5. Protection des dépôts dans le secteur informel

Table des matières - Précédente - Suivante

5.1 Les caractéristiques clés des opérations du secteur informel
5.2 Les associations d'épargne et de crédit
5.3 Les sociétés financières informelles

RESUME

Ce chapitre:

Analyse l'importance et le succès des petites associations d'épargne et de crédit informelles dans les pays en voie de développement.

Il décrit les procédures qui garantissent le maintien d'une discipline financière stricte et de la sécurité des dépôts dans les tontines et les mutuelles.

Il relève aussi l'importance d'une bonne connaissance de la situation locale et des pressions exercées par la communauté pour obtenir un degré élevé de loyauté de la part des membres et minimiser les défauts de paiement.

Il examine ensuite les circonstances favorables à la croissance des entreprises financières commerciales du secteur informel sur le marché de la collecte des dépôts.

Il indique enfin le degré élevé de risque inhérent aux dépôts dans de telles compagnies.

5.1 Les caractéristiques clés des opérations du secteur informel

Tout ce qui fournit, sur le mode informel, des services d'intermédiation financière a une importance capitale dans la plupart des pays en développement. Les petites associations d'épargne et de crédit sont souvent caractérisées par une discipline financière stricte et un degré élevé de sécurité des dépôts. Toutefois, lorsque leurs opérations s'étendent, ces organisations informelles peuvent commencer à rencontrer des problèmes. Il a été démontré que dans les grands groupes non agréés de ce genre, l'épargne peut être très risquée, et certains pensent que ces groupes devraient être soumis à une réglementation légale prudentielle ainsi qu'à un contrôle public.

Le fait que l'indulgence financière soit beaucoup plus rare à l'intérieur des petites associations d'épargne et de crédit constitue l'une des différences les plus frappantes qui existent entre les secteurs formels (ou semi-formels) et informels des marchés financiers dans les pays en développement. Il a été prouvé que, très fréquemment, des opérateurs formels ou semi-formels accordaient des prêts à des clients non solvables et que tant les emprunteurs que les responsables du crédit pouvaient s'associer afin d'en tirer des bénéfices personnels. Toutefois, dans le secteur informel, où les fonds proviennent la plupart du temps de l'épargne locale, les membres des associations d'épargne et de crédit font tout leur possible pour être sûrs de ne pas perdre leur argent. S'il subsiste le moindre doute, ils refuseront de mettre leur argent en commun et chercheront d'autres options pour leur épargne.

13 Les stratégies utilisées pour protéger l'épargne et éviter les pertes sont aussi variées que le secteur informel lui-même. Elles combinent généralement prudence, minutieux examen de la crédibilité et de la solvabilité des partenaires, évaluation approfondie des créneaux commerciaux et des risques, et mesures de précaution et de prévention. Dans la plupart des cas, les sanctions appliquées dans le secteur informel empêchent de façon efficace les personnes d'agir avec malhonnêteté. Parier avec les emprunteurs de leur attitude face à leurs obligations envers différents types d'institutions financières est très révélateur. Une personne ayant fait un emprunt auprès d'une banque de développement ou d'une société coopérative pourrait tout à fait être tentée de ne pas payer, alors qu'elle ferait tout son possible pour payer ses contributions d'épargne et ses remboursements de prêt à la date fixée s'il s'agissait d'un intermédiaire dans le secteur informel. Dans de nombreux cas, les membres d'une association d'épargne seraient prêts à emprunter de l'argent pour pouvoir verser leur contributions d'épargne et leurs remboursements, alors que cela serait beaucoup moins probable dans le cas d'un prêt émis par une banque, ou une coopérative.

5.2 Les associations d'épargne et de crédit

Les formes les plus courantes d'associations informelles d'épargne et de crédit, les tontines rotatives et non rotatives (dites tontines financières"), sont présentes dans la plupart des pays en développement. Une documentation importante concernant leurs opérations dans ces pays existe, traitant même de cas isolés. Bien que peu d'auteurs aient systématiquement évalué les résultats financiers de ces associations, la plupart d'entre eux s'accordent à dire que l'obligation de payer les contributions d'épargne à temps et de rembourser les prêts à l'échéance prévue est très souvent respectée 27 Lorsqu'une analyse a été entreprise, les résultats confirment ces indications générales. Par exemple, d'après une étude sur les associations d'épargne et de crédit (BAMS), parmi les Tiv au Nigéria, le taux de remboursement atteignait 98 pour cent à la fin des années 60 28; et une étude réalisée plus tard sur les BAMS a révélé un taux de non-paiement de 1,3 pour cent et un taux de 4,4 pour cent dans les associations (OJA) parmi la population Igala.(29) En Inde, les cagnottes, gérées par des particuliers plutôt que par des groupes, auraient un taux de mauvaises créances ne dépassant pas 7 pour cent du volume total des transactions et la part de créances douteuses dans le "nidhi" (Fonds de Profit Commun dans le sud de l'Inde), est égale à zéro.(30) En Thaïlande, la part de tontines (ROSCAS) ayant eu des difficultés dues au non-paiement était en moyenne de 0,5 pour cent.(34)

Différents systèmes et procédures ont permis d'atteindre ce niveau élevé de discipline d'épargne et de crédit dans les associations d'épargne et de crédit informelles. Chaque association commence ses opérations par une sélection scrupuleuse des membres et des épargnants associés. Qu'il s'agisse d'un particulier essayant de créer une tontine et voulant choisir et convaincre d'autres particuliers de se joindre à lui, ou qu'il s'agisse d'un candidat à la recherche d'une association d'épargne qui lui convienne, tous s'analysent et s'évaluent les uns les autres de façon approfondie. Dans les associations de type tournant, chaque membre doit disposer d'une source de revenu qui lui permettra d'effectuer les paiements selon les accords fixés. Lorsque des prêts sont accordés, tous les membres doivent avoir une réputation, une crédibilité et une solvabilité satisfaisantes. Si un membre potentiel ne peut remplir ces conditions, il ou elle évite alors généralement de se joindre à un tel groupe

Lorsqu'un groupe d'épargne commence ses activités, les membres sélectionnent généralement un président, un trésorier et un secrétaire, séparant ainsi les diverses fonctions et créant dans de nombreux cas un système de contrôle mutuel. Les transactions financières sont souvent réalisées en public et non pas à huis clos. Lorsque tous les membres sont présents, le "principe de la transaction en plein jour" est fermement établi et le risque de vol et de tricherie est ainsi réduit.(32) De nos jours, presque tous les groupes informels tiennent des comptes.(33) C'est un moyen d'éviter toute confusion, de garantir la transparence des opérations et de vérifier la précision des transactions conduites par la ou les commissions. Lorsque les membres ont des doutes, ils peuvent exiger que des carnets d'épargne personnels, dans lesquels toutes les contributions d'épargne sont enregistrées, soient produits. Dans certains cas, les positions des personnes qui traitent l'argent sont doublées afin de réduire la probabilité d'erreurs, de mauvaise gestion et de détournement des fonds.

Dans les tontines la rotation en ce qui concerne l'ensemble de la collecte du jour est déterminée de différentes façons, mais, invariablement, seuls les membres de bonne réputation occuperont une position privilégiée tandis que les nouveaux membres seront moins favorisés. Le système de mise aux enchères est surtout pratiqué dans les groupes où la crédibilité de tous les membres est au-dessus de tout soupçon. En Thaïlande, par exemple, l'organisateur et le caissier reçoivent des offres de tous les membres et attribuent le montant total perçu au plus offrant. Si l'un des membres ne paie pas, le "receveur" est tenu personnellement pour responsable et doit payer pour le défaillant. En récompense ou en compensation de ce risque, le "receveur" reçoit le premier tour sans aucune majoration.(34) La plupart des groupes informels ont une durée de vie limitée, bien qu'en général les membres commencent un nouveau tour immédiatement après la fin du précédent. Lorsque les fonds sont accumulés, ils sont habituellement redistribués aux membres à la fin d'un cycle. Par conséquent, les montants investis dans un tel système sont limités et le risque de perte est réduit. Alors que cela représente un avantage du point de vue de la sécurité, cela restreint sérieusement le développement financier, car aucune réserve n'est constituée et aucun fond de prêt n'est disponible au commencement d'un nouveau tour.

Dans les associations d'épargne et de crédit où des dépôts sont constitués, la sécurité des fonds représente un problème fondamental pour les membres. Si les fonds accumulés ne sont pas utilisés pour accorder des prêts, ils sont généralement déposés auprès d'institutions financières formelles, à condition que les coûts de transaction ne soient pas prohibitifs. Toutefois, la plupart des groupes préfèrent utiliser leur fonds pour accorder des prêts à leurs membres, et, dans les cas exceptionnels, aux non-membres. Les conditions de prêt et de garantie varient d'un endroit à l'autre et sont plus diverses et novatrices que dans le secteur formel. Les techniques utilisées par les groupes, avant déboursement, pour réduire les risques et assurer le remboursement des fonds comprennent généralement:

(a) une évaluation attentive de la solvabilité des emprunteurs en ce qui concerne leurs actifs, leur honnêteté, leur performance dans le groupe, leurs antécédents an matière d'emprunt, leurs obligations financières familiales, le montant des autres dettes, la régularité et le montant de leur revenu, l'objectif et la rentabilité du projet à financer;
(b) la limitation des prêts à des objectifs productifs;
(c) la présence d'un témoin indépendant pour les transactions;
(d) la présentation d'un ou de plusieurs garants parmi les membres capables de représenter l'emprunteur grâce à leur épargne individuelle et à l'ensemble de leurs actifs;
(e) la mise en gage de biens personnels;
(f) la réduction du montant accordé par emprunteur, afin de permettre à davantage de membres de recevoir des sommes plus modestes, plutôt que des sommes plus importantes soient accordées à un nombre restreint de membres;
(g) la déduction de l'intérêt du prêt avant sa libération.

Une mesure très importante visant à assurer la sécurité des fonds dans les associations d'épargne et de crédit est la rigueur de remboursement. Dans le secteur informel, les nombreuses sanctions prévues pour les contrevenants contrastent fortement avec la tolérance et le laxisme du secteur formel. Ces sanctions sont réglées avec précision par les organisateurs et les membres des associations d'épargne en accord avec les normes socio-culturelles, les coutumes locales, les modes de comportement et les systèmes de valeur. Dans la plupart des cas, les sanctions font partie du système de loi coutumier, démontrant ainsi que les lois coutumières continuent souvent à exister et à fonctionner, de façon probablement plus efficace que la législation d'Etat elle-même. En fait, dans les sociétés ethniques, les systèmes de loi traditionnels ne sont pas fixes et les règles et réglementations évoluent.(35)

En général, comme dans le secteur formel, les mesures prises pour obliger les paiements sont pré-déterminées et la pression exercée augmente graduellement. Une série de mesures typiques peut comporter par exemple:

(i) un rappel du comité;
(ii) un avertissement du Président;
(iii) une invitation à s'expliquer sur les raisons du non paiement au Comité, voire à l'Assemblée des membres;
(iv) l'imposition d'une amende;
(v) un avertissement final;
(vi) la confiscation de l'épargne;
(vii) la confiscation de l'épargne du garant;
(viii) la confiscation des autres actifs appartenant à l'emprunteur;
(ix) l'annonce d'une date à laquelle ces biens seront mis en enchères;
(x) la vente aux enchères.

