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4. ENVIRONNEMENT ECONOMIQUE DE LA PRODUCTION D'ALEVINS

4.1. Contexte socio-économique de l'activité

4.1.1. Rappel

Il est utile de rappeler brièvement les principaux traits du contexte régional du Vakinankaratra déjà décrits dans le premier rapport. On se limitera aux seuls aspects qui ont une relation avec la présente étude :

  1. sur le plan climatique, le Vakinankaratra est une région tropicale d'altitude. Toutefois, par suite des fortes variations de sa topographie, il comporte de notables variantes climatiques. Ces variations zonales engendrent des différences sur les possibilités et les pratiques agricoles des paysans en fonction de leur situation dans la région ;

  2. en dépit de la relative densité de son infrastructure routière, la communication intérieure du Vakinankaratra demeure difficile puisque bon nombre de ses routes et pistes sont en mauvais état. En saison pluvieuse, certaines zones sont pratiquement inaccessibles : le Fivondronana de Faratsiho et la partie orientale de celui d'Antanifotsy entre autres ;

  3. la population est fortement pluriactive par nécessité mais aussi par suite de nombreuses sollicitations dont elle fait l'objet de la part des organismes de développement. Ceci oblige les paysans à bien choisir, outre les indispensables cultures vivrières et l'élevage, les activités qui rémunèrent le mieux ;

  4. de plus, cette population rurale connaît un manque de main-d'oeuvre active en dépit du fort nombre de personnes à charge par ménage.

4.1.2. Système de production des producteurs privés

Les données recueillies sur ce point confirment mais surtout précisent et élargissent les idées esquissées dans le premier rapport.

A. Description

La pluriactivité paysanne est effective en ce qui concerne les producteurs privés d'alevins. Tous pratiquent la riziculture, les cultures pluviales (vivrières et commerciales), l'élevage porcin et l'élevage avicole. La plupart ont en outre des cultures de contre-saison (sept producteurs sur neuf), des bovins (quatre sur neuf1) ainsi qu'une activité extra-agricole d'appoint (sept sur neuf). Ils sont donc à gérer de façon optimale : leurs terres, leur temps et leurs ressources financières.

1 Trois autres producteurs en ont mais en association avec les frères ou les parents ; un autre a donné les siens au métayage.

a. Le terrain

Dune part, sur le plan juridique, les situations sont diverses : certains producteurs exploitent le patrimoine familial en vertu de la seule attribution orale (quatre paysans sur dix) ; d'autres s'en tiennent à un ou deux documents légers déposés à divers niveaux administratifs (quatre sur dix) ; d'autres encore, les moins nombreux (deux sur dix) sont propriétaires légaux des terrains exploités. Dans tous les cas cependant, les exploitants ne craignent guère d'être dépouillés de ces terres, au moins à court terme.

D'autre part, sur le partage au niveau familial, on distingue deux situations consécutives. D'un côté, quand le père est encore vivant, c'est lui qui gère le patrimoine et donc la répartition des terres : souvent, il partage provisoirement les rizières entre les futurs cohéritiers, tandis que pour les tanety, chacun cultive selon ses capacités. Dans ce premier cas, un remaniement de la répartition (rizières et tanety) est prévu quand les parents seront décédés. D'un autre côté, pour les exploitants qui n'ont plus de parents (ou qui en ont mais trop âgés), la part de chaque cohéritier est souvent définitive, en terme de superficie, indépendamment de la légalisation.

Dans les deux cas, l'exploitant (en l'occurence le producteur d'alevins) peut utiliser à sa guise la part qui lui revient.

A propos de la superficie, les producteurs privés d'alevins se déclarent satisfaits concernant les champs de tanety ; parfois même ils donnent ceux trop éloignés en faire-valoir indirect à des parents, faute de pouvoir tout cultiver. Mais en ce qui concerne les rizières, rares sont ceux satisfaits de leur superficie. Quelques-uns doivent même recourir au métayage, au fermage ou à l'achat quand ils en ont les moyens.

Il faut remarquer pour finir que la part de terrain de l'épouse est fréquemment non exploitée par le couple, étant souvent trop éloignée de celui-ci. Elle est dès lors laissée à la propre famille de la femme, souvent gratuitement. De même, ils cultivent rarement des tanety appartenant à des membres de leur famille partis au loin (tante, soeur… ), ne prennent que les rizières quand il y en a.

b. Le temps de travail

Les calendriers agricoles des producteurs privés (cf. Annexe II.) montrent une surcharge de travail durant la saison des pluies, en particulier au début de celle-ci : octobre, novembre et décembre.

