Les problèmes de la pêche sportive en Europe sont multiples et complexes. On peut citer à cet égard les questions de propriété des eaux, l'intensification de la pêche qui en modifie le caractère et la controverse entre pêcheurs sportifs et pêcheurs professionnels. Une complication ultérieure naît de l'aggravation de la pollution d'origine industrielle et domestique, du manque de moyens permettant d'évaluer rapidement les populations et du coût croissant des mesures d'amélioration des stocks.
Dans les pays où les eaux n'appartiennent pas à l'Etat, l'une des premières difficultés auxquelles se heurtent les services responsables de l'aménagement et du développement des pêches est la détermination de la propriété des droits de pêche. C'est ainsi qu'en Irlande du Nord, par exemple, les droits de pêche, hormis certaines eaux à saumon, ont été longtemps réputés sans grande valeur. Du coup, ils sont difficiles à acquérir et ils sont souvent morcelés. Le Ministère n'a pas de pouvoirs statutaires et ne peut acquérir de droits que par voie de négociation. L'unique exception est qu'en vertu de la loi sur les pêches, il peut prendre en tutelle et mettre en valeur toutes eaux qui semblent abandonnées.
Une fois acquis les droits, reste à régler la question de l'accès. Comme il existe presque toujours un nombre important de riverains le long de tout cours d'eau, la négociation peut se prolonger, mais il semble heureusement que la plupart des propriétaires soient disposés à collaborer.
Dans la République d'Irlande, également, il apparaît tous les jours davantage que les pêches ne sont pas exploitées au maximum de leur potentiel économique (Norling et Gaudet, 1967) ce qui semble imputable à un manque de netteté dans l'attribution des responsabilités aux propriétaires, qu'il s'agisse d'entreprises privées ou d'une association de développement coopératif, par exemple une fondation. Lorsque la pêche sportive est entièrement aux mains d'intérêts privés et qu'elle est gérée selon les impératifs de la libre entreprise, ou encore lorsqu'il n'existe pas de droits de pêche exclusifs bien établis, il arrive souvent qu'il n'y ait pas d'aménagement du tout. Une exception toutefois: lorsque la mise en valeur des eaux est confiée à un fonds ou à une fondation par assentiment des propriétaires locaux, comme c'est le cas en Irlande, un régime ordonné de pêche se forme alors, fondé sur la bonne volonté et la coopération, et non pas sur l'application autoritaire d'une réglementation.
Avec l'accroissement de la densité démographique, particulièrement dans les grands centres urbains, et l'intensification corollaire de la pêche s'exerçant sur des peuplements limités, le caractère des pêches peut se modifier.
Il y a une cinquantaine d'années environ, les pêches intérieures aux Pays-Bas étaient presque totalement le fait de pêcheurs professionnels et l'effort de pêche se répartissait de manière satisfaisante sur toutes les espèces formant les populations de poissons. Toutefois, la situation a totalement changé sous l'effet de trois facteurs. Premièrement la pollution a fait disparaître la pêche su saumon et a réduit les possibilités de développement et la valeur économique des autres espèces. Deuxièmement, la pêche est devenue de plus en plus sélective. A part certaines quantités de gardons et de brêmes, il n'y a pratiquement pas de pêche commerciale des cyprinidés qui, en effet, ne trouvent pas la vente. D'où l'amorce d'un déséquilibre des populations de poissons, avec tous les dangers qui s'y attachent. Troisièmement, l'expansion de la pêche comme activité de loisirs a été fulgurante, particulièrement après la dernière guerre (on compte actuellement près d'un million de pêcheurs sportifs sur une population totale de 13 millions de personnes). En dehors du lac IJssel, les eaux intérieures capables d'assurer l'existence de populations de poissons ne couvrent certainement pas plus de 150 000 hectares. Il en résulte de la part des pêcheurs une pression sévère sur les ressources, particulièrement dans de reste de la Hollande, et la politique officielle tend actuellement à séparer la pêche de l'anguille et celle des autres espèces, l'anguille étant réservée principalement aux professionnels, les autres espèces aux pêcheurs sportifs.
