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Chapitre II - Négociations commerciales multilatérales du cycle d'Uruguay


2.1 Protectionnisme agricole
2.2 Acte final de Marrakech
2.3 Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires


Les difficultés rencontrées lors des négociations commerciales multilatérales du cycle d'Uruguay peuvent s'expliquer par la situation économique générale et les habituels conflits d'intérêt entre les grandes puissances; elles furent aussi la conséquence des dossiers traités: d'une part, il fallait parvenir à résoudre la question de la non-universalité du GATT, et d'autre part arriver à réguler les nouvelles formes du protectionnisme qui est apparu au cours des années 80.

2.1 Protectionnisme agricole

Si les négociations sur la plupart des produits industriels n'ont pas posé de problème particulier, deux dossiers, celui des produits agricoles et celui des services ont provoqué de telles difficultés qu'ils ont risqué, jusqu'à la mi-décembre 1994, de faire échouer la conclusion du cycle des négociations.

Les produits agricoles n'étaient pas sujets aux négociations du GATT depuis 195511 Cette situation provoquait des affrontements nombreux entre les parties contractantes ayant des intérêts agricoles divergeants. Selon l'alors Secrétaire général du GATT, A. Dunkel, il y avait dans ce secteur autant d'interprétations juridiques des droits et obligations qu'il y avait de pays signataires. La concurrence était donc obscurcie par la capacité financière des pays exportateurs à subventionner certaines productions avec pour conséquence d'écarter les pays en développement des marchés mondiaux12 Certes, bien que le commerce des produits agricoles ne représentât à l'époque qu'à peine plus de 10% environ du volume des échanges mondiaux, il n'en était pas moins un "concentré" des obstacles qui pouvaient exister, qu'il se fût agi des mesures aux frontières ou de celles liées à la production.

(11Voir Jouanneau D., Le GATT, PUF, "Que sais-je?", Paris, 1987 (2ème édition), et Section 1.3.1 du présent ouvrage.)

(12 Voir Dunkel. A., Interview dans Libération du 4 décembre 1992.)

Sur ces conflits, l'on pouvait regrouper en trois pôles les divers intérêts divergeants13:

(13Voir Philippe B, L'Europe Verte en mutation dans les négociations commerciales multilatérales, in Messerlin P. et Vellas F, Conflits et négociations dans le commerce International, l'Uruguay Round, Economica, Paris, 1989.)

(a) les pays libre-échangistes, c'est-à-dire, le "Groupe de Cairns"14, exportateurs nets importants (l'Australie tire environ 40% de ses recettes d'exportation du commerce des produits agricoles), qui appliquaient un protectionnisme sélectif et subventionnaient peu leur agriculture;

(14Nations fortement exportatrices de produits agricoles ainsi dénommées en raison de leur réunion initiale en 1986 à Cairns. Ces nations sont au nombre de 14, les principales étant l'Argentine, l'Australie, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie, Fidji, la Hongrie, l'Indonésie, la Malaysie, la Nouvelle Zélande, les Philippines, la Thaïlande et l'Uruguay.)

(b) les pays importateurs fortement protectionnistes qui subventionnaient considérablement leur agriculture mais n'exportaient que très marginalement comme la Suisse ou la Norvège. Dans le cas du Japon, le protectionnisme est la résultante du poids politique d'une catégorie socioprofessionnelle (celle des producteurs) conformément à la théorie des choix publics: les importations de riz sont prohibées sous prétexte d'assurer la sécurité alimentaire pour les denrées de base de l'alimentation traditionnelle15;

(15 Or, le Japon recourt aux importations d'autres produits alimentaires de manière importante pour plus de la moitié des besoins caloriques, la viande et les agrumes provenant notamment des Etats-Unis. En fait, l'agriculture japonaise, fortement aidée par les pouvoirs publics et plus particulièrement la riziculture, a une influence très importante sur la vie politique, en raison des découpages électoraux. Enfin, on peut noter que les riziculteurs sont parmi les plus fidèles électeurs du parti libéral démocrate qui les soutient en retour en protégeant leur production. Le concept de sécurité alimentaire n'est ici qu'un habillage de la défense des intérêts d'un électorat sûr.)

(c) les pays qui pratiquent un soutien important à leur agriculture et qui sont de gros exportateurs, tels les Etats-Unis et les Etats membres de l'Union Européenne qui trouvèrent une issue au conflit pour l'approvisionnement des marchés dans la signature de l'Acte final reprenant les résultats des négociations commerciales du cycle de l'Uruguay (Acte final de Marrakech).

2.2 Acte final de Marrakech


2.2.1 But et forme des mesures
2.2.2 Domaine d'application et relations avec le commerce


L'Acte final de Marrakech est composé d'une série d'accords particuliers qui dessinent une nouvelle organisation du GATT caractérisée par sa grande complexité16 L'architecture générale qui est donnée en annexe au présent ouvrage est à la fois proche du GATT (certaines institutions ne font que changer de nom) mais il contient aussi des innovations administratives et scientifiques essentielles, telle la création de l'OMC. Formellement, le GATT devient l'OMC, étant elle-même le gestionnaire de plusieurs accords. Ainsi l'OMC constitue-t-elle un cadre englobant l'Accord général de 1947 et les résultats des négociations commerciales du cycle de l'Uruguay.

(16 Le texte de l'Acte final de Marrakech est donné en annexe Journal officiel français, lois et décrets n° 275, 26 novembre 1995.)

2.2.1 But et forme des mesures

Tous les signataires s'engagent à assurer l'innocuité des produits alimentaires et à empêcher la dissémination de parasites et maladies chez les animaux et les végétaux. Les mesures sanitaires peuvent revêtir de nombreuses formes: certains pays peuvent par exemple exiger que les produits proviennent d'une zone exempte de tout vice, ou encore que les produits importés soient inspectés et garantis avant le départ, qu'ils subissent un traitement ou une transformation spécifiques, que les résidus de pesticides ne dépassent pas une certaine dose, ou que seuls certains additifs soient utilisés. Ces éléments restent donc sous l'empire du principe de souveraineté nationale.

