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Chapitre 2: LA PROBLÉMATIQUE GÉNÉRALE


2.1 - Les conséquences de la croissance urbaine
2.2 - Les espaces de l’approvisionnement urbain et leur fonctionnement
2.3 - Quelle optimisation des espaces de l’approvisionnement urbain?
2.4 - La distribution des aliments à l’intérieur de la ville

2.1 - Les conséquences de la croissance urbaine

La croissance des villes, dont on connait la rapidité en Afrique, pose aux SADA un triple défi:

La croissance des villes, dont on connaît la rapidité en Afrique, pose aux SADA un triple défi:

2.2 - Les espaces de l’approvisionnement urbain et leur fonctionnement


2.2.1 - Des aires disjointes et spécialisées
2.2.2 - La contrainte des données: un espace “rugueux”

La ville concentre une variété inédite de produits alimentaires, à la mesure de sa taille démographique; plus celle-ci est importante, plus s’ajoute à une offre de base visant à satisfaire les besoins alimentaires du plus grand nombre une offre spécialisée répondant au pouvoir d’achat plus élevé et à une demande plus sophistiquée des citadins les plus aisés. Cet approvisionnement urbain que la composition sociale même de la ville, dans son hétérogénéité, tend naturellement à diversifier, suppose nécessairement une origine multiple des produits.

2.2.1 - Des aires disjointes et spécialisées


2.2.1.1 - La ceinture maraîchère et le jardinage urbain
2.2.1.2 - L’approvisionnement périurbain
2.2.1.3 - L’approvisionnement à longue distance
2.2.1.4 - Le rôle des petites villes

La première caractéristique de l’espace d’approvisionnement urbain en Afrique est sa constitution en aires disjointes et souvent autonomes quant à leurs relations avec le marché. Il s’agit moins d’un espace ou d’une aire d’approvisionnement, que d’îlots, ou parfois de zones relativement étendues mais sans connexions, dont une partie de la production agricole est acheminée pour les besoins de la consommation urbaine.

2.2.1.1 - La ceinture maraîchère et le jardinage urbain

La zone d’approvisionnement la plus proche de la consommation se trouve à l’intérieur même de la ville ou à sa périphérie immédiate. La croissance urbaine, enclenchée après les années des indépendances africaines, a souvent donné lieu à l’apparition, non seulement de ceintures maraîchères, mais encore d’un jardinage urbain pratiqué intra-muros sur les terrains que l’expansion de l’urbanisation laissait encore libres pour un temps.

Ce type d’agriculture, suburbaine ou intraurbaine, est très précaire. Il a surgi spontanément comme une mise à profit de terrains proches de la ville ou même intégrés dans celle-ci, et sur lesquels il était relativement aisé de pratiquer une irrigation même rudimentaire pour approvisionner les citadins, soit directement, soit en passant par le marché, en légumes verts ou produits maraîchers, c’est-à-dire en produits de valeur unitaire relativement élevée répondant à la demande d’une clientèle urbaine aisée. Il s’agissait en fait d’un essai, souvent réussi, de substitution de produits d’importation, visant à offrir des denrées alimentaires européennes à une clientèle surtout constituée d’expatriés ou de membres de la bourgeoisie urbaine occidentalisée.

Dans l’espace, la ceinture ainsi formée n’est nullement continue, et moins encore s’il s’agit des cultures à l’intérieur de la ville. Ces cultures sont apparues çà et là, en fonction des dynamismes locaux et surtout en fonction de la possibilité d’accéder facilement à l’eau; il s’agit donc surtout d’une horticulture de bas-fonds, dépendant de systèmes d’irrigation simples et de faible portée.

L’entreprise se heurte, au fil du temps, à deux types de difficultés, les unes locales, les autres d’ordre plus général. A mesure de l’avancée de l’urbanisation, la plus-value progressivement acquise par les terrains suburbains, et plus encore intraurbains (même s’ils étaient réputés inconstructibles selon les normes de l’urbanisme), ne peut laisser longtemps persister une activité agricole dont la rentabilité relative va naturellement en diminuant. Tôt ou tard, les cultivateurs de produits maraîchers, avertis de la valeur réelle de leur fonds, cèdent à la tentation de vendre celui-ci à quelque promoteur ou de réaliser eux-mêmes une opération immobilière. L’autre obstacle, plus récent, rencontré par cette agriculture spécialisée dans des productions relativement chères, est la crise et l’ajustement conséquent, dont l’effet immédiat fut la baisse du pouvoir d’achat de la majorité des ménages urbains. Aliments en passe de devenir partie de la consommation urbaine habituelle, ces produits maraîchers se sont trouvés rangés au nombre des approvisionnements exceptionnels, même pour les citadins aisés, tandis que la clientèle des expatriés avait fondu entre temps.

Le développement d’une culture maraîchère suburbaine à forte valeur ajoutée susceptible de contribuer efficacement et durablement au ravitaillement des grandes villes africaines, ne semble donc pas généralisable à toutes les situations étant donnée la spécificité des problèmes de la ville africaine, ce qui tend à montrer l’impossibilité de transposer tels quels les modèles issus de l’expérience occidentale, tels les “jardins ouvriers”.

2.2.1.2 - L’approvisionnement périurbain

Le qualificatif “périurbain” reste imprécis; c’est l’hinterland, l’arrière-pays, la zone sur laquelle s’étend l’influence de la ville. La distance jusqu’à laquelle celle-ci s’exerce peut être très variable, principalement en fonction du volume démographique de la ville et des activités qu’elle déploie. Dans les pays de petite dimension, la zone d’approvisionnement de la capitale peut même se confondre avec le territoire national.

Les influences de la ville sur sa région environnante sont multiples, qu’elles prennent la forme de relations ville-campagne ou campagne-ville, et l’approvisionnement urbain ne constitue que l’une d’entre elles qui ne coïncide pas nécessairement avec les autres. Mieux vaut parler des multiples aires d’influence de la ville, chacune variant selon l’objet considéré et, dans le cas présent, selon la production alimentaire considérée.

D’autre part, ce qualificatif de “périurbain” peut prêter à confusion dans la mesure où il évoque une notion d’espace partant d’un centre, la ville, et s’élargissant en cercles concentriques autour de celle-ci tout en s’affaiblissant progressivement. Or, quel qu’en soit l’élément considéré, l’espace périurbain est discontinu, constitué de zones disjointes, pour ce qui concerne l’approvisionnement alimentaire, peut-être plus encore qu’en d’autres domaines. En outre, sa forme peut fort bien n’avoir rien de commun avec le cercle ou l’hexagone de Christaller, même s’il arrive qu’elle tienne du demi-cercle dans le cas des villes côtières.

L’incessant va-et-vient de véhicules et de piétons qui anime dès les premières heures du jour les routes et pistes aux alentours de la ville est l’une des caractéristiques les plus frappantes des pays africains. Si les composantes de cette activité sont multiples, il est certain que les déplacements de citadins se ravitaillant à la campagne proche et ceux des ruraux leur apportant leurs productions y sont pour beaucoup.

Il ne s’agit cependant pas uniquement d’échanges qui seraient pratiqués sur la base d’une réciprocité plus ou moins parfaite (plutôt moins du point de vue des citadins, plutôt plus selon les ruraux, etc.). Les études montrent l’existence d’autres types de stratégies de ravitaillement développées par les citadins pour remédier aux difficultés de la vie urbaine.

Ainsi est-il fréquent que les immigrés prennent soin de garder au lieu d’origine des droits sur les terres familiales qui leur permettent non seulement d’encaