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Chapitre 5
LA PRODUCTION D'ALEVINS DE CARPES CHINOISES

Jusqu'au début des années soixante, la pisciculture chinoise traditionnelle dépendait totalement des larves et alevins sauvages pêchés dans les fleuves et les rivières. Non seulement les quantités récoltées variaient énormément en nombre et en espèce d'une saison à l'autre, mais également le prix de revient de ces alevins était relativement élevé. De plus, les grands projets d'aménagement fluvial (barrages hydro-électriques, régulation des débits, irrigation) réalisés après la Libération eurent rapidement pour conséquence une réduction importante du nombre de poissons juvéniles présents dans ces cours d'eau. La nécessité de se tourner vers la reproduction contrôlée des poissons d'élevage devint de plus en plus pressante et les recherches à ce sujet s'intensifièrent. Les premières expériences en 1956 sur l'utilisation d'hormones hypophysaires pour contrôler la reproduction de carpes argentées et de carpes marbrées en étang furent sans succès. Mais deux ans plus tard, le Prof. Zhong Lin (Guangzhou, Guangdong) réussit pour la première fois la reproduction artificielle de ces deux espèces, l'éclosion de 10 millions d'oeufs et la production de 500 000 alevins. Cette méthode se basait initialement sur la fécondation artificielle d'ovules obtenus de femelles matures. Elle fut améliorée dès 1964 par le succès de la ponte induite suivie de fertilisation naturelle en bassins frayères, méthode actuellement la plus répandue.

Cette technologie nouvelle, rapidement adaptée à la reproduction induite de toutes les carpes chinoises et à la production massive en écloseries de leurs alevins, fut alors activement diffusée dans les provinces. Vulgarisée jusqu'au niveau de la ferme piscicole, elle y devint bientôt partie intégrale du système cultural piscicole.

Aujourd'hui plus de 40 milliards d'alevins sont annuellement produits, dont plus de 95 pour cent en écloserie (Anon., 1980). Ceci a permis au développement piscicole de devenir largement indépendant des captures de larves et d'alevins sauvages. En certaines régions cependant (par exemple Chang Jiang moyen/inférieur et bras occidental du Xi Jiang inférieur), l'utilisation de cette source d'alevins d'empoissonnement est encore pratiquée en vue de compléter les productions des écloseries. En 1979 par exemple, le District de Xishui (Hubei) a stocké en étang près de 100 millions d'alevins sauvages pêchés dans le Chang Jiang, alors que 200 millions d'alevins étaient produits en écloserie.

Le groupe d'étude a eu l'occasion de visiter plusieurs écloseries et centres d'alevinage (Tableau 17), où les observations présentées ci-après ont été recueillies.

Schématiquement, l'on peut subdiviser le cycle de production d'alevins d'empoissonnement en trois étapes successives: la production de larves, la production de petits alevins de 2–3 cm de long (premier alevinage) et la production d'alevins d'empoissonnement de 12–20 cm de long (second alevinage). En fonction de l'importance des alevins comme source de revenu (Tableau 17), l'alevinage occupe en général de 10 à 25 pour cent de la surface totale de l'exploitation piscicole, bien que dans certains cas ce pourcentage puisse s'élever jusqu'à 55 pour cent. A la Commune populaire de Hele (Jiangsu), il fut cependant conseillé d'aménager 30 pour cent de la surface totale en priorité pour l'alevinage (et secondairement pour la production de poisson de consommation) et 70 pour cent en priorité pour cette dernière (et secondairement pour l'alevinage), afin de réaliser la meilleure utilisation des surfaces en eau. Lorsque le second alevinage est pratiqué en étangs, il mobilise jusqu'à 90 pour cent de la surface d'alevinage (Tableau 17). Par contre, lorsque seul le premier alevinage est pratiqué, jusqu'à 74 pour cent de la surface totale sont aménagés à cette fin. Le second alevinage peut également se faire en cages flottantes (Section 5.4) et en enclos (Section 5.5).