Dans les sociétés centralisées, l'intervention des hauts rangs de la sphère socio-politique locale suffit généralement à assurer que les défaillants chercheront un moyen d'obtenir les sommes d'argent nécessaires au remboursement de leurs dettes. La pression directe, la menace d'expulsion ou de divulgation de la nouvelle de leur non-paiement, ainsi que la perte des facilités de dépôt et de leur crédibilité exercent généralement une pression suffisante sur le défaillant. Tout cela se fait dans le cadre de la loi coutumière, et les actions entreprises sont généralement connues et largement acceptées par tous les membres de la communauté. Rares sont donc les cas qui font l'objet de discussions, et l'intervention de la police et des tribunaux n'est que rarement sollicitée. Le nombre de recours en justice signalés est négligeable et, dans la plupart des cas, les autorités du village ont utilisé leurs contacts avec l'Etat pour demander son assistance comme une faveur et non pas comme une affaire juridique. Par les sanctions directes prises contre un défaillant, il existe également des sanctions appliquées à l'intérieur du réseau communautaire au sens large. Dans les sociétés hiérarchisées et centralisées, les autorités villageoises peuvent empêcher la redistribution des biens aux défaillants, ou interdire à une personne l'accès au système d'aide mutuelle. Dans les sociétés fragmentées ou décentralisées, l'interruption de la réciprocité peut jouer une rôle plus décisif.

Un autre aspect crucial de la sécurité des dépôts dans les associations d'épargne et de crédit informelles est celui de la préservation physique de l'argent liquide. Ce problème ne concerne pas les tontines mais il revêt une importance particulière pour tous les groupes de crédit non-tournant dans lesquels les fonds sont accumulés. La plupart des groupes essaient de réduire le montant d'argent liquide qui se trouve en trésorerie, soit en accordant des prêts aux membres, soit en déposant l'excédent dans des banques ou d'autres institutions financières. Lorsque les groupes déposent une partie de leur épargne dans une banque, ils utilisent généralement de un à trois signataires pour le compte, plusieurs signatures étant nécessaires pour retirer de l'argent. Un livre de comptes peut être conservé par un autre membre de la commission.

Si les groupes sont trop éloignés des banques, si l'accès aux banques en cas d'urgence n'est pas assuré, si les personnes n'ont pas confiance dans les banques, ou encore si les retraits sont réglementés de façon trop bureaucratique, les fonds accumulés peuvent être entreposés auprès des groupes eux-mêmes. Ces fonds sont généralement confiés à un président ou à un trésorier respecté, souvent un membre féminin du groupe, auprès duquel les fonds sont considérés comme étant plus en sécurité. Les membres s'assurent généralement que cette personne est suffisamment riche pour pouvoir résister à la tentation de détourner les fonds du groupe. Dans certains cas, les groupes entreposent l'argent liquide dans un coffre-fort, le ferment à clé et remettent la clé et la caisse à deux personnes différentes. Si cela ne suffit pas aux yeux des membres, le président peut remettre la caisse et la clé à différentes personnes à tour de rôle, sans qu'aucun des membres ordinaires ne sache jamais qui, à un moment donné, en a la possession. Dans tous les cas de figure, l'argent liquide qui doit être entreposé est compté en public, le montant est enregistré dans les comptes par le secrétaire et la caisse est ensuite fermée à clé. Lors de la réunion suivante, la caisse est ouverte en public, la somme est comptée et vérifiée en se référant aux registres du secrétaire. Dans les "banques villageoises" au Mali, en Gambie et dans d'autres pays, un solide coffre-fort constitue l'une des raisons principales qui poussent un membre à entrer dans ces organisations.

