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2. La distribution alimentaire à Cotonou


2.1. Historique de l'évolution spatiale de la distribution alimentaire
2.2. Typologie des structures de distribution
2.3. Le fonctionnement des structures de distribution et les pratiques des commerçants

Cotonou est une ville située le long de la lagune et ouverte sur l'océan Atlantique. Les voies d'accès de cette ville sont: la mer par le port, la lagune navigable en pirogue; les axes routiers qui traversent le pays d'Ouest en Est (Accra - Lomé - Cotonou - Lagos) et du Nord au Sud (Niamey - Malanville - Parakou - Cotonou); le chemin de fer qui relie Parakou à Cotonou et Porto-Novo; et enfin les airs par l'aéroport international. Le centre de Cotonou se trouve non loin du bord de la lagune. Sous l'effet de son accroissement démographique (tableau 7), la ville, coincée entre le fleuve et la mer, s'est étendue vers l'est et l'ouest peu à peu sur les bords d'une rive, puis plus récemment de l'autre coté de la lagune, et vers le nord englobant plusieurs villages. Cette extension de l'habitat s'est accompagné d'un développement d'aménagements commerciaux pour assurer la distribution des biens et services à la population. Ce chapitre se propose de retracer brièvement l'histoire de l'évolution spatiale de la distribution alimentaire puis de présenter les principales caractéristiques de fonctionnement des différentes structures de distribution.

Tableau 7. L'évolution démographique de Cotonou


1960

1970

1980

1990

Population de Cotonou en milliers d'habitants

70

160

351

810

Population de Cotonou en % de la population du Bénin

3,4

6,0

10,2

18,2

Source: Mukanda-Bantu (1994)

2.1. Historique de l'évolution spatiale de la distribution alimentaire

Ville du Bénin de la troisième génération, Cotonou est restée longtemps une base arrière des commerçants européens qui entreposaient leurs marchandises. En 1892, cette “ville” ne compte que quelques maisons européennes et ne dispose que d'un centre d'échange créé en 1840 appelé “Xavier Béraud” par les européens et “Tokpa” par les Béninois. Il sert alors à l'échange des produits vivriers tels que les produits maraîchers et de l'eau douce.

Après la construction du wharf (ponton pour le débarquement des bateaux en mer) en 1899, Cotonou connaît l'arrivée massive de main-d'oeuvre. En 1912, la ville se voit attribuer des fonctions urbaines aux caractères administratifs. Elle s'étend alors du chenal à l'est vers la ligne coupant le chemin de fer à l'ouest et est limitée au nord par la lagune et au sud par l'océan Atlantique.

En 1950, Cotonou compte 20 000 habitants. Deux marchés coexistent à cette époque: le premier, municipal, se situe en pleine ville européenne et attire surtout la clientèle des colons; le second, “Xavier Béraud” ou «Tokpa», est devenu le marché de ravitaillement en produits vivriers et attire davantage la clientèle béninoise, non seulement strictement urbaine mais aussi régionale. Il s'étend sur deux hectares et on y compte déjà 3 000 commerçants dont le tiers ambulants et dont plus des trois quarts sont des femmes. Ces deux marchés sont les seuls officiels mais on note déjà le développement d'étalages dans les rues et sur les chantiers, et de petits marchés de nuit où des commerçantes vendent des mets préparés aux manoeuvres et ouvriers célibataires.

Aujourd'hui, ces deux marchés existent toujours bien qu'ils aient été déplacés à plusieurs reprises. Le principal marché vivrier, «Tokpa» a été transféré en 1963 à son emplacement actuel et a pris alors le nom de «Dantokpa». D'autres marchés se sont créés dans de nouveaux quartiers. Une série de cartes schématiques permet de visualiser cette évolution (Carte 1).

2.2. Typologie des structures de distribution


a) Le marché de gros: Dantokpa
b) Les marchés secondaires et les marchés de quartier
c) La distribution alimentaire hors des marchés

L'évolution de la distribution alimentaire ne se résume pas simplement en la multiplication des points de vente dans les quartiers. Elle se fonde également sur une hiérarchisation de ces marchés et sur le développement de nouvelles formes de distribution urbaine. Plusieurs types de structures de distribution peuvent être ainsi distingués dont les principales caractéristiques sont ici présentées.

a) Le marché de gros: Dantokpa

Du point de vue de la fonction d'approvisionnement et de distribution alimentaire, le marché de gros peut être défini comme un lieu qui accueille, stocke et constitue le point de départ des flux de redistribution dans la ville de différents produits alimentaires en provenance des zones de production ou des lieux de débarquement des produits importés.