Tableau 17

CARACTERISTIQUES DES CENTRES D'ALEVINAGE VISITES

ProvinceGUANGDONGHUBEI
Centre d'alevinage1 1234
Personnel 8127 
Superficie(S), ha1022,523,33  1,6
- Incubation, %S-0,05--
- Alevinage 1, %S9,174,0-  8,1
- Alevinage 2, %S90,1--91,9
- Alevinage 2A, %S9---
- Alevinage 2B, %S27---
- Alevinage 2C, %S54---
- Géniteurs, %S-19,6--
- Frayères, %S-0,1--
Superficie, S% du total23,1100 13,6
Nombre étangs (alevinage)4580+38 
Production (P), alevins/an140 millions394 millions51 millions 
- Larves de 8 jours 360 millions- 
- Alevins 1 (3 cm)   34 millions50 millions 
- Alevins 2 (15–20 cm) -1 million 
- C. argentée, %P  2,914important 
- C. herbivore, %P12,918assez. imp. 
- C. marbrée, %P  5,7  7important 
- C. de vase, %P71,461- 
- Divers, %P  7,1-assez. imp. 
Coût alevins empoissonnt.,  yuans/10 000  500–600 

1 1: Commune populaire Leliu, Brigade de Production
2: District de Xinhui, Centre d'alevinage de Hengjiang
3: Ferme d'Etat de Baitanhu, District de Huanggang
4: Brigade de Production “Octobre”, District de Xishui

5.1 LA PRODUCTION DE LARVES DE CARPES CHINOISES1

La première étape du cycle de production d'alevins d'empoissonnement consiste dans i) le stockage et la préparation des géniteurs; ii) la reproduction des géniteurs; et iii) l'incubation/éclosion des oeufs.

5.1.1 Elevage des géniteurs

Les géniteurs de carpes chinoises proviennent soit d'élevages en étang, soit de pêches en lacs, réservoirs ou rivières.

Au Centre d'alevinage de Hengjiang (District de Xinhui, Guangdong), l'une des 17 écloseries du district, les 17 étangs de stockage des géniteurs couvrent une superficie en eau de 4,40 ha soit 19,6 pour cent de la surface totale du centre. Leur superficie moyenne est de 2 600 m2 et leur profondeur d'eau varie de 1,5 à 2 m en général, sauf pour les carpes de vase qui exigent des eaux plus chaudes (profondeur 2–3 m et protection contre les vents froids). Les sexes sont mélangés (rapport F/M égal 1/1 ou 2/3) et chaque géniteur est utilisé deux à trois fois par an pendant 6–7 ans.

Chaque étang est empoissonné en majorité avec une espèce de carpe, deux à trois des autres espèces l'accompagnant. Par exemple, à l'hectare, l'on peut avoir un stock principal de 150–225 carpes herbivores (soit 1 000–1 250 kg), ou 100–150 carpes argentées (750–1 000 kg), ou 75–100 carpes marbrées (750–1 000 kg), complété jusqu'à 1 500–2 250 kg par deux à trois espèces différentes. Le taux d'empoissonnement pour la carpe de vase est plus élevé et peut atteindre 2 250–3 000 individus/ha soit 2 250–3 000 kg/ha.

Lorsque la température de l'eau dépasse 15°C, l'alimentation artificielle est considérée comme très importante. Elle consiste en son de riz et brisures de maïs (ration journalière 1–2 pour cent ichtyomasse), ainsi qu'en fourrages (carpes herbivores). La fertilisation organique régulière maintient une abondance adéquate de plancton.

Il est important également de maintenir dans l'étang une bonne circulation de l'eau, de renouveler celle-ci assez souvent et d'en garantir la qualité et le niveau.

5.1.2 Sélection et préparation des géniteurs

Pour la reproduction, le choix des géniteurs se base non seulement sur leur condition individuelle de santé et de maturité mais aussi sur les critères plus généraux suivants (Figure 11):

CarpeAge minimum des femellesaPoids individuel
Marbrée4 ans
7 – 12 kg
Herbivore5 ans
8 – 12 kg
Argentée3 ans
3 – 6 kg
Noire-
plus de 10 kg
De vase3 ans
0,8 – 1,4 kg

a Age des mâles: normalement un an de moins que les femelles

1 Sujet traité en détail par Pagán-Font et Zinet (1980a)

L'époque de la reproduction des carpes chinoises dépend essentiellement de la température de l'eau; optimum 25°C; minimum 20°C; maximum 31°C. Au Centre d'alevinage de Hengjiang (Guangdong) par exemple, la saison de reproduction s'étend en moyenne de fin mars à fin septembre, atteignant son intensité annuelle maximum en avril et mai.

La préparation pour la reproduction des géniteurs choisis consiste en i) leur conditionnement aux manipulations futures, par pêche et libération successives, et ii) l'injection d'une dose déterminée d'hormone stimulant leur maturation finale. Les produits les plus utilisés à cet effet sont la gonadotropine de poisson (extrait hypophysaire de carpe commune, carpe argentée ou carpe marbrée), la gonatropine chorionique humaine (HCG), et des hormones synthétiques LH-RH analogues.