Les activités importantes démarrent à cette période : la riziculture de tanety et la production d'alevins, tandis que les cultures de contre-saison doivent être récoltées. La période de la récolte rizicole, située généralement en avril (plus rarement en mars et mai), est également chargée puisqu'aux propres récoltes du producteur privé s'ajoutent celles des parents et amis.

Ce sont surtout les périodes de pointe qui font sentir aux paysans la lourdeur de la pluriactivité. Ils trouvent donc (à l'exception d'un seul) qu'a priori, ils n'ont plus de temps pour une autre activité supplémentaire. En fait, cette réponse n'est pas définitive. La notion de concurrence des activités, expliquée dans le premier rapport intervient : si la nouvelle spéculation proposée semble intéressante, ils l'adoptent au détriment de celle(s) moins rémunératrice(s). L'un des enquêtés a par exemple abandonné sans regret l'élevage porcin afin de mieux nourrir son cheptel piscicole. Un autre a également affirmé qu'il fallait “hiérarchiser les activités en fonction des avantages et abandonner alors certaines pour en pratiquer d'autres”.

En réalité, de tels choix ne s'imposent pas toujours, du moins en ce qui concerne les activités d'élevage. En rationalisant la répartition de la main-d'oeuvre, du temps et des ressources disponibles, les paysans peuvent garder les activités déjà pratiquées ou même en essayer d'autres.

Sur le plan quantitatif, la majorité des producteurs privés trouvent que c'est la riziculture qui occupe le plus de leur temps. En fait, après analyse détaillée, ceci n'est vrai que pour le tiers des cas : généralement ceux qui ont très peu de cultures pluviales. Ce sont en réalité ces dernières qui demandent le plus de journées de travail. Cette erreur d'appréciation s'explique par le fait que la riziculture, activité méticuleuse, nécessite beaucoup de main-d'oeuvre, c'est-à-dire d'hommes-jours (H/J) ; mais le nombre de journées que l'on y consacre est limité puisque les opérations des autres activités sont pratiquées selon les possibilités (temps et main-d'oeuvre disponibles).

L'aquaculture, quant à elle, est située au 2è, 3è ou même au 4è rang en ce qui concerne le temps utilisé ; et encore, c'est parce que l'activité est encore en phase de démarrage, d'où l'existence de nombreux travaux d'aménagement des canaux, étangs, rizières. Il est donc confirmé que ce n'est pas une activité contraignante sur le plan temporel.

c. Les ressources financières

Sur ce point, une étude sur l'état des dépenses et des déboursés, cas par cas, des exploitations a été effectuée (cf. Annexe III.). Les ressources monétaires annuelles des exploitations y sont décortiquées depuis leurs provenances jusqu'à leurs destinations finales, en passant par leur répartition dans l'année.

Provenance des soldes en caisse

Elle est visualisée par le tableau (A) et les trois premières figures (B, C et D) de l'annexe III. Comme pour l'ensemble de l'étude financière des exploitations, ce tableau n'inclut pas les déboursés (ou décaissement) de consommation ménagères, celles-ci nécessitent une enquête durable, minutieuse et répétée sans être pour autant fiable.

La répartition moyenne des soldes en caisse est visualisée dans la figure 4.1.. On remarque d'abord qu'aucun des huit exploitations n'a recours au salariat agricole. C'est en effet le lot des paysans démunis. Ceci confirme l'aisance financière des producteurs privés d'alevins.

On constate ensuite que ce ne sont pas les élevages (autres que piscicole) qui fournissent le plus de revenus. L'élevage bovin, d'ailleurs pratiqué par trois exploitations sur huit seulement, est destiné au travail attelé familial et n'assure par conséquent que moins de 3% des revenus. L'élevage porcin en fournit rarement plus de 15%.

Finalement, le solde en caisse des exploitations provient en grande partie des cultures, de l'activité annexe et pour ceux qui y ont déjà bien démarré, de l'aquaculture. On constate en passant qu'il existe un partage des soldes en caisse sinon une concurrence entre les cultures et l'activité annexe : quand les premières sont bien rentables, ce dernier l'est peu ou pas du tout, et inversement. Ce phénomène s'explique par l'insuffisance et la mauvaise gestion du temps, des ressources financières et de la main-d'oeuvre disponibles par les paysans. Cette hiérarchisation joue pour toutes les activités pratiquées, y compris l'aquaculture ; mais pour celle-ci, il n'est pas encore intéressant d'étudier sa concurrence avec les cultures et l'activité annexe puisqu'elle était en phase de démarrage lors de la collecte de ces données.

Figure 4.1. : Répartition moyenne de solde en caisse des exploitations enquêtées.

Figure 4.1

Montant total du solde en caisse

Le tableau 4.1. résume les recettes (ou encaissements), les déboursés et les soldes en caisse des exploitations étudiées, et les soldes en caisse par exploitation étudiées sont mis en exergue dans la figure 4.2.. Cette figure et le tableau 4.1. montrent qu'il existe une nette disparité entre les exploitations étudiées.

Tableau 4.1. : Etat des recettes et des déboursés des exploitations étudiées.

Code de l'exploitationRecettes
(Fmg)
Déboursés
(Fmg)
Solde en caisse
(Fmg)
RCH/FT1.107.200232.100875.100
JGE/AB1.370.100340.8001.029.300
JFL/AB4.145.5001.819.4002.326.100
GIL/AB3.447.2001.157.6002.289.600
RCH/BE6.101.7002.590.5003.511.200
RKS/ATF3.104.600838.1002.266.500
ARS/ATF1.344.700469.900874.800
RMS/BW1.575.700327.4001.248.300

Figure 4.2. : Soldes en caisse des exploitations étudiées.

Figure 4.2

L'échantillon se répartit donc de façon égale entre deux catégories, d'une part, les producteurs privés d'alevins qui ont un solde en caisse peu élevé situé en-dessous de la moyenne (975.000 à 1.250.000 Fmg) et d'autre part, ceux qui en ont d'assez élevé (2.270.000 à 3.510.000 Fmg).

Cette nette classification s'explique par l'existence ou non d'une activité annexe rentable chez chaque exploitation. En effet, deux des quatre producteurs de la première catégorie n'ont pas du tout d'activité d'appoint et les deux autres en ont une mais saisonnière et mal payée. Cette lacune limite leur capacité à investir, d'où des performances moyennes dans les autres branches. Ceux de la seconde catégorie ont, en revanche, une ou même deux activités annexes rentables et régulières.

Toutefois, cette forte disparité des revenus n'implique pas que certains producteurs soient des paysans pauvres. En usant de plusieurs critères adaptés à la condition paysanne, on arrive à démontrer que ce sont dans l'ensemble des paysans aisés (cf. DP:FI/MAG/88/005, Document technique no5).

Répartition des soldes en caisse dans l'année

Dans l'annexe III figure un état mensuel des recettes et des déboursés (E) des exploitations étudiées.

L'état mensuel ne comprend que les soldes en caisse provenant des activités culturales. En effet, hormis l'aquaculture, les cultures sont les seules activités ayant des soldes en caisse réguliers dans le temps ; les autres ne sont pas assujetties à des périodes précises, et certaines sont même intermittentes (cas de l'élevage porcin entre autres). Cet état mensuel ne traduit certes pas la véritable situation financière des producteurs au long de l'année, mais il en donne une idée puisque les cultures, pivot des systèmes de production paysanne, occasionnent beaucoup de mouvements financiers (cf. Etat des recettes et des déboursés, Annexe III.). On arrive à cerner les périodes où les ménages doivent faire les incontournables dépenses culturales et celles où ils en font des recettes susceptibles d'être investies.

Une superposition des calendriers de l'échantillon permet de dégager quelques conclusions. D'abord, il n'est pas possible de déceler une quelconque similitude dans l'allure des courbes. Les ventes de produits et donc les recettes, n'ont pas lieu aux mêmes époques pour toutes les exploitations. Néanmoins, deux points communs peuvent être dégagés de ces calendriers. D'une part, pour les ménages qui n'ont pas de cultures de contre-saison ou qui n'en vendent pas le produit, il existe une rupture des recettes culturales durant la saison sèche ; c'est le cas de la moitié des exploitations. D'autre part, pour tout l'échantillon, on note des mois comme février et octobre pendant lesquels il n'existe aucune recette culturale (car ce sont des périodes intermédiaires entre deux récoltes), et d'autres comme décembre où la plupart des ménages ont ce genre de rentrées.

