3. Caractéristiques des conversions effectuées

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3.1 Conditions générales de l'opération de conversion de la dette commerciale
3.2 Résumés des études de cas concernant divers pays d'Amérique Latine, d'Afrique et d'Asie

3.1 Conditions générales de l'opération de conversion de la dette commerciale

Les cas présentés dans ce chapitre constituent un échantillon des différents modèles de conversion de dette applicables dans les pays en développement souhaitant recourir à ce mécanisme pour financer des programmes de conservation des ressources naturelles dans une optique de développement durable.

Pour ce qui concerne la gestion et le contrôle des fonds en monnaie nationale, deux voies sont possibles:

a. Versements directs en espèces en faveur de l'organisation de défense de l'environnement chargée d'investir les fonds, sous le contrôle d'un Comité spécial représentant toutes les parties concernées par les projets.
b. Remise d'obligations en monnaie nationale, déposées auprès d'une banque fiduciaire, tandis que les intérêts et les amortissements sont versés aux organisations chargées de l'exécution des projets de conservation et de développement durable, sous le contrôle d'un Comité spécial comme celui que l'on a vu précédemment. Cette deuxième option est la plus courante.

L'intervention de tant de facteurs semble indiquer un processus d'une extrême complexité; pourtant le succès de l'opération dépend de la réunion de certaines conditions, à savoir:

a. Il est avantageux qu'un système de conversion de la dette extérieure en capitaux d'investissement ait déjà été expérimenté au niveau national; en effet, l'existence de mécanismes techniques et financiers déjà testés et rodés par l'autorité financière nationale, faciliterait les conversions de la dette en actions en faveur de la nature. Dans le cas contraire, il convient de contacter les responsables et les institutions des pays où l'expérience a donné de meilleurs résultats, qui pourront illustrer les avantages que présentent l'application de ce mécanisme à l'exécution de programmes de protection des ressources naturelles.

b. Une fraction de la dette extérieure du pays doit être disponible sur le marché secondaire et il s'agit de déterminer si l'escompte pratiqué est suffisamment intéressant pour produire l'effet de levier souhaité. Cela permettrait de justifier la canalisation des dons vers l'opération de conversion.

c. Il est préférable de planifier le programme dans le cadre d'une stratégie nationale de conservation au titre de laquelle le gouvernement local serait intéressé à favoriser la conversion de la dette en actions en faveur de la nature.

d. Il doit y avoir un authentique intérêt national, se manifestant par une action conjointe des organismes publics et des organisations privées en matière de protection des ressources naturelles, dans une optique de développement durable du pays. Selon sa faisabilité politique, l'exécution du programme pourrait être stimulée ou au contraire freinée.

e. Il est important de déterminer le coût des projets à exécuter et de mesurer la capacité de négociation locale. L'établissement d'un budget permet de fixer le montant de l'opération, c'est-à-dire de déterminer les fonds nécessaires pour l'exécution des projets pendant un certain nombre d'années. Cela permet de définir les termes dans lesquels ils devront être présentés aux donateurs.

f. Il s'agit d'entreprendre une action de promotion visant à attirer les dons, en assurant un équilibre entre les garanties de bonne exécution des obligations financières du gouvernement à moyen et à long terme.

g. Il est nécessaire ou plusieurs organisations locales de défense de l'environnement prennent part, conjointement avec l'État, au contrôle et à la gestion des projets.

h. Il est essentiel d'obtenir l'autorisation de la Banque centrale du pays débiteur ou de l'organe correspondant, en coordonnant au niveau des autorités gouvernementales l'appui fourni aux institutions qui bénéficieront directement ou indirectement de la conversion.

i. La formule de conversion proposée doit tenir compte de certains éléments fondamentaux qui sont:

• le bénéfice que le pays tirera de la réduction, en termes de pourcentage, de ses obligations au titre de sa dette extérieure et la possibilité de financer des projets prioritaires concernant l'environnement;
• le pourcentage de reconnaissance en monnaie nationale, qui doit être intéressant pour les donateurs internationaux;
• le taux de change en monnaie nationale sur lequel sera basse l'opération de
conversion;
• le mode et le délai de paiement;
• les effets inflationnistes annexes que la conversion pourra avoir.

Chaque pays devra étudier attentivement les clauses des accords de refinancement souscrits avec la banque internationale, de sorte que les obligations nationales émises dans le cadre du processus de conversion n'aient pas une durée inférieure à celle du service de la dette extérieure en moyenne, puisque cela pourrait être considéré comme une façon pour le pays débiteur de privilégier certains de ses créditeurs.

j. Il convient de recourir aux services d'un agent financier étranger ou national ayant de l'expérience en matière d'achat de titres de la dette extérieure sur le marché secondaire. Toute aussi importante est la participation d'une banque nationale qui aide les organisations locales de défense de l'environnement dans les transactions avec la Banque centrale et qui collabore à son tour à la gestion des ressources nationales provenant de la conversion et qu'elle recevra en dépôt.

