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3. ANALYSE DE LA SITUATION DES PECHES AU LAC IDI AMIN

3.1 Données géographiques et hydrobiologiques: estimation de la production potentielle

3.1.1 Facteurs géographiques et administratifs

La superficie du lac Idi Amin est de 2.240 km2; sa longueur est de 90 km et sa largeur de 40 km. La profondeur maximum est de 117 m, tandis que la profondeur moyenne est de 33 m.

La frontière entre le Zaïre et l'Ouganda passe à travers ce lac. 73% de la superficie totale, incluant les eaux profondes qui sont estimées moins productives, revient au Zaïre.

3.1.2 Principales espèces de poisson

Le lac Idi Amin est très pauvre en espèces de poisson: toutes les espèces présentes existent au lac Mobutu. On retrouve, cependant, dans les gîtes fossilifères des débris des genres Lates, Synodontis, Hydrocyon. Sur cette base, Hulot1 a avancé l'hypothèse suivante pour expliquer ce phénomène: pendant une période, la faune des bassins du Nil et du Congo aurait été similaire. En effet, une première séparation des bassins eut lieu quand le lac Kivu coulait vers le lac Idi Amin et le lac Idi Amin vers le lac Mobutu.

Plus tard, il y eut stérilisation complète ou partielle du lac Kivu et du lac Idi Amin. Par action volcanique ou par assèchement ces lacs ont été ensuite recolonisés par des poissons ayant une résistance particulière aux mauvaises conditions d'oxygénation (Protopterus); des poissons ayant des caractéristiques etimologiques de protection de la progéniture (Cichlidés); des poissons liés aux rivières (Barbus, Labeo).

Les espèces commerciales les plus importantes sont:

1 Hulot, A. 1956. Aperçu sur la question de la pêche industrielle aux lacs Kivu, Gronard et Albert. Bulletin agricole du Congo belge.

3.1.3 Production potentielle

En 1988, M. Vakily a estimé la production potentielle du lac Idi Amin sur la base de deux modèles.

Le premier de ces modèles se réfère à l'indice morpho-édaphique de Henderson et Welcomme: sur cette base théorique, le potentiel par an pour tout le lac Idi Amin serait de 15.000 t.

Le deuxième modèle considéré (Schlesinger et Régier) contient en plus une variable qui représente la moyenne annuelle de la température de l'air; dans ce cas le potentiel de l'ensemble du lac serait de 16.000 t.

3.1.4 Pêche dans les frayères

Jusqu'en avril 1989, la pêche dans les frayères se pratiquait de façon intense en utilisant des sennes de plage.

A partir de cette date, le Département de l'environnement a prescrit la destruction de ces sennes. Cependant, il semblerait que cette pêche continue mais d'une manière moins intense.

Ces activités de pêche illégales pourraient fortement réduire la production potentielle par rapport aux modèles théoriques et mettre en péril la préservation des ressources piscicoles.

3.1.5 Niveau d'exploitation

En 1988, la production du lac Idi Amin a été estimée à 10.700 t/an. Vu l'absence de statistiques fiables, il pourrait s'avérer que les captures annuelles soient plus élevées que ces estimations.

En 1989, deux études effectuées du côté zaïrois et ougandais1 sont parvenues aux mêmes conclusions, c'est-à-dire que les ressources piscicoles du lac sont exploitées à leur capacité maximale, ne permettant que sous certaines conditions une augmentation modeste de la production par l'exploitation des ressources des eaux profondes au Zaïre.

En raison de la nécessité impérative de conservation des ressources, cette situation nécessite une politique de consolidation des captures au niveau actuel. Le développement de la pêche semi-industrielle pourrait se faire seulement après une étude approfondie des ressources du lac.

1 ‘Etude du potentiel halieutique du lac Idi Amin’, J. Vakily, CEE, 1989. ‘Fishery management study in the Queen Elizabeth National Park’, Uganda, J. Dunn, CEE, 1989.

3.2 Les pêcheries du lac Idi Amin et le parc de Virunga

3.2.1 Introduction

Le lac Idi Amin se trouve à l'intérieur de deux parcs nationaux: le parc national de Virunga du côté zaïrois, le Queen Elizabeth National Park du côté ougandais. Au Zaïre, les eaux du lac sont considérées partie intégrante du parc, tandis qu'en Ouganda, elles sont considérés comme entité autonome.