Distribution par activité des soldes en caisse

Après avoir déterminé les états des recettes et des déboursés des exploitations étudiées, nous avons essayé de déterminer la distribution des soldes en caisse par rapport aux différentes activités(cf. Annexe III., Figures F.).

Deux remarques se dégagent de la juxtaposition des histogrammes des états des recettes et des déboursés et des schémas des flux monétaires. Il convient auparavant de souligner que ce dernier n'inclut que les flux d'assez forte valeur ; ainsi quand des postes comme le famadihana, l'épargne ou la consommation domestique y apparaissent, ils tiennent une place certaine dans la trésorerie de l'exploitation, du moins pour l'année en question.

On constate donc d'une part, que dans la moitié des cas, il n'y a pas de coïncidence entre les investissement effectués et les soldes en caisse acquis, car ce ne sont pas toujours les activités les plus coûteuses qui fournissent le plus de soldes en caisse. La proportionnalité investissements/soldes en caisse n'existe que pour quatre exploitations, AGE/ABE (coïncidence parfaite), RAS/ATF, RMS/BW et AFL/AB. Et l'on remarque que ce sont les plus jeunes ménages de l'échantillon (leurs chefs ont moins de 36 ans alors que les autres ont tous plus de 46 ans).

Par conséquent, il semble a priori, que les jeunes soient plus préoccupés par la hiérarchisation des activités en fonction des avantages financiers. Mais il s'y ajoute une seconde explication : étant jeunes, ils ont encore peu de rizières à exploiter et d'enfants à nourrir ; ils dépensent donc moins pour les cultures vivrières et disposent davantage de ressources financières pour les occupations rémunératrices.

Les jeunes apparaissent en somme mieux prédisposés aux spéculations et aux nouvelles activités.

D'autre part, pour les trois-quarts des cas, c'est l'activité au plus fort revenu qui finance en grande partie les autres. La priorité est alors accordée aux activités qui occupent les 2è et/ou 3è rangs par la rémunération. Cet état de fait confirme l'autofinancement paysan et l'absence de comptabilité séparée. Il justifie par ailleurs la nécessité des recettes en espèces chez les paysans en général dont les producteurs d'alevins.

Cette nécessité est d'autant plus cruciale que, à l'exception d'un seul, tous les producteurs enquêtés ont au moins une activité dont le bilan de la trésorerie est négatif. Ce sont souvent les occupations indispensables aux paysans car fournissant leur alimentation quotidienne (riziculture et cultures pluviales), du travail et du fumier (élevage bovin).

Possibilités d'épargne donc d'investissement

Elles dépendent de l'existence de recettes concentrées dans le temps et qui ne sont pas destinées à la consommation familiale. Ceci reste assez rare dans l'économie paysan traditionnel qui est axée avant tout sur l'autoconsommation.

Sur les Hautes-Terres, les économies proviennent en premier lieu de l'élevage porcin, la “caisse d'épargne” des paysans malgaches. Même si le solde en est parfois négatif, le montant élevé des recettes au moment de la vente contente les ménages. Aussi, neuf des dix enquêtés pratiquent-ils habituellement cet élevage (mais certains n'avaient pas encore de cheptel au moment de l'enquête, arrêt momentané entre deux cycles d'élevage).

Hormis l'élevage porcin, pour notre échantillon d'études, l'aquaculture et plus récemment, les cultures de contre-saison, constituent également des sources d'épargne.

Le montant de ces recettes concentrées est assez élevé : 100.000 à 600.000 Fmg pour l'élevage porcin avec un à trois porcs par an ; 140.000 à 1.600.000 Fmg par an pour l'aquaculture mais en deux tranches (ventes d'alevins puis de poissons marchands) ; 80.000 à 370.000 Fmg pour les cultures de contre-saison. L'aquaculture constitue donc un bon procédé pour constituer une épargne, d'autant plus que, à la différence de l'élevage porcin, son solde est toujours loin d'être déficitaire sauf cas particulier ; ceci justifie déjà l'enthousiasme des pratiquants. Les recettes issues des deux autres activités sont relativement faibles.

Pourtant, ces recettes sont rarement économisées ou investies en masse dans une activité nouvelle ou en équipement. Elles sont en général réinjectées dans l'agriculture (en grande partie dans les activités mêmes d'où elles proviennent et dans les cultures vivrières), plus rarement dans les dépenses occasionnelles (Famadihana…) ou alimentaires (riz en période de soudure uniquement).