3.2 Résumés des études de cas concernant divers pays d'Amérique Latine, d'Afrique et d'Asie

Ces études de cas sont présentées dans l'ordre alphabétique des pays, pour chaque région géographique, en commençant par l'Amérique latine qui en compte le plus grand nombre. Il n'a pas été tenu compte de l'ordre chronologique des transactions. Il faut souligner que le Costa Rica a été le premier pays à procéder à un échange de titres de la dette contre des actions en faveur de la nature, lorsque le 4 mars 1987 la Banque centrale autorisa le Ministère des ressources naturelles, de l'énergie et des mines à convertir 11,8 millions de dollars E.-U. en faveur de Portico, une compagnie privée d'exploitation forestière qui souhaitait promouvoir l'aménagement durable de la forêt naturelle. Les études de cas concernant le Costa Rica et la République dominicaine, qui sont bien documentées et présentent quelques différences par rapport aux autres au niveau des modalités opérationnelles, ce qui peut être intéressant pour le lecteur, seront traitées de façon plus approfondie.

3.2.1 Argentine

Début 1989, la fondation Neuquén présenta au Ministère de l'économie un projet de création d'un fonds fiduciaire de conservation à financer par des opérations de conversion de dette. Le projet bénéficiait de l'appui du Comité directeur de l'Administration des parcs nationaux.

En décembre 1989, la fondation Neuquén et la fondation Parodi signèrent, conformément au mécanisme proposé, un accord avec la Banco Nacional de Desarrollo (BANADE), qui définissait les termes de la conversion de dette et régissait la gestion du fonds à constituer et l'affectation des ressources en monnaie nationale.

D'après les informations disponibles, la BANADE aurait fixé à 60 millions de dollars E.-U. (30 millions de dollars E.-U. par organisme) le montant total autorisé pour les opérations de conversion de la dette. Aux termes de l'accord passé avec la BANADE, chaque fondation devait remettre à cette dernière les titres de la dette extérieure publique de l'Argentine reçus en don, par tranches minimums de 100 000 dollars E.-U. sur une période de 24 mois à partir de la première opération, pour un total de 30 millions de dollars E.-U. en valeur nominale.

Les titres de la dette extérieure argentine à remettre à la BANADE devaient être de ceux sur lesquels portaient les Accords généraux de refinancement signés en août 1987, amortissables sur une période de 17 ans par tranches semestrielles à pourcentage croissant, à partir de mai 1994. En échange, les obligations émises en monnaie locale par la BANADE et destinées aux programmes de conservation devaient avoir une durée de 30 ans et être remboursées en une seule tranche, permettant de porter à l'actif des créances à plus court terme que les dettes à payer. Les obligations de la BANADE fournies aux fondations devaient produire des intérêts annuels en espèces oscillant entre 30 et 55 pour cent du taux en vigueur pour les titres de la dette extérieure. La valeur de ces obligations devait être indexée sur le dollar.

Grâce aux ressources en monnaie nationale fournie par la Banco Nacional de Desarrollo, chaque fondation devait constituer un fonds en fidéicommis pour couvrir les frais administratifs et opérationnels des programmes de conservation, de même que les dépenses du Comité de gestion et les coûts relatifs à la conversion des titres de la dette extérieure et à l'application de l'accord passé avec la BANADE. La gestion du fonds devait être assurée par un Comité de gestion nommé à cet effet et composé de six membres, dont quatre ayant droit de vote et deux ayant voix consultative seulement. Les quatre membres ayant droit de vote devaient représenter les institutions suivantes: la fondation bénéficiaire (deux membres), le Secrétariat des affaires agricoles de la Province où la fondation a son siège (un membre ) et les organisations internationales de défense de l'environnement dont proviennent les dons (un membre). Les deux autres membres devaient être désignés, l'un par la BANADE, l'autre par la banque fiduciaire.