Cotonou ne possède qu'un marché de ce type: le marché Dantokpa. La plupart des biens de consommation y sont centralisés en grande quantité et les semi-grossistes des marchés secondaires viennent s'y ravitailler. Mais ce marché de gros se double d'une fonction d'immense marché de détail. Tous les produits présents sur le marché peuvent être achetés aussi bien en grande qu'en micro quantités.

Cette définition du marché de gros ne révèle cependant pas toutes les fonctions de «Dantokpa». Ce marché est une ville dans la ville: il accueille tous les jours des milliers de personnes qui viennent vendre, acheter, consommer, mais aussi s'informer, discuter et se rencontrer. En ce sens, c'est un espace social très important de Cotonou.

Aujourd'hui situé près du nouveau pont, le marché s'étale sur plus de vingt hectares. Entre la lagune, le pont, le boulevard Saint Michel et le boulevard de la République, une haute bâtisse permet de le repérer de loin. Sa position dans la ville le situe au carrefour de voies d'accès terrestres, les grands boulevards, et d'accès lagunaire: un parc a pirogues est aménagé sur la rive, au pied du marché et permet le débarquement et l'embarquement de marchandises en provenance ou vers les villages du bord de la lagune.

Le marché de Dantokpa s'étale autour d'un bâtiment central en béton de quatre étages. Les «apatams», magasins en dur, boutiques en bois, abris en bois et en tôle ondulée ou simplement recouverts de bâches de plastiques sont disposés et s'agglutinent autour du bâtiment central. Légèrement excentrés, de véritables hangars en béton abritent les magasins de stockage des sacs de farine, de riz importés et de céréales locales. Ils sont desservis par les derniers parkings à camion qui n'ont pas été occupés par de nouvelles boutiques. Dans le secteur «Kpodji», Kinsonhoun (1992) a recensé 200 entrepôts dont 180 sont destinés au stockage du maïs local, les autres servant à l'entreposage d'autres céréales et du gari.

Officiellement ouvert tous les quatre jours, l'activité du marché est en fait quotidienne. La SOGEMA (Société de gestion des marchés autonomes) s'occupe de l'entretien des bâtiments et des accès, de la construction des nouveaux «apatams», du gardiennage et du nettoyage. Elle se charge également de collecter les taxes journalières de vente auxquels sont soumis les commerçants. Les grossistes qui possèdent des magasins et les vendeuses qui louent des boutiques paient une taxe mensuelle, les vendeuses ambulantes et celles qui ne possèdent pas de local paient une taxe journalière.

Carte 1. L'évolution spatiale de Cotonou et de ses marchés

Les quartiers créés durant chaque période sont représentés par des zones grisées différentes
Cent dix-huit agents sont employés par la SOGEMA pour circuler dans les différentes parties du marché, collecter les taxes et rappeler à l'ordre les mauvais payeurs. On les rencontre le matin vers 11 heures, à l'heure de la plus grosse affluence. Le gardiennage des magasins assuré par la SOGEMA étant insuffisant, les femmes d'une même zone s'associent pour payer un gardien de nuit.

Dans son ensemble, le marché de Dantokpa n'est pas spécialisé dans un type de produit: les produits vivriers locaux comme les produits importés, les produits de transformation artisanale comme industrielle, les produits manufacturés importés ou non, la pharmacopée traditionnelle, les ustensiles divers de magie ou de Vaudou, etc. peuvent être trouvés sur ce marché. Les vendeurs sont cependant regroupés par catégories de Carte 3, page 26. Leur origine est souvent un regroupement de quelques voisines qui installent des tables à la devanture d'une maison ou à l'angle d'un carrefour. S'il apparaît que ces vendeuses pionnières ont une clientèle régulière, d'autres viennent s'installer. Quand le marché atteint une taille produits dans une même zone (Carte 2). Ainsi, le bâtiment central est réservé à la vente des produits manufacturés, des chaussures, des bijoux, des tissus, de l'alcool; «Kpodji», du nom des troncs d'arbres posés au sol sur lesquels les sacs sont entassés pour le stockage, est une zone de vente du maïs et du gari en gros; «Bossodji», qui signifie le mouton en Fon, rassemble de nombreux vendeurs de cet animal et plus généralement de viandes.

b) Les marchés secondaires et les marchés de quartier

Cotonou compte plus de 35 marchés secondaires qui représentent des relais pour la redistribution des vivres dans les quartiers. La plupart sont nés spontanément au fur et à mesure de l'évolution spatiale de la ville (relativement importante, les autorités municipales peuvent ordonner son transfert sur un lieu plus adapté, notamment si l'activité gêne la circulation. Selon leur ancienneté, leur taille et l'attention que leur a portée la municipalité, ces espaces sont plus ou moins aménagés.