Cette situation peut néanmoins évoluer quand le montant de l'épargne paysanne sera plus élevé, notamment pour les producteurs privés qui réussissent. Les économies ne seront pas toutes absorbées par les cultures traditionnelles ni d'ailleurs par l'aquaculture qui, au bout de quelques campagnes, ne nécessite plus de gros investissements. Les producteurs pourront s'équiper, agrandir leurs exploitations ou pratiquer d'autres activités.

b. Principales contraintes observées dans les systèmes de production

Les principales contraintes de production sont peu nombreuses mais relativement graves :

En riziculture

Le problème financier est le plus fréquent : la riziculture est une activité où les investissements sont assez élevés. Cette contrainte s'aggrave quand la main-d'oeuvre familiale est peu nombreuse.

A cela s'ajoutent d'autres entraves comme le manque d'eau en début de campagne et l'insécurité. Ces deux dernières contraintes démotivent les rizipisciculteurs des secteurs où elles sévissent. L'application des normes techniques conseillées par la CIRRH/projet peut toutefois éliminer ou au moins atténuer les ravages de cet ordre.

En culture de tanety

Outre le problème pécuniaire qui est toutefois moins aigu pour ces cultures, il y a le maraudage et les maladies des plantes. Ces dernières touchent notamment la pomme de terre, et plus rarement, le haricot.

En culture de contre-saison

Dans ce domaine, la principale contrainte est le gel.

En élevage bovin

La principale contrainte est l'alimentation : rareté de pâturages pour les bovins et du son pour les porcins. De ce fait, les exploitations qui élèvent moins de quatre bovins se plaignent toutes de l'insuffisance du fumier produit ; ils doivent alors soit en acheter, soit le compléter avec de la cendre.

En aquaculture

Les contraintes évoquées concernant les autres activités touchent aussi l'aquaculture de façon directe (cas de la riziculture) ou indirecte ; le tout étant intégré dans un système de production. Mais, il existe aussi des entraves propres à l'activité piscicole.

Elles sont toutes particulières, à l'exception de l'insécurité qui concerne quelques producteurs privés d'alevins et (rizi)pisciculteurs.

Un producteur s'est plaint du fort éloignement de ses étangs par rapport à son lieu de résidencce (2 h 30 de marche), ce qui limite le temps qu'il peut passer au site de production.

Un autre trouve que son aire de vente d'alevins a un trop faible potentiel par rapport à sa capacité de production. Il envisage donc d'empiéter sur celle du producteur voisin, ce qui, d'une part peut engendrer un conflit, et d'autre part, poser le problème de transport.

Sur le plan financier, un exploitant a justifié l'incomplète application des normes techniques par insuffisance pécuniaire. Ce jeune ménage n'a effectivement aucune activité annexe. Le crédit piscicole mis en place pour y remédier lui fait pourtant peur. Sur le même plan, un autre producteur s'est plaint de la cherté des provendes pour poissons ; il peut bien en fabriquer lui-même, mais ce serait plus cher encore, le broyage seul coûtant 75 Fmg par kilo.

Enfin, certains producteurs d'alevins ont parlé de problèmes techniques, qui sont du ressort des techniciens encadreurs (critères de sélection des producteurs d'alevins) :

  1. le sol marécageux d'un site qui rend impossible l'assèchement des étangs ;

  2. le problème d'extension rencontré par un ménage, car les terrains restants sont plats donc non drainables ;

  3. la crue régulière des rizières d'une autre exploitation, ce qui rend aléatoire la rizipisciculture ;

  4. et enfin, le retard relatif de l'octroi du crédit piscicole qui a retardé des travaux d'aménagement des étangs lors de la campagne 1991–1992.

4.2. Place de l'aquaculture dans le système de production

4.2.1. Sur le plan temporel

A. Temps occupé par l'activité

Une fois les travaux de construction finis, les producteurs privés d'alevins consacrent à l'aquaculture autant, sinon moins de temps que pour l'élevage porcin ; l'activité se résume alors à une alimentation des géniteurs et alevins plus des travaux d'entretien en période de ponte et d'alevinage.

