truite de mer (principalement au filet), espèces qui seraient dès lors réservées entièrement à la pêche sportive. Cette suggestion a été examinée par le Comité Bledisloe des pêches de saumon et de poissons d'eaux douces en Grande-Bretagne dans son rapport de 1961, mais elle a été rejetée après discussion, bien que la pêche commerciale en Angleterre et au Pays de Galles emploie relativement peu de monde (2 000 personnes, contre 560 000 pêcheurs sportifs de saumon et de truite en 1958).

En Finlande, une estimation très approximative situe à au moins 25 millions de dollars la dépense consacrée annuellement à la pêche sportive. En Pologne, la puissante Association polonaise des pêcheurs à la ligne possède un grand nombre d'hôtels, de ports en eau douce et de centres de camping. En 1964, elle gérait 60 installations de ce genre, contenant 1 300 lits. Dans le Plan quinquennal pour 1966–70, il est prévu d'investir plus de 50 millions de zlotys, dont 21 pour l'équipement touristique, 24 pour l'expansion économique et 5 pour installations publiques intéressant la pêche sportive (Paladino, 1965). On se fera une idée de l'importance de cette pêche en Pologne si l'on considère qu'en 1965, il existait 96 gardes-pêche titulaires et 7 489 surveillants honoraires. Les émissions radiophoniques hebdomadaires destinées aux pêcheurs sont très écoutées.

Les droits perçus sur les permis de pêche en Europe représentent au total des sommes considérables: au moins 5 millions de dollars en Italie, 2 millions de dollars en Suisse, 700 000 dollars en Belgique, 400 000 dollars en Norvège et, chiffre impressionant, 450 millions de dollars en France (Gazette officielle de la pêche, 1972). Les dépenses indirectes n'ont pas été évaluées, mais il existe dans la seule Belgique 800 magasins d'articles de pêche sportive.

Un aspect extrèmement important de la pêche sportive dans quelques pays européens particulièrement favorisés à cet égard - comme l'Ecosse, l'Irlande du Nord, la République d'Irlande, la Norvège, le Danemark, la Finlande et la Yougoslavie - est son attrait touristique. Des millions de pêcheurs à la ligne vivent à proximité de ces pays, où sont réunies toutes les conditions qui font de la pêche à la ligne un véritable plaisir, en particulier des eaux abondantes faciles d'accès, peu exploitées et riches en poisson. Il devrait être possible d'y attirer en grand nombre les pêcheurs étrangers, particulièrement après l'élargissement du Marché commun. En Yougoslavie, les pêcheurs étrangers sont d'ores et déjà aussi nombreux que les pêcheurs yougoslaves.

La valeur sociale de la pêche sportive européenne excède probablement sa simple valeur monétaire. Durant la première Consultation européenne organisée par la CECPI sur l'évaluation économique des pêches sportives et commerciales (La Haye, 24–25 janvier 1972), il a été indiqué que la migration des travailleurs manuels et des cadres vers les zones peu industrialisées s'expliquait, entre autres raisons, par l'impossibilité de pratiquer la pêche de loisir dans les régions industrialisées. En fait, l'organisation détaillée des loisirs et le développement de la pêche sportive aux Pays-Bas font partie intégrante de l'aménagement global des zones nouvellement bonifiées. C'est pourquoi les pêcheurs sportifs néerlandais voient d'un oeil peu favorable l'invasion des pêcheurs étrangers provenant du sud-ouest. Ils estiment en effet que la liberté de déplacement instaurée dans le cadre du Marché commun les prive d'importantes zones de pêche côtière qui avaient été mises en valeur à leur intention expresse. La situation est exactement l'inverse en Irlande, où le touriste pêcheur fait l'objet de multiples attentions.

La quantité et la valeur du poisson pris et consommé par les pêcheurs sportifs ne sont pas non plus négligeables. On estime qu'en France, cette pêche produit de 20 à 100 000 tonnes (Gazette officielle de la pêche, 1972). En Belgique, 440 tonnes de poisson sont capturées dans les rivières et les canaux uniquement, à raison de 14,5 kg/ha /an. En Pologne, les prises des pêcheurs sportifs représentent 20 kg/ha/an, tandis qu'en Finlande, la pêche sportive en eaux intérieures fournit de 10 à 12 000 tonnes de poisson par an. L'Espagne a besoin de 21 centres d'alevinage pour repeupler ses eaux à saumon, à truite, à carpe et à blackbass.


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