Grâce aux systèmes et aux procédures qui viennent d'être décrits, les associations d'épargne et de crédit des pays en développement adoptent généralement une politique sérieuse éliminant tout risque et offrent des facilités de dépôt en coffre aux petits épargnants. Il a été question d'obliger ces associations à être inscrites et à avoir une agréation pour pouvoir opérer, ce qui les soumettrait à un règlement écrit et à des prescriptions concernant le capital minimum et les limites maximum de contribution de chaque membre. Toutefois, l'expérience de l'intervention de l'Etat dans les institutions financières formelles et semi-formelles dans les pays en développement semble indiquer qu'il serait peu probable que l'intervention du gouvernement dans le secteur informel augmente la sécurité de l'épargne dans ces groupes. De plus, les groupes d'épargne et de crédit Informels qui ont connu le plus de problèmes ont été ceux qui ont été créés à l'initiative d'organismes gouvernementaux ou de projets de développement. Il semble que le succès des associations d'épargne et de crédit autochtones dépende beaucoup de la spontanéité et des liens de voisinage privé ou professionnel à l'intérieur de la communauté, facteur qu'une réglementation venue d'en haut ne pourrait qu'étouffer et miner. Au contraire, les institutions formelles et semi-formelles pourraient beaucoup apprendre de la discipline des groupes informels. En effet, l'utilisation croissante de l'approche de groupe par les institutions formelles semble indiquer que celles-ci ont déjà saisi les avantages dérivant des pratiques des groupes informels.

5.3 Les sociétés financières informelles

Par opposition aux associations d'épargne et de crédit informelles et à leurs résultats enviables en ce qui concerne la sécurité des dépôts, certains pays ont un tout autre type d'organisations dans le secteur financier informel, organisations qui représentent un risque beaucoup plus grand pour la sécurité des dépôts. Comme cela est mentionné dans le Chapitre I, il s'agit de sociétés commerciales qui s'établissent en tant que sociétés financières et qui fonctionnent hors des réglementations des banques centrales. Elles comblent souvent un vide que les institutions bancaires formelles ne remplissent pas, et occupent un créneau économique inutilisé. Dans de nombreux cas, une période de forte croissance, pendant laquelle de telles sociétés se sont parfois emparées d'une part importante du marché des dépôts, a été suivie par une chute tout aussi rapide. Un exemple de cette série d'événements a déjà été décrit à la section 4.1, dans l'étude du cas de la Malaisie, où des institutions de collecte de dépôts non agréées prospérèrent jusqu'au milieu des années 80; beaucoup d'entre elles s'effondrèrent ensuite, infligeant des pertes importantes aux déposants. Parmi les autres pays ayant connu des problèmes semblables, figurent le Pakistan, l'Inde, en particulier l'Etat de Kerala, et la Thaïlande. L'exemple d'un système non agréé de collecte de dépôts est présenté dans l'encadré 5. 1, et les événements ayant conduit à la fermeture de sociétés financières informelles en Thaïlande sont décrits ci-dessous afin d'illustrer davantage encore les risques que ce type d'opération représente pour les épargnants.(36)

Entre 1977 et 1979, le Pakistan a connu une prolifération de sociétés financières dans le secteur informel. Elles sont apparues à une époque où les institutions nationalisées formelles ne servaient pas de façon satisfaisante les épargnants de la population rurale, à cause notamment des réglementations sur le prix des services financiers. La capacité d'épargne avait également augmenté de façon considérable, les rapatriements de capitaux des ouvriers au Moyen-Orient ayant sextuplé. De plus, l'établissement d'un code bancaire islamique qui aurait interdit l'intérêt sur le capital et imposé un impôt religieux sur l'épargne faisait l'objet d'un débat. Dans de telles conditions, les sociétés financières informelles, utilisant des approches alternatives pour mobiliser l'épargne, eurent un grand succès. Au milieu de l'année 1979, elles avaient atteint un sommet, et on dénombrait 80 sociétés en activité, dont la somme des dépôts atteignait presque un demi-milliard de roupies, soit 12 pour cent des dépôts du secteur informel. Elles disposaient d'un total de 1290 succursales comptant 13.867 agents.