Tableau 8. Recensement des commerçants vivriers des marchés secondaires par type de produits


Maïs

Mil sorgho

Riz

Igname

Gari

Haricot

Arachide

Total

Gbégamey

16

12

7

7

9

18

18

87

Midombo

2

0

2

0

2

1

1

8

St Michel

5

8

6

2

5

8

7

41

Ste Cécile

6

3

3

1

5

4

4

26

Ste Rita

1

1

0

0

2

1

1

6

Wologuédé

3

2

3

0

6

4

4

22

Akpaka

12

5

2

0

13

3

3

38

PK 6

2

5

5

0

5

5

4

26

Degakon

3

3

2

0

5

4

4

21

Cadjehoun

1

1

2

0

1

1

0

6

Fifadji

3

6

6

1

6

6

6

34

Zogbo

2

1

2

0

1

1

0

7

Ménontin

3

4

7

0

5

5

3

27

Védoko

3

3

2

0

3

3

3

17

Total

62

54

49

11

68

64

58

366

Source: Adda (1991)
Carte 2. La répartition des types de commerce au sein du marché Dantokpa en 1987

Adda (1991) a recensé plus de 350 commerçants sur 14 marchés secondaires qui se distribuent comme l'indique le tableau 8. Ces données ne prennent pas en compte toutes les vendeuses au détail installées sommairement ou les vendeuses ambulantes qui se regroupent sur ces marchés.

Tous ces marchés assurent d'abord une fonction de vente au détail. Les petits marchés situés dans les quartiers éloignés du centre ville et du marché Dantokpa assurent essentiellement la redistribution des produits de consommation les plus utilisés par la population. On y trouve la plupart des produits alimentaires tant sous forme brute que transformée. Les marchés plus importants, souvent situés plus près du centre ville, assurent également, tout comme à Dantokpa, la vente au détail des principaux produits.

Mais certains sont spécialisés ou réputés pour certains types de produits. Ils jouent alors le rôle de marchés de gros spécifiques parfois différent du rôle assuré par Dantokpa. Ainsi, «Ghani» dans l'ancien quartier européen est réputé pour les fruits et légumes de qualité, «Saint Michel» pour les produits animaux (viandes et poissons); «Gaston Nègre» à proximité de la gare située à l'est de la lagune commercialise le maïs venant de l'Ouémé, «Gbégamey», au terminus de la ligne de chemin de fer Parakou - Cotonou, les produits vivriers en provenance des départements de l'Atlantique (zone nord) et du Zou; «Zongo», dans le quartier où se concentre la population musulmane originaire du nord du pays est spécialisé dans la vente d'animaux sur pied et de viande.

La plupart des commerçants semi-grossistes et des vendeurs s'approvisionnent au marché Dantokpa. Adda (1991) indique ainsi que 70% des vendeurs des 14 marchés secondaires qu'il a interrogés s'approvisionnent sur ce marché de gros. Pour six d'entre eux, la totalité des commerçants s'y approvisionnent exclusivement, pour cinq autres, cette proportion dépasse les trois quarts. Pour les produits concernés, les marchés spécialisés sont ravitaillés directement par des commerçants venant de zones de production souvent spécifiques. Quatre marchés secondaires (Gbégamey, Saint Michel, Fifadji et Sainte Cécile) ont cependant des réseaux d'approvisionnement pour des produits non spécifiques qui leur sont propres, certains liés à des bassins de collecte particuliers. Enfin, sur dix marchés enquêtés, on a pu constater que sept d'entre eux ont des commerçants qui s'approvisionnent en gari hors de Cotonou par des circuits directs. Ce mode de fonctionnement révèle une segmentation de la distribution de ce produit qui correspond, comme on le verra ultérieurement, à la diversité des caractéristiques de qualité de ce produit associées à des zones de production spécifiques.