L'alimentation n'occupe qu'une seule personne. La préparation et le déversement ne demandent que trente minutes par jour. De fait, en dépit des normes enseignées en ce sens, certains producteurs privés ne nourrissent pas leur cheptel tous les jours ni toute l'année. Ils s'en tiennent souvent à une alimentation bi-hebdomadaire ou hebdomadaire aussi bien pour les géniteurs que pour les alevins, et ceci, pendant quelques mois seulement (un peu avant et pendant la saison d'alevinage). Les poissons marchands ne sont pas du tout nourris.

Quant aux travaux d'entretien, ils sont également limités à la saison de ponte et d'alevinage. En début de saison, l'exploitant y consacre quelques journées, une semaine au plus. Durant l'alevinage, l'entretien se réduit à quelques heures, une demi-journée au plus, et ceci une fois par semaine. Une seule personne également s'en occupe.

Par leurs pratiques, les producteurs d'alevins estiment à juste titre que, concernant le temps de travail, l'aquaculture n'est pas une activité contraignante. Aussi, ne s'en plaignent-ils pas même si la période de pointe des travaux aquacoles (de la préparation des étangs jusqu'à la fin de l'alevinage) coïncide avec celle des travaux agricoles (labour, hersage et repiquage des rizières ; labour et semis des cultures pluvialeś) (cf. Annexe II.).

La totalité des exploitants n'ont donc ressenti le besoin de délaisser d'autres activités au profit de l'aquaculture. L'un d'entre eux a bien abandonné l'élevage porcin mais la raison en était la concurrence alimentaire entre les porcs et les poissons.

En somme, l'aquaculture occupe très peu de temps quand les normes techniques sont peu appliquées ; mais même dans le cas contraire, le temps nécessaire à cette activité demeure minime, surtout comparé au solde en caisse qu'elle fournit.

B. Temps disponible pour la vulgarisation-marketing

Tous les enquêtés s'accordent à trouver cette action utile. Mais pour eux, il s'agit moins de vulgarisation que de marketing, car ils veulent vendre le plus d'alevins possible sans s'occuper tellement de la transmission des techniques piscicoles. Et c'est aussi pour eux, par la présence (souhaitée) des encadreurs lors des apparitions publiques, un moyen de donner un caractère officiel “étatique” à leur production, ce qui éloignerait les éventuels voleurs.

Leurs attitudes sont en conséquence. La plupart d'entre eux s'estiment détenir suffisamment de capacité oratoire, de temps et de connaissances techniques pour accomplir personnellement cette vulgarisation-marketing. Mais ils souhaitent, sollicitent même l'aide de la CIRRH/projet afin de cautionner leur production et attirer les acheteurs.

En outre, certains envisagent, quand leur production sera plus importante, d'embaucher des animateurs assistants (à payer en nature) qui devraient leur amener des acheteurs d'alevins sans vulgarisation technique. Enfin, l'un des enquêtés a même une attitude négative. Volontairement, il ne vulgarise pas les normes rizipiscicoles “pour ne pas décourager les acheteurs par de fortes dépenses, d'autant que la production de poissons peut être décevante pour eux”.

En somme, les producteurs privés d'alevins ne s'intéressent pour l'instant qu'à l'aspect marketing de la vulgarisation-marketing. Et puisque pour la plupart d'entre eux, la production actuelle est encore bien inférieure à la demande locale, ils n'ont guère de conviction pour faire une quelconque offensive de vulgarisation.

C. Division familiale du travail

C'est le chef d'exploitation qui assure la quasi-totalité des travaux piscicoles : l'alimentation quotidienne du cheptel ainsi que les divers travaux d'entretien. L'aide de la femme est occasionnelle et ponctuelle : transport de fumier, vente des alevins et/ou poissons marchands et alimentation du cheptel en l'absence de l'homme, ce qui est généralement rare. Seules deux exploitations attribuent ce travail défini et régulier à la femme : l'alimentation des géniteurs et alevins pendant toute la campagne. Quant aux enfants, leur participation est le plus souvent nulle ; dans quelques cas seulement, un enfant, généralement l'aîné, est chargé d'apporter la nourriture des géniteurs.

Cette eépartition inégale des tâches est souvent dictée par le manque de confiance de l'homme envers les membres de son ménage, jugeant ceux-ci inexpérimentés dans le domaine aquacole. Il les rélègue aux travaux agricoles habituels. Généralement, l'épouse accepte d'ailleurs cette situation sachant qu'elle ne maîtrise pas encore l'activité et qu'elle a en outre, beaucoup d'autres tâches ménagères et agricoles.

