4. Les coopératives de services financiers dans les pays en développement: crises et programmes de sauvetage

Table des matières - Précédente - Suivante

4.1 Malaisie le développement et la disparition des coopératives bancaires
4.2 Kenya: l'expérience conduit à des coopératives spécialisées dans les services financiers
4.3 Amérique latine: la stabilisation des coopératives d'épargne et de crédit

RESUME

Comme on l'a constaté dans le chapitre 1, les services d'intermédiation financière semi-formels et informels jouent un rôle très important dans les pays en développement. Les coopératives, en particulier, sont importantes car elles offrent des facilités de dépôt et de crédit, et ont souvent affronté de plus grandes crises financières que le secteur formel. Ce chapitre décrit les expériences des coopératives impliquées dans l'offre de services financiers en Malaisie, au Kenya et en Amérique Latine.

MALAISIE

Cette étude de cas décrit le développement des institutions financières, y compris les coopératives de dépôt et des différents établissements non agréés, durant la longue période soutenue de croissance économique. La prospérité encourageait l'emprunt ainsi que les investissements spéculatifs. Ainsi, lorsqu'en 1985-86 les tarifs des matières premières s'écroulèrent, certains établissements financiers, surtout les établissements non agréés et les coopératives de dépôts mal supervisées, rencontrèrent de grosses difficultés. Le gouvernement malais agit rapidement pour regagner la confiance, et introduisit une Loi d'Urgente procurant aux autorités des pouvoirs d'interventions supplémentaires. Les enquêtes révélèrent une très mauvaise gestion du secteur des banques coopératives. On mis en place un programme de sauvetage qui, à la suite des rachats, anéantit les possibilités de participation des coopératives dans l'intermédiation financière en Malaisie De nombreux déposants perdirent la totalité ou une partie de leur épargne malgré les tentatives de sauvetage, mettant à nouveau en lumière les conséquences de la mauvaise gestion des services financiers.

KENYA

Cette étude de cas évalue un système financier qui a affronté une instabilité très importante dès le milieu des années 80. La participation des coopératives dans l'offre de services financiers au Kenya est considérable et les expériences des associations de coopératives polyvalentes rurales dans le secteur bancaire ainsi que celles des coopératives d'épargne et de crédit urbaines spécialisées sont examinées en détail. Comme c'est le cas en Malaisie et dans d'autres pays, ces coopératives agissent en dehors de la supervision et de la réglementation de la banque centrale, et les désavantages de cette situation sont encore une fois évidentes. Aucun fonds d'assurance sur dépôt n'ayant été créé par les coopératives, les déposants ont perdu toute leur épargne lors d'effondrement de quatre unités bancaires rurales. L'intervention et le soutien du gouvernement ont été limités, et l'agrément des institutions financières est généralement considérée comme étant trop libérale. Un Comité du Fonds de Protection des Dépôts a été récemment créé pour le secteur formel.

AMERIQUE LATINE

Les coopératives d'épargne et de crédit, basées sur un modèle de caisses de crédit mutuel, étaient nombreuses en Amérique Latine et formaient une part importante du système financier. Les coopératives fonctionnaient hors des contrôles du secteur bancaire formel et étaient autorisées à se livrer à des activités commerciales non-financières. Toutefois, dans les années 80, de nombreuses coopératives traversèrent des difficultés financières, dues principalement à une mauvaise gestion. Au Honduras et au Guatemala, le Conseil International des associations de crédit mutuel et l'USAID se sont engagés dans la mise en oeuvre des programmes de stabilisation financière pour les coopératives sélectionnées. Les crises précédentes, de même que les tentatives d'assainissement dans ces deux pays sont décrits dans cette partie. Les points-clé des programmes de stabilisation étaient des programmes de formation du personnel ainsi que l'offre de prêts à un taux peu élevé ou nul aux coopératives. Ces prêts étaient investis pour engendrer un revenu qui était ensuite utilisé pour éliminer les mauvaises créances.