Ainsi, si le marché Dantokpa joue un rôle essentiel de marché de gros pour la plupart des produits, il n'en a pas pour autant l'exclusivité, d'autres marchés secondaires assurant aussi ce rôle de façon complémentaire.

c) La distribution alimentaire hors des marchés

Comme on l'a vu précédemment (§ 1.4.b), le second type important de lieux d'approvisionnement alimentaire après le marché est la rue. Les boutiques ou les baraques de quartier et les magasins restent très peu fréquentés même si l'on constate leur création dans les différents quartiers au fur et à mesure de l'extension de la ville. Ces structures proposent essentiellement des produits industriels, locaux et importés, rarement de grande consommation.

Nous nous intéresserons donc ici davantage au petit commerce de rue et à domicile du fait de sa grande importance dans les pratiques d'approvisionnement des consommateurs de Cotonou.

Carte 3. Les principaux marchés de Cotonou

Au sein de cet ensemble d'activités de distribution alimentaire on peut distinguer quatre principaux types de vendeuses. Ces activités sont en effet essentiellement menées par les femmes.

Le recensement de ce type de vendeurs est difficile à réaliser de façon exhaustive. En 1988, Nago (1989) a pu cependant mener une enquête permettant de dénombrer les transformatrices-vendeuses et vendeuses simples de produits vivriers transformés dans 25 localités rurales et urbaines, dont Cotonou, dans quatre des six provinces du Bénin: l'Atlantique, le Mono, l'Ouémé, et le Zou. A titre indicatif, la population de Cotonou était estimée à environ 700 000 habitants en 1988. Toutes les activités recensées ne relèvent pas de la vente dans la rue puisque certaines vendeuses proposent leurs produits sur les marchés. Le commerce de détail des produits bruts et des produits industriels a été exclus de ce recensement. De plus, nombre de préparatrices vendeuses ambulantes ou ne possédant pas un étal visible de la rue n'ont pu être dénombrées. Cela dit, cette enquête apporte des précisions sur les produits proposés et sur l'importance générale de cet artisanat alimentaire. Les résultats de cette enquête sont présentés au tableau 9.

Par ailleurs, Hounhouigan et Nago (1990) on pu recenser, en 1989, 659 ateliers de mouture artisanaux à Cotonou qui traitent au total 150 tonnes de produits par jour dont 92% de maïs. Ces ateliers fonctionnent en prestation de service pour les ménagères ou les artisanes transformatrices.

Tableau 9. Recensement des artisanes transformatrices et vendeuses de produits vivriers à Cotonou en 1988

Produit de base principal

Nombre d'artisanes et vendeuses

Part relative en %

Nombre de produits

Maïs

4985

47,5

34

Arachide

1770

16,9

9

Manioc

1515

14,5

16

Palmier à huile

552

5,3

3

Haricots

419

4,0

6

Igname

371

3,5

6

Poisson

198

1,9

3

Blé

132

1,3

2

Noix de coco

112

1,1

2

Banane

76

0,7

2

Riz

55

0,5

3

Mil sorgho

36

0,3

8

Autres*

263

2,5

4

Total

10484

100,0

98

* Il s'agit de néré (Parkia Biglobosa, dont la transformation des graines donne un condiment de sauce), de karité, de lait et de sucre.

Source: Nago (1989)

Toutes ces données révèlent l'importance des activités de transformation des produits locaux. Pour l'ensemble des 25 localités enquêtées, les artisanes transformatrices-vendeuses représentent 55% des 19 500 activités dénombrées. De plus, pour 16 produits de base, on compte près de cent produits transformés différents. Ces activités de transformation contribuent à la création de valeur ajoutée dans les filières vivrières et assurent, pour un grand nombre de femmes, des revenus non négligeables. Sur un sous-échantillon de son enquête, Nago (1989) indique ainsi que le revenu moyen par jour et par femme s'établit entre 350 et 1 000 FCFA selon les activités ce qui correspondait, à cette époque, au prix de détail à Cotonou de quatre à onze kilogrammes de maïs ou encore de deux à six plats de petits restaurants. Nago (1989) note de plus, que les artisanes exercent souvent une activité rémunératrice complémentaire comme la vente de produits bruts ou industriels au micro-détail.

La répartition entre transformatrices-vendeuses et vendeuses simples est cependant variable d'une filière de produit à l'autre. Pour de nombreux produits, la proportion des vendeuses simples est plus élevée en ville que dans les zones rurales. C'est le cas du gari et du tapioca de manioc, de l'huile de palme et de coco, du klui-klui (beignets de tourteau d'arachide), du sodabi (alcool de vin de palme), essentiellement produits au village et livrés en gros en ville o¢ ils sont redistribués par des vendeuses au détail.

Les activités de transformation et de vente de produits à base de maïs, principale céréale consommée par la population de Cotonou, apparaissent dominantes. Elles représentent près de la moitié (47%) des activités recensées et concernent 34 produits différents dont la plupart sont préparés par des artisanes transformatrices urbaines. Cet artisanat contribue à diversifier les formes de consommation de cette céréale et à assurer ainsi son maintien dans l'alimentation des citadins.

Les différents aliments vendus hors des marchés peuvent être regroupés en quatre catégories:

A noter enfin, que certaines activités de transformation et de vente sont dominées par certains groupes socioculturels ou géographiques. Ceci s'explique par l'origine des savoir-faire pour la transformation des produits et par la localisation de certaines productions agricoles. Le tableau 10 présente cette caractéristique de spécialisation ethnique des activités.

Certains de ces aliments ont conservé leur caractère local; ils restent produits dans leur région d'origine. D'autres, au contraire, connaissent une diffusion élargie jusqu'à devenir, pour certains, de véritables produits nationaux. C'est le cas du mawé, du gari, du tapioca, du sodabi, du wagachi, de l'akassa, de l'ablo, désormais consommés par une population bien plus élargie que celle de leur région d'origine et qui commencent à faire l'objet d'une production en dehors de leur territoire traditionnel.

Tableau 10. La spécialisation ethnique de l'artisanat alimentaire du sud du Bénin

Groupe ethnique ou zone géographique

Produits associés et pourcentage de vendeuses de l'ethnie considérée

Goun (région de Porto Novo)

Akassa (pâte fermentée à base de maïs): 46% des productrices de Cotonou

Mina (Mono)

Ablo (pâte fermentée à base de maïs): 35% des productrices de Cotonou
Yéké-yéké (couscous de maïs)
Huile de palme, 50% des vendeuses de Cotonou

Fon

Huile d'arachide: 100% des vendeuses de Cotonou
Klui-klui (beignets de tourteau d'arachide): 80% des vendeuses de Cotonou
Tapioca: 75% des vendeuses de Cotonou

Adja (Mono)

Sodabi (alcool de vin de palme)

Peulh

Wagachi (fromage)

Zone littorale

Huile de coco

Nord-Bénin

Beurre de karité

Pêcheurs du Sud-Bénin

Kueta, gbéli, klaklu, galikponnon (beignets et gâteaux de manioc)

Source: nos enquêtes et Nago (1989)

2.3. Le fonctionnement des structures de distribution et les pratiques des commerçants


a) Le fonctionnement du commerce de gros
b) Le fonctionnement du commerce de détail
c) Les stratégies de relations entre les agents commerciaux

Les informations présentées dans ce chapitre sont issues d'une part d'un rapide sondage sur 549 commerçants du marché Dantokpa permettant d'identifier quelques caractéristiques de leur profil et de leurs activités et, d'autre part, d'enquêtes par questionnaire et d'entretiens approfondis réalisés auprès d'un échantillon d'agents de commercialisation des produits vivriers de Cotonou. Ces dernières investigations ont été menées de mars à juin 1994 auprès de 30 grossistes et semi-grossistes, 56 détaillantes, 10 vendeuses ambulantes, 10 courtiers, 6 transporteurs et 6 boutiquiers.

La réalisation d'entretiens approfondis en plusieurs séances avec une partie de ces opérateurs a permis d'instaurer une certaine relation de confiance entre l'enquêteur et la personne enquêtée. Certaines informations ont pu ainsi être obtenues qui n'auraient pu l'être par le biais de questionnaires, trop rapides et impersonnels. Cela dit, il faut souligner, en toute rigueur, les limites de fiabilité des informations recueillies. Elles tiennent à plusieurs facteurs.

Après avoir rappelé rapidement le mode de fonctionnement des commerçants grossistes et des agents qui sont associés à leurs activités (courtiers, transporteurs), sont présentés les modes de fonctionnement et pratiques des détaillantes, commerçantes directement en contact avec les consommateurs.

a) Le fonctionnement du commerce de gros

Les commerçants grossistes urbains constituent le dernier maillon des circuits centralisés d'approvisionnement de Cotonou. Rappelons cependant que tous les flux de produits vivriers qui arrivent dans la ville ne transitent pas forcément par les grossistes. D'importantes quantités de produits parviennent à Cotonou par des circuits courts: des producteurs périurbains se rendent en ville pour vendre directement leur production ou leurs produits de la pêche, de l'élevage ou de la cueillette.