3.2.2 Historique des pêcheries zaïroises à l'intérieur du parc

Lors de la création du parc national Albert (1925), les populations riveraines zaïroises, avaient été totalement évacuées vers l'intérieur des terres, alors que les pêcheurs ougandais continuaient à exploiter le lac de leur côté. En 1943, cependant, devant la pénurie de poisson au Zaïre, il fut décidé de rouvrir des pêcheries sur le côté zaïrois.

Ces pêcheries furent bientôt groupées dans un seul organisme coopératif, la “COPILE”, mais celle-ci vit bientôt son plafond de pêche limité à 3.000 t par an. Le mandat de la COPILE était fixé à 30 ans. A la fin de cette période, en 1979, une nouvelle convention fut élaborée et le nom de la société fut changé en COPEVI (Coopérative des pêcheurs de Vitshumbi). Cette convention donnait à la COPEVI le monopole de la pêche sur le lac. Par onséquent, les pêcheurs ne sont pas ses adhérents, mais ses sous-traitants. Le mandat de la société n'était pas limité dans le temps, mais la convention entre l'IZCN et la COPEVI prévoit la possibilité de la révocation de ce mandat par décret présidentiel.

3.2.3 Le monopole d'une société sur les activités de pêche et l'existence du parc

Le parc national de Virunga et les pêcheries du lac sont une seule entité homogène pour les raisons suivantes:

Par conséquent, la vie sociale des communautés à l'intérieur du parc devra être réglée de manière analytique pour éviter toutes sortes de troubles qui seraient incompatibles avec l'existence d'un parc national. Avec ces prémisses, il est évident qu'il ne devra exister qu'une seule société responsable de l'organisation des activités collatérales à la pêche (approvisionnement et vente d'équipement, matériel et équipement pour le traitement, carburant, commercialisation). Ceci afin d'éviter que le parc ne soit bouleversé par la présence de plusieurs commerçants privés, ce qui est incompatible avec la vie ordonnée et réglée d'un parc. Cette société aura le droit et le devoir de bien mener ces activités. En outre, cette société devra assurer une situation d'harmonie entre les différentes institutions présentes dans le parc: IZCN (Institut zaïrois pour la conservation de la nature), DAFECN et pêcheurs.

3.2.4 La convention entre l'IZCN et la COPEVI

La convention signée en 1979 entre l'IZCN et la COPEVI reflète les principes avancés dans le paragraphe précédent. En confiant à la COPEVI le monopole de la pêche (Art. 13-A: “Aucune autre société, aucun service public ou privé ne sera installé dans cette enclave”), cette convention prévoit une série de responsabilités à la charge de cette société: statistiques (Art. 8), sécurité et surveillance (Art. 13-C), infractions (Art. 9: “la direction de la COPEVI sera rendue responsable de toutes les infractions commises à l'encontre des interdictions prévues, ainsi que celles perpétrées par les pêcheurs”, etc.) et services aux pêcheurs, qui decoule du monopole confié à cette société pour toutes les activités collatérales à la pêche.

Une grave lacune de cette convention est qu'elle ne prévoit pas un comité de surveillance de cette société: à notre avis, ce comité aurait dû être composé par l'IZCN, le DAFECN et les représentants des pêcheurs. Ce comité aurait dû examiner la gestion de cette société et prendre des sanctions vis-à-vis de la COPEVI dans le cas où elle n'aurait pas assumé ses tâches institutionnelles.

3.2.5 Le rôle de la COPEVI dans le développement des pêcheries du lac

La COPEVI a rempli son rôle institutionnel jusqu'en 1970; ensuite son affaiblissement économique et sa paralysie (1984) ont créé une situation nouvelle, à savoir la libéralisation des activités de pêche dans le lac.

Dans un premier temps cette libéralisation a entraîné un développement considérable du secteur, avec l'augmentation de la production, des pêcheurs et embarcations, ainsi qu'une commercialisation plus efficace.