4.1 Malaisie le développement et la disparition des coopératives bancaires

4.1.1. Système financier
4.1.2. L'expérience de la crise financière
4.1.3. Mécanismes d'intervention de soutien des institutions financières
4.1.4. Sécurité des dépôts

4.1.1. Système financier

La Malaisie est dotée d'un système financier passablement sophistiqué pour son stade de développement. A la fin des années 80, il existait 39 banques commerciales, 47 compagnies financières agréées, 12 banques d'affaires, 7 banques d'escompte et une série d'intermédiaires financiers spécialisés. Les banques étrangères sont bien représentées en Malaisie, 16 des banques agréées leur appartenant, ainsi qu'un quart de la totalité des prêts et un cinquième du total des dépôts bancaires. A la fin de 1987, la totalité des actifs du système financier s'élevait à 140 milliards de dollars de Malaisie, équivalents à 269.2 pour cent du PNB. Les établissements monétaires et bancaires, qui représentent 70 pour cent des actifs totaux du système, sont placés sous le contrôle de la Banque Centrale (Bank Negara), et les établissements financiers restants sont contrôlés par d'autres agences. Par exemple, les coopératives de dépôt sont contrôlées par le Ministère du Développement National et Rural, alors que d'autres banques le sont par le Ministère des Entreprises Publiques et d'autres encore par le Ministère des Finances.

Les coopératives de dépôt en Malaisie sont nées du mouvement coopératif qui s'est développé assez lentement dans les années 60. La collecte des dépôts représentait alors la meilleure façon de sortir du traditionnel financement aux consommateurs et de développer leurs activités. Soutenu par la Banque Centrale des Coopératives, 35 coopératives de dépôt créèrent une association de plus d'un million de membres; elles possédaient plus de 600 agences (comparées aux 860 agences des banques commerciales) et un total de dépôts dépassant 4 milliards de dollars de Malaisie. Un contrôle minime était exercé sur leurs opérations de prêts et d'investissements et, à part une simple demande qui leur était faite de détenir 25 pour cent des dépôts en liquide, les coopératives acceptant des dépôts n'étaient pas obligées de tenir des réserves statutaires ni des mécanismes des prêteurs de dernier ressort. Le Département du Développement Coopératif qui était chargé du contrôle de toutes les coopératives en Malaisie, c'est-à-dire environ 3000, n'était pas équipé pour faire face aux opérations complexes et au développement rapide du groupe accueillant des dépôts. La vérification de leurs comptes était souvent en retard d'au moins deux ans.

Outre les coopératives accueillant les dépôts, d'autres intermédiaires financiers nés dans les années 70, faisaient apparemment partie du groupe des coopératives, mais opéraient en réalité de façon illégale. Il s'agissait de sociétés quasi-financières, comme par exemple des prêteurs sur gages ou des sociétés de crédit et de leasing, qui recevaient les dépôts du public pour financer des activités commerciales. Etant donné qu'elles agissaient sans l'autorisation délivrée par la banque centrale pour l'accueil de dépôts du public, elles évitaient les contraintes du contrôle de la banque centrale, enfreignant directement la loi.

4.1.2. L'expérience de la crise financière

Le système bancaire en Malaisie a connu une période de développement continu et rapide du début des années 70 jusqu'au milieu des années 80, et la nation jouissait d'une période de croissance sans précédent. Les prix favorables des matières premières et l'exploitation du pétrole engendrèrent une augmentation des revenus et de l'épargne nationale, ainsi que des dépôts dans le système bancaire. La croissance des actifs des banques commerciales passèrent de 19,1 pour cent de moyenne annuelle entre 1970 et 1975 à 24,4 entre 1975 et 1980. Les offres de prêts augmentèrent aussi rapidement. Le taux moyen de croissance était de 22,8 pour cent par an de 1975 à 1984. Une proportion croissante de ce crédit bancaire était utilisé pour réaliser des investissements dans l'immobilier et spéculer en bourse. Les marchés de la bourse et de l'immobilier décollèrent.

Par opposition à ces bonnes années, la récession survenue vers le milieu des années 80 eut un effet dramatique sur les institutions financières et provoqua la plus violente déflation en Malaisie depuis la récession due à la Guerre de Corée en 1952-53. La chute progressive des prix des matières premières commença à s'accélérer vers la fin de 1986, le revenu global de l'exportation se réduisit de 2,6 pour cent en 1985 et de 5,9 pour cent en 1986. Pour la première fois depuis 1975, la croissance réelle du PIB devint négative en 1985 alors que le revenu national brut nominal baissait de 2,9 pour cent en 1985 et de 7,9 pour cent en 86. Les prix des actions chutèrent à 59,8 pour cent, après avoir atteint leur record en 1984, et la capitalisation de tout le marché baissa de 44 pour cent, atteignant 46.7 milliards de dollars de Malaisie à son niveau le plus bas, en avril 1986. La croissance des dépôts du système bancaire passa brusquement d'un taux annuel de 20.3 pour cent en 1984 à3.8 pour cent en 1986 et le taux de croissance des prêts se stabilisa à 6 pour cent à la fin de 1986. En 1980, il était de 36,5 pour cent.

Les événements traumatisants de 1985-86 furent un choc pour les directions des banques et leurs emprunteurs. Tout au long des deux décennies précédentes, le système bancaire malais avait joui d'une période de profits croissants. Durant cette période de croissance ininterrompue et de développement de la propriété (donc de la sécurité des prêts), les prêts à risque étaient négligeables et, en 1983 encore, les mauvaises créances s'élevaient seulement à 1 - 1,5 pour cent de l'ensemble des prêts. Les propriétés saisies pouvaient aisément être vendues à une valeur supérieure à celle de l'encours des prêts. Cependant, avec 37,3 milliards de dollars de Malaisie retirés de la capitalisation du marché financier et les prix des propriétés tombant sous la pression des ventes, les banques commencèrent à affronter le spectre de l'augmentation des prêts non-productifs et des créances douteuses, voire irrecouvrables, en 1985-86.

Le premier signe important de la détresse financière naissante eut lieu en septembre 1985, lorsque l'un des établissements non agréés de dépôt, Setia Timor (Eastern Trust), n'honora pas les retraits sur dépôts. Les déposants manifestèrent leur anxiété et, durant l'année 86, le pays connut des ruées sporadiques sur les établissements financiers fragiles. Bien que la plupart des banques et sociétés financières eussent reçu un important soutien de leurs actionnaires, quatre banques commerciales internes de taille moyenne et quatre sociétés financières affrontaient des difficultés. Ainsi, en juillet 1986, une importante coopérative de dépôt, la Kosatu, qui avait 156 millions de dollars de Malaisie en dépôts, 53000 déposants et 67 agences, suspendait les paiements. La contagion s'étendit rapidement de la Kosatu à d'autres coopératives de dépôts qui furent rapidement à court de fonds pour satisfaire les demandes de retraits En août 86, 24 coopératives de dépôts étaient en difficultés et le risque d'une faillite financière systémique devint une possibilité réelle. La plupart des établissements de dépôt non agréés étaient aussi en difficulté et, en 1987, 33 d'entre eux avaient fait faillite, impliquant 8000 déposants et un total de dépôts de 49 millions de dollars de Malaisie.

4.1.3. Mécanismes d'intervention de soutien des institutions financières

Le gouvernement avait la possibilité d'utiliser les pouvoirs législatifs et les rouages de l'administration pour intervenir et secourir les banques commerciales et les sociétés financières en difficulté. Cependant, pour affronter la crise de la Kosatu, il introduisit une Loi d'Urgence en juillet 1986, comportant les Réglementations Essentielles 1986 (Protection des Déposants), qui donnaient à la banque centrale le pou voir de geler les actifs de la Kosatu et de ses principaux gestionnaires, de confisquer les passeports et d'engager une enquête. Lorsque la crise s'étendit au secteur coopératif d'accueil des dépôts, le gouvernement fit usage de ces moyens pour suspendre et enquêter sur les 23 autres coopératives en difficulté.