Les grossistes urbains sont donc le dernier maillon d'une chaîne d'opérateurs aux fonctions complémentaires: producteurs, éleveurs, pêcheurs, collecteurs, parfois grossistes ruraux, transporteurs. Au sein de cette chaîne peuvent être intégrées, à différents niveaux selon les produits, des transformatrices. Celles-ci peuvent être installées en milieu rural et sont alors en même temps productrices ou femmes de producteurs agricoles, travaillent individuellement ou en groupements. Elles peuvent être installées en milieu urbain ou périurbain et fournir alors directement leur production, notamment lorsqu'elle est collective, à des transporteurs associés à des grossistes urbains.

Autour de l'activité de grossiste urbain, gravitent des opérateurs complémentaires tels que les courtiers (propriétaires ou gérants des entrepôts de stockage qui assurent le gardiennage des stocks et parfois la revente des sacs aux semi-grossistes ou aux détaillants pour le compte d'un grossiste), les manoeuvres (qui assurent le débarquement, le transport local et la mise en magasin des marchandises), les fournisseurs de sacs, les logeurs (qui hébergent les commerçants lors de leurs déplacements sur les marchés ruraux).

Entre ces différents agents, les relations n'ont pas qu'une fonction de circulation des produits. Si cette fonction peut apparaître primordiale, elle est étroitement liée à d'autres fonctions dont l'objectif ne peut être réduit à l'accompagnement de la circulation des produits. Entre les agents circulent en effet non seulement des produits mais également de l'argent, de l'information et des personnes.

Les flux d'argent ne se limitent pas strictement à ceux correspondant aux transactions commerciales ou au paiement des opérateurs de service (manoeuvres, courtiers, logeurs, etc.). Les grossistes assurent dans bien des cas le rôle de banquiers informels au sein de réseaux de relations. De même, les flux d'information ne se limitent pas aux données sur les quantités, les prix ou l'état des routes. Ils intègrent également tout ce qui concerne la vie sociale des réseaux dans lesquels s'insèrent les opérateurs. Au travers de ces réseaux, les flux de personnes dépassent les simples rencontres pour l'établissement de transactions. Les opérateurs reçoivent et parfois hébergent des personnes liées à d'autres opérateurs sans que ces relations soient directement associées à des transactions.

La réelle imbrication de ces relations tant économiques que sociales est fortement liée au fait que les différents opérateurs d'une même filière appartiennent souvent au même groupe lignager, ethnique, géographique ou religieux ou sont de même sexe. Ainsi, d'après nos enquêtes, près de huit grossistes sur dix déclarent avoir été initiés ou introduits dans leur activité par leurs parents. Par ailleurs, les résultats du sondage rapide concernant 144 commerçants du sud du pays font apparaître la forte relation qui existe entre l'origine géographique du commerçant et son lieu d'approvisionnement. Ces résultats sont présentés au tableau 11.

Cette appartenance commune à un même réseau socioculturel peut être vue comme un moyen d'établir la confiance nécessaire dans toute transaction commerciale. L'univers des échanges, en particulier dans les filières vivrières se caractérise par une forte incertitude: les aléas climatiques rendent difficile de prévoir l'offre agricole; l'absence de normes institutionnalisées de qualité et de moyens de contrôle de celle-ci à toutes les étapes de la chaîne de commercialisation conduit à des suspecter la loyauté des transactions; les retards de paiement des salariés du secteur public qui ont été fréquents pendant plusieurs années rendent difficile de compter sur une régularité de la demande solvable. Dans ce contexte, le fait d'appartenir à un même réseau social et culturel et, de ce fait, de partager la même langue, les mêmes règles, et d'être soumis au contrôle de la communauté, permet d'établir des relations de confiance.