Effectivement, lors de l'enquête, la majorité des épouses n'ont qu'une connaissance limitée et élémentaire sur l'aquacutlure : le nombre de géniteurs mâles pour un géniteur femelle, la composition des aliments pour poissons,. C'est parce qu'elles n'assistent pas toujours aux visites des techniciens, encore moins aux formations. Et sur ce point, l'homme aussi bien que la femme trouvent impossible que le couple y assiste ensemble, bien qu'ils le veuillent, pour ne pas délaisser les autres activités.

Cette situation évoluera toutefois quand le chef d'exploitation aura assimilé les techniques au point de les transmettre à son entourage. Déjà, ils en discutent en famille, souvent en concentrant l'instruction sur une personne : l'épouse ou le fils aîné. Ceci est d'ailleurs souhaitable puisque l'homme doit parfois s'absenter pour aller au marché hebdomadaire, pour vendre ou acheter des produits en ville, pour faire des migrations saisonnières de travail, pour s'acquitter des obligations familiales.

Enfin, pour ce qui est d'attribuer à l'épouse le travail de marketing, les avis sont partagés mais dans l'ensemble, ils sont favorables. Deux épouses de producteurs privés refusent ce rôle, l'une parce qu'elle se sent timide et l'autre, parce qu'elle n'est pas convaincue de l'intérêt même de la production d'alevins malgré l'enthousiasme de son mari. Les autres femmes, les plus nombreuses, veulent s'en occuper sous réserve d'avoir les connaissances requises ; elles ne craignent aucun rejet ni incrédulité de la part de la société du moment qu'elles maîtrisent les techniques aquacoles.

4.2.2. Sur le plan financier

A. Place de l'activité dans le budget de trésoreriedes ménages

Il ne s'agit pas d'établir la rentabilité de l'aquaculture, ceci ayant déjà été fait (cf. FI/DP/MAG/88/005, Document technique no2 intitulé : “Etude de faisabilité d'une station privée de production de carpe commune à Madagascar”), mais plutôt de définir la place qu'elle occupe dans le budget de trésorerie des producteurs privés. Le tableau 4.2. reprend les recettes et les déboursés relatif à l'activité aquacole par exploitation étudiée.

Tableau 4.2. : Etat des recettes et des déboursés aquacoles des exploitations étudiées.

Code de l'exploitationRecettes (Fmg)Déboursés (Fmg)Solde en caisse (Fmg)
RCH/FT137.200177.100-39.900
JGE/AB658.100148.800509.300
JFL/AB1.558.500283.4001.275.100
GIL/AB852.200331.600520.600
RCH/BE312.700273.50039.200
RKS/ATF927.100202.300724.800
ARS/ATF568.700223.900344.800
RMS/BW436.10094.900341.200

a. Déboursés

Il existe une certaine coïncidence entre les déboursés de fonctionnement et la superficie totale des étangs (cf. Figure 4.3.).

Dans la distribution des charges financières ménagères (cf. Annexe III.), l'aquaculture figure toujours parmi les activités les plus dépensières, souvent au premier ou au moins au second rang, indépendamment de la valeur absolue des déboursés. Ceci traduit chez les producteurs privés une réelle volonté de bien faire, même si parfois les dépenses engagées dans l'activité ne satisfont pas encore aux conditions optimales requises.

Cette importance relative des dépenses aquacoles s'explique par le fait que l'activité en est encore à sa phase de décollage (une à trois campagnes de production pour tous les exploitants), ce qui explique d'ailleurs les productions encore faibles pour la plupart. Il y a en outre les extensions de superficie qui nécessitent des investissements non amortissables durant la campagne.

Figure 4.3. : Comparaison entre les déboursés aquacoles (en Fmg) et les superficies exploitées en étang, campagne 1991–1992.

Figure 4.3

b. Les recettes

Les recettes incluent les ventes d'alevins (calculées avec le prix de 30 Fmg la pièce) et celles de poissons marchands (basées à 2.500 Fmg le kilogramme, après avoir tenu compte du taux de survie et de la taille moyenne des poissons par zone). (cf. Annexe III.).

On constate une nette disparité entre les recettes aquacoles des exploitants en valeurs absolues : le rapport entre la plus forte et la plus faible est de 1 à 11.