Les investigations, qui impliquèrent 17 firmes d'audit comptable travaillant en collaboration avec les équipes d'analyse de la Banque Centrale, révélèrent que les 24 coopératives en détresse avaient 522 000 membres, 630 agences et un total de 1,5 milliard de dollars Malaisiens en dépôts. 21 coopératives apparurent insolvables, avec des pertes évaluées à 683 millions de dollars Malaisiens, soit 38.8 pour cent des actifs. La plupart d'entre-elles ne respectaient pas le ratio minimum de liquidité de 25 pour cent des dépôts et n'étaient pas à même de faire face à L'importants retraits. Les problèmes étaient liés à une gestion très faible, celle-ci incluant:

- un investissement exagéré en immobiliers,
- un manque de contrôle des agences déficitaires, -une large spéculation en actions,
- des prêts imprudents aux dirigeants et autres parties intéressées,
- un détournement frauduleux des fonds, -des abus de confiance,
- de nombreux conflits d'intérêts.

La banque centrale, après les résultats des enquêtes, communiqua à la police neuf cas de fraude ainsi que 21 cas de conflits d'intérêts et fautes techniques.

Les investigations révélèrent aussi de nombreux cas de mépris aux règles statutaires et aux lois. En ouvrant librement des guichets, en offrant des taux d'intérêt élevés et des commissions élevées à leurs agents pour collecter les dépôts, les coopératives étaient entrainées dans le cercle vicieux du financement connu sous le nom de Ponzi (Cavalerie), c'est-à-dire l'utilisation des fonds de nouveaux déposants pour satisfaire les retraits de dépôts et les paiements des intérêts et pour couvrir leurs pertes croissantes. La structure de base des coopératives, fondée sur des dépôts à court terme, était imparfaite en raison d'une sous-capitalisation et d'un surengagement dans les valeurs à long terme et celles spéculatives. De plus, les 24 coopératives de dépôt avaient investi près de la moitié de leurs actifs dans des prêts à des associés ou dans leurs 106 filiales et sociétés associées, qui allaient d'un journal à une société de distribution de produits cosmétiques.

A la suite de l'examen et de la suspension des 24 coopératives de dépôt en difficulté, des pressions commencèrent à s'exercer en vue d'un programme rapide de sauvetage. La situation devenait critique, car plus de 522000 déposants et environ 1,5 milliard de dollars de Malaisie en dépôt étaient impliqués. Le gouvernement nomma un comité spécial d'action pour les coopératives, dirigé par la Banque Centrale et composé de représentants du gouvernement et du secteur privé. Parmi les options prises en considération, il y avait un programme concernant le remboursement immédiat en liquide des dépôts jusqu'à concurrence de 25 pour cent, le placement d'autres 25 pour cent en dépôts sur deux ans à un maximum de 6 pour cent d'intérêts par an et la conversion du solde en actions. Ce programme, proposé comme structure générale de redressement des coopératives fut rejeté, car la presse en fut informée prématurément. Les déposants revendiquaient la garantie totale de leurs dépôts par le gouvernement comme une question de responsabilité morale et légale. Ils s'opposaient aussi fortement à la conversion de leurs dépôts en actions et exigeaient qu'une action légale soit entreprise contre le personnel responsable de la faillite des coopératives de dépôt.

Le train de mesures de sauvetage définitivement mis en place se développait en trois phases. La première concernait le déblocage des dépôts de 11 coopératives qui avaient des découverts relativement petits. En janvier 1987, ces coopératives, qui avaient chacune un aval d'actifs nets de 100 pour cent, reçurent de la Banque Centrale des crédits à taux privilégiés et arrivèrent à un accord avec les banques ou les sociétés de financement nommées pour racheter leurs actifs et passifs. Tous les déposants de ces 11 coopératives devaient être totalement remboursés en liquide sur une période de cinq ans, mais sans intérêts.

La seconde phase du plan de sauvetage concernait un groupe de 12 coopératives ayant subi des pertes modérées à lourdes. Ce programme prévoyait de rembourser intégralement les déposants à travers une combinaison de liquide et d'actions, la partie en liquide représentant au moins 50 pour cent, alors que le solde devait être converti en actions auprès d'une société financière patentée qui absorberait tous les actifs et passifs des douze coopératives. La Banque Centrale acheta des actions dans une société financière et les utilisa comme moyen de sauvetage approuvé par le plan gouvernemental.