Mais il serait abusif de ne voir dans cette appartenance sociale qu'une fonction d'assurance au service des transactions commerciales. Les commerçants ne sont pas que des opérateurs économiques, ils sont aussi des individus sociaux et ne peuvent facilement dissocier ces deux appartenances. La stratégie de ces acteurs peut être d'asseoir ou de renforcer une position au sein d'un réseau social, l'activité économique servant alors cette finalité. Ainsi, le fait de faire appel à des membres de sa famille ou de son lignage pour assurer certaines tâches liées à l'activité commerciale, peut être expliqué par la volonté d'accroître son prestige en fournissant emplois et revenus à ceux auxquels on est lié par l'appartenance à une même communauté. Il n'empêche que cette pratique permet également de se garantir une certaine sécurité face aux risques liées aux transactions.

Si l'imbrication des relations commerciales et des relations sociales constitue une caractéristique du fonctionnement des filières vivrières au Bénin et, au-delà, en Afrique sub-saharienne comme l'ont montrée de nombreux auteurs, elle n'est pas pour autant exclusive. Les commerçants grossistes assurent leurs transactions sur la base de règles de mesure communes largement partagées. Dans notre échantillon de commerçants enquêtés, le tiers d'entre eux indiquent qu'ils n'ont pas toujours de fournisseurs réguliers. La libre concurrence n'est donc pas absente du fonctionnement des marchés vivriers et elle se traduit parfois par des discussions voire des disputes entre les opérateurs. Cette situation est en particulier visible en période de faible offre en produits agricoles. Les grossistes expriment souvent les difficultés qu'ils rencontrent à trouver, en période de soudure, des collecteurs sérieux pour s'approvisionner en produits, notamment lorsque leur réseau classique de collecte ne suffit pas.

Une autre caractéristique du fonctionnement du commerce de gros est la multiplicité des activités de certains commerçants. Dans de nombreux cas, ceux-ci ne se limitent pas à la commercialisation d'un seul produit et n'assurent pas seulement une fonction d'achat de vivres en milieu rural pour la revente en milieu urbain. Certains exploitent en effet leurs réseaux commerciaux pour collecter différents produits d'une même région agricole. Ils tirent alors partie de la saisonnalité propre aux différentes productions, intensifiant les flux de certains produits lorsque d'autres se font rares. Ils redistribuent également des marchandises, parfois même non alimentaires, vers leurs zones d'approvisionnement.

Tableau 11. Répartition des commerçants de Dantokpa selon leur région d'origine et leur région d'approvisionnement
(en pourcentage des commerçants d'une même région d'origine)

Région d'approvisionnement

Région d'origine

Mono

Ouémé

Atlantique

Zou

Mono

91,4

15,8

15,0

10,5

Ouémé

2,9

68,4

15,0

10,5

Atlantique

0

5,3

50,0

21,0

Zou

0

5,3

20,0

63,2

Autre

5,7

5,2

0

5,3

Total

100

100

100

100

Sources: nos enquêtes

b) Le fonctionnement du commerce de détail

Sur les 56 vendeuses détaillantes interrogées, 26 sont installées au marché Dantokpa et les 30 autres se répartissent sur 12 marchés secondaires ou de quartier. Ces détaillantes sont exclusivement des femmes. Leur moyenne d'âge est de 37 ans, les deux tiers d'entre elles ont plus de 30 ans et plus de 80% sont mariées. Leur niveau d'instruction est très bas, notamment pour celles de plus de 30 ans, la moitié des plus jeunes ayant eu une formation dans le primaire. L'activité du mari est surtout représentée par les petits métiers (artisanat urbain, couturier, tailleur, cordonnier, réparateur de montres), le commerce et l'agriculture. Les détaillantes sont donc en majorité issues des classes modestes ou pauvres.

Comme il a été indiqué précédemment pour les transformatrices (§ 2.2.c) et les grossistes (§ 2.3.a), on retrouve une certaine spécialisation ethnique par type de produit vendu. Dans les trois quarts des cas, les femmes sont initiées au commerce d'un ou de quelques produits par un membre de leur famille (mère ou tante) et continuent ce commerce pendant plusieurs années. Cet apprentissage porte sur la connaissance du produit et de sa qualité, sur les procédés de transformation pour les aliments préparés, sur l'organisation des approvisionnements et l'accès à un réseau, et sur les pratiques de vente. Il se réalise dès le plus jeune âge, par l'accompagnement et l'aide de la mère ou de la tante au cours de leurs activités. Comme l'explique Nago (1989), «la transmission du savoir-faire procède de l'imitation accompagnée d'une communication orale et gestuelle».

Même si elles sont reconnues ou se reconnaissent elles-mêmes comme spécialisées dans la vente d'un aliment donné, les détaillantes vendent en général plus de deux produits, certaines proposant même tout un assortiment.