Cette disparité n'est guère liée à la superficie exploitée en étang d'alevinage, le rapport entre celle aux plus fortes recettes et celle aux plus faibles n'est que de 1 à 1,6 (cf. Figure 4.4.). Les différences proviennent actuellement de la qualité de la production tant en alevins qu'en poissons marchands. Ce sont l'assiduité des exploitants ainsi que les conditions naturelles qui ont joué.

Figure 4.4. : Comparaison entre les recettes aquacoles (en Fmg) et les superficies (en are) exploitées en étang, campagne 1991–1992.

Figure 4.4

c. Les soldes en caisse

Leur importance est très variée. Dans deux cas, les soldes en caisse sont très faibles : 39.200 Fmg pour l'un tandis que pour l'autre, le solde est même négatif (-39.900 Fmg). Ce sont toutefois des cas particuliers, leur production ayant été mauvaise par manque de sérieux ou par accident. Pour la plupart des exploitations, les revenus sont assez élevés, de 341.200 Fmg à 1.275.100 Fmg avec une valeur moyenne d'environ 620.000 Fmg.

A l'instar des recettes, les soldes en caisse ne sont pas toujours proportionnels aux superficies exploitées ni d'ailleurs au montant des déboursés engagés (cf. Figures 4.5. et 4.6.).

Figure 4.5. : Comparaison entre les soldes en caisse aquacoles à la fin de l'exercice (Fmg) et les superficies exploitées en étang (are), campagne 1991–1992.

Figure 4.5

Figure 4.6. : Comparaison des déboursés et des soldes en caisse aquacoles à la fin de l'exercice, campagne 1991–1992.

Figure 4.6

Ce sont l'expérience, le sérieux de l'exploitant mais aussi la conjoncture (accidents climatiques) qui jouent. Si ces conditions sont réunies, la rentabilité de cette activité ne fait pas de doute. D'ailleurs, en valeur relative, exception faite des deux cas particuliers évoqués, les revenus de l'aquaculture se trouvent toujours en bonne position dans la trésorerie paysanne, au premier et au deuxième rang.

B. Les flux financiers liés à l'aquaculture dans l'ensemble du système de production

a. Provenance de l'argent investi

L'aquaculture est toujours financée par l'activité qui fournit le plus de solde en caisse (cf. Annexe III.). Il s'agit souvent de la riziculture et/ou de l'activité annexe, plus rarement les cultures des tanety ou de contre-saison. Comme vu plus haut, le montant des investissements dans l'aquaculture est parmi les plus élevés par rapport aux autres activités.

Le financement par des recettes rizicoles concerne la moitié des cas. Ce sont les producteurs d'alevins qui ont peu ou pas d'activités rémunératrices (activité annexe ou cultures de contre-saison d'assez forte superficie), et qui sont alors obligés de vendre du paddy. Mais, ils y ont recours uniquement pour la construction des étangs. Pour les achats des intrants, ils vendent seulement quelques produits (haricot, poulets …) ou en cas d'impossibilité de vendre, préfèrent renoncer aux intrants.

b. Destination des recettes

Pour toutes les exploitations, il y a d'abord les déboursés de consommation courantes (nourriture, articles ménagers) ou occasionnelles (soins médicaux, riz en période de soudure, vêtements). Pour deux exploitations, ce poste a tari toutes les recettes aquacoles, le montant de celles-ci étant faible.

La moitié des ménages a en outre utilisé une partie des recettes en investissements dans l'agriculture, dans la riziculture, les cultures des tanety et l'élevage. Le montant en est souvent élevé.

L'investissement dans les activités annexes est plus rare. Il en est de même pour la réintroduction des recettes dans l'aquaculture ; et ceci consiste souvent au seul remboursement des crédits piscicoles contractés, ce qui n'est pas à proprement parler du réinvestissement.

Ces destinations des recettes aquacoles sont visualisées dans la figure 4.7. où les études au cas par cas de l'annexe III sont synthétisées.

Figure 4.7. : Destinations des recettes aquacoles de l'échantillon.

Figure 4.7

On constate ainsi que pour la campagne 1991–1992 (la première, deuxième ou la troisième campagne selon les exploitations), l'aquaculture a surtout financé les dépenses ménagères. Le réinvestissement des recettes dans l'activité, au sens propre du terme, est rare ; on remarquera que cette attitude positive n'est guère liée aux possibilités financières, ces deux exploitations en question (JFL/AB et ARS/ATF) ayant des niveaux de soldes en caisse très différents (cf. Figure 4.2.). C'est toujours le sérieux des producteurs qui joue.


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