La troisième phase concernait la plus grande des coopératives de dépôt, la KSM, qui détenait 549 millions de dollars de Malaisie en dépôts et un aval en actif d'environ 50 pour cent. Le gouvernement accepta une proposition de la Magnum Corporation Berhad (MCB), une grande société publique cotée, et de sa filiale financière autorisée pour le rachat des actifs nets et des passifs de la KSM. Les déposants de la KSM devaient être totalement dédommagés, 50 pour cent payés en liquide en plusieurs étapes de 87 à 89, les 50 pour cent restants payés en principe sous forme d'actions représentatives de capital emprunté par la MCB non-remboursables, convertibles, sans garantie et à un prix à déterminer. Les actions représentatives d'emprunt de la MCB ne devaient produire aucun intérêt dans les deux premières années et être convertibles en actions ordinaires de la MCB à un taux prédéterminé sur deux ans, de 1989 à 1991.

Afin que ces programmes de sauvetage puissent fonctionner, la Banque Centrale dut prévoir 720 millions D M de crédits à un taux privilégié de 1 pour cent par an, plus 280 millions D M de crédits commerciaux à 4 pour cent par an sur une durée de dix ans, pour les établissements financiers rachetant les coopératives faillies. En définitive, le sauvetage des 24 coopératives, représentant une somme de 1.5 milliard de dollars de Malaisie en dépôts, nécessita un milliard de crédits de la Banque Centrale, mais aussi 23.4 millions pour couvrir les frais d'expertise engagés dans les enquêtes et les liquidations.

L'action rapidement entreprise par la Banque Centrale pour intervenir et secourir les banques faillies, les sociétés financières et les 24 coopératives de dépôt, permit de conserver la confiance du public dans le système financier malais et empêcha la crise de s'étendre, alors que l'économie était au creux de la récession. L'année 1987 s'avéra être celle de la reprise de l'économie malaise, ce qui augmenta la confiance du public dans l'économie et le secteur financier. Bien qu'il existât encore de nombreux problèmes non résolus dans les établissements financiers, le "secteur financier malais a retrouvé son souffle, et s'est seulement affaibli là où il aurait dû disparaître" (21)

C) Toutefois, pour le mouvement des banques coopératives en Malaisie, les crises des années 1985-86 représentèrent une sérieuse tempête. La plupart des coopératives de dépôt furent rachetées par d'autres établissements financiers et cessèrent d'exister en tant qu'unités économiques indépendantes. Alors que les coopératives avaient dramatiquement perdu la confiance du public quant à leur capacité de fournir des services bancaires, il était difficile d'entrevoir un avenir pour des opérations bancaires de grande envergure des coopératives. L'objectif des activités bancaires des coopératives était aussi beaucoup plus restreint par la loi qu'auparavant. Le gouvernement modifia la législation concernant les coopératives pour limiter les dépôts de leurs membres à ceux destinés au logement ou à l'éducation, par exemple, et pas à ceux considérés comme épargne générale et dépôts à termes fixes.

4.1.4. Sécurité des dépôts

L'exemple malais illustre la façon dont un système financier peut potentiellement évoluer hors de tout contrôle lorsqu'une économie croît rapidement. La croissance des coopératives de dépôt se réalisa presque sans supervision et un important nombre d'établissements de dépôt non-agréés était apparemment autorisé à opérer impunément. Cependant, il est évident que la seule existence de réglementations n'est pas suffisante. Les contrôles et les amendes pour combattre les violations de la loi ne réussirent pas à empêcher le délit d'initiés, les conflits d'intérêts, les prêts d'importantes sommes aux parties impliquées dans la gestion et autres importants détournements des fonds des déposés au niveau des coopératives bancaires malaises. Il est également évident que les pressions exercées par les membres et les déposants ne pouvaient pas assurer une bonne qualité de gestion de ces établissements.