La récolte d'hypophyses de poissons de plus de 0,6 kg est organisée dans les centres d'achat et de vente des poissons de consommation (prix: 0,05 yuan/hypophyse au District de Xinhui, Guangdong). Elles sont traitées et conservées ensuite soit dans l'alcool, soit à sec, jusqu'au moment de l'utilisation. L'extrait hypophysaire est préparé par broyage de la glande en solution saline normale (7–8 g NaCl par litre). En général, un géniteur requiert 5–10 ml de solution, selon son poids vif (Figure 12). Quelques exemples de types d'injection furent cités comme suit, les doses étant données par kilogramme de géniteur femelle: i) carpes herbivores, c. argentées et c. marbrées: 4 mg d'hypophyse déshydratée de carpe commune (HDCC); ii) carpes marbrées et c. argentées: 1 100 unités internationales HCG; iii) carpes de vase: 3,5 mg HDCC; et iv) carpes herbivores: 0,01 mg LRH-A.

Au centre d'alevinage de Hengjiang (Guangdong), une démonstration fut faite de la préparation de géniteurs de carpes de vase. Après le choix des géniteurs (maturité; condition; sex ratio 1:1), une première injection est donnée aux femelles et les géniteurs sont stockés en filet dans un étang de transit. Après 8 heures, une seconde injection est donnée aux femelles et une première injection aux mâles. Les géniteurs ainsi préparés sont alors placés dans l'étang frayère (Figure 13).

5.1.3 Reproduction des géniteurs

Jusqu'en 1963, la production d'oeufs fécondés se faisait uniquement par fécondation artificielle d'ovules extraits manuellement par le stripping de femelles (Figures 14 et 15). Cette méthode est encore utilisée actuellement, comme par exemple à l'écloserie de la ferme d'Etat de Baitan Hu. Depuis 1964 cependant, l'on prèfère généralement la fécondation naturelle en étangs frayères (Figure 13).

Cette dernière méthode fut démontrée au Centre d'alevinage de Hengjiang (Guangdong) pour la carpe de vase. L'étang frayère cimenté, de forme ovale, y contenait 69 m3 d'eau et 230 géniteurs de chacun des sexes. Environ six heures après la seconde injection, les femelles pondèrent (à l'aube de préférence) et la fertilisation des ovules se réalisa simultanément par les mâles présents. Environ 30 minutes après cette ponte, les oeufs (pélagiques) furent collectés en aval de l'étang frayère dans une enceinte en filet fin (Figure 16). tandis que les géniteurs étaient pêchés et remis dans leur étang de stockage. La quantité d'oeufs gonflés récoltée s'éleva à 32 seaux de 9 litres chacun, soit 288 litres d'oeufs. Pour la carpe de vase le nombre d'oeufs gonflés par litre étant en moyenne de 63 000, la récolte totalisa plus de 18 millions d'oeufs.

En d'autres écloseries, le transfert des oeufs fécondés peut se faire automatiquement de l'étang frayère aux bassins d'incubation par un système de vannes et tuyaux, avant ou après leur gonflement (Figure 13).

La fécondité des carpes chinoises est relativement élevée (Tableau 18). En moyenne, elle s'élève à environ 50 000 ovules/kg de femelle, sauf pour la carpe de vase (100 000/kg) et la carpe noire (25–30 000/kg). Le taux de fécondation varie en général aux environs de 80 pour cent.

Figure 11

Figure 11. Un géniteur de carpe argentée est sélectionné de l'étang de stockage et placé dans un sac de toile pour son transfert vers l'étang frayère (Photo F. Botts)

Figure 12Figure 13
Figure 12. Le géniteur sélectionné est pesé afin de déterminer la dose d'hormone nécessaire à sa maturation finale (Photo F. Botts)Figure 13. Etang-frayère et bassins d'incubation circulaires (arrière-plan), comprenant un système de transfert automatique des oeufs. IPA du Zhu Jiang, Guangzhou, Guangdong (Photo F. Botts)
Figure 14

Figure 14. Stripping d'une femelle mature en vue de pratiquer la fécondation artificielle (Photo F. Botts)

Figure 15

Figure 15. La laitance mâle est recueillie à l'aide d'une seringue pour être ensuite utilisée pour la fécondation artificielle des ovules femelles (Photo F. Botts)

Figure 16

Figure 16. Récolte des oeufs après leur ponte et fécondation en étang -frayère. Centre d'alevinage de Hengjiang, Guangdong

Tableau 18

FECONDITE POTENTIELLE ET REELLE DES CARPES CHINOISES
(D'APRES ANON., 1980, p.22)