Les principales activités de défense de l'environnement que les fondations Parodi et Neuquén devaient mener à bien sont les suivantes:

a. Etude et recherche sur les écosystèmes: identification des principales causes de leur dégradation et identification des valeurs de la diversité biologique.
b. Acquisition de terres à des fins écologiques: étude des solutions permettant de les libérer: dédommagements, rachat de droits et autres compensations socio-économiques.
c. Reboisement en vue de la protection des bassins fluviaux: création de masses forestières composées d'essences locales (nothogagus, maytenus, chacaya, schinus, chusqueas, etc.) pour retenir les eaux souterraines et protéger la biodiversité.
d. Contrôle et surveillance de l'érosion dans les bassins: interprétation photographique des images obtenues par télédétection et boisement de parcelles ou de sites irrécupérables par les voies naturelles.
e. Base de données sur l'environnement: organisation systématique des données sur l'environnement des fins consultatives et afin de faciliter l'exécution des projets et l'élaboration de modèles régissant l'occupation des sites protégés.
f. Promotion du tourisme écologique: activité économiquement compatible avec la nécessité de protéger l'environnement. Il s'agit d'une solution parfaitement viable pour remplacer, convertir ou atténuer l'impact des activités extractives qui sont à l'origine de l'état de dégradation actuel des ressources, à proximité des espaces naturels en Argentine. Le tourisme écologique pourrait également constituer une source d'emplois nouveaux pour la population. Parallèlement à cette activité promotionnelle, il s'agira de mettre au point un modèle de retenue fiscale à appliquer aux recettes des activités écotouristiques, permettant de financer le nouveau fonds pour la protection de l'environnement qui devra garantir le développement durable des activités de protection inhérentes à chaque projet.
g. Etudes d'impact sur l'environnement: il s'agit principalement d'identifier de nouvelles utilisations des ressources hydriques à des fins écologiques.
h. Formation et recyclage: il s'agit de la formation technico-scientifique des ressources humaines qui participent aux projets.

En décembre 1990, la fondation Neuquén a présenté à la BANADE des titres pour une valeur de 625 000 dollars E.-U., dans le but de procéder, conformément au mécanisme approuvé, à la première opération de conversion de la dette en actions en faveur de la nature. Toutefois, à cause d'une série de changements institutionnels intervenus au sein de la BANADE, qui ont contraint cette dernière à se soustraire unilatéralement à ses engagements aux termes de l'accord, cette transaction n'a jamais été approuvée.

Aucun programme de conversion de la dette en actions en faveur de la nature n'est donc actuellement conduit en Argentine; le gouvernement actuel a toutefois annoncé, par le truchement du tout nouveau secrétariat à l'environnement, son intention d'approuver dans de brefs délais un programme de ce type.

3.2.2 Bolivie

i. Généralités

Le 3 juillet 1987, le Gouvernement bolivien a signé un premier accord liant la réduction de la dette à la décision politique de garantir l'aménagement durable d'une région d'une grande richesse biologique. Aux termes de cet accord, l'organisation américaine privée de défense de l'environnement, Conservation International (Cl), devait remettre au gouvernement 650 000 dollars E.-U. en titres de dette et fournir l'assistance technique, administrative et scientifique nécessaire pour mener à bien un programme d'aménagement des ressources à proximité de la Réserve de la biosphère du Beni.

A son tour, le Gouvernement bolivien s'engageait à placer la Réserve de la biosphère du Beni sous un régime de protection maximale et à créer à proximité 3 zones protégées: le parc régional Yacuma, la zone protégée du bassin fluvial et la zone tampon de la forêt de production permanente Chimane. Le plan couvre une superficie totale de 1,16 million d'hectares.

Il a également été décidé de constituer un fonds de l'équivalent de 250 000 dollars E.-U., pour l'aménagement de la Réserve du Beni. Le gouvernement devait fournir des fonds publics pour l'équivalent de 100 000 dollars E.-U., la différence devant être couverte par le programme PL480 de l'Agence américaine pour le développement international (USAID).

L'organisation Conservation International a reçu un don de 100 000 dollars E.-U. pour l'achat de 650 000 dollars de titres de dette à 15 pour cent de leur valeur nominale.

Les temps nécessaires pour procéder à cette première conversion se sont avérés plus longs que prévu initialement, sous l'effet de diverses difficultés politiques et budgétaires rencontrées par le gouvernement et en raison de la nécessité de mettre en place de nouvelles structures organisationnelles.

Dans la presse bolivienne, l'accord a fait l'objet d'une série de critiques fondées sur un malentendu. Les journaux insinuaient que les zones protégées avaient été cédées à l'organisation américaine de défense de l'environnement, alors que Conservation International n'avait en réalité aucun droit sur cette région. Les autorités gouvernementales expliquèrent ensuite que ce malentendu dérivait sans doute d'un commentaire fait par un fonctionnaire de l'Ambassade de Bolivie à Washington, qui laissait entendre que la conversion de la dette pourrait porter atteinte à la souveraineté nationale. Cela fut interprété comme la preuve que le gouvernement était disposé à renoncer à la souveraineté nationale en échange d'une réduction de la dette extérieure publique.

Il aurait fallu rendre l'accord public immédiatement, pour que ses termes exacts soient bien compris; or, les groupes écologistes boliviens tardèrent à organiser une campagne publicitaire expliquant l'utilité de la conversion de la dette en actions en faveur de la nature. Cette controverse initiale a néanmoins eu des effets positifs; elle a permis de mettre en lumière les problèmes nationaux en matière d'environnement.