2.2.2 Domaine d'application et relations avec le commerce

Les mesures sanitaires (santé des personnes et des animaux) ou phytosanitaires17 sont appliquées aux produits alimentaires d'origine nationale ou aux maladies locales d'animaux et de végétaux ainsi qu'aux produits provenant d'autres pays. Or, ces mesures, qu'elles soient prises dans le domaine sanitaire ou phytosanitaire, peuvent, par leur nature même constituer des obstacles sérieux au commerce. Il est bien connu qu'il est souvent fait pression sur les administrations nationales pour qu'elles aillent au delà de ce qu'exige la protection de la santé et utilisent des restrictions sanitaires et phytosanitaires comme instruments de protection des producteurs ou opérateurs économiques qui tentent ainsi de se prémunir contre la concurrence. D'ailleurs, au titre de l'accord SPS, les Etats signataires ont reconnu que certaines restrictions commerciales sont "nécessaires et appropriées" pour assurer l'innocuité des produits alimentaires, la protection de la santé des animaux et la préservation des végétaux.

(17Le Glossaire des termes phytosanitaires, publié comme norme de référence en 1996 par le Secrétariat de la CIPV donne au terme "mesure phytosanitaire" la définition suivante: "toute législation, réglementation ou méthode officielle [c'est à dire établi, autorisé ou réalisé par une organisation nationale de la protection des végétaux] ayant pour objectif de prévenir l'introduction et/ou la dissémination des organismes de quarantaine".)

Une restriction phytosanitaire ou sanitaire qui n'est pas requise pour des raisons valables de protection de la santé peut néanmoins constituer un instrument protectionniste important et s'avérer, en raison de sa complexité technique, un obstacle particulièrement trompeur et difficile à surmonter.

2.3 Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires


2.3.1 Notions et concepts édictés
2.3.2 Règlement des différends
2.3.3 Contenu et mise en oeuvre de l'Accord SPS
2.3.4 Comité des mesures sanitaires et phytosanitaires et Codex Alimentarius
2.3.5 Rôle moteur du comité SPS sur le Codex Alimentarius
2.3.6 Accord relatif aux obstacles au commerce


Partie intégrante de L'Acte final, l'Accord SPS vise à empêcher l'utilisation de mesures injustifiées à des fins de protection du commerce. L'objectif est d'assurer un niveau de protection approprié, mais également de permettre que ce droit souverain ne soit pas exercé abusivement à des fins protectionnistes et n'entraîne par là même un obstacle non nécessaire au commerce international.

2.3.1 Notions et concepts édictés

Ces notions et concepts sont généralement ceux défendus par l'Union Européenne.

(a) Accroissement de la transparence - A cet effet, les signataires s'engagent à "établir les mesures sanitaires et phytosanitaires sur la base d'une évaluation appropriée des risques réels et, si il leur en est fait demande, d'indiquer les facteurs dont ils ont tenu compte, les procédures d'évaluation qu'ils ont utilisées et le niveau de risque qu'ils ont jugé acceptable". Bien que ce principe fût depuis longtemps le fondement de l'évaluation des risques dans le domaine de l'innocuité des produits alimentaires, l'Accord SPS le consacre et encourage le recours à une évaluation systématique des risques pour tout produit considéré. Sont prévues les mesures qui suivent:

· la notification obligatoire par laquelle les Etats sont tenus de notifier aux autres signataires les prescriptions sanitaires et phytosanitaires qu'ils adoptent et qui comportent un risque pour le libre commerce. Doivent aussi être établis des points d'information chargés de répondre aux demandes de renseignements complémentaires;

· la soumission aux inspections a pour conséquence qu'il est loisible à l'Etat exportateur d'examiner la manière dont l'importateur applique ses réglementations concernant l'innocuité des produits alimentaires, la protection de la santé des animaux et la préservation des végétaux.

La communication régulière des informations et l'échange systématique de données entre les différents Etats membres de l'OMC offrent ainsi une meilleure base pour l'édiction de normes nationales. Cette transparence accrue protège également les intérêts des consommateurs et ceux des partenaires commerciaux, du protectionnisme caché qu'engendrent les prescriptions techniques non nécessaires.

Tout en permettant aux pouvoirs publics de maintenir un niveau de protection sanitaire et phytosanitaire approprié, l'Accord SPS réduit en principe le risque de décisions arbitraires et encourage la cohérence dans la prise de décisions.

(b) Mesure nécessaire - L'Accord SPS stipule que les mesures sanitaires et phytosanitaires doivent être nécessaires à l'innocuité des produits alimentaires, à la protection de la santé des animaux et à la préservation des végétaux. En particulier, sont précisés les facteurs qui devraient être pris en compte dans l'évaluation des risques encourus, et notamment:

· la base scientifique des mesures destinées à assurer l'innocuité des produits alimentaires, à protéger la santé des animaux et à préserver les végétaux doit reposer sur l'analyse et l'évaluation de données scientifiques objectives et exactes. Dans de nombreux cas, y compris pour les pays les plus développés, les normes internationales sont souvent moins strictes que celles nationalement établies. L'Accord SPS autorise les pouvoirs publics à choisir de ne pas utiliser ces normes internationales; si néanmoins une norme nationale devait entraîner une plus grande restriction au commerce, l'Etat qui l'applique peut être invité (i) soit à fournir la justification scientifique sur laquelle il fonde cette mesure, (ii) soit à démontrer que la norme internationale pertinente ne permet pas d'atteindre le niveau national de protection sanitaire et phytosanitaire idoine;

· la non-discrimination et le respect des différences découlant de la juste appréciation des différences qui existent du fait des conditions climatiques, zoosanitaires et phytosanitaires et de la situation en ce qui concerne l'innocuité des produits alimentaires. Il peut, en effet, ne pas toujours être approprié d'imposer les mêmes prescriptions sanitaires ou phytosanitaires à des produits alimentaires ou à des produits d'origine animale ou végétale provenant de pays différents. Ainsi, les mesures sanitaires et phytosanitaires peuvent-elles varier en fonction du pays d'origine des produits alimentaires ou des produits d'origine animale ou végétale considérés. L'Accord SPS empêche toutefois une discrimination injustifiée dans l'utilisation des mesures sanitaires et phytosanitaires, que ce soit en faveur des producteurs nationaux ou entre les fournisseurs étrangers.

(c) Détermination d'un niveau acceptable de risque - Par ailleurs, il existe souvent diverses manières de déterminer le niveau acceptable de risque.

Pour choisir entre les différentes mesures qui assurent le même niveau d'innocuité des produits alimentaires, de protection de santé des animaux ou de préservation des végétaux, les autorités concernées doivent opter pour celles restreignant le moins le commerce, compte tenu de la faisabilité technique et économique. L'objectif est de garantir un niveau de protection sanitaire approprié tout en offrant la plus grande variété de produits alimentaires salubres aux consommateurs, en dotant les producteurs d'intrants aussi sûrs que possible et en assurant une concurrence économique saine.