EspèceOvocytes N moy./kgRapport gonadosomatique1 %Ovules obtenus en propagation artificielleGrandeur des oeufs avant gonflement
N moy./kgN max./kgN/gN/ml
C. herbivore120 00017,147 700103 000700–750650–700
C. marbrée124 00017,858 800  77 600650–700600–650
C. argentée141 00020,151 800  75 400700–750650–700
C. de vase240 00016,0100 000+ 1 500 
C. noire65 00010,825–30 000   

1 RGS = (poids des ovaires × 100): poids corporel

5.1.4 Incubation et éclosion des oeufs fécondés

L'incubation des oeufs se fait soit en bassins circulaires cimentés (Figures 13, 17 et 21), soit en jarres (Figures 18 et 19), en présence d'eau courante qui leur permet de rester en suspension. La période d'incubation varie principalement avec la température de l'eau, une température relativement élevée accélérant le développement de l'embryon. Par exemple, pour la carpe argentée, il faudra 61 h d'incubation à 18°C, 35 h à 22°C et 18 h à 28°C. La température de l'eau doit être relativement stable et comprise entre 18o et 31°C, l'optimum se situant entre 22o et 28°C pour les carpes chinoises en général.

A Hengjiang (Figure 17), le groupe d'étude a pu observer l'incubation des oeufs en bassin circulaire (diamètre 2,90 m; profondeur d'eau 0,8 m; volume 4,6 m3) dans lesquels un courant d'eau était entretenu (3 tours/min). Construit en brique, pierre et ciment, ce type d'incubateur permet le développement de 700 000–800 000 oeufs/m3, le taux d'éclosion atteignant en moyenne 80 pour cent.

A l'écloserie de la ferme d'Etat de Baitan Hu par contre, l'incubation peut également se faire en jarre de terre cuite. Chaque jarre, d'une capacité de 150 litres, contient 150 000–200 000 oeufs maintenus en mouvement par un courant d'eau vertical. Un tamis fixé à la partie supérieure empêche les oeufs d'être emportés. Cette méthode est réservée à des productions de larves à plus petite échelle. La Brigade de Production “Octobre” (District de Xishui, Hubei) possède une écloserie de ce type (15 jarres de 200 litres chacune) et produit ainsi 8 millions de larves chaque année (Figure 18).

Après leur éclosion, les larves sont en général maintenues en incubateur jusqu'à la formation de leur vessie natatoire et même jusqu'à la résorption de leur sac vitellin. Elles nagent alors librement et sont récoltées et transportées vers les étangs de premier alevinage. A 26°C et pour la carpe herbivore, cette période en incubateur peut ainsi s'étendre jusqu'à 110 h, soit 4–5 jours.

Cependant lorsque les larves sont destinées à la vente en dehors de l'exploitation, comme par exemple au Centre d'alevinage de Hengjiang (Guangdong), les larves récoltées peuvent être stockées pour quelques jours dans un filet-cage placé en étang (Figure 20) et dans lequel une certaine alimentation naturelle est disponible. Des alevins de huit jours (6+ mm) sont ainsi produits et distribués (Section 13.1.1).

5.2 LE PREMIER ALEVINAGE DES CARPES CHINOISES1

Le premier alevinage consiste à produire des alevins de 2–3 cm de long (0,5 g en moyenne), au départ de larves âgées de quelques jours. Cet élevage se fait généralement en monoculture, en petits étangs d'environ 200 m2 ayant une profondeur d'eau de 1 m à 1,5 m2.

Avant l'empoissonnement, l'étang est nettoyé, désinfecté (Section 6.6.4) et fertilisé. La fertilisation est considérée comme très importante pour la réussite future de l'élevage. Elle combine l'application de “tatsao” (mélange de diverses plantes herbacées, tendres et facilement putrescibles), de compost (mélange 1:1 de matière végétale et engrais organique avec 1 pour cent de chaux vive, utilisé après putréfaction) et d'engrais minéraux (sulfate d'ammonium ou urée et superphosphate de calcium). Cette fertilisation a pour but essentiel de favoriser le développement adéquat des organismes planctoniques préférés par les jeunes alevins de l'espèce de carpe chinoise élevée dans l'étang. En effet, cette spécialisation alimentaire varie d'une espèce à l'autre et évolue graduellement au cours du premier alevinage (Tableau 6).