Sous l'effet de restrictions budgétaires, le gouvernement n'avait versé au total, en avril 1989, que l'équivalent des 100 000 dollars E.-U., pour lesquels un compte en dollars a été ouvert et confié à la gestion de la LIDEMA (Ligue pour la défense de l'environnement), groupe réunissant plusieurs organisations écologistes. Ces ressources ont permis de constituer un fonds fiduciaire en faveur de la Station biologique du Beni, dont les intérêts permettront de couvrir les frais relatifs au personnel, aux infrastructures et à l'aménagement de la réserve.

Outre le retard financier, on est encore dans l'attente d'une décision du Congrès national pour ce qui concerne les aspects légaux de la réserve.

Les programmes concernant le Beni seront gérés par un comité spécial représentant le secteur public et le secteur privé: l'association des industriels du bois, le centre de développement forestier, la LlDEMA, la station biologique du Beni, l'institut d'écologie de l'Université de San Andrés et l'organisation Conservation International.

Le programme d'aménagement durable des forêts pourra bientôt compter sur une aide initiale de 1,26 million de dollars E.-U. fournie par l'Organisation internationale des bois tropicaux (ITTO). Ces ressources seront disponibles dés que les conflits entre les communautés indigènes qui exigent une délimitation sans équivoque de leurs territoires, ce que demandent également les entreprises forestières qui possèdent des concessions dans la zone protégée, auront été résolus.

ii. Commentaires sur la conversion de la dette en actions en faveur de la nature en Bolivie

Un don limité a réussi à éveiller l'intérêt du Gouvernement bolivien et l'a incité à accorder la priorité à la conservation d'une région comme le Beni, d'une incalculable valeur biologique et génétique.

Ce projet ne tient pas seulement compte de la nature en tant que telle, mais également des populations qui y vivent. Un objectif important est la défense de la culture aborigène Chimane.

Le programme bolivien, outre qu'il vise à assurer la conservation d'une zone protégée préexistante, étend son action au concept moderne d'aménagement des ressources naturelles, c'est-à-dire d'utilisation durable de la zone qui joue une action catalytique: la Réserve forestière Chimane.

La participation au projet des organisations locales en a renforcé l'importance nationale et a sensibilisé le pays à la nécessité de protéger ses ressources naturelles.

La réduction de la dette bolivienne est si minime qu'elle n'a aucune répercussion sur la balance des paiements. L'opération permet plutôt de prendre conscience du fait que la crise de la dette des pays en développement peut être l'occasion d'appuyer et de lancer, grâce à des mécanismes innovateurs de conversion de la dette en actions en faveur de la nature, des initiatives et des projets de conservation et d'aménagement durable des ressources naturelles d'un pays.

Les résultats positifs obtenus à ce jour sont les suivants:

a. Un élargissement de la zone protégée de 1 200 pour cent.
b. La mise en place d'une commission nationale composée de fonctionnaires gouvernementaux de la région du Beni, de chercheurs de l'Institut d'écologie et de la Station scientifique du Beni et de représentants de la LIDEMA (Ligue de défense de l'environnement).
c. L'introduction du concept d'aménagement durable des ressources forestières avec la participation active des bénéficiaires des concessions forestières.
d. La réalisation d'études préliminaires sur les ressources naturelles utilisées par les indiens Chimanes.
e. La réalisation d'une analyse de l'aménagement actuel du territoire et d'une projection des besoins futurs de la région en matière de ressources.
f. La contribution en pesos boliviens fournie par l'Agence USAID, correspondant à 150 000 dollars E.-U., pour la création du fonds fiduciaire, et la contribution complémentaire fournie par le Gouvernement bolivien pour l'équivalent de 100 000 dollars E.-U.

Le programme avait par ailleurs des limites:

a. Il s'agissait de réaliser un projet spécifique pour une zone déterminée, en dehors d'un plan de conservation des ressources naturelles.
b. Le système de conversion adopté est un échange "dette extérieure contre engagement gouvernemental" ce qui pourrait sembler une atteinte à la souveraineté nationale, chose discutable comme on va le voir. Selon certains secteurs, mal informés, le mécanisme adopté permettait à des organisations d'acquérir des terres d'une grande valeur biologique et de s'approprier ainsi de "banques de matériel génétique". On pensait également, tout à fait à tort, que les institutions étrangères exerçaient des pressions sur le gouvernement pour orienter le choix des zones à protéger.
c. Le mécanisme manque de continuité, en ce sens qu'aucun programme d'action n'a été prévu pour canaliser de nouvelles conversions à des fins écologiques.
d. La participation des organisations locales de défense de l'environnement reste faible et limitée, ce qui laisse à nouveau penser à une "intervention étrangère à des fins écologiques W.

3.2.3 Costa

i. Les origines de la dette extérieure costaricienne

La dette extérieure publique du Costa Rica qui s'élevait en août 1989 à un peu plus de 4,5 milliards de dollars E.-U., a une structure assez complexe. D'après les statistiques de la Banque centrale du Costa Rica (BCCR), elle est largement imputable à la dette commerciale, multilatérale et bilatérale.

A deux reprises, en 1983 et en 1985, le Costa Rica a renégocié sa dette bilatérale avec le Club de Paris pour un montant de 148,9 millions de dollars E.-U. En outre, le 26 mai 1989, la BCCR a obtenu l'accord initial pour une troisième renégociation, portant sur un montant supérieur.

Pour ce qui concerne les négociations dans le cadre du Club de Paris, deux autres accords ont été passés avec la banque commerciale internationale, en 1983 et en 1985, pour un montant de 964,7 millions de dollars. Pendant la même période, le pays a obtenu une ouverture de crédit renouvelable (revolving fund) pour 200,7 millions de dollars, et en 1985 les banques créditrices accordèrent au Costa Rica un crédit de 75 millions de dollars.

Plusieurs émissions de titres placés sur le marché européen des valeurs (euro-obligations) ont également été renégociées, avec une offre d'échange de 90 millions de dollars en 1985, tandis que la dette bilatérale avec le Mexique, qui s'élevait à 150 millions de dollars, était réaménagée à des conditions tout à fait nouvelles, comme l'amortissement de la dette par une dette.

A partir de 1986, le Costa Rica a modifié le plan de renégociation de la dette avec la banque commerciale et présenté une nouvelle proposition par laquelle il déclarait que les refinancements effectués jusqu'alors, qui consistaient en l'octroi de nouveaux prêts pour permettre le paiement des intérêts et en un rééchelonnement des tranches de remboursement assorti de taux d'intérêt élevés, se traduisaient par une accumulation de nouvelles dettes sans résoudre véritablement le problème de base. Le nouveau plan prévoyait en outre plusieurs options et notamment les conversions de dette pour le financement de programmes prioritaires en monnaie nationale.

Cette proposition, acceptée en novembre 1989 avec la signature d'un accord basé sur le Plan Brady, devait permettre de réduire sensiblement la dette commerciale grâce à l'achat de grandes quantités de titres de dette au prix maximal convenu de 16 centimes de dollars.

L'expérience costaricienne en matière de conversions de dette a démarré en 1986 avec le lancement d'un programme conventionnel concernant le secteur public de la production. Dans les grandes lignes, il s'agissait d'un programme tout à fait semblable aux mécanismes déjà mis en pratique dans certains pays latino-américains et aux Philippines.

Le mécanisme adopté cette année-là permit au pays de tracer une courbe d'apprentissage des différents mécanismes de conversion, à savoir: "dette contre dette", "dette contre produits", "dette contre espèces "dette contre capitaux", "dette contre développement", et plus tard "dette contre actions en faveur de la nature".

Voici quels sont les principaux objectifs à l'origine des différents mécanismes de conversion de la dette extérieure en actions en faveur de la nature:

a. Obtenir un escompte
b. Attirer de nouveaux investissements étrangers
c. Réduire et alléger le service de la dette
d. Augmenter les exportations
e. Rapatrier des capitaux

La plupart de ces objectifs ont pu être et le montant total des conversions pour les projets en cours actuellement" peut être ventilé comme suit:

TABLEAU A.1. CONVERSION DE LA DETTE COMMERCIALE AU COSTA RICA

Programme Valeur nominale de
la dette convertie
(en millions de dollars E.-U.)
Exportations 94,6
Substitution de productions nationales aux produits importés 10,5
Appui au développement de zones franches 8,8
Capitalisation d'intermédiaires 3,9
TOTAL 117,80

Source: BCCR- 1989

Les 117,8 millions de dollars E.-U. de titres à convertir représentent un taux d'escompte de 42 pour cent et équivalent ainsi à une réduction de 8 pour cent de la dette extérieure auprès de la banque commerciale internationale.

Les bons de stabilisation monétaire émis par la Banque centrale représentent un montant total de 4 790,4 millions de colons, avec un délai d'amortissement supérieur de deux à trois ans à celui des titres de la dette extérieure et des taux d'intérêt contenus et variables oscillant entre 15 et 26 pour cent.

Les opérations de conversion de la dette commerciale, aux fins du financement de projets spécifiques, ont pris fin en décembre 1986 pour non-respect des accords de refinancement, notamment de la clause de remboursement anticipé, de la clause "pari passu" (clause d'égalité de traitement) et de la clause de nonnantissement d'actifs (negative pledge). De même, les banques commerciales se protègent réciproquement avec la clause du "sharing of payments" (partage des paiements) en vertu de laquelle toute banque recevant un remboursement en excèdent est tenue de le partager avec les autres instituts.