Encadré 5.1 Thaïlande: L'affaire des "camions de pétrole"

Dans les institutions financières informelles, la pratique consistant à utiliser les nouveaux dépôts pour payer le produit de conflits a toujours été courante. C'est ce qui s'est passé en Thaïlande dans les années 60 et 70 avec le dit système des "camions de pétrole". Les agents des sociétés concernées cherchaient des investisseurs ou des déposants désireux d'obtenir des rendements élevés sur leur capital. Pour chaque investissement de "camion de pétrole", estimé à 160.800 bahts, un intérêt mensuel d'un minimum de 6,3 pour cent (moins 4 pour cent d'impôts) était offert. Les agents recevaient une commission sur chaque paiement de "camion de pétrole" reçu.

Plus tard, d'autres opérateurs modifièrent le système en vendant aux investisseurs une moitié de "camion de pétrole" ou une "roue", estimée à 10.000 bahts, Des contrats d'emprunts ou des chèques postdatés étaient utilisés comme documents de garantie. Au lieu que ces transactions soient appelées "accueils de l'argent du public'', cette activité était nommée "emprunt", ce qui à l'époque n'était pas réglementé par la loi.

Lorsque le gouvernement prit connaissance du volume et du caractère spéculatif de ces opérations ainsi que du détournement des fonds des épargnants, le Décret d'urgence sur l'emprunt frauduleux contre le B.E public 2527 (1983) fut voté afin d'interdire ces activités. Les pertes totales des 22.180 personnes qui avertirent les autorités (sans compter évidemment celles qui ne signalèrent pas leurs pertes) s'élevèrent à 6.048 millions de bahts, soit environ 240 millions de dollars US, ce qui représentait à l'époque presque 6 pour cent de l'ensemble des dépôts auprès des institutions bancaires formelles.

Un certain nombre de facteurs, s'ajoutant à la légère augmentation des taux d'intérêt sur les dépôts, expliquent la croissance spectaculaire de ces sociétés. La plupart des dépôts étaient relativement modestes et provenaient des régions rurales, entre autres de villages éloignés dépourvus de succursales bancaires. Des jeunes gens instruits, sans emploi, issus de familles influentes en particulier, étaient engagés et incités à user de leur prestige pour obtenir des dépôts. Les services offerts étaient plus flexibles et personnalisés que ceux des banques, et les rendements des fonds investis devaient être partagés avec les déposants, et non les intérêts, ce qui attirait les personnes soumises à l'impôt religieux des régions rurales.

Si ces sociétés privées connurent un essor spectaculaire sur une courte période, leur effondrement le fut tout autant. Les sociétés fondées au début étaient pour la plupart en des mains compétentes et engendraient un degré considérable de bonne volonté parmi les épargnants. Toutefois, étant donné la libre admission et l'absence de tout contrôle de prévention, quiconque désirant fonder une société de ce genre était libre de le faire. Bientôt, des agents peu scrupuleux apparurent sur le marché, désireux de gagner leur part des profits élevés. Une part croissante des investissements servit à financer des entreprises douteuses. Lorsque les déposants qui n'obtenaient pas de rendements satisfaisants essayèrent de retirer leurs dépôts, ils furent dans l'impossibilité de récupérer leurs fonds et de nombreuses plaintes commencèrent à paraître partout dans les journaux. Au milieu de l'année 1979, les propriétaires de sociétés financières privées présentèrent au gouvernement une pétition demandant la réglementation et le contrôle de ces sociétés, et recommandèrent un ensemble détaillé de conditions de prévention pour leurs sociétés. Au lieu de cela, le gouvernement ouvrit une enquête sur les irrégularités commises par quelques-unes des sociétés et déclara ensuite que celles-ci ne pouvaient plus conserver de comptes de dépôt auprès des banques nationalisées. Cela, s'ajoutant aux histoires relatées dans la presse, provoqua une ruée sur les dépôts, à laquelle les sociétés ne purent résister. En octobre 1979, le gouvernement imposa l'interdiction totale de ces sociétés, confisqua leurs biens et commença une enquête sur les plaintes des déposants. Des centaines de milliers d'épargnants relativement pauvres perdirent au moins une partie de leurs dépôts.