1 Sujet traité en détail par Pagán-Font et Zinet (1980b)

2 Voir aussi la méthode d'élevage polyéquienne (Section 6.1.4)

Figure 17

Figure 17. Bassins circulaires pour l'incubation et l'éclosion des oeufs. Centre d'alevinage de Hengjiang, Guangdong

Figure 18Figure 18

Figure 18. Ecloserie rustique avec des jarres d'incubation en terre cuite. Détails du tamis supérieur et de l'alimentation en eau. Brigade de production “Octobre”, District de Xishui, Hubei

Figure 19Figure 20
Figure 19.Jarre d'incubation en ciment. Capacité de 500 litres et 800 000 à 1 million d'oeufs. Centre piscicole du District de Qingpu, ShanghaiFigure 20.Cage de stockage des jeunes alevins avant leur transport. Centre d'alevinage de Hengjiang, Guangdong
Figure 21

Figure 21. Examen des oeufs en cours d'incubation dans un bassin circulaire à deux compartiments (Photo F. Botts)

Le degré de fertilité de l'étang est jugé principalement sur la base de la coloration de son eau qui doit de préférence être brun verdâtre à vert brunâtre. Cependant l'on utilise aussi à cet effet de jeunes carpes marbrées (par exemple 2 250 à 3 000 ind. de 20 cm/ha) dont la fréquence modérée de remontée à la surface tôt le matin indique une fertilité adéquate. Ces carpes marbrées ont également l'avantage de s'alimenter de macrozooplancton (e.g., cladocères), défavorables à la bonne croissance des jeunes alevins. Elles sont pêchées de l'étang avant son empoissonnement de premier alevinage.

Le taux de mise en charge d'un étang de premier alevinage dépend de sa fertilité, de sa profondeur et des conditions locales de climat, d'alimentation, etc. En général, il s'élève à 150–225 ind./m2 pour les carpes herbivores, c. marbrées et c. argentées ou à 450–600 ind./m2 pour les carpes de vase.

En cours d'élevage, l'alimentation varie selon l'espèce et la région. Elle peut être basée sur l'application régulière de tatsao, avec ou sans alimentation supplémentaire. Cette dernière consiste par exemple en tourteau d'arachide, farine de maïs ou son de riz (Guangdong) et en une pâte à base de tourteau de soja ou de noix de coco (Shanghai). La ration journalière varie alors de 1 à 4 pour cent de la biomasse présente.

Au cours du premier alevinage, la croissance des alevins est en moyenne de 0,01–0,02 g/ jour. Elle varie cependant selon l'âge et l'espèce. Pour les alevins de moins de 6–8 jours d'âge, le taux de croissance journalier est comparativement le plus élevé chez la carpe herbivore, diminuant légèrement pour la carpe marbrée et la carpe argentée. Par contre, au-delà de 6–8 jours, les espèces se classent de ce point de vue en ordre inverse (carpe argentée > c. marbrée > c. herbivore), jusqu'à l'âge de 30 jours environ.

Les alevins atteignent la taille de 2–3 cm en moins d'un mois. Par exemple, à la Commune populaire de Leliu (Guangdong), le premier alevinage dure 25–30 jours; à la ferme d'Etat de Baitan Hu (Hubei), il ne faut que 15 jours (alimentation au lait végétal de soja) tandis qu'aux environs de Shanghai, l'on compte 20–25 jours. La mortalité au cours de cette période atteint 20–40 pour cent, étant relativement moindre pour la carpe herbivore.

Avant le transfert des jeunes alevins vers d'autres étangs, leur condition physique est graduellement améliorée, en les seinant deux ou trois fois et en les habituant à de fortes densités en filet-cage (Figures 22 et 23). Finalement, ils y sont rassemblés, triés par tailles et stockés en attendant leur transfert (Figures 24, 25 et 26).

5.3 LE SECOND ALEVINAGE EN ETANGS1

Le second alevinage consiste à produire des alevins d'empoissonnement destinés à la production de poissons de consommation. Les jeunes alevins de 2–3 cm y croissent jusqu'à la taille de 12–30 cm, sauf pour la carpe de vase (6–8 cm)2. En fonction de cette taille finale, le déroulement du second alevinage varie donc d'une région à l'autre. Par exemple, à la Commune populaire de Leliu (Guangdong), il se décompose en trois périodes distinctes comme suit: (II A) les tailles passent de 3+ à 6 cm en moyenne, en 30 jours; (II B) de 6 à 10 cm en 30 jours; et (II C) de 10 à 20 cm en 40 jours, ce qui permet de produire les grands alevins désirés en 100 jours. Par contre, à la ferme d'Etat de Baitan Hu (Hubei), des alevins de 16 cm sont produits en 150 jours.