A. La première expérience

C'est avec l'appui du Ministère des ressources naturelles, de l'énergie et des mines que, le 4 mars 1987, la Banque centrale du Costa Rica (BCCR) autorisa la Northwest Bank de l'Indiana à échanger une fraction de ses propres créances, pour un montant de 11,8 millions de dollars E.-U., contre des actions et des participations dans l'entreprise costa-ricienne privée PORTICO, exportatrice de portes en bois vers les Etats-Unis, et qui par cette opération visait à acquérir des terres et à mener à bien un projet d'aménagement de la forêt naturelle.

Les titres de la dette furent cotés à 37 pour cent de leur valeur nominale et la BCCR émit en échange des obligations en colons à 62,1 pour cent de leur valeur nominale (7,3 millions de dollars E.-U.), avec un délai d'amortissement moyen de 7 ans, un taux d'intérêt annuel de 20 pour cent et pouvant être négociés sur le marché boursier (Bourse des valeurs du Costa Rica). La banque nationale intermédiaire était l'INTERFIN, une banque privée chargée de présider à l'utilisation des fonds de l'entreprise PORTICO, sous le contrôle de la BCCR.

Au cours des trois dernières années, ces fonds ont permis à PORTICO d'acquérir prés de 5 000 hectares de forêts riches en Andiroba (Carapa guianensis), une essence qui se trouve exclusivement dans le nordest du pays. L'objectif de PORTICO est de mener à bien un projet d'aménagement rationnel et durable de la forêt naturelle.

De par sa nature même, cette transaction peut être considérée également comme une conversion de dette en capital (Debt-for-Equity) et reste à ce jour la seule transaction par laquelle une entreprise privée ait été autorisée à exécuter dans le pays un projet concernant les ressources naturelles renouvelables.

B. La deuxième conversion

C'est dans le cadre d'une action conjointe entre le MIRENEM et la Fondation des parcs nationaux (FPN), qu'un programme de conversion de dette, prévoyant l'utilisation des fonds dégagés pour des programmes de conservation, a été proposé à la BCCR.

Les fonds obtenus grâce à la transaction devaient être destinés à des projets de protection des espaces naturels, de formation à la défense du milieu et d'éducation en matière d'environnement, à l'acquisition de terres à des fins écologiques et à la création d'un fonds permettant de couvrir les frais de gestion des parcs nationaux.

Après six mois de négociations, le mécanisme de conversion a été approuvé le 12 août 1987 par la BCCR; cette dernière autorisait la FPN à échanger des titres de la dette pour un montant maximal de 5,4 millions de dollars à 75 pour cent de leur valeur nominale en Bons de stabilisation monétaire non négociables et avec un délai d'amortissement supérieur de deux ans à celui des titres de dette achetés. Ces bons de stabilisation monétaire portaient un taux d'intérêt annuel moyen de 25 pour cent. La dette antérieure a été rachetée sur le marché secondaire à des banques étrangères au prix moyen de 17 cents pour un dollar par plusieurs organisations internationales dont les dons s'élevèrent au total à 918 000 dollars E.-U. La figure 2.1 du chapitre 2 illustre en détail le mécanisme de cette transaction, qui constitue la première opération de conversion de la dette en actions en faveur de la nature.

La Banque centrale ajouta une condition: les dons en monnaie forte utilisés pour l'achat des titres, devaient nécessairement provenir de personnes physiques ou juridiques ayant des intérêts écologiques.

En raison du caractère nouveau du système de conversion, de grands efforts promotionnels ont été déployés au niveau international et de nombreuses organisations internationales de défense de l'environnement comme les fondations Stroud, Noyes, W. Alton Jones, MacArthur, WWF, The Nature Conservancy, Conservation International, la Société suédoise pour la conservation de la nature et le Fonds populaire pour les espèces menacées, dont le siège se trouve en Angleterre, ont oeuvré activement avec la FPN pour réunir les fonds nécessaires pour le rachat de la dette extérieure autorisée: comme on l'a vu précédemment, 918 000 dollars E.-U. de dons ont permis de racheter 5,4 millions de dollars E.-U. de titres.

Le principal des bons de stabilisation monétaire et les intérêts sont permis de constituer le Fonds de conservation des ressources naturelles, dont les agents fiduciaires sont la FPN et la banque coopérative du Costa Rica (BANCOOP), sous le contrôle du MIRENEM. Les revenus du Fonds ont été destinés au Parc national de Guanacaste, au Centre écologique La Pacifica, à la Réserve écologique de Monteverde, au Parc national Braulio Carrillo, au Parc national Corcovado, au Parc international La Amistad, à la Fondation des parcs nationaux et à la fondation Neotrópica (FN). La figure 3.1 (MIRENEM, 1990) illustre dans les grandes lignes le mécanisme général appliqué au Costa Rica pour la conversion de la dette extérieure.