Cette pratique correspond à plusieurs objectifs:

Ainsi, par exemple, certaines vendeuses d'huile de palme proposent toute la gamme de produits de ce type mais dont les caractéristiques de qualité sont différentes et correspondent à des utilisations culinaires spécifiques: huile collé, huile zomi, noix de palme, tourteaux, sodabi. Les vendeuses peuvent ainsi toucher une clientèle plus large que si elles se consacraient à un seul aliment. D'autres vendeuses préfèrent étendre leur gamme vers d'autres types d'huile en commercialisant également des huiles d'arachide raffinée et artisanale. Ces détaillantes cherchent alors à atteindre l'ensemble des consommatrices d'huile.

Une autre stratégie consiste à associer divers ingrédients complémentaires de sauce (tomates, piments, oignons, cube aromatique, sel, poivre, etc.). Cette pratique demande cependant aux détaillantes un capital et un réseau de fournisseurs plus important. Ce jeu de complémentarité peut également s'établir sur le marché entre deux vendeuses. L'une, spécialisée en produits animaux se placera à côté d'une collègue qui vend des produits de sauce; une vendeuse de gari s'installera à proximité d'une vendeuse de lait et de sucre, permettant au client de pouvoir facilement mélanger ces trois ingrédients pour les consommer sur place.

Pour 80% des détaillantes interrogées, l'approvisionnement se réalise auprès d'un grossiste, le plus souvent au marché Dantokpa. Quelques-unes s'approvisionnent directement auprès de collecteurs de village ou auprès des producteurs notamment en période d'après récolte durant laquelle l'offre est abondante et facilement accessible en zone rurale. Dans le commerce de poissons, il n'existe pas de grossistes. La position géographique de Cotonou permet un approvisionnement par des circuits courts. Les détaillantes s'approvisionnent elles-mêmes auprès des pêcheurs et des femmes de pêcheurs pour le poisson local et auprès des poissonneries pour le poisson importé congelé.

Selon les produits et leur caractère plus ou moins périssable, l'approvisionnement s'effectue de une à deux fois par jour, par exemple pour le poisson, à une fois par mois, notamment pour les produits de plus longue durée de conservation. Dans la majorité des cas, le vendeur grossiste réalise l'avance d'un ou deux sacs de produits et se fait payer après la vente par la détaillante. Cet accord entre les opérateurs exige l'établissement de relations de confiance. On comprend aisément pourquoi près de deux tiers des détaillantes sont fidèles à quelques fournisseurs.

Toutes les détaillantes interrogées cherchent à exercer leur activité de façon régulière. L'acquisition d'une place sur un marché, qu'il soit formel ou informel, ou dans la rue n'est pas facile. Aussi, lorsqu'une vendeuse ne peut venir travailler, elle envoie une parente ou une amie la remplacer, à la fois pour garder la place et pour ne pas décevoir la clientèle. Près de 80% des détaillantes déclarent en effet avoir une clientèle fixe. Cette fidélité est entretenue notamment par le crédit à la clientèle accordé par 60% des détaillantes interrogées. Sa durée dépasse rarement les deux ou trois jours et peut se traduire ou non par un coût supplémentaire pour l'acheteur. L'objectif de la vendeuse est d'abord d'échanger implicitement un report de paiement ou une vente à crédit pour le client contre sa fidélité d'achat.

Au niveau des détaillantes, le stockage des produits est limité. La faible surface financière des vendeuses et leur grande difficulté à accéder au crédit monétaire ne leur permettent pas facilement d'acheter en plus grande quantité que le volume de quelques jours de vente. Cette situation constitue une contrainte reconnue par les vendeuses qui souhaiteraient pouvoir acquérir de plus grandes quantités de marchandises lorsque les prix sont bas en ayant notamment accès au crédit. Pour les produits périssables, les possibilités de conservation restent limitées par l'accès au stockage réfrigéré. Les marchés ne sont pas équipés de chambres froides et les vendeuses sont souvent contraintes de brader voire jeter leurs produits ou de les utiliser pour leur propre cuisine s'il reste des invendus en fin de journée.

c) Les stratégies de relations entre les agents commerciaux

D'une façon générale, l'analyse des relations entre les agents des circuits de commercialisation, tant au niveau de l'approvisionnement que de la distribution, révèle deux types de stratégies:

Ces stratégies horizontales sont repérables à différents niveaux des circuits de commercialisation.


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