Des leçons peuvent être tirées de l'expérience des sociétés financières dans le secteur informel. Il est certain que ces sociétés peuvent être extrêmement efficaces en ce qui concerne la mobilisation de l'épargne. Avec leurs méthodes peu conventionnelles, comme par exemple le paiement d'un salaire-cum-commission aux employés ainsi que l'établissement de succursales à un seul employé, elles peuvent solliciter l'épargne même dans les villages les plus reculés. Toutefois, en fonctionnant en dehors du cadre réglementaire, la croissance rapide tend à conduire aux investissements spéculatifs, au détournement croissant des fonds et à une diminution de la sécurité pour le déposant. Afin d'empêcher l'effondrement coûteux des institutions financières de ce genre, la réglementation devient nécessaire au fur et à mesure que l'ampleur de leurs opérations augmente. Le plus grand défi est d'inventer un système de réglementations qui maintienne la flexibilité nécessaire et les frais de transactions peu élevés de ces opérateurs, tout en garantissant au déposant un niveau acceptable de sécurité. A cet égard, la situation concernant ces institutions financières privées est semblable à celle des coopératives et des organisations semi-formelles dans les pays en développement.

Notes

27. Voir les travaux effectués par les auteurs suivants sur les associations d'épargne et de crédit:

- F. Bouman, The ROSCAs: Financial Technology of an Informal Savings and Credit Institution in Developing Economies, dans Savings and Development, Vol. 3,4, 1979, pp. 253 - 276;
- E. Kropp, M. Marx, P. Pramod, B. Quinones et H. Seibel, Linking Self-Help Groups and Banks in Developing Countries, TZ-Veriagsgesellscheft, Rossdorf, 1989, p.46;
- J. Holst, "Le rôle des institutions financières informelles dans la mobilisation de l'épargne", aux éd. D. Kessler, et P.A. Ullmo, Epargne et Développement, Economica, Paris, 1985, pp. 121 - 154;
- D. Adams, et D. Fitchett, "Introduction" aux éd. D. Adams, et D. Fitchett, Informal Finance in Low-lncome Countries, Westview Press, Boulder, 1992, p.13;
- G. Schreider et C. Cuevas, "Informal Financial Groups in Cameroon" aux éd. D. Adams, et D. Fitchett, op cit, p.48;
- C. Nayer, "Strengths of Informal Financial Institutions: Examples from India" aux éd. D. Adams, et D. Fitchett, op cit, p.205;
- D. Adams, et M. Canavesi, "Rotating Savings and Credit Associations in Bolivia", aux éd. D. Adams, et D. Fitchett, op cit, p. 320.

28. Morss, E.R., J.K. Hatch, MicElewait D.R. & Sweet C.F., "Strategies for Small Farmer Development" An Empirical Study of Rural Development Projects in Gambia, Ghana, Kenya, Lesotho, Nigeria, Bolivia, Colombia, México, Paraguay and Peru. Boulder (Col.) 1976.

29. M. Marx, Gewohnheitsrecht als Entwicklungspotential. Selbsthilfeorganisationen in Nigeria, aux éd. Breitendach, Saarbrücken et Fort Lauderdale, 1 990.

30. C. Nayer, op cit.

31. D. Vongpradhip, Urban Unorganised Money Markets in Thailand, Bank of Thailand, Department of Economic Research, Bangkok, 1987.

32. G. Schreider, et C. Cuevas, op cit.

33. Voir M. Marx, op cit, et G. Schreider, et C. Cuevas, op cit.

34. D. Vongpradhip, op cit.

35. M. Marx, op cit.

36. L'information sur les sociétés financières au Pakistan est tirée de:

- Asian Development Bank, Informal Finance: Some Findings from Asia, Economics and Development Research Centre, Asian Development Bank, 1990, Ch. 5 et 15; et
- R. Vogel, et R. Wieland, "Regulatory Avoidance in Informal Financial Markets" aux éd. D. Adams, et D. Fitchett, op cit.


Table des matières - Précédente - Suivante