C. La troisième conversion

Lorsque la FPN eut atteint le plafond approuvé initialement, le MIRENEM demanda l'autorisation de procéder à une nouvelle conversion de dette dans les mêmes conditions financières que pour l'opération précédente.

C'est ainsi que le 31 mai 1988 la Banque centrale autorisa la FPN à procéder à une deuxième opération de conversion pour un montant de 5,6 millions de dollars E.-U., ce qui portait le total de la transaction à 11 millions de dollars. Comme le prix de la dette costa-ricienne avait sensiblement reculé sur le marché secondaire, la BCCR décida de ne reconnaître cette fois que 30 pour cent de la valeur nominale de la dette à convertir.

Avec l'appui de la fondation The Nature Conservancy (TNC), la totalité de la dette autorisée a pu être rachetée avec American Express au prix moyen de 13 cents pour un dollar, le montant du don s'étant donc élevé à 784 000 dollars.

Là encore, la BANCOOP échangea les titres avec la BCCR, obtenant l'équivalent de 1,68 million de dollars en bons de stabilisation monétaire, assortis d'un taux d'intérêt annuel de 25 pour cent et d'un délai d'amortissement égal à celui de la première transaction.

Les fonds ont été destinés au Parc national de Guanacaste, au Programme sur les tortues marines, à la Réserve écologique de Monteverde, au Parc national Braulio Carrillo, au Centre d'information sur l'environnement, au Centre scientifique tropical, à la FPN, à la FN, à Lomas de Barbudal et au Parc national Barra Honda.

FlGURE 3.1 La troisième conversion

D. La quatrième conversion

Le MIRENEM et le Ministère de la planification nationale du Costa Rica illustrèrent à divers pays amis, notamment aux Pays-Bas et aux pays scandinaves, le mécanisme de conversion de la dette en actions en faveur de la nature. Au début de 1988, il fut proposé officiellement aux autorités hollandaises de procéder à une conversion de dette qui permettrait de conduire avec des organisations paysannes des projets de développement durable, notamment en matière de reboisement.

Le Gouvernement hollandais donna rapidement son adhésion et signa le 22 juin 1988, à San José, un accord avec le Gouvernement du Costa Rica, en vertu duquel 10 millions de florins (soit 5 millions de dollars E.-U.) étaient destinés à l'achat de titres de la dette, pour aider la Banque centrale à alléger la dette commerciale extérieure.

Les Pays-Bas procédèrent par le truchement de leur agent financier, la NMB Bank, à l'achat de titres de la dette costa-ricienne pour un montant de 39 millions de dollars, à 13,5 pour cent en moyenne de leur valeur nominale. La BANCOOP effectua l'opération avec la Banque centrale et 30 pour cent du montant total acquis fut transformé en bons de stabilisation monétaire (11,7 millions de dollars), avec un délai d'amortissement maximum de 4 ans, à raison de 25 pour cent par an. Les bons étaient assortis d'un taux d'intérêt annuel de 15 pour cent, avec versements semestriels.

Pendant quatre ans, à compter de 1989, le montant total du Fonds de développement forestier (FDF) devait être destiné au financement des peuplements forestiers effectués par des coopératives et des organisations paysannes sur prés de 12 700 hectares, grâce à un programme de crédit forestier innovateur fonctionnant de la façon suivante: le bénéficiaire fournit un tiers de la plantation parvenue à maturité à titre de remboursement du crédit ce qui permet d'octroyer des prêts à de nouveaux groupes grâce à la constitution d'un fonds de roulement pour le développement forestier des campagnes.

Les principaux programmes financés grâce au FDF au cours de la période 1989-1991, sont les suivants:

- Programme de développement forestier par les soins d'organisations de petits et moyens agriculteurs

Ce programme a démarré en 1988 avec la mise en application des dispositions de la loi forestière N° 7032 autorisant l'émission et la remise d'un Certificat de crédit forestier anticipé (Certificado de Abono Forestal por adelantado, CAF) aux agriculteurs qui s'engagent à reboiser chaque année entre 1 et 5 hectares. Cette initiative répond à la décision politique de stimuler les opérations de reboisement de la part des groupes de paysans, compte tenu de la capacité d'exécution actuelle du Département de développement forestier paysan (le DECAFOR) de la Direction générale des forêts (DGF).

- Le Fonds de développement forestier (FDF)

Sur la base du modèle d'incitation forestière existant, à savoir le Certificat de crédit forestier, un système de financement utilisant les fonds provenant du FDF a été mis en place pour contribuer à consolider et à renforcer les mécanismes de reboisement social, c'est-à-dire passant par les organisations paysannes.