Lorsque l'activité économique est prospère, les risques inhérents aux prêts incontrôlés, en particulier aux opérations spéculatives et à long terme, peuvent être occultés. Toutefois, comme dans les exemples européens, la récession entraîne rapidement une crise des institutions financières sous- capitalisées ayant de faibles portefeuilles de crédit, des prêts excessifs aux relations personnelles, un surinvestissement dans le secteur foncier et autres propriétés présentant d'autres caractéristiques d'une gestion financière insuffisante. En Malaisie, ceci se manifesta par la disparition, en 1986, des coopératives de dépôt et des établissements non-agréés de dépôt. Tout compte fait, la totalité des actifs de ces établissements ne dépassait pas 5 milliards de dollars de Malaisie, c'est-à-dire 2,5 pour cent de la totalité des actifs du système financier, mais impliquait néanmoins plus d'un demi-million de déposants. Un grand nombre de ces déposants avait perdu toute ou presque toute leur épargne à cause de la crise et, concernés par le sauvetage des coopératives, étaient obligés d'accepter le retard des remboursements sans intérêts ou la conversion de leurs dépôts en actions.

L'intervention rapide du gouvernement malais pour secourir les banques commerciales qui avaient fait faillite et pour introduire une législation qui lui permette d'intervenir dans la crise des coopératives, évita une importante perte de la confiance du public dans le système financier, ce qui était très important pour la protection de la sécurité d'autres dépôts. Cependant, les tentatives de sauvetage étaient coûteuses, et il aurait certainement été plus efficace pour le gouvernement d'allouer plus de fonds pour des inspections régulières et un contrôle minutieux des établissements financiers plutôt que de financer des actions de sauvetage supplémentaires. Il est aussi important de s'assurer qu'une action décisive est entreprise pour affronter les problèmes des établissements en difficulté, dès qu'ils sont identifiés, car les sursis engendrent invariablement des difficultés et impliquent des coûts. L'exemple de la crise financière malaise concernant les coopératives de dépôt qui opéraient en dehors du cadre de tutelle de la banque centrale et du réseau de sécurité conçu pour le secteur bancaire suggère qu'il faudrait prendre en considération l'élargissement du système réglementaire formel destiné à couvrir les intermédiaires semi-institutionnels, pour augmenter la sécurité des dépôts. Donc, en conclusion, la sécurité des dépôts en Malaisie dépend de la qualité de la gestion des services financiers d'intermédiation.

4.2 Kenya: l'expérience conduit à des coopératives spécialisées dans les services financiers

4.2.1. Système financier
4.2.2. Croissance de la crise financière
4.2.3. Sections bancaires des coopératives rurales
4.2.4 Sociétés urbaines d'épargne et de crédit
4.2.5. Sécurité des dépôts

4.2.1. Système financier

Dans le cadre de l'Afrique, le système financier kenyan est convenablement développé, avec un grand nombre d'opérateurs et un réseau d'agences important. Dans les années 80, les nombreux intermédiaires financiers se composaient de 30 banques commerciales, plus de 60 établissements financiers non-bancaires et 10 sociétés d'investissement et de crédit immobilier. Il existait aussi six sociétés de financement du développement, le Kenyan Post Office Savings Bank (la Caisse d'Epargne Postale), qui avait un important réseau d'agences, et de nombreuses coopératives offrant des services d'épargne et de crédit. Les 30 banques commerciales possédaient, à elles toutes, plus de 230 succursales, 80 sous-agences et 160 unités mobiles, c'est-à-dire plus de 470 agences au total. La totalité de leurs dépôts s'élevait à 82 milliards SHK. Les établissements financiers non-bancaires offraient sensiblement les mêmes services que les banques commerciales, à l'exception du marché des changes et des comptes chèques. La totalité de leurs dépôts s'élevait à environ 40 milliards SHK. La Banque Centrale du Kenya remplit les fonctions classiques de banque centrale. Lors du développement du secteur bancaire au cours des années 80, elle dut jouer le rôle de plus en plus difficile de tuteur et contrôleur.

L'implication des coopératives dans l'offre de services financiers commença dans les années 60. A cette époque, les coopératives étaient considérées comme les organisations adéquates pour la mobilisation des dépôts des petits producteurs ruraux et des salariés urbains. Les fonds rassemblés devaient être utilisés pour consentir des prêts aux membres, et donc créer une source de crédit pour les personnes qui, autrement, ne pourraient pas obtenir des prêts des banques commerciales en raison de leur impossibilité à fournir des garanties tangibles. Les coopératives proposant des services financiers se sont tellement multipliées en 25 ans, qu'elles sont devenues d'importants opérateurs sur le marché financier kenyan, en détenant plus de 15 milliards SHK en dépôts vers le milieu des années 80. Les organisations intervenant dans la structure cette année-là étaient:

  1. La Banque Coopérative du Kenya Ltd. - l'organisation centrale du mouvement des banques coopératives, avec un réseau national de 22 agences et un total de dépôts de 2,6 milliards SHK;
  2. plus de 2000 coopératives urbaines d'épargne et de crédit (SACCOs urbaines), avec environ 820000 membres et un total de dépôts de 12 milliards SHK;
  3. 7 Sections Bancaires du niveau secondaire des associations des coopératives à objectifs multiples, avec un total de dépôts de 1 milliard SHK; et
  4. 30 coopératives rurales d'épargne et de crédit (SACCOs rurales), avec un total de dépôts de 98 millions SHK.

Ces coopératives, qui possédaient des milliards de shillings en dépôts, opéraient en dehors des directives prudentielles et des contrôles de la banque centrale (comme les coopératives de dépôt en Malaisie). Elles étaient régies par la Loi des Coopératives et contrôlées par le Ministère du développement coopératif.

4.2.2. Croissance de la crise financière

Vers la moitié des années 30, le secteur financier kenyan fut confronté à un grand nombre de problèmes et à une instabilité continue. Certaines banques commerciales firent faillite, mais ce fut parmi les établissements financiers non-bancaires que surgirent les problèmes les plus graves. Différents facteurs provoquaient les déséquilibres du marché financier kenyan. La récession prolongée, associée à une instabilité politique et la réduction des investissements et des apports de fonds des donateurs, créa un cadre d'opérations difficile pour les établissements financiers. Il existait manifestement une sérieuse inadéquation au sein du secteur, la distribution des crédits subissait des pressions politiques, la Loi bancaire était systématiquement violée et la gestion professionnelle des établissements bancaires était insuffisante. Bien qu'il existe une législation adéquate concernant les opérations du secteur bancaire au Kenya, la Banque Centrale exerçait, en réalité, un faible contrôle sur les établissements financiers qui étaient souvent en étroite relation avec l'élite politique. L'une des préoccupations des donateurs et autres critiques était la facilité d'accès au marché financier. Les autorisations délivrées encore facilement aux établissements financiers au début des années 90, permirent à de nombreux "profiteurs" d'entrer dans le secteur, provoquant un effet désastreux sur la qualité de l'administration et la sécurité des investissements.

Durant la crise bancaire de 1985-86, plusieurs établissements financiers locaux disparurent. Les faiblesses de ces établissements furent identifiées; il s'agissait des problèmes de liquidité, de faible qualité des actifs, des faiblesses des contrôles et des violations de la Loi bancaire. De plus, lorsque le bruit d'une éventuelle crise de l'institution financière commença à circuler au Kenya, il provoqua généralement une ruée vers l'établissement en question, jusqu'à la fermeture des bureaux en attendant des retraits ultérieurs. La preuve confirmant l'instabilité continue fut apportée. L'instabilité continue se confirma en 1993, lorsque 15 établissements financiers furent placés sous le contrôle de la Banque Centrale. La plupart d'entre eux furent par la suite fermés.

L'augmentation rapide du nombre des coopératives impliquées dans les services financiers fut aussi source de problèmes. Le cadre législatif et les systèmes externes de contrôle qui les régissaient furent rapidement dépassés. La Loi des Coopératives s'intéressait plus aux problèmes d'organisation qu'aux règlements et réglementations financières. Le Ministère du développement coopératif, qui est l'organe de contrôle, n'avait pas la capacité d'exercer un contrôle efficace des coopératives intervenant dans les services financiers. Etant donné la faible supervision externe, la sûreté des dépôts des coopératives d'épargne et de crédit dépendait seulement de la qualité de la gestion de chaque coopérative. La vulnérabilité de cette situation devint évidente lorsque plusieurs coopératives perdirent d'importantes sommes déposées dans leurs activités d'investissements et lorsque 4 coopératives bancaires rurales firent faillite, imposant ainsi d'importantes pertes à leurs membres. L'expérience du groupe des coopératives dans l'offre de services financiers au Kenya est examinée de plus près dans les paragraphes suivants.

4.2.3. Sections bancaires des coopératives rurales

Les grandes unions de coopératives caféières de la province centrale du Kenya furent les premières à offrir des services bancaires à leurs membres. Ces unions sont enregistrées comme sociétés polyvalentes secondaires. Leurs principales activités concernent la transformation et la commercialisation du café et/ou d'autres récoltes destinées à la vente, le transport, l'approvisionnement des exploitations en moyens de production, les services de comptabilité, la formation et l'éducation. Les services bancaires sont organisés en sections à l'intérieur des unions. Un sous-comité bancaire, recruté dans le comité de gestion de l'union (le conseil), se charge des affaires bancaires des sections, en association avec le secrétariat et le personnel bancaire employé. Les unions de coopératives à objectifs multiples se sont engagées dans le secteur de l'offre de services financiers pour les raisons suivantes:

- les unions couvraient un nombre suffisant d'exploitants à travers les sociétés affiliées;
- les unions possédaient un pool de comptabilité;
- des programmes de crédit avaient déjà été introduits à travers les associations;
- les unions disposaient d'un personnel plus qualifiés que les sociétés primaires;
- les unions avaient une garantie tangible pouvant être utilisée si des fonds externes destinés à des prêts étaient nécessaires au développement des opérations de prêts de la section bancaire.

Grâce à la commercialisation du café et au versement direct des bénéfices sur les comptes d'épargne des membres, le volume des opérations financières augmenta rapidement. Au début des années 80, les grandes associations du café étaient devenues auto-suffisantes en fonds et, après avoir couvert les besoins des exploitants en prêts saisonniers et à moyen terme, elles comptaient d'importantes sommes de fonds liquides à investir dans les banques et les sociétés financières. Les bénéfices des opérations de la section bancaire provenant des unions de café couvraient une part importante du total des frais généraux de ces unions. Le tableau 4.1 illustre la croissance des sections bancaires des coopératives de niveau secondaire au Kenya et expose leur succès en matière de mobilisation de l'épargne rurale.

Sections bancaires des coopératives du niveau secondaire au Kenya

  1980 1993
Nombre de sections    
bancaires des coopératives 15 11
Nombre de membres servis 328,000 527,000
Total de l'épargne    
(en million de SHK) 277 1,060
Total des prêts    
(en million de SHK) 228 528

Depuis 1980 4 sections bancaires ont disparu

Les premiers problèmes importants des sections bancaires surgirent vers le milieu des années 80, lorsqu'un grand nombre d'établissements financiers de Nairobi firent faillite. Attirées par des offres de taux d'intérêt supérieurs à la normale, diverses sections bancaires des coopératives avaient investi leurs liquidités dans ces organismes bancaires de deuxième ordre (expérience semblable à celle des coopératives hongroises). Elles perdirent près de 40 millions SHK. Il se trouvait que, au début, ce furent les meilleures sections qui perdirent ces dépôts inter-bancaires, et elles firent en sorte de couvrir les pertes en recourant à leurs propres réserves. Ainsi, il n'y eut pas de pertes directes pour les membres déposants.

Les crises financières subies par un certain nombre de sections bancaires fragiles furent très sévères. Entre 1987 et 1993, la disparition de 4 sections bancaires fut provoquée par différents facteurs tels que l'utilisation de l'épargne des membres pour couvrir des activités déficitaires de l'union, un manque de discipline, de contrôle et une mauvaise gestion. Les détails des faillites sont donnés dans le tableau 4.2.

Les tentatives de récupérer les prêts non-remboursés des membres des Unions dont les sections bancaires avaient fait faillite furent infructueuses. Cet insuccès fut source de préoccupations majeures pour les sections bancaires restantes. Une part importante de leurs portefeuilles de prêts fut aussi considérée comme non-recouvrable, environ 18-20 pour cent de la totalité des prêts, c'est-à-dire 500 millions SHK. Aucune section bancaire n'avait réalisé de provisions adéquates pour les mauvaises créances et la plupart d'entre elles ne possédaient pas de provisions du tout. Les risques de crise, accentués par l'existence de prêts non-productifs, étaient considérables.


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