(d) Concept d'harmonisation - L'Accord SPS énonce des droits et obligations plus précis et plus détaillés pour les mesures concernant l'innocuité des produits alimentaires, la protection de la santé des animaux et la préservation des végétaux qui affectent le commerce. Les pouvoirs publics ne peuvent imposer que des prescriptions qui soient effectivement nécessaires à la protection de la santé et qui sont fondées sur des principes scientifiques. Dans cet ordre, l'administration responsable d'un pays peut contester les prescriptions d'un autre pays en matière d'innocuité des produits alimentaires, de protection de la santé des animaux et de préservation des végétaux en se fondant sur le preuves qu'elle aurait réunies et qui montreraient que la mesure n'était pas justifiée. Les procédures et décisions utilisées par un pays pour évaluer les risques pour l'innocuité des produits alimentaires, la santé des animaux ou la préservation des végétaux doivent être communiquées aux autres pays sur leur demande. Les signataires s'engagent à être cohérents lorsqu'ils déterminent ce qu'est un produit alimentaire salubre et lorsqu'ils répondent aux préoccupations liées à la protection de la santé des animaux et à la préservation des végétaux. A cet effet, il leur est loisible d'adopter des normes plus strictes mais en respectant certains principes harmonisés de précaution:

· la possibilité d'adopter des normes plus strictes est reconnue aux pouvoirs publics qui restent libres de déterminer les niveaux d'innocuité des produits alimentaires, de protection de la santé des animaux et de préservation des végétaux pour le pays considéré. L'Accord SPS leur reconnaît expressément le droit de prendre des mesures de ce type à condition qu'elles soient (i) scientifiquement fondées et (ii) nécessaires à la protection de la santé, mais (iii) qu'elles ne constituent pas une discrimination injustifiée entre les sources d'approvisionnement étrangères. Bien que la responsabilité des Etats soit exclusive, l'Accord encourage cependant les pouvoirs publics à "harmoniser" leurs décisions, ou à fonder les mesures nationales sur les normes, directives et recommandations internationales élaborées par les signataires du GATT au sein des organisations internationales ayant mandat à le faire, soit le Codex Alimentarius pour l'innocuité des denrées alimentaires, l'OIE pour la santé animale, la CIPV pour les aspects phytosanitaires. Si une norme nationale peut être plus sévère que celle adoptée pour la même matière par l'instance internationale qui a mandat à le faire, elle doit néanmoins être scientifiquement fondée et répondre à un besoin spécifique démontré. Dans le cas contraire, si l'application de la norme nationale plus stricte donne lieu à un différend commercial, le pays l'ayant adoptée et appliquée sera tenu d'en justifier le fondement. Si les pouvoirs publics ne fondent pas leurs prescriptions/décisions sur les normes internationales pertinentes, ils peuvent être tenus de justifier le bien fondé technique de leur norme nationale plus stricte. Ils ont la charge de la preuve du caractère scientifique, nécessaire et proportionnel de la mesure contestée. En matière de normes relatives à l'innocuité des produits alimentaires, les prescriptions nationales doivent être élaborées par référence aux normes édictées par le Codex Alimentarius; elles ne constituent pas le plus petit commun dénominateur, mais sont élaborées avec le concours de scientifiques de renom et d'experts nationaux en innocuité des produits alimentaires. Ces mêmes experts sont chargés d'élaborer les normes nationales correspondantes. L'on doit souligner que dans de nombreux cas, les normes élaborées par le Codex Alimentarius sont plus strictes que celles des pays les plus développés;

· pour sa part, le principe de précaution découle des responsabilités inhérentes à la souveraineté des Etats. Trois types de précautions sont prévus à l'Accord: (i) le processus d'évaluation des risques et de détermination des niveaux acceptables de risque (il suppose l'utilisation régulière de marges de sécurité pour assurer que les précautions nécessaires sont prises pour protéger la santé); (ii) puisque chaque Etat détermine son propre niveau acceptable de risque, il peut répondre à des préoccupations d'ordre social et culturel complémentaires aux précautions habituelles; (iii) les mesures prises à titre de précaution lorsque les pouvoirs publics considèrent qu'il n'existe pas de preuves scientifiques suffisantes permettant de prendre une décision définitive au sujet de l'innocuité d'un produit ou de la sécurité d'un procédé. Ceci permet aussi de répondre à des situations d'urgence.

Le principe de précaution permet la reconnaissance des différences institutionnelles. Le GATT reconnaît ainsi que les réglementations concernant l'innocuité des produits alimentaires, la protection de la santé des animaux et la préservation des végétaux ne doivent pas nécessairement être établies au niveau gouvernemental le plus élevé et qu'elles peuvent ne pas être identiques dans un même pays. Dans les cas où ces réglementations élaborées par des institutions publiques locales affectent le commerce international, elles doivent cependant satisfaire aux mêmes exigences et prescriptions que si elles avaient été établies par les autorités gouvernementales centrales.

Quant à la protection de santé, elle est le fondement essentiel des mesures de restriction au commerce international. L'Accord SPS autorise les signataires à privilégier l'innocuité des produits alimentaires, la protection de la santé des animaux et la préservation des végétaux aux dépens du commerce, à condition que leurs prescriptions soient fondées sur des données scientifiques pouvant être démontrées. Si donc chaque pays est en droit de déterminer le niveau d'innocuité des produits alimentaires, de protection de la santé des animaux et de préservation des végétaux qu'il juge approprié, il ne peut le faire que sur la base d'une correcte évaluation des risques encourus.

L'Accord SPS a donc pour but de circonscrire de manière précise les limites dans lesquelles les Etats signataires peuvent adopter des mesures sanitaires ou phytosanitaires ayant une incidence, directe ou indirecte, sur le commerce international.

2.3.2 Règlement des différends

Les décisions prises par les pouvoirs publics génèrent un certain nombre de différends. Par le passé, fonctionnait sous l'égide du GATT un système d'arbitrage. Les procédures étaient les suivantes: (i) le pays impliqué pouvait déposer plainte devant le Conseil du GATT; (ii) celui-ci nommait alors un groupe d'experts internationaux (dit "panel") pour arbitrer et émettre de simples recommandations pour apaiser les plaignants. Comme l'unanimité était de règle, le pays mis en cause avait tout loisir de refuser les recommandations et bien souvent, alors même qu'il s'engageait à les mettre en oeuvre, rien ne pouvait le contraindre à le faire réellement.