- Programme de formation et d'assistance technique

Dans une perspective nationale, c'est peut-être, de tous ceux que finance le FDF, le plus important, son objectif premier étant en effet d'encourager, au niveau des petits et moyens agriculteurs, la naissance d'une culture forestière afin d'éveiller un nouveau sens de responsabilité vis-à-vis des générations futures: "planter lieu de détruire". Le reboisement social ne consiste pas seulement à planter des arbres, il s'agit aussi de modifier l'attitude et les valeurs de la population rurale du Costa Rica en matière de ressources naturelles. Il est donc essentiel d'intégrer les techniciens du secteur public et des organisations, et les agriculteurs eux-mêmes, dans une dynamique de formation et d'assistance technique en vue de perfectionner les méthodes de reboisement et d'introduire de nouvelles technologies pour une meilleure utilisation des ressources forestières.

- Programme de semences forestières

Son principal objectif est de contribuer à la politique nationale de reboisement, en offrant une nouvelle possibilité de production écologiquement durable susceptible d'améliorer la qualité de vie des familles de petits et moyens agriculteurs engagés dans les opérations de reboisement.

- Promotion du reboisement et de l'aménagement de la forêt naturelle dans la région de Huetar Norte

Le projet est réalisé par une organisation non gouvernementale dite Commission pour le développement forestier de San Carlos (CODEFORSA), dont le siège se trouve à Quesada, dans le canton de San Carlos, dans la zone d'influence de la région de Huetar Norte.

Le projet vise essentiellement à assurer la production durable de biens et de services multiples, en évitant la dégradation et l'épuisement des ressources forestières.

L'objectif est de reboiser 400 hectares et d'aménager 600 hectares de forêt naturelle, avec dans les deux cas la participation de petits et moyens propriétaires fonciers dont les terres pourraient être reboisées et accueillir des scieries.

- Développement forestier dans les régions de Chorotega et Brunca

La région de Chorotega, qui se situe principalement sur la côte Pacifique, est sur le plan forestier l'une des plus dévastées du pays. Au nord, la région de Brunca, où l'on trouve encore aujourd'hui quelques forêts naturelles commerciales, constitue à son tour une des principales sources d'abattage de bois en grume du pays, même si celui-ci est en grande partie industrialisé ailleurs. Ces deux régions sont parmi les moins développées du pays sur le plan socio-économique et leurs sols sont pour la plupart de type forestier. Des projets de développement forestier ont été proposés pour ces deux régions.

Les implantations humaines, situées par l'Institut de développement agraire (IDA), occupent dans de nombreux cas des sols à caractère exclusivement forestier. La politique actuelle étant notamment que les activités forestières fassent partie intégrante des activités courantes du paysan costa-ricien, l'IDA a décidé de mettre en place des unités de démonstration dans les implantations les plus stratégiques, à grand potentiel forestier, pour qu'elles servent ensuite de modèle aux communautés voisines dans les régions susmentionnées.

E. La cinquième conversion

Parallèlement à l'opération de conversion précédente, le Gouvernement suédois avait manifesté son intérêt à aider le Costa Rica par le truchement de ce mécanisme. L'objectif était de financer la remise en état de l'écosystème naturel et culturel de la forêt tropicale sèche de la province de Guanacaste, qui se trouve dans un état de dégradation extrême et qui est considérée comme la dernière d'Amérique centrale. La base des opérations devait être établie à cet effet dans le Parc national de Santa Rosa, créé en 1971.

La Suède a approuvé et remis, à partir de novembre 1988, un don de 21 millions de couronnes (3,5 millions de dollars) pour l'achat de titres de la dette extérieure destinés pour le financement du projet. Les fonds devaient faire partie d'un financement total de 15 millions de dollars accordé à titre d'aide bilatérale.

L'agent financier chargé de l'opération par le Gouvernement suédois était la firme new-yorkaise Salomon Brothers qui, avec l'appui de la Banque du Costa Rica (BCR), procéda à la transaction auprès de la Banque centrale du Costa Rica (BCCR). Les titres de la dette ont été rachetés au prix moyen de 14,3 cents pour un dollar (pour un total de 24,5 millions de dollars) et échangés en Bons de stabilisation monétaire à 70 % de leur valeur nominale, avec un délai d'amortissement de quatre ans et un taux d'intérêt annuel de 15 pour cent.

L'équivalent de 17,15 millions de dollars E.-U. en monnaie nationale sera destiné à l'acquisition de terres que la FPN transférera par la suite à l'État, et à la constitution d'un fonds destiné à la reconstruction écologique et au développement d'une des zones les plus dégradées du pays, la province de Guanacaste.

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