2 - Principaux facteurs entravant ou facilitant la mise en valeur des PFNL


2.1 Facteurs entravant la mise en valeur
2.2 Facteurs encourageant la valorisation des PFNL
2.3 Problèmes de commercialisation


2.1 Facteurs entravant la mise en valeur


La mise en valeur des PFNL a été entravée par un certain nombre de facteurs, dont certains sont d'origine sociale ou politique.

2.1.1 Souvent, les préjugés des fonctionnaires du gouvernement et de la population en général dans les pays en développement favorisent les produits de type occidental au détriment de produits locaux. Les produits d'origine sauvage sont soit socialement inacceptables, soit considérés comme technologiquement inférieurs parce qu'ils ont été utilisés par des populations ancestrales moins avancées (Sène 1985). Ces préjugés peuvent persister même lorsque le produit de type occidental est à l'évidence non approprié au point de vue écologique ou autre. Cette évolution des goûts et préférences est particulièrement marquée pour les produits alimentaires.

On pourrait s'efforcer, grâce à un programme de formation utilisant des médias, de surmonter ces préjugés et de susciter une fierté nationale inspirée par l'utilisation des ressources naturelles. La fixation de prix compétitifs et le contrôle de la qualité sont également des facteurs importants pour maintenir l'acceptation des produits naturels.

2.1.2 Le personnel du Gouvernement hésite souvent à prendre la responsabilité d'efforts en faveur de domaines apparemment peu prioritaires pour l'économie nationale. Bien que les PFNL pris individuellement n'apportent dans bien des cas qu'une contribution minime, ils jouent souvent ensemble un rôle important dans l'économie rurale et peuvent améliorer sensiblement les recettes d'exportation. Cependant, lorsqu'on en établit le coût individuel, on peut aussi s'apercevoir qu'ils demandent des efforts disproportionnés de mise en valeur et de commercialisation.

Il faut souligner l'amélioration de l'évaluation des avantages sociaux et économiques que les communautés rurales et les industries peuvent tirer d'une meilleure utilisation des PFNL, de même que le renforcement des institutions et entreprises rurales décentralisées.

2.1.3 Les fonctionnaires de l'Etat et les communautés urbanisées peuvent mésestimer l'importance des PFNL pour la population rurale. Les plans et projets de développement qui intéressent ces produits et ressources peuvent être conçus sans que les communautés rurales intéressées ne soient consultées, ce qui peut entraîner le rejet des mesures à prendre.

Les avantages des PFNL pour les communautés rurales et la nécessité de faire participer ces dernières et de les consulter suffisamment doivent être soulignés avant le lancement de tout projet.

2.1.4 Les agents de terrain et les chercheurs ont, les uns comme les autres, des préjugés concernant la recherche et la mise en valeur de ce qui pourrait être considéré comme des produits naturels mineurs ne demandant qu'une analyse simple. Les chercheurs des pays en développement qui ont reçu une formation supérieure dans des pays occidentaux trouvent souvent humiliant d'entreprendre des recherches relativement peu complexes, souvent simplement fondées sur une observation et une sélection intelligentes plutôt que sur le génie génétique. La principale exception à cette généralisation est la recherche de nouveaux produits biochimiques, qui demande une sélection scientifique difficile, ainsi que des observations ethnographiques appropriées.

Le souci croissant de la communauté internationale relatif à la biodiversité et à la protection des réserves génétiques menacées peut inciter les chercheurs à être plus fiers des ressources naturelles de leurs pays et à se rendre compte de leur valeur pour la communauté. Cette fierté devrait être stimulée par une formation et une vulgarisation forestières dispensées par les médias.

2.1.5 On ne dispose pas de renseignements fondamentaux détaillés sur les ressources disponibles, les rendements, la qualité, la préparation et l'utilisation de la plupart des PFNL et sur leur importance dans l'économie rurale locale, sans parler de la prise en compte de leur valeur potentielle pour l'économie nationale.

Il faudrait encourager la création de banques de données sur les ressources naturelles, être attentif à la collecte d'informations pour une évaluation appropriée de leur rôle économique, et aider à la mise en valeur durable de ces ressources.

2.1.6 Il arrive qu'on ne mesure pas tout le potentiel d'un produit, souvent du fait d'un échange insuffisant de connaissances entre pays, pour des raisons linguistiques ou politiques. Par exemple, bien que le baobab soit répandu dans toute l'Afrique, les populations des divers pays où on le trouve connaîtraient probablement moins d'une douzaine d'utilisations de ses produits. Et pourtant, lorsqu'on envisage ces utilisations dans toute l'aire de distribution de cet arbre, on en dénombre plus de cinquante.