La création de l'OMC s'accompagne de l'établissement de l'Organe des règlements des différends (ORD), mécanisme quasi-juridictionnel et contraignant. Désormais, les signataires sont contraints de se soumettre aux décisions des ''panels'' ainsi qu'à celles de l'ORD dont les décisions ont force de loi. Le pays jugé déloyal a l'obligation de modifier sa législation au risque de subir des rétorsions commerciales sévères de la part du plaignant qui peut en prendre dans un autre domaine que celui du litige (sanctions croisées).

Le proche avenir dira ce qu'il en sera de l'effectivité et de l'efficacité du rôle de juge-arbitre maintenant confié à l'OMC. L'agriculture ayant toujours été une importante pomme de discorde, notamment entre les Etats-Unis et l'Union Européenne, les mécanismes prévus seront probablement mis à rude épreuve.

2.3.3 Contenu et mise en oeuvre de l'Accord SPS

(a) Critères d'autorisation des mesures sanitaires et phytosanitaires - Pour être licites au titre de l'Accord, les mesures sanitaires et phytosanitaires doivent:

· respecter le critère de nécessité (art. 2.1: "les membres ont le droit de prendre les mesures sanitaires et phytosanitaires qui sont nécessaires à la protection de la santé..."; art. 2.2 "les membres feront en sorte qu'une mesure sanitaire ou phytosanitaire ne soit appliquée que dans la mesure nécessaire pour protéger la santé...");

· reposer sur un fondement scientifique (art. 2.2: "les membres feront en sorte qu'une mesure sanitaire ou phytosanitaire ne soit appliquée que dans la mesure nécessaire pour protéger la santé et la vie des personnes et des animaux ou préserver les végétaux, qu'elle soit fondée sur des principes scientifiques et qu'elle ne soit pas maintenue sans preuves scientifiques suffisantes, exception faite de ce qui est prévu au paragraphe 7 de l'article 5."); (art. 5.2: "dans l'évaluation des risques, les membres tiendront compte des preuves scientifiques disponibles; des procédés et des méthodes de production pertinents; des méthodes d'inspection, d'échantillonnage et d'essai pertinentes; de la prévalence de maladies ou de parasites spécifiques; de l'existence de zones exemptes de parasites ou de maladies; des conditions écologiques ou environnementales pertinentes; et des régimes de quarantaine ou autres.");

· respecter le critère de non discrimination vis à vis des Etats membres dont les conditions sont identiques (art. 5.5: "En vue d'assurer la cohérence dans l'application du concept du niveau de protection approprié de protection sanitaire ou phytosanitaire contre les risques pour la santé ou la vie des personnes, pour celles des animaux et pour la préservation des végétaux, chaque membre évitera de faire des distinctions arbitraires ou injustifiables dans les niveaux qu'ils considèrent appropriés dans des situations différentes, si de telles distinctions entraînent une discrimination ou une restriction déguisée au commerce international.";

· reposer sur la base de normes, directives ou recommandations internationales, lorsqu'elles existent18 (art. 5.8: "Lorsqu'un Membre aura des raisons de croire qu'une mesure sanitaire ou phytosanitaire spécifique introduite ou maintenue par un autre Membre exerce, ou peut exercer, une contrainte sur ses exportations et qu'elle n'est pas fondée sur les normes, directives ou recommandations internationales pertinentes, ou que de telles normes, directives ou recommandations n'existent pas, une explication des raisons de cette mesure sanitaire ou phytosanitaire pourra être demandée et sera fournie par le Membre maintenant la mesure".

(18 Les nonnes de caractère international auxquelles il est fait référence émanent en particulier (liste non limitative) de la Commission du Codex Alimentarius, de l'Office international des épizooties, et des organisations internationales et régionales opérant dans le cadre de la CIPV. A cet égard, l'Annexe A, paragraphe 3 édicte: "a) pour l'innocuité des produits alimentaires, les normes, directives et recommandations établies par la Commission du Codex Alimentarius en ce qui concerne les additifs alimentaires, les résidus de médicaments vétérinaires et de pesticides, les contaminants, les méthodes d'analyse, ainsi que les codes et les directives en matière d'hygiène; b) pour la santé des animaux et les zoonoses, les normes, directives et recommandations internationales élaborées sous les auspices de l'Office international des épizooties; c) pour la préservation des végétaux, les normes, directives et recommandations internationales élaborées sous les auspices du Secrétariat de la Convention internationale pour la protection des végétaux en coopération avec les organisations régionales opérant dans le cadre de ladite Convention; et d) pour les questions qui ne relèvent pas des organisations susmentionnées, les normes, directives et recommandations appropriées promulguées par d'autres organisations internationales compétentes ouvertes à tous les Membres et identifiées par le Comité".)

(b) Mise en oeuvre de l'Accord SPS - L'on a par ailleurs indiqué que le principal objectif de l'Accord SPS vise l'harmonisation des mesures sanitaires et phytosanitaires des différents Etats membres, par renvoi aux normes internationales. Il est à noter qu'il s'agit d'une notion nouvelle dans le fonctionnement du GATT qui, jusqu'alors, était davantage orienté vers une facilitation du commerce international par règlement des différends que vers une politique d'harmonisation des normes nationales. En l'absence d'harmonisation, le principe de reconnaissance mutuelle des normes doit être d'application. Ceci présuppose l'équivalence des niveaux de protection recherchés: la procédure de reconnaissance des mesures sanitaires et phytosanitaires fonctionne (i) par la recherche d'une équivalence du niveau de protection voulu; la charge de la preuve revient logiquement à l'Etat exportateur qui doit démontrer comme le stipule l'article 4 que "le niveau de protection sanitaire et phytosanitaire dans le Pays Membre est atteint"; (ii) par la détermination du niveau de protection approprié; la preuve de l'équivalence doit être fondée sur une démarche d'évaluation des risques "compte tenu des techniques d'évaluation des risques élaborées par les organisations internationales compétentes" (art. 5.1).

2.3.4 Comité des mesures sanitaires et phytosanitaires et Codex Alimentarius

Au titre de l'article 12 de l'Accord SPS, est institué le Comité des mesures sanitaires et phytosanitaires dont le mandat est, en particulier, de favoriser l'harmonisation des mesures sanitaires et phytosanitaires en encourageant le recours aux normes internationales (dont le Codex Alimentarius). Il a un rôle consultatif et se prononce par voie de consensus. L'article 12 (3) édicte qu'il "entretiendra des relations étroites avec les organisations internationales concernées, dont la Commission du Codex Alimentarius, afin d'obtenir des avis scientifiques et techniques". Néanmoins, les rapports entre ce comité et la Commission du Codex Alimentarius demeurent à préciser. L'alinéa 4 du même article laisse en effet supposer qu'il sera amené à influencer directement, voire à diriger les travaux futurs du Codex Alimentarius: "Le Comité élaborera une procédure pour surveiller le processus d'harmonisation internationale et l'utilisation des normes, directives ou recommandations internationales". S'il est prévu que le Comité établisse, conjointement avec les organisations internationales (dont la Commission du Codex Alimentarius), une liste des normes en rapport avec les mesures sanitaires et phytosanitaires ayant une incidence majeure19 sur le commerce, il importe de remarquer que l'appréciation du critère "d'incidence majeure" sera effectuée par le Comité lui-même et non par l'organisation de normalisation internationale.