Les étangs de second alevinage sont semblables à ceux du premier alevinage. Ces derniers sont d'ailleurs couramment utilisés après vidange, pour la production de plus grands alevins. Avant d'ètre empoissonnés, les étangs choisis sont nettoyés, désinfectés et fertilisés, comme pour le premier alevinage (Section 5.2).

1 Voir aussi Pagán-Font et Zinet (1980b)

2 Voir aussi la méthode d'élevage polyéquienne (Section 6.1.4)

Figure 22

Figure 22. Cage de capture et de stockage placée dans l'étang d'alevinage (Photo F. Botts)

Figure 23

Figure 23. Les alevins de l'étang sont rassemblés par seinage dans la cage de stockage. Ils y sont conditionnés soit avant leur transfert en fin de premier alevinage, soit mensuellement en cours de second alevinage (Photo F. Botts)

Figure 24

Figure 24. Les alevins sont triés par catégories de taille, en utilisant des paniers de bambou tressé à intervalles fixes (Photo F. Botts)

Figure 25

Figure 25. Les alevins triés et comptés sont tranferés vers les étangs de second alevinage (Photo F. Botts)

Figure 26

Figure 26. Le déversement des alevins en étang de second alevinage (Photo F. Botts)

L'on peut pratiquer soit la monoculture, soit la polyculture de deux à trois espèces différentes. La monoculture est généralement préférée pour la production d'alevins de 6 cm. Cependant, au-delà de cette taille, elle permet de plus fortes densités d'empoissonnement et de plus courtes périodes d'élevage que la polyculture. Elle est donc préférée à celle-ci si l'on veut soit augmenter la cadence d'utilisation des étangs disponibles, soit répondre à une plus grande demande d'alevins d'empoissonnement. Par contre, la polyculture permet une utilisation plus complète de l'alimentation naturelle. Sa durée étant plus longue, elle permet aussi de retarder la production de grands alevins jusqu'à une saison plus favorable, par exemple, pour des mises en charge effectuées après juillet, jusqu'au printemps suivant. Dans ce but d'ailleurs, c'est en général la combinaison des deux types de culture qui est successivement adoptée dans les fermes piscicoles chinoises, en fonction des circonstances.

Les taux de charge sont très variables pour des raisons semblables. A titre d'exemples, les Tableaux 19 et 20 présentent quelques-unes des possibilités, respectivement en monoculture et en polyculture (Anon., 1980). Pour cette dernière, le choix des différentes espèces (trois au maximum) est basé sur leur régime alimentaire (Tableau 6). Par exemple, la carpe herbivore peut être élevée en mélange soit avec la carpe argentée, la carpe marbrée, ou la carpe de vase, soit avec la carpe marbrée et la carpe de vase, parce que les régimes alimentaires se complètent. Par contre, la carpe marbrée et la carpe argentée sont rarement élevées ensemble, parce qu'il existerait alors dans l'étang un certain degré de compétition pour la nourriture naturelle présente.

En cours d'élevage, la distribution régulière d'une alimentation supplémentaire est indispensable. Elle peut inclure, suivant les conditions locales, des plantes aquatiques (e.g., Wolffia sp., Lemna minor, Vallisneria sp., Hydrilla sp., Potamogeton sp.) et des plantes terrestres tendres (pour les carpes herbivores), ainsi que des sous-produits agricoles végétaux (e.g., tourteaux et sons divers; lies de vin, de sucre et de soja) et animaux (e.g., pupes de vers à soie, mollusques, moules, farine de poisson). Une forte densité d'organismes planctoniques est maintenue par une fertilisation organique régulière (e.g., tatsao et compost). Les rations journalières d'aliments sont ajustées en fonction de la température de l'eau. Elles sont plus élevées en présence de températures optimales (25o–32°C) et proportionnellement réduites lorsque de moins bonnes conditions prévalent (températures plus fraîches; déficience en oxygène dissous).

Tableau 19

SECOND ALEVINAGE MONOCULTURAL EN ETANG, PROVINCE GUANGDONG
(D'APRES ANON., p. 63)

Espèce de carpe chinoiseMise en chargeDurée d'élevage, joursTaille à la récolte, cm
Taille, cmTaux, ind./m2
Herbivore3,030204,8
 4,86206,0
 4,87,5–9,0120–150
(sept.-janv.)
 9–12
Argentée3,03020–506–9,5
 6–9,51,2–1,530–4012–20
 3,045120–180
(juill.-nov. ou janvier)
8–8,5
Marbrée322–30306
 66–93012
 324120–180
(juill.-nov. ou janvier)
9
de vase3,041305,8
 5,813,5507,5
 3,067,5260–280
(juill.-avr.)
7–7,5
 3,0180280–300
(mai-mars)
4–6