Les baobabs fournissent des aliments et de l'ombre

Il est sans aucun doute nécessaire de multiplier et de mieux répartir les monographies concernant les essences potentiellement utiles; pour y parvenir, on peut recruter des spécialistes sous contrat, mais les projets peuvent comporter des activités d'information du public et de vulgarisation, de démonstration et d'échange afin de surmonter cet obstacle.

2.1.7 Rares sont les établissements d'enseignement qui dispensent une formation en matière de PFNL, de plantes d'importance économique ou d'ethnobotanique. Ce sont des domaines multidisciplinaires, qu'il est indispensable de connaître pour tout programme de développement intéressant les PFNL.

Il faudrait envisager un programme de formation au sein des établissements d'enseignement et des cours de formation de brève durée à l'intention des forestiers responsables et des planificateurs du développement rural.

2.1.8 Les sources d'information sur les PFNL dans les pays en développement sont généralement insuffisantes. Même lorsqu'il existe des revues, très peu sont consacrées en particulier aux PFNL3. On trouve des articles dans un très grand nombre de publications, de sorte qu'il faut les consulter dans les principales bibliothèques de sciences biologiques lorsqu'on cherche des renseignements4.

3Les principales revues consacrées aux végétaux sont: Economic Botany. Journal d'agriculture traditionnelle et botanique appliquée, et Travaux d'ethnobotanique et d'ethnozooloqie; d'autres revues, telles que A Ouarterly Journal of Natural Products (qui portait auparavant le titre de Lloydia) et le Journal of Ethnopharmacologv, sont consacrées aux plantes médicinales.

4On trouvera d'autres références sur les PFNL dans Wickens (1990).

Les ouvrages disponibles sont en grande partie consacrés aux plantes qui sont ou seront bientôt exploitées au plan commercial. Cependant, d'importantes études consacrées à une essence ou à un thème ont été publiées sous forme de monographies ou de rapports par la FAO, le CIRP, l'ONUDI, l'OMS, le CIPEA, le CIRAF, le GTZ, l'Académie nationale des sciences des Etats-Unis, etc. Il existe plus de documents sur la faune sauvage, qui intéresse davantage le public, que sur les plantes.

Il faudrait encourager la préparation de manuels régionaux et/ou nationaux. Les cadres des pays en développement devraient être informés de l'existence de services de résumés destinés exclusivement aux pays en développement, qui peuvent faciliter l'accès aux textes non durables (littérature "grise") sur les PFNL, par exemple l'ILEIA, l'ODI et le Social Forestry Network, etc.

2.1.9 L'utilisation des PFNL a été en grande partie prédéterminée par les modes antérieurs d'exploitation coloniale, remontant à l'époque où de nombreux pays tropicaux étaient gouvernés par l'Europe. Dans les divers systèmes coloniaux, seules quelques essences importantes étaient choisies pour l'exportation et déterminaient ainsi les cultures et les politiques de recherche.

Dans certains cas, les avantages commerciaux tirés de ces cultures étaient dus à la quantité disproportionnée de recherches dont elles bénéficiaient par rapport à des cultures moins répandues ayant un potentiel analogue, voire supérieur.

La réorientation des ressources de la recherche en faveur des produits sous-exploités qui ont un potentiel prometteur peut apporter des avantages économiques importants, mais elle peut exiger un engagement à long terme.

2.1.10 La relative prospérité du début des années 60 a eu pour effet d'écarter de nombreux PFNL traditionnels, par exemple des pesticides végétaux, en faveur de produits de type occidental (voir 2.1.1 plus haut). Il est possible que la génération qui en connaissait l'usage ait disparu sans transmettre ses connaissances. En outre, une bonne partie des informations pertinentes qui ont été consignées par écrit pendant la période coloniale ne sont plus directement accessibles dans le pays intéressé, mais on peut souvent les consulter dans l'ancienne puissance coloniale.

Les informations conservées par la métropole doivent être retrouvées et mises à la disposition des pays intéressés. Il faudrait également s'efforcer de mettre par écrit et de documenter les usages traditionnels que connaissent les anciennes générations avant que leurs connaissances ne soient définitivement perdues.

2.1.11 Des utilisations potentielles des PFNL ont parfois été écartées, soit parce que la technologie appropriée n'était pas disponible, soit parce que le climat économique n'était pas propice. Dans d'autres cas, lorsque l'essence avait été introduite, la provenance appropriée n'avait pas été choisie. Malheureusement, ces échecs découragent généralement de nouvelles initiatives, les intéressés tenant à conserver une bonne réputation.

Les utilisations écartées doivent être réexaminées compte tenu des critères actuels de viabilité technique et économique.