En Irlande, les difficultés résultant de la concurrence et des controverses entre pêcheurs sportifs et pêcheurs professionnels ont contribué à mettre en lumière l'acuité du problème, qui a été étudié au plan international lors de la quatrième session de la CECPI (CECPI, 1966), puis à des sessions ultérieures (CECPI, 1968, 1970, 1972). La première Consultation économique sur l'évaluation économique des pêches sportives et commerciales (Gaudet, 1972), qui a été l'aboutissement de ces premiers efforts, atteste clairement que la question est au premier plan des préoccupations actuelles.
En Pologne, la pression qui s'exerce sur les eaux intérieures du fait de la pêche sportive et de la pêche commerciale organisée suscite force controverses entre ces deux groupes. On s'efforce de trouver des solutions par voie de restriction légale de la pêche aussi bien sportive que commerciale, selon l'emplacement des eaux (possibilité d'accès pour les citadins) et leur caractère.
Même en Finlande, la pression de la pêche est manifeste à proximité des grandes agglomérations. Cinquante pour cent des Finlandais habitent la région côtière méridionale et sud-occidentale, qui représente 15 pour cent du territoire national. Etant donné la brièveté du temps libre, la mobilité est plutôt limitée. La demande d'eaux se prêtant à la pêche sportive est la plus forte dans le sud du pays, particulièrement au voisinage des grandes villes. Or, l'industrie est également concentrée dans cette région. On estime que 10 à 15 pour cent des lacs finlandais sont plus ou moins pollués et c'est le cas quasigénéral du littoral proche des grandes agglomérations. Par suite de modifications de la qualité de l'eau, le panier annuel des pêcheurs sportifs s'est réduit dans de nombreux secteurs; les pêcheurs doivent aller plus loin pour se livrer à leur sport; la composition des prises s'est modifiée (les poissons intéressants pour le pêcheur sportif se raréfient, et les espèces de peu de valeur se multiplient), le poisson capturé présente un goût désagréable à cause de la pollution, etc.
L'accroissement démographique et l'exode vers les grandes agglomérations déjà surpeuplées en Europe ont pour effet non seulement d'augmenter la pression sur des ressources limitées, mais encore d'aggraver de façon désastreuse la pollution des eaux. La vingtaine de pays englobés dans la présente enquête sont unanimes à déclarer que c'est là le problème le plus grave et le plus coûteux que connaissent actuellement les pêches intérieures européennes.
Dans des pays relativement peu industrialisés - par exemple la République d'Irlande, Irlande du Nord, Ecosse et Norvège - la pollution est assez peu marquée, mais pose cependant un problème. Dans les régions agricoles fertiles des pays en question, on constate des phénomènes d'eutrophisation des eaux, provoqués par le drainage, l'utilisation intensive des engrais et les matières nutritives provenant de fosses d'ensilage et des élevages avicoles ou porcins. Le fait a été clairement mis en relief lors du Colloque FAO/CECPI sur la nature et l'ampleur des problèmes de pollution des eaux affectant les pêches intérieures en Europe (Jablonna, Pologne, 1970) [Holden et Lloyd, 1972]. En Irlande du Nord, où les décisions en matière de drainage reposent principalement sur les avantages agronomiques qu'on peut en attendre, la valeur des pêches susceptibles d'être menacées est prise en ligne de compte dans l'analyse de rentabilité précédant l'exécution d'un projet de drainage.
En Europe, certaines espèces de poissons ont complètement disparu. A la septième session de la CECPI (Amsterdam, 1972), il a été signalé qu'aux dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, à Amsterdam, les serviteurs, avant de signer un engagement, exigeaient qu'on ne leur serve pas de saumon plus de trois fois par semaine. A l'heure actuelle, si l'on en croit le Directeur des pêches des Pays-Bas il y a très peu de serviteurs, mais également très peu de directeurs, directeurs généraux ou ministres néerlandais qui risquent de manger du saumon indigène.