Tableau 20

SECOND ALEVINAGE POLYCULTURAL EN ETANG, PROVINCE GUANGDONG
(D'APRES ANON., 1980, p. 64)

Espèce de carpe chinoiseMise en chargeDurée d'élevage, joursTaille à la récolte, cm
Taille, cmTaux, ind./m2
Herbivore8,04,5190–210
début juillet à janvier
12–16
 Marbrée4,522,5  7,8–8,5
Herbivore8,05,4175–19512–16
   mi-juillet à janvier 
Marbrée4,53 14–20
Herbivore67,5190–2109–12
   début juillet à janvier 
Argentée537,5 8–9
Herbivore85,4175–19516–20
   mi-juillet à janvier 
Argentée54,5 20
Herbivore4,84,5250–2709–10
   début juillet à mars 
de vase3,0105–150 3,9–5,8

En cours d'élevage, les travaux de gestion se concentrent sur la surveillance des étangs et de la qualité de l'eau, l'alimentation et la fertilisation, la stérilisation des mangeoires, la prévention/traitement des maladies, et le contrôle des prédateurs. De plus, les alevins sont rassemblés mensuellement par seinage pour améliorer leur condition physique et, simultanément, pour les trier et transférer les moins forts d'entre eux vers un autre étang (Figures 22 à 26). Une attention particulière est donnée à l'hivernage des carpes de vase, plus sensibles aux basses températures.

Au cours du second alevinage en étang, le taux de mortalité est assez élevé, bien qu'il diminue au fur et à mesure de la croissance des alevins. Par exemple, pour la carpe herbivore, il peut s'élever successivement à 20% (3–4, 8 cm), 15–20% (4,8–8 cm) et 10% (8–16 cm), soit une mortalité totale de 45–50% (3–16 cm). Cette mortalité peut même devenir légèrement supérieure lorsque les jeunes alevins doivent hiverner jusqu 'aux empoissonnements printaniers.

Le taux de croissance varie selon l'espèce considérée. Il atteint en moyenne les valeurs suivantes (en g/jour): carpe marbrée, 6,3; carpe herbivore, 6,2; carpe argentée, 4,2; carpe de vase, 0,1 (Anon., 1980).

Une méthode originale pour la production d'alevins d'empoissonnement de carpes marbrées et de carpes argentées a été mise au point à la ferme d'Etat de Baitan Hu (Hubei). Chaque année, avant mai, une variété de riz précoce et à haute tige est repiquée dans les étangs destinés au second alevinage de ces deux espèces (Figure 27). Vers le 10 juillet, le riz atteint environ un mètre de haut et ses grains, bien formés, ont cependant encore une consistance laiteuse. Les poissons sauvages présents sont éliminés à l'insecticide. Le riz est submergé. L'étang est fertilisé et mis en charge avec des alevins de 6 cm en moyenne. Jusqu'au 15 septembre ces alevins se nourrissent du plancton et des grains de riz, quelques aliments supplémentaires étant ensuite distribués jusqu'à la récolte. Celle-ci se fait à la mi-novembre, après environ quatre mois d'élevage et lorsque les alevins atteignent en moyenne 17 cm. Cette méthode permet d'épargner par exemple 200 kg de tourteaux de soja par 10 000 alevins, dont le prix de revient est ainsi réduit de près de 50 pour cent. Le seul danger réside dans une déficience possible en oxygène dissous provoquée par la putréfaction des chaumes de riz, ce qui nécessite une bonne surveillance de l'alimentation en eau des étangs et, si nécessaire, l'utilisation d'aérateurs à aubes au cours des périodes critiques.

Figure 27

Figure 27. Culture intermédiaire de riz sur le fond de l'étang de second alevinage. Ferme d'Etat de Baitan Hu, Hubei

5.4 LE SECOND ALEVINAGE EN CAGE FLOTTANTE

Le groupe d'étude a eu l'occasion d'observer la production d'alevins d'empoissonnement en cages flottantes placées soit dans des réservoirs (Bailianhe, Hubei et Qingshan, Zhejiang - Tableau 35), soit dans les chenaux navigables du District Shaoxing, Zhejiang. Les trois élevages sont comparés au Tableau 21 qui résume leurs principales caractéristiques.