2.1.12 L'utilisation de PFNL peut, dans certains pays, être compromise ou empêchée par une législation forestière restrictive, qui va parfois jusqu'à interdire la récolte du bois mort, des fruits sauvages, etc.

Cette législation restrictive doit être modifiée. Il faudrait évaluer les possibilités de conflit entre le droit coutumier et les tabous, d'une part, et la législation officielle, d'autre part.

2.1.13 Les forces du marché mondial ont encouragé une concentration accrue sur un nombre limité de matières premières, les opérateurs étant convaincus que l'uniformité est plus efficace que la diversité. Cela incite de plus en plus les pays en développement à se concentrer sur les produits de base.

Heureusement, on prend de plus en plus conscience des dangers inhérents à l'utilisation de matériel génétique restreint et à la monoculture. Il reste néanmoins nécessaire de poursuivre cette sensibilisation grâce à l'enseignement et aux médias.

2.1.14 On ne se rend généralement pas compte que les PFNL exigent une approche pluridisciplinaire de biologistes et de spécialistes des sciences sociales5. Quant aux paléo-chercheurs et aux historiens, ils ont aussi un rôle à jouer. Par exemple, la redécouverte de l'utilisation de la pénicilline par Fleming au début du siècle aurait pu être faite beaucoup plus tôt si on avait été plus attentif aux écrits de l'Egypte pharaonique, qui font état de l'utilisation d'une moisissure de type pénicilline.

5Voir à l'Annexe A la fonction et l'interaction de certaines des disciplines qui pourraient contribuer à la valorisation des produits végétaux.

Les programmes de formation doivent être renforcés et il faut encourager la multiplication des échanges entre spécialistes des sciences sociales et spécialistes des sciences biologiques. En outre, il faudrait donner aux industriels et aux chefs d'entreprises davantage accès à l'information sur les possibilités de commercialisation de nouveaux produits forestiers.

2.2 Facteurs encourageant la valorisation des PFNL


La valorisation des PFNL dans les pays en développement a été principalement favorisée par la détérioration des facteurs économiques intérieurs et extérieurs et par les efforts faits pour conserver les forêts tropicales et la biodiversité.

2.2.1 La détérioration de la situation économique intérieure et les crises de la balance des paiements ont fait que de nombreux pays en développement ne peuvent plus se permettre certaines importations et ont dû envisager de puiser davantage dans leurs propres ressources naturelles. Les pesticides de synthèse sont un exemple de produit importé coûteux qu'il faut maintenant remplacer par des pesticides locaux d'origine végétale (voir 2.1.10 plus haut).

Il faudrait encourager les programmes de formation des forestiers nationaux aux possibilités de valorisation des produits. Par exemple, le Département des forêts de la Zambie a, après avoir reçu une formation aux jardins botaniques royaux de Kew, constitué une banque de données sur les PFNL afin de favoriser leur utilisation.

2.2.2 Certaines administrations nationales se rendent de plus en plus compte que le bien-être d'une partie des communautés locales dépend des ressources forestières non ligneuses et que l'utilisation de ces ressources peut en améliorer régulièrement le niveau de vie.

Il faudrait faire connaître au grand public des cas de réussite pour encourager la valorisation de ces produits.

2.2.3 Le mouvement des Verts crée de nouveaux débouchés dans les pays occidentaux, notamment donnant naissance à une demande de produits pharmaceutiques à base d'herbes se substituant aux produits de synthèse. Les récents efforts faits pour établir un lien entre les ventes de produits forestiers et la conservation des forêts ombrophiles ont stimulé la demande et relevé les prix de certains produits. Les profits sont réinvestis dans des projets de développement communautaire par des groupes tels que Cultural Survival, the Body Shop, Conservation International, etc. (mai 1990).

Il faut identifier et améliorer ces possibilités.

2.2.4 De nouveaux marchés "ethniques" sont parfois créés par des populations émigrées, par exemple la communauté juive marocaine qui s'est installée en Israël; sa préférence pour l'huile tirée d'Argania spinosa, qui pousse spontanément au Maroc, a stimulé son introduction pour l'acclimatation en Israël.

Il faut identifier et satisfaire ces demandes.

2.2.5 La recherche incessante de nouveaux produits biochimiques pour les laboratoires pharmaceutiques et l'industrie a été stimulée par la nécessité urgente de mettre au point un traitement du SIDA. Les médicaments anticancéreux et la nécessité de trouver des produits stratégiques de remplacement du caoutchouc et de l'huile de blanc de baleine font partie de programmes de recherche en cours depuis des dizaines années.