L'eutrophisation des lacs par les effluents d'origine “ménagère” provoque des dégâts sérieux et durables dans la plupart des pays européens et pose en matière de pêche un problème hautement prioritaire, même dans des pays comme la Suisse, pourtant renommée pour la pureté de ses lacs de montagne.
En Espagne, l'industrialisation et le régime torrentiel des eaux ont obligé à construire de nombreux barrages qui bloquent la remontée des espèces migratoires, mais qui ont également accru de 500 000 hectares la superficie des eaux intérieures se prêtant à la pêche.
En Hollande et dans la République fédérale d'Allemagne, la pénurie d'eau a créé une situation très difficile. En Hollande, la salinité atteint parfois des niveaux dangereux et l'étiage du Rhin, qui est trop souvent atteint, accentue encore l'effet des polluants.
Les eaux intérieures ne sont pas seules affectées et la plupart des côtes européennes sont également polluées. Le fait a été vigoureusement mis en évidence lors de la Conférence technique de la FAO sur la pollution des mers et ses effets sur les ressources biologiques et la pêche, tenue à Rome en décembre 1970 (Ruivo, 1972).
D'après une étude effectuée en Finlande, la modification qualitative des eaux entraîne presque toujours pour la pêche des conséquences nocives. Le principal facteur en l'occurrence est constitué par les effluents de la ville d'Helsinki. En 1970, la pêche de loisirs donnait un panier annuel réduit à 35 pour cent par rapport à ce qu'il était il y a vingt ans. Les lieux de pêche ont changé. En 1950, la pêche de loisirs se pratiquait principalement dans les baies intérieures, tandis qu'elle se déplace ou tend à se déplacer désormais vers des eaux plus pures, plus éloignées de la ville et nécessitant par conséquent un trajet allongé. Cette modification des lieux de pêche se répercute aussi sur la composition des prises, dans lesquelles le hareng de la Baltique, la morue et l'éperlan tiennent désormais une place importante. Sur la base de cette étude, on estime que les modifications qualitatives de l'eau et de l'environnement constituent un obstacle à la pêche de loisirs.
Face aux pressions exercées par la population, par les pêcheurs et par la pollution, une action radicale et de vigoureuses mesures d'aménagement s'imposent. Malheureusement, les outils disponibles ne sont pas les meilleurs. Un obstacle sérieux est la difficulté d'obtenir rapidement des données sur le volume des stocks existants et sur leurs variations. Ainsi, le problème auquel se heurtent tous les administrateurs des pêches est celui de l'évaluation des stocks. Il est évidemment très difficile d'appliquer des mesures rationnelles de conservation si l'on ignore l'importance et la composition des populations de poisson qu'il s'agit de conserver. Une autre difficulté majeure, qui se rattache à la précédente et qui suppose une information satisfaisante sur les niveaux actuels des stocks, est l'amélioration des populations. Dans les deux cas, des recherches sont indispensables. Au Royaume-Uni, les laboratoires du Ministère de l'agriculture, des pêches et de l'alimentation mènent d'actives recherches sur les compteurs de poissons migrateurs (The Natural Environment Research Council, 1972). En France, en Pologne, en République fédérale d'Allemagne et en Irlande, des travaux techniques sont consacrés à la pêche à l'électricité considérée comme une mesure d'aménagement (Vibert, 1967).
L'empoissonnement des retenues, lacs et cours d'eau est nécessaire et, faut-il le dire, très bien accueill. Toutefois, l'entretien d'une station d'alevinage est coûteux et, en fait, le Danemark, l'un des rares pays qui n'exige pas le permis de pêche, pense sérieusement à l'instituer, en partie pour pouvoir financer le repeuplement des lacs et des rivières. Un problème connexe dans ce pays est celui des maladies des poissons. La loi pour la lutte contre les maladies de poissons transmissibles exige que les rivières fortement utilisées par des établissements de trutticulture soient repeuplées de poissons garantis sains.