(19L'on entend par "incidence majeure" l'influence économique considérable d'une mesure sanitaire ou phytosanitaire sur le commerce international. Le fait même que le Comité participe à la classification des mesures pouvant avoir une influence sur le commerce laisse augurer qu'il aura un pouvoir de décision ultime, le Codex n'ayant alors qu'un avis incitatif. On peut citer de nombreux exemples d'interdictions frappant la production, la vente ou l'importation de produits fondées sur des preuves scientifiques montrant que ces produits présentent un risque inacceptable pour la santé des personnes ou des animaux ou pour la préservation des végétaux. En effet, l'Accord n'empêche pas qu'un Etat interdise des produits dans ces conditions.)

En outre, l'article 12 (6) stipule que "le Comité pourra, à l'initiative d'un des Membres, inviter par les voies appropriées les organisations internationales compétentes ou leurs organes subsidiaires, à examiner des questions spécifiques concernant une norme, une directive ou une recommandation particulière, y compris le fondement des explications relatives à la non-utilisation [d'une norme, directive ou recommandation internationale en tant que condition d'importation]".

Pour sa part, le Codex Alimentarius, en tant qu'organisation normative, a été fondée en 1962 conjointement par la FAO et l'Organisation mondiale de la santé. Ses objectifs et son organisation interfèrent aujourd'hui avec l'Accord SPS. En effet, les objectifs jusqu'à ce jour consistaient à établir des normes mondiales pour les produits alimentaires (finis, semi finis et bruts), destinés à être livrés au consommateur final. Relevait de sa compétence également l'ensemble des problèmes liés au produits alimentaires, tels que l'étiquetage. En sus des normes, le Codex Alimentarius se proposait d'établir des codes d'usages, de bonne pratique ou des lignes directrices, telles que celles établies en matière d'hygiène. Le but, toujours actuel, était de préserver à la fois la santé des consommateurs et d'assurer la loyauté des pratiques commerciales.

A cette fin, la commission regroupe des comités verticaux, horizontaux et géographiques. Pendant longtemps, la priorité était accordée aux normes de produits verticales en raison des enjeux commerciaux de la normalisation internationale des marchandises. A titre d'exemple, les fruits et les légumes traités ou en conserve avaient été l'objet de 37 normes définitives, les graisses et huiles de 23 normes; au total plusieurs centaines de normes ont été publiées au terme de discussions parfois acharnées parce qu'entrant dans les détails les plus infimes de la composition et des caractères des produits. Il est ensuite apparu nécessaire de compléter ce travail avec des normes horizontales sur les additifs, les contaminants, l'hygiène, l'analyse et l'échantillonnage, et en dernière date par l'étude des méthodes de contrôle et de certification.

La complexité du système s'ajoutant par ailleurs à une certaine lenteur des systèmes d'élaboration, de consultation et d'adoption de normes, a justifié la rédaction et l'édition d'un manuel de procédure qui en est à sa huitième édition. Les travaux du Codex Alimentarius constituant à ce jour un volume impressionnant de normes qu'aucun pays n'aurait pu réunir à lui seul, il est d'intérêt manifeste notamment pour les pays en développement et pour les opérateurs économiques qui peuvent toujours se référer à un texte précis dans le cadre des échanges commerciaux, nationaux ou internationaux.

Suite à la conclusion des négociations commerciales multilatérales du cycle d'Uruguay, en 1994, la Commission du Codex Alimentarius a entrepris de nouveaux travaux afin de répondre aux impératifs qui lui sont reconnus en matière de questions sanitaires dans le domaine des additifs, des résidus, des contaminants, de méthodes d'analyse et d'échantillonnage et d'hygiène alimentaire, ainsi qu'en ce qui concerne l'évaluation des risques de contrôle et de certification. A cet effet, les textes et procédures en vigueur devront nécessairement être révisés. Ce qui suppose que le recueil des données scientifiques touchant la santé soit renforcé, que le rôle des experts soit accru, que les problèmes de contrôle publics et privés soient approfondis, que les pays en voie développement soient mieux assistés dans ces problèmes. Il a été recommandé également par le Comité des principes généraux du Codex que soit créé un nouveau comité à qui serait confiée la charge de l'examen des questions de l'importation et de l'exportation.

Si les recommandations et tendances énoncées ci-dessus se concrétisent, l'on peut s'attendre à une modification substantielle des comportements des opérateurs économiques. Aux normes verticales détaillées seraient substitués des contrats commerciaux de nature privée, décrivant les denrées sans référence obligatoire aux normes - étant néanmoins entendu que ce qui touche à la santé, à l'étiquetage, au contrôle devrait répondre strictement aux normes ou recommandations du Codex Alimentarius.

En outre, la tendance à la déréglementation de l'économie découlant de l'adoption généralisée des principes du libéralisme n'a pu empêcher le recours aux normes alimentaires pour introduire un minimum de sécurité dans les échanges de denrées. Cette sécurité profite à la fois aux opérateurs économiques qui ont besoin d'un référentiel commun pour éviter l'anarchie, l'arbitraire et les litiges dans les échanges, mais est aussi essentielle à la protection de la sécurité physique du consommateur qui peut être compromise soit par des denrées dont l'élaboration ne reposerait pas sur l'innocuité, soit serait mise en cause par la mise sur le marché de denrées contaminées ou dégradées par le temps.

Le recours aux normes doit essentiellement reposer sur des critères généraux touchant l'hygiène, la conformité, les contrôles. De ce fait, les normes horizontales prennent une valeur particulière qui devrait déboucher sur des procédures contraignantes donc obligatoires et sur la mise enjeu des responsabilités. Ces questions seront à n'en pas douter au coeur des réflexions des décennies à venir.