Toutefois, cette situation a dégénéré rapidement dans une sorte d'anarchie qui a gravement bouleversé la vie du parc, à savoir:

En mars 1989, le Département de l'environnement est intervenu en adoptant une série de mesures appropriées d'aménagement:

Ces mesures étaient nécessaires pour rétablir l'ordre dans le parc et pour éliminer les principales causes de la gestion irrationnelle des ressources piscicoles. Ces mesures peuvent être considérées comme la première étape vers un véritable aménagement des pêcheries du lac. Cependant la réorganisation de la COPEVI reste le problème principal; cette société devrait reprendre son rôle institutionnel, qui est celui de garantir l'organisation des services en faveur des pêcheurs.

3.2.6 La restructuration de la COPEVI

La COPEVI possède toutes les infrastructures nécessaires pour rendre les services nécessaires aux pêcheurs, à savoir:

Ces infrastructures et équipements sont, dans l'ensemble, en bon état. Toutefois, depuis maintes années la COPEVI ne rend plus aucun service aux pêcheurs à cause de sa crise financière. Celle-ci est la cause principale des contraintes affectant les pêcheries du lac Idi Amin, qui sont les suivantes:

Cette situation a créé un conflit aigu entre la COPEVI et les pêcheurs, qui nuit fortement au développement des pêcheries du lac.

En 1988, des modifications sont intervenues au sein de la COPEVI, à savoir:

Dans la situation actuelle de conflit, les pêcheurs ne sont pas disposés à vendre leurs captures à la COPEVI. La rentabilité de cette activité est donc liée à la production réalisée par la pêche à la senne tournante dont les résultats sont douteux.

On prévoit donc que ce n'est que difficilement que la COPEVI produira les profits nécessaires pour relancer ses activités en faveur des pêcheurs. Le DAFECN devrait donc prendre rapidement des mesures adéquates afin de résoudre ce problème car la situation actuelle nuit fortement au développement des pêcheries du lac Idi Amin.

3.3 Les embarcations et engins de pêche

3.3.1 Embarcations

La seule embarcation utilisée pour la pêche est la pirogue en planche. Sur 780 pirogues recensées, 200 environ sont équipées de moteurs hors-bord (6–8 CV). La plupart des pirogues sont munies d'une voile primitive.

3.3.2 Zones de pêche

Les activités de pêche se réalisent dans les eaux de 0–40 m de profondeur, avec une concentration des activités dans les eaux de 0–20 m de profondeur.

L'effort de pêche est assez mal réparti, car les pêcheurs ont tendance à concentrer leurs activités dans les mêmes zones.

3.3.3 Techniques de pêche

• Filets maillants

Les filets maillants (de surface ou de profondeur) sont l'engin le plus utilisé: en moyenne chaque pirogue est équipée de 100 filets. Les filets sont attachés sur les côtés et pourvus de ralingues supérieures et inférieures. Des morceaux de liège sont utilisés comme flotteurs et des pierres comme lest. Puisque l'arrangement et le nettoyage des filets demandent le retrait du bois et des pierres, flotteurs et lest doivent être rattachés aux ralingues avant chaque utilisation.

La manière de positionner les filets dormants dépend de l'endroit choisi par les pêcheurs. Dans les eaux peu profondes les filets flottent à la surface. Dans les zones plus éloignées de la côte et d'une profondeur au-delà de 20 m, les filets sont souvent ancrés au fond. Ces filets restent parfois sur place pendant une semaine1.

• Sennes de plage

Les sennes de plage ont été interdites par le Département de l'environnement. Cependant, le personnel du projet FED pour la protection de la faune a signalé à la mission qu'elles sont encore utilisées dans les frayères. Les mailles de toutes les sennes de plage sont inférieures à 4,5 cm noeud à noeud et, par conséquent, doivent être considérées comme illégales.

• Palangres

Les palangres utilisées dans ce lac sont de 500–700 m de longueur. Le nombre de hameçons fixés par palangre est d'environ 1.000.

1 Vakily, oeuvre citée, p.7

3.3.4 Approvisionnement en équipement

La plupart de l'équipement est vendu aux pêcheurs par les commerçants de poisson. Le filet et les fils sont d'origine asiatique (Corée): èn général la qualité de ce matériel est mauvaise et la durée de vie d'un filet varie entre six mois et un an.

