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3. La perception des structures de distribution par les consommateurs


3.1. La perception du marché Dantokpa
3.2. La perception des marchés de quartier
3.3. La perception des vendeuses de quartier
3.4. La perception des boutiques de quartier

Ce chapitre vise à analyser les relations entre les styles alimentaires des Cotonois et l'organisation du système de distribution alimentaire de la ville. Ces deux éléments apparaissent en effet interagir mutuellement au sein de ce que l'on peut appeler l'organisation alimentaire de la ville.

Les données présentées ici sont issues de deux séries d'enquêtes: d'une part des entretiens approfondis réalisés auprès de 25 consommateurs dont 21 femmes en février 1993 sur leurs pratiques générales d'approvisionnement et leurs représentations des différents lieux d'acquisition des produits alimentaires; d'autre part, des entretiens approfondis sur 39 ménagères réalisés en janvier et février 1994 plus spécifiquement sur les pratiques d'approvisionnement et d'utilisation de quatre produits importants dans la consommation: le maïs, le manioc, l'huile de palme et le poisson. Ces données sont présentées ici selon les principaux types de structures de distribution.

3.1. La perception du marché Dantokpa

Tous les consommateurs interrogés s'approvisionnent régulièrement au marché Dantokpa. Les principaux intérêts de ce marché, aux dires des consommateurs sont nombreux.

Tableau 12. Les prix moyens mensuels du maïs au détail à Dantokpa et dans 31 marchés secondaires de Cotonou en 1990
(en FCFA/kg)


janv.

févr.

mars

avril

mai

juin

juill.

août

sept.

oct.

nov.

déc.

moy.

Dantokpa

75

80

90

95

100

110

95

65

60

70

80

75

82,9

Marchés secondaires*

75

88

94

99

112

117

99

74

71

76

81

76

88,5

Minimum

75

80

90

95

100

110

95

65

60

75

80

75

83,3

Maximum

75

90

95

100

115

125

100

75

75

80

90

80

91,6

* Moyennes de 31 marchés secondaires de Cotonou

Source: Kinsonhoun (1992)

Quelques témoignages illustrent cette perception du marché Dantokpa par les consommateurs.
- «A Tokpa, vous verrez plusieurs qualités de maïs et vous pourrez choisir un produit de bonne qualité à un prix intéressant».

- «J'achète le gari en grosse quantité donc je vais à Tokpa, mais pour le manioc frais on ne peut pas aller à Tokpa pour acheter pour 100 ou 150 F seulement».

-«Je vais à Tokpa quand j'ai l'argent et j'achète en quantité. Quand je n'ai pas l'argent, j'achète aux vendeuses ambulantes».

-«Je vais à Dantokpa pour acheter les produits moins chers. Dantokpa est le lieu de vente de tous les produits qu'on rencontre dans les autres marchés de quartier. Mais j'achète également dans le marché de quartier pour éviter d'aller loin».

-«Je vais au marché de Dantokpa quand je veux faire le ravitaillement. Je vais au marché de quartier quand j'ai des ruptures de stock ou que je n'ai pas le temps d'aller à Tokpa. Je n'y vais qu'une fois par mois pour le ravitaillement».

Sur les consommateurs interrogés, sept se rendent au marché Dantokpa une à deux fois par mois; neuf y vont entre deux et trois fois par semaine et neuf y vont plus de trois fois par semaine. Ces fréquentations dépendent naturellement de la distance du domicile du consommateur au lieu du marché. Les habitants du quartier ouest de Cotonou, sur l'autre rive que celle du marché, sont les plus nombreux à ne s'y rendre qu'une fois par mois.

Plusieurs facteurs déterminent la décision de se rendre sur ce marché et le rythme de sa fréquentation.

Enfin, il faut à nouveau souligner que le marché Dantokpa dépasse le cadre du simple lieu d'approvisionnement en produits de consommation. “C'est aussi un lieu privilégié de communication où toute l'existence de l'homme africain y est traitée, de la vie matérielle à la vie spirituelle. Aux dires des sages, le marché c'est la vie, on s'y nourrit, on s'y vêtit, on y guérit” (GBAGUIDI, 1993). Les activités qui peuvent être couplées au ravitaillement sont nombreuses: rencontre de parents et d'amis, échanges de nouvelles sur le village d'origine et la ville, restauration, regard des derniers pagnes à la mode, achat d'objets magico-religieux, etc.

3.2. La perception des marchés de quartier

Le principal avantage reconnu à ce type de marché est de pouvoir y faire des achats d'appoint, complémentaires des achats faits au marché Dantokpa, notamment des produits frais ou périssables, ou lors de rupture de stock. Les achats sur le marché voisin du domicile se font alors dans l'attente d'un réapprovisionnement sur le marché Dantokpa.

En général, ces marchés sont perçus comme moins bien approvisionnés et pratiquant des prix plus élevés sauf pour les marchés spécialisés dans certains produits. Ceux-ci, lorsqu'ils sont proches du domicile du consommateur, peuvent être alors des lieux d'approvisionnement en produits destinés au stockage. Cela dit, ne jouant le rôle de marché de gros que pour certains aliments, ces marchés ne se substituent pas totalement à Dantokpa.

Quelques témoignages illustrent ces perceptions:

- «Quand le stock d'huile est vide et que vous devez préparer la sauce, vous allez au marché du quartier ou chez la vendeuse à domicile.»

-«J'achète le poisson fumé au marché de quartier car il y a la qualité que je souhaite.»

- «On ne vend pas tous les produits sur le marché de quartier.»

- «Nous allons sur le marché de quartier quand une chose manque ou que nous avons peu à acheter.»

- «Le marché du quartier est proche de ma maison. Mon mari est souvent en tournée et achète le maïs hors de Cotonou.»

Il faut également souligner que les marchés de quartier accueillent une clientèle dont le niveau ou le fractionnement des disponibilités monétaires sont tels qu'ils rendent difficiles l'achat en grande quantité, la pratique du stockage et donc la fréquentation régulière du marché Dantokpa. Résidant souvent dans des zones périphériques de la ville, ces populations défavorisées se trouvent donc pénalisées puisque les produits vendus sur leurs marchés de quartier sont plus chers qu'à Dantokpa.

3.3. La perception des vendeuses de quartier

En restant chez elles ou en circulant dans les rues, toutes les ménagères peuvent de temps à autre faire du commerce. Sur les 21 femmes interrogées en 1993, 11 pratiquent occasionnellement ou régulièrement une préparation alimentaire avec vente à domicile. Ainsi, mis à part dans quelques zones résidentielles de villas plus ou moins luxueuses, tous les quartiers de Cotonou sont bien desservis par ce commerce de forte proximité. Cette proximité n'est pas purement géographique, elle est aussi sociale. Les achats auprès de préparatrices d'aliments ou de plats à leur domicile, ou auprès de voisines, vendeuses de rue installées devant leur maison, la vente ambulante en «porte à porte» auprès d'une clientèle fidélisée, entretiennent et se basent sur des réseaux de bon voisinage et de confiance.

La fonction de ce type de structure de distribution est, pour une part, similaire à celle des marchés de quartier: l'approvisionnement d'appoint. Une partie de ce micro-commerce s'adresse aux ménagères qui découvrent une rupture de stock au moment de la préparation du repas ou qui doivent faire face rapidement à un imprévu: invité, cadeau à un enfant, etc.

Mais le micro-commerce de quartier permet aussi d'acquérir des produits et notamment des aliments transformés pour lesquels les ménagères ont de fortes exigences de qualité. Deux témoignages illustrent ce phénomène:

- «J'achète le poisson fumé à une vendeuse de quartier car elle le prépare bien.»

-«J'achète le manioc frais et les feuilles de manioc auprès des vendeuses à domicile. Le manioc frais est déjà gâté à Dantokpa et on ne trouve pas de feuilles. Pour l'huile c'est pareil, j'achète à une vendeuse à domicile qui a la qualité que je cherche.»

Sur les 25 consommateurs interrogés en 1993, 15 indiquent qu'ils achètent des boules d'akassa à des vendeuses à domicile de leur quartier, 13 achètent du mawé (pâte fermentée de maïs très utilisée au sud-Bénin permettant de préparer une grande diversité de produits) à ce même type de vendeuses, sept achètent du gari. Ces produits de base, dont certains sont des produits frais, exigent un savoir-faire particulier pour leur transformation. Celle-ci fait appel, bien souvent, à une phase de fermentation qui confère à la fois un goût spécifique et une certaine stabilité au produit. Sa maîtrise technique est loin d'être évidente et l'achat de ce type de produit comporte donc un risque pour le consommateur. L'apparence, la couleur ou l'odeur du produit ne suffisent en effet pas toujours à vérifier sa qualité. Face à cette incertitude et en l'absence de normes ou de contrôles institutionnalisés de qualité, notamment sanitaires, la cliente établit sa confiance dans le produit par le biais de sa confiance dans la vendeuse. Le fait que celle-ci soit une voisine voire une amie, que son professionnalisme et son sérieux à respecter les règles du procédé traditionnel puissent être facilement vérifiés, concourent à établir cette relation de confiance. Ceci est en effet moins facile à faire dans les relations plus impersonnelles avec les vendeuses de marché.

3.4. La perception des boutiques de quartier

Ce type de structure de distribution ne représente pas, comme il a été vu précédemment (§ 1.4.b), une part importante des dépenses alimentaires.

Dans les quartiers mal desservis par un marché secondaire, ces boutiques font office de lieu de vente de produits d'appoint. Mais pour la majorité des consommateurs interrogés, les prix des produits y sont jugés élevés. Beaucoup reconnaissent cependant la meilleure qualité de certains produits notamment industriels ou importés vendus dans ces petits magasins. Ceux-ci disposent de présentoirs à l'abri du soleil et de la poussière et bien souvent de réfrigérateurs ou de congélateurs permettant de mieux conserver les produits laitiers ou de proposer des boissons fraîches. Ces avantages ne sont cependant pas reconnus suffisamment intéressants pour justifier les niveaux de prix pratiqués.

Quelques témoignages de consommateurs révèlent ces perceptions:

- «Je n'achète jamais dans les boutiques: les produits sont trop chers.»

-«Je vais rarement à “La Pointe” (magasin proposant surtout des produits importés). Quand j'y vais, j'achète de l'eau de Javel, du saucisson ou d'autres produits d'Europe. C'est aussi une distraction.»

- «Les produits sont chers mais j'achète régulièrement les yaourts pour les enfants.»

-«J'achète les biscuits, la moutarde, la mayonnaise, les produits qui sont rares sur le marché. De plus, “Royal Store” est plus près de chez moi que le marché Dantokpa.»

-«J'apprécie les boutiques car les prix ne varient pas.»

A noter que ce dernier témoignage est celui d'un homme. Traditionnellement les hommes béninois marchandent peu, seules les femmes étant jugées capables de le faire. C'est pourquoi quelques hommes préfèrent acheter dans les boutiques où le prix, bien que plus élevé, est fixe voire affiché.


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