Le fait que les parties à l'accord devront dans le futur faire reposer leurs mesures sanitaires et phytosanitaires sur des normes internationales, en particulier sur les "normes du Codex", ne sera pas sans conséquence pour l'orientation des travaux futurs et le fonctionnement même des organisations internationales qui les produisent

2.3.5 Rôle moteur du comité SPS sur le Codex Alimentarius

(a) Incidence sur le statut des "normes Codex" - L'Accord précise en son article 3 (1) que "Les Etats Membres établiront leurs mesures sanitaires et phytosanitaires sur la base de normes, directives ou recommandations internationales, dans les cas où il en existe, sauf disposition contraire au présent accord" et (2) que "les normes, directives ou recommandations internationales seront réputées être nécessaires à la protection de la vie et de la santé des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux". L'utilisation du futur dénote le caractère obligatoire à l'utilisation des normes comme références pour l'établissement de dispositions sanitaires et phytosanitaires régissant l'importation et l'exportation des denrées alimentaires, alors que leur acceptation par les Etats Membres était jusqu'alors facultative et volontaire.

Le caractère nécessairement "suffisant" des dispositions sanitaires et phytosanitaires contenues dans des normes internationales ressort de l'article 5.8 qui précise que "lorsqu'un Membre aura des raisons de croire qu'une mesure sanitaire ou phytosanitaire spécifique introduite ou maintenue par un autre Membre exerce, ou peut exercer, une contrainte sur ses exportations et qu'elle n'est pas fondée sur les normes, directives ou recommandations internationales pertinentes, ou que de telles normes, directives ou recommandations internationales n'existent pas, une explication des raisons de cette mesure sanitaire ou phytosanitaire pourra être demandée et sera fournie par le membre maintenant la mesuré".

L'article 3 (3) confirme quant à lui la nécessaire justification scientifique des mesures allant au delà du contenu des "normes Codex". En effet, il affirme que "Membres pourront introduire ou maintenir des mesures sanitaires et phytosanitaires qui entraînent un niveau de protection sanitaire ou phytosanitaire plus élevé que celui qui serait obtenu avec des mesures fondées sur des normes, directives ou recommandations internationales pertinentes s'il y a une justification scientifique [...]".

La seule voie possible pour un Etat d'établir des mesures sanitaires et phytosanitaires prévoyant un niveau de protection supérieur à celui contenu dans les "normes Codex" est donc celle de la justification du fondement scientifique, ces mesures reposant sur une évaluation des risques.

La liberté de choisir le niveau de protection souhaité sera donc conditionnée par l'interprétation que le Comité sanitaire et phytosanitaire du GATT aura de ces conditions de fondement scientifique des normes.

Cependant, l'expérience européenne laisse présager une très faible probabilité de viser un niveau de protection supérieur à celui prévu aux "normes Codex". En effet, si l'article 36 du Traité de Rome et les exigences impératives énoncées par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) invoquent l'exception de protection de la santé publique comme dérogation à l'obligation de libre circulation des denrées alimentaires, force est de reconnaître que la jurisprudence de la CJCE n'accepte que très rarement de valider une telle exception20

[20 La volonté d'édicter des normes communautaires strictes en matière d'hygiène s'est souvent heurtée à l'industrie de l'agro-alimentaire, premier secteur industriel de la Communauté Européenne. Les compétences de santé publique paraissaient initialement un domaine de police dans lequel les instances communautaires se devaient de ne pas intervenir. Si la CJCE rappelle à plusieurs reprises la légitimité des mesures restrictives fondées sur la protection de la santé, elle fixe en corollaire des limites particulièrement sévères qui enlèvent aux Etats Membres toute opportunité dans l'appréciation de la dangerosité d'un produit. D'autre part, un produit régulièrement commercialisé dans un autre Etat Membre est considéré a priori comme conforme aux "exigences impératives de santé publique" reconnue par la jurisprudence. La CJCE dans ce second aspect de son contrôle, a inversé la charge de la preuve du caratère dangereux ou de l'innocuité d'un produit, au détriment de l'Etat importateur. Sur la base de l'idée selon laquelle les Etats Membres, chacun pour leur compte ont le souci de la santé de leurs consommateurs, un produit régulièrement fabriqué est réputé inoffensif, sauf pour l'administration du pays importateur à amener la preuve de sa dangerosité: "... il appartient aux autorités nationales de démontrer, dans chaque cas, que leur réglementation est nécessaire pour protéger effectivement les intérêts visés à l'article 36 du Traité et notamment que la commercialisation du produit en question représente un risque sérieux pour la santé publique", (CJCE, 30 novembre 1983, 227/82, "Van Bennekom", Rec. Phytosanitaires, 3883).]

(b) Conséquences sur le fonctionnement du Codex Alimentarius - Les modifications que l'Accord SPS apporte de fait au statut des normes posent la question du rôle futur des procédures d'acceptation des "normes Codex" en vigueur à l'heure actuelle, en particulier si lesdites normes ayant trait aux mesures sanitaires et phytosanitaires sont amenées à devenir obligatoires, nécessaires et suffisantes. Quelle sera la signification résiduelle de l'acceptation d'une norme dont les dispositions seront obligatoires de fait? Il semble en fait que l'on s'achemine vers une séparation des "normes Codex" en deux catégories qui seraient:

· les normes incluant des dispositions sanitaires et phytosanitaires auxquelles les signataires l'Accord SPS devront se référer pour ce qui est de ces dispositions, qu'ils les aient ou non préalablement acceptées; par contre, l'acceptation sera sûrement pertinente pour les autres dispositions de la norme sans rapport avec le domaine sanitaire ou phytosanitaire;

· les normes n'ayant aucun rapport avec le domaine sanitaire et phytosanitaire, pour lesquelles les procédures actuelles garderont toute valeur: les Etats auront libre choix de les accepter ou de les refuser.

Une autre question demeure en suspens: l'article 3 (2) prévoit que les mesures sanitaires et phytosanitaires inclues dans les normes internationales sont réputées nécessaires à la protection de la vie et de la santé des personnes ou des animaux ou à la préservation des végétaux, alors que l'article 5 (8) implique quant à lui qu'elles seront suffisantes. Quelle marge de manoeuvre l'Accord SPS laisse-t-il alors à la Commission du Codex Alimentarius quant à l'appréciation du contenu des normes à cet égard?

Dans quelles mesures les "normes Codex" pourront-elles prévoir des dispositions détaillées allant au delà du seul critère de nécessité? Le Codex Alimentarius doit-il se limiter à adopter des normes minimales dès lors qu'elles incluront des considérations sanitaires et phytosanitaires?