3.4 Commercialisation et traitement

3.4.1 Commercialisation du poisson frais

La plupart des Tilapia sont vendus à l'état frais aux commerçants venant des villes de Goma, Lubero et Butembo. Ces commerçants arrivent le matin avec des camionnettes louées et amènent des blocs de glace pour tenir les Tilapia au frais pendant le transport. Protopterus et Clarias sont souvent transportés vivants aux marchés.

3.4.2 Le poisson salé-séché

Le salage/séchage est la méthode de traitement du poisson la plus utilisée. Le salage est fait à la main et les poissons sont étalés par terre soit sur des nattes, soit sur le béton. L'entreposage est effectué dans des locaux mal aérés et, dans l'ensemble, cette technique pourrait être sensiblement améliorée.

3.4.3 Le poisson en saumure

La COPEVI dispose de 36 bacs pour la saumure qui ne sont pas utilisés. Par contre, à Kvavinyonge la COPEVI traite surtout les Tilapia qui sont saumurés dans des bacs pendant 24 heures et ensuite séchés pendant deux jours.

3.4.4 Le poisson fumé

Le fumage est pratiqué à feu ouvert; les Clarias et les Protopterus sont très appréciés par les populations avoisinant le parc. Par conséquent, la durée du fumage est limitée (environ 2 heures) pour obtenir du poisson “moto moko” (fumé une seule fois). La quantité de bois utilisé pour le fumage pourrait être réduite par l'introduction des fours “Chorkor”.

La demande de poissons traités est très élevée: la plupart du poisson est vendu dans les marchés avoisinant le lac Idi Amin car il s'agit d'une zone relativement aisée. Cependant, une partie non négligeable de la production de poisson salé de ce lac est commercialisée à Kisangani et Kinshasa.

3.5 Les institutions responsables des pêcheries du lac Idi Amin

Les institutions concernées par ces activités sont trois, à savoir: DAFECN, IZCN et COPEVI.

3.5.1 DAFECN

Le DAFECN dispose de 7 agents travaillant sur le lac; les tâches de ces agents sont les suivantes:

1 Oeuvre citée p.10 et 11

3.5.2 IZCN

Du point de vue institutionnel, les agents de l'IZCN seraient chargés du contrôle de frayères. Toutefois, on constate l'indifférence totale des agents de l'IZCN face à la destruction des ressources piscicoles.

On estime qu'il reviendrait aux agents de l'IZCN de contrôler les activités de pêche et d'effectuer la répression des activités illégales. Mais il semblerait que les agents du lac Idi Amin n'ont pas été sensibilisés aux problèmes de la pêche.

3.5.3 COPEVI

D'après la convention signée avec l'IZCN, cette société serait responsable des statistiques (Art. 8) de la sécurité et surveillance (Art. 13) et des infractions. Cependant, on constate que son absence des activités d'aménagement est complète.

3.6 Aspects régionaux dérivant du partage du lac entre Zaïre et Ouganda

3.6.1 Rappel des aspects géographiques et administratifs

Les eaux du lac Idi Amin sont partagées entre le Zaïre et l'Ouganda: le Zaïre dispose d'une superficie de 1.630 km2, qui représente 73 % de la superficie totale du lac.

3.6.2 Caractère homogène des deux pêcheries

Les techniques de pêche, de traitement et l'inclusion des eaux du lac à l'intérieur des deux parcs nationaux font en sorte que les caractéristiques de base de ces pêcheries sont les mêmes dans les deux pays. Les deux pêcheries doivent faire face au même problème, c'est-à-dire la surexploitation probable des ressources piscicoles. La réduction de l'effort de pêche entrepris par un seul pays aurait des effets limités.

D'autre part, la surexploitation demande la réorganisation des pêcheries ce qui, dans un lac partagé par deux pays, peut se faire grâce à un accord bilatéral portant sur les mesures d'aménagement à entreprendre.

3.6.3 Les accords de pêche entre le Zaïre et l'Ouganda concernant le lac Idi Amin

A présent, le seul accord de pêche entre les pays riverains a été signé en 1978. Cette convention prévoit la libre exploitation du lac de la part des pêcheurs des deux pays.

Ce début de collaboration devrait être développé dans l'intérêt des deux pays. Le projet régional RAF/87/099 représente le point de référence idéal pour parvenir à l'aménagement coordonné des ressources piscicoles des deux pays riverains.


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