Il est recommandé de renforcer les institutions nationales dans les pays en développement de manière qu'elles puissent participer à la recherche de nouveaux produits chimiques et pharmaceutiques et tirer profit de leur valorisation. Cette participation devrait assurer des droits de propriété intellectuelle et de provenance et permettre la fixation de normes pour le versement de redevances au pays d'origine des ressources génétiques.

2.2.6 On se rend de plus en plus compte que le monde est maintenant tributaire de ressources de base de moins en moins nombreuses, en particulier pour les aliments, et qu'il est urgent de les diversifier afin d'éviter les éventuelles incidences d'une panendémie.

Comme il est indiqué au paragraphe 2.1.13, il faut encourager une plus grande sensibilisation encore grâce à l'enseignement et aux médias.

2.2.7 La population mondiale qui ne cesse d'augmenter et l'occupation des terres les plus hospitalières a rendu nécessaire de mieux utiliser les zones moins hospitalières. De nouveaux PFNL adaptés à ces environnements, sont souvent nécessaires pour permettre la mise en valeur des ressources régionales. Cela est particulièrement vrai pour les zones arides, semi-arides et salines du monde, mais aussi pour les tropiques humides.

Il faut renforcer les institutions nationales pour encourager la recherche-développement concernant l'utilisation des PFNL dans les régions les moins hospitalières.

2.3 Problèmes de commercialisation


Bien qu'ils soient complexes, les problèmes que pose la valorisation des PFNL, de l'identification jusqu'à la transformation, sont relativement simples par rapport à ceux que présente la commercialisation à l'échelle locale, nationale ou internationale (Wickens et al., 1989).

2.3.1 Il doit y avoir un créneau du marché attendant d'être occupé, soit par le remplacement d'un produit existant par un produit supérieur et/ou meilleur marché, soit par la satisfaction d'une demande qui n'était pas encore satisfaite.

La structure des prix d'un produit doit être telle que le fournisseur, le négociant et l'acheteur soient tous raisonnablement satisfaits, sans que l'intermédiaire réalise des profits excessifs aux dépens du fournisseur.

2.3.2 L'expansion de la production pour pénétrer sur de nouveaux marchés peut être à l'origine de problèmes pour le producteur. Les délais peu coûteux pendant lesquels les stocks doivent être accumulés jusqu'à obtention des quantités demandées par le nouveau marché, peuvent être trop onéreux pour les divers fournisseurs. En général, plus la transformation nécessaire est coûteuse, plus le volume du débit nécessaire pour maintenir les coûts à un niveau raisonnable est grand. Bien qu'une production accrue d'une communauté crée une demande de main-d'oeuvre supplémentaire, cette augmentation est compensée par toute amélioration de l'efficacité des techniques de transformations nécessaires pour maintenir la compétitivité.

2.3.3 Il faudrait éviter le monopsone (quelques acheteurs seulement) pour assurer la concurrence sur le marché. Cependant, au démarrage de la valorisation du produit, il peut être nécessaire de protéger les producteurs intérieurs en réglementant les importations de produits de substitution et en fournissant des financements à l'exportation et une assistance technique.

2.3.4 La réglementation des échanges internationaux peut s'opposer aux exportations, ou bien les politiques intérieures peuvent empêcher l'introduction d'un nouveau produit si les fournisseurs d'un produit concurrent sont désavantagés. L'action du groupe de pression favorable à la vie des animaux peut aussi restreindre le marché des produits de la faune sauvage. La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES) protège un certain nombre d'espèces, mais la persistance des marchés clandestins continue à menacer ces espèces.

2.3.5 Il faut envisager ensemble tous ces facteurs qui jouent un rôle dans la commercialisation. Par exemple, les groupes de pression en faveur de la conservation demandent que l'huile de blanc de baleine soit remplacée par de l'huile de jojoba ou par des produits végétaux analogues de remplacement. A l'heure actuelle, la production de jojoba n'est pas suffisante et son prix est trop élevé pour que l'huile de blanc de baleine soit entièrement remplacée dans ses utilisations industrielles. Un nombre croissant de vastes plantations plus efficaces fera sans aucun doute baisser le prix, mais du même coup, il est presque certain que les petits producteurs ne seront plus concurrentiels. Bon nombre de pays en développement constateront alors que le jojoba n'est pas rentable comme culture d'exportation et devront alors chercher d'autres marchés intérieurs en s'adressant aux industries cosmétiques. Ils devront alors décider s'il faut ou non limiter les importations de produits de remplacement pour soutenir les producteurs nationaux de jojoba. Cette protection peut avoir un éventuel effet secondaire indésirable, à savoir inciter les industriels nationaux à investir dans des pratiques de production plus efficaces, et marginaliser ainsi les petits producteurs.