L'Accord SPS insiste en outre fortement sur la prééminence du fondement scientifique des dispositions sanitaires et phytosanitaires contenues dans ces normes. Il semble ainsi vouloir limiter l'incidence de la prise en compte d'autres critères dans le cadre des procédures de gestion des risques. L'obligation de se référer à une méthode d'évaluation des risques internationalement reconnue a motivé une réflexion au sein du Codex Alimentarius qui apparaît au document ALINORM 93/37 sur les procédures d'évaluation des risques utilisées par la Commission du Codex Alimentarius et ses organes subsidiaires. Ce rapport compare les différentes méthodes actuellement utilisées par les comités compétents du Codex (le Comité du Codex sur les additifs et contaminants, le Comité du Codex sur les résidus de pesticides, le Comité du Codex sur les résidus de médicaments vétérinaires) ainsi que par d'autres organismes et met en évidence les incohérences entre les différentes méthodes utilisées à l'heure actuelle.

Il met en particulier l'accent sur les éléments de gestion des risques intégrés dans les méthodes d'évaluation des risques à des niveaux divers selon l'organisme concerné, et prêche pour une séparation plus effective entre évaluation et gestion du risque.

De plus, le fait que l'Accord prévoit explicitement que le Comité des mesures sanitaires et phytosanitaires du GATT engagera des études sur les méthodes d'évaluation des risques, les procédures d'homologation des additifs alimentaires ou les tolérances en matière de contaminants, porte à penser que les comités horizontaux cités plus avant verront leur rôle renforcé à brève échéance.

La conjonction de ces deux éléments - caractère obligatoire de fait de certaines dispositions des "normes Codex" et nécessaire limitation du contenu de ces normes - devra donc logiquement amener le Codex Alimentarius à procéder à une révision des normes existantes, lesquelles avaient été adoptées sur des bases différentes.

Cette volonté de procéder à une simplification des normes actuelles et de limiter le contenu de ses travaux futurs aux seules données scientifiques apparaît d'ores et déjà dans le projet de plan à moyen terme pour la Commission du Codex 1993-199821, qui prévoit entre autres, une simplification des normes de produits existantes et leur rationalisation.

(21 ALINORM 93/98.)

Il ne faut pas sous estimer l'importance que revêt ce réexamen dans la mesure où les dispositions actuellement contenues dans les "normes Codex" avaient été adoptées par voie d'un consensus fondé sur la possibilité ultérieure de ne pas les reprendre au niveau national. Cette garantie du caractère optionnel des normes permettait une certaine ouverture des Etats lors des négociations. A l'inverse, le fait que les normes soient vouées à contenir "des dispositions sanitaires et phytosanitaires nécessaires et suffisantes" - toute mesure allant au delà devant être dûment justifiée si l'on en croit les articles 3 (3) et 5 (8) - requiert une grande vigilance des Etats Membres lors de la révision des normes.

L'élaboration de la liste des normes en rapport avec les mesures sanitaires et phytosanitaires par le Comité du Codex "conjointement avec les organisations internationales compétentes" comme le stipule l'article 12 (4) doit également faire l'objet d'attentions multiples.

Le fait que les produits agricoles aient été exclus du champ d'application du GATT jusqu'en 1994, a fortement pesé sur les rapports quasi belliqueux - puisque l'on a parlé de "guerre économique" - qu'ont pu entretenir pendant longtemps les Etats-Unis et l'Union Européenne. Il est vrai qu'à cette époque les règles concernant les régimes de quarantaines ont pu être détournées à des fins de pression économique provoquant des pertes tant matérielles (péremption des produits et altérations diverses) que financières (manque à gagner). Il y avait donc urgence à ce que des principes soient mis en place et qu'un accord sur les produits agricoles soit signé, mais également à ce que les règles gouvernant les régimes de quarantaines végétales soient révisées.

Si le GATT était essentiellement dirigé vers le règlement des différends commerciaux, l'OMC ou encore le GATT 94 ont opté pour la solution de l'harmonisation par la référence à des normes internationales. Ainsi peut-on dire que si le Codex Alimentarius édicte des normes - qu'elles soient verticales ou plus assurément, comme on a pu le pressentir, horizontales pour le temps à venir - le Comité de l'OMC garde-t-il une place prépondérante dans cette édiction puisqu'il se réserve le droit de juger de leur pertinence et de l'impact éventuellement négatif qu'elles pourraient avoir sur le libre-échange.

L'on doit donc s'interroger sur la question de savoir si l'aspect scientifique de ces normes est soumis à "l'idéologie commerciale dominante" de l'OMC qui ferait ainsi passer les considérations de santé publique au second plan.

Si l'harmonisation est un moyen de centraliser au niveau international les informations scientifiques et techniques, elle donne également à l'OMC le rôle "d'exécutif international", le Codex Alimentarius ayant en matière alimentaire et agricole les pouvoirs d'un "organe législatif.

Pourtant bien peu d'Etat sont prêts à confier le règlement de leurs divers différends commerciaux à cette institution, les procédures arrêtées sur ce point donnant l'impression qu'est mise en sommeil leur souveraineté. Sur ce point, l'on ne saurait oublier les disparités de fait qui perdurent et croissent entre des économies "post industrielles" et des pays dont les terres sont à 50% travaillées au moyen d'instruments aratoires rudimentaires.

(c) Le critère de la mesure nécessaire - Au titre de l'article 2 (1) et (2) de l'Accord SPS, il est prévu que "les Membres ont le droit de prendre les mesures sanitaires et phytosanitaires qui sont nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux'" et que "les Membres feront en sorte qu'une mesure sanitaire ou phytosanitaire ne soit appliquée que dans la mesure nécessaire pour protéger la santé et la vie des personnes et des animaux".

L 'on peut déduire des termes employés que seules les mesures de protection visant la santé publique pour les personnes, les animaux et les végétaux peuvent induire une nécessité. Si l'on reprend les définitions habituelles des mots, une "mesure" est "un moyen mis en oeuvre en vue d'un résultat déterminé"22 et le terme "nécessaire" implique "un besoin absolu, primordial, essentiel"23 Ainsi, une mesure nécessaire justifiant une entrave au commerce serait "un moyen mis en oeuvre en vue d'un résultat primordial de protection dans un but de santé publique".

(22Dictionnaire Encyclopédique Larousse.)

(23 Ibid.)

En effet, dans certain cas, l'Etat peut sauvegarder un intérêt en en sacrifiant un autre qu'il juge moindre que l'intérêt sauvegardé. La nécessité d'un intérêt supérieur peut donc avoir pour conséquence de léser les intérêts jugés inférieurs ou catégoriels. En appliquant cette théorie au cas d'une mesure sanitaire ou phytosanitaire - plus particulièrement au régime des quarantaines puisque les mesures de restrictions au commerce sont désormais interdites - cela signifierait qu'un Etat pourrait décider la mise en place d'une mesure restreignant le commerce car il le jugerait de moindre importance que la santé publique dont il a la charge.