Dans les réservoirs (Figure 28), la production consiste en alevins d'empoissonnement soit pour d'autres cages flottantes (10–13 cm; 20–25 g), soit pour la pisciculture extensive dans le réservoir lui-même (200 g). Dans les chenaux (Figure 29), les alevins produits sont aussi relativement grands (150 g) et servent à l'empoissonnement des sections aménagées de chenaux navigables (Section 8.2). Cette dernière production par exemple, expérimentée avec succès en 1978 (10 cages soit 660 m2) et en 1979 (222 cages soit 14 652 m2), devait atteindre l'échelle pilote en 1980 avec l'utilisation de taux de charge plus élevés.

5.5 LE SECOND ALEVINAGE EN ENCLOS PISCICOLE

Au Réservoir de Qingshan (Zhejiang), des alevins servant à l'empoissonnement du plan d'eau sont produits dans un enclos piscicole (Figure 30). Celui-ci consiste en une baie d'environ 1,6 ha de superficie, fermée par une barrière de filet. La partie inférieure de celle-ci est maintenue contre le fond du réservoir par une chaîne et des blocs de béton. Sa partie supérieure est fixée à des pontons flottants et émerge d'environ 0,8 m. Les mailles de ce filet-barrière ont 7,5 mm de côté. La profondeur de l'eau varie saisonnièrement et peut atteindre 6 m au maximum.

Chaque année, au printemps, l'enclos est stocké avec des alevins de taille moyenne (13 cm/20–25 g) de carpes marbrées et de carpes argentées, à la densité de 150 000–225 000/ha. Après 250 jours d'élevage, dont une saison hivernale, l'enclos contient en moyenne et par hectare 125 000–190 000 alevins pesant chacun 200–250 g. La barrière est alors ouverte et ces poissons s'échappent dans le réservoir proprement dit.

La gestion de cet élevage comprend l'entretien de la barrière (réglage de sa hauteur; nettoyage une fois par semaine, sur le premier mètre sous eau), la fertilisation organique et l'alimentation supplémentaire (par exemple son de riz et tourteau de soja).

Au départ d'un stock de 3 750 kg/ha, la récolte s'élève à près de 35 500 kg/ha, ce qui représente une production d'environ 31 800 kg/ha. Il s'agit donc lá d'un type d'élevage très productif et qui mériterait d'être plus largement appliqué.

Tableau 21

QUELQUES EXEMPLES DE SECOND ALEVINAGE POLYCULTURAL EN CAGES FLOTTANTES

LieuRéservoir de Bailianhe, HubeiRéservoir de Qingshan Hangzhou, ZhejiangChenaux navigables du District de Shaoxing, Zhejiang
1.Cages d'élevage- cages flottantes - cages flottantes- cages fixes
 - 28–32 m2 × 2 m = 56–64 m3
  (mailles: 0,5–1,5 cm)
- 100–169 m2 × 2 m = 200–338 m3
  (mailles: 1–1,5 cm)
- 66 m2 × 2 m = 132 m3
      
2.Mise en charge    
 Taille/poids indiv.3 cm/0,5 g 10–13 cm/20–25 g10–15 cm/15 g
 Densité, indiv./m2300–450 12025–40
 Taux, kg/m30,075–0,115 1,50,18–0,30
 Espèces en polycultureC. argentée  85%C. argentéeC. argentée 70%
  C. marbrée  10%C. marbréeC. marbrée5%
  C. herbivore et C. noire 4%C. herbivore (peu)C. herbivore10%
  Brème de Wuchang  1% Brème de Wuchang15%
      
3.Alimentationnaturelle naturelle (+ supplément si plancton insuffisant)lie de vin, tourteaux, soja, son riz
      
4.Mortalité25–35% (fuites, blessures)10% pour carpe argentée et C. marbrée; 30–40% pour carpe herbivoremax. 20% pour carpe argentée et C. marbrée; entérite chez carpe herbivore
5.Durée d'élevage2 mois environ 8 mois7–8 mois
      
6.Récolte    
 Taille/poids indiv.13 cm/25 g 25 cm/200 g25 cm/200 g
 Densité, indiv./m2225–300 90–10020–35
 Taux, kg/m32,8–3,8 9–102,0–3,5
      
7.Production    
 Elevage, kg/m32,7–3,7 7,5–8,51,8–3,2
 Mensuelle, kg/m31,35–1,85 0,94–1,060,26–0,46

Figure 28

Figure 28. Séries de cages flottantes pour la production d'alevins d'empoissonnement. Réservoir de Qingshan, Zhejiang

Figure 29

Figure 29. Séries de cages fixes pour la production d'alevins d'empoissonnement. Chenaux navigables du District de Shaoxing, Zhejiang

Figure 30

Figure 30. Second alevinage en enclos piscicole, dans une baie du Réservoir de Qingshan, Zhejiang. Vue de la baie et de la clôture isolant celle-ci.


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