L'expérience communautaire a montré que la CJCE n'acceptait que rarement l'argument de santé publique pour justifier l'entrave du commerce. La liberté étant la règle et la mesure nécessaire l'exception. En tout état de cause, une mesure prise en état de nécessité doit également reposer sur des principes scientifiques pertinents, ce qui soulève une autre difficulté.

(d) La neutralité scientifique - Ce thème est à la base de la problématique du risque industriel: la science est le référent opérationnel administratif: elle est le fondement de la décision.

Pourtant, dans sa mise en oeuvre le contre-exemple de principe de précaution peut être pris dans le domaine sanitaire pour l'affaire dite de la "vache folle" ou scientifiquement encore dénommée Encéphalite bovine spongiforme, qui a secoué l'Union Européenne en 1996. Bien que tous les développements scientifiques et économiques de cette affaire ne soient pas encore connus, il est clair que le consommateur est allé plus loin que les règles sanitaires puisqu'il lui est apparu que les mesures arrêtées pouvaient ne pas être respectées, que les contrôles n'avaient pas été efficaces et que les autorités scientifiques avaient été débordées. A ce jour, personne ne peut mesurer l'ampleur de l'épidémie animale ni même les conséquences sur la santé humaine. Le seul préjudice certain c'est que cette affaire a eu des répercussions très graves au niveau politique et économique.

L'émergence récente du "principe de précaution" peut se résumer de la manière suivante: "il peut être justifié (version faible) ou il est impératif (version forte) de limiter, encadrer ou empêcher certaines actions potentiellement dangereuses sans attendre que ce danger soit scientifiquement établi de manière certaine"24. Ce principe de précaution va à l'encontre des principes édictés tant par l'Union Européenne que par l'OMC. Il suppose non que soit amenée la preuve du caractère dangereux d'un produit pour interdire sa commercialisation, mais qu'au contraire les opérateurs démontrent son innocuité. Le renversement de la charge de la preuve fait que le doute porte sur le consommateur et non le producteur.

(24 Voir Godard O., Le principe de précaution dans la conduite des affaires humaines, éd. de la Maison des Sciences de l'Homme/Institut National de la Recherche agronomique, Paris, 1997.)

La difficulté de convergence entre deux logiques, celle des scientifiques souvent prudents avant d'avancer des propositions définitives et celle des politiques et des opérateurs économiques qui souhaitent des données précises pour prendre des décisions, est aujourd'hui au centre des questions concernant les quarantaines, qu'elles soient sanitaires ou phytosanitaires.

(e) La crédibilité sanitaire de l'Etat souverain - Si les Etats-Unis ont vivement réagi à la position du Parlement Européen relative à l'utilisation des hormones dans l'élevage c'est parce que celle-ci, sous des apparences scientifiques qu'ils jugent inacceptables, vise en fait à juguler le boycott relatif de la viande bovine des consommateurs européens après l'affaire de la "vache folle". La réhabilitation de la filière bovine européenne et le rôle de l'Etat Nation dans la protection de la santé publique sont ainsi affirmés puisque l'on s'interdit en refusant l'importation de la viande bovine en provenance des Etats-Unis de faire courir un risque aux consommateurs même si les experts américains assurent de l'innocuité de ces hormones "si celles-ci sont administrées selon le mode d'emploi". En matière d'hormones, de produits phytosanitaires ou d'additifs, la DJA (ou dose journalière admissible) suscite une certaine incompréhension auprès des premiers concernés, les consommateurs. Est-ce à dire que chaque produit est susceptible d'entraîner à terme des risques pour la santé humaine?

Un dernier exemple est fourni par le marché des fruits et légumes: les fruits piqués sont invendables sur le marché intérieur comme à l'exportation. Les arboriculteurs se voient-ils donc contraints de traiter leurs produits alors même lorsque la loi l'interdit, à savoir que plus aucun "traitement aux pesticides" ne doit être effectué dans les quinze jours qui précèdent la cueillette. Sur qui pèse donc la responsabilité? Sur l'agriculteur qui ne peut respecter une exigence réglementaire pour participer aux mouvements commerciaux, ou sur la règle qui régit la circulation et la vente des produits?

2.3.6 Accord relatif aux obstacles au commerce

Est à retenir qu'au cours de la précédente série de négociations du GATT, un Accord relatif aux obstacles techniques au commerce (souvent dénommé Code de la normalisation) avait été négocie25.

(25L'Accord de 1979 relatif aux obstacles techniques au commerce a été négocié dans le cadre du cycle de Tokyo (1974-1979). Il est entré en vigueur le 1er janvier 1980.)

Bien que cet accord n'ait pas été élaboré dans l'unique but de réglementer les mesures sanitaires et phytosanitaires, il englobe les prescriptions techniques résultant de mesures concernant l'innocuité des produits alimentaires, la protection de la santé des animaux et la préservation des végétaux, y compris les valeurs limites pour fixer les résidus de pesticides, les prescriptions en matière d'inspection et l'étiquetage.

Les signataires sont convenus d'utiliser les normes internationales pertinentes (par exemple, les normes relatives à l'innocuité des produits alimentaires élaborés par le Codex Alimentarius) sauf lorsqu'ils considèrent que celles-ci ne sont pas adéquates à protéger efficacement la santé.

Il leur est également fait obligation de notifier aux partenaires, par l'intermédiaire du Secrétariat, tous les règlements techniques qui ne sont pas fondés sur des nonnes internationales.

Cet accord contient enfin des dispositions relatives au règlement des différends résultant de l'utilisation de restrictions en matière d'innocuité des produits alimentaires et d'autres restrictions techniques.

Conclusion

Du 9 au 13 décembre 1996, Singapour a accueilli la première conférence ministérielle de l'OMC qui depuis le 1er janvier 1995 a succédé à l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce. Cette organisation a pour mandat induit de faire du libre-commerce le fondement des rapports commerciaux. En cas de conflit entre réglementation environnementale et commerce légitime, "il faut se montrer prudent et se demander si c'est la politique commerciale ou la politique environnementale qui doit être ajustée"; il en est de même en matière de respect d'un minimum de règles sociales dans les pays exportateurs comme préalable à ce commerce légitime: "; il s'agit d'une question hautement controversée et, en l'absence de consensus, elle ne peut figurer dans le programme de l'OMC' 26.

(26Voir Ruggiero R., Directeur général de l'OMC, Focus, n° 6, Octobre-Novembre 1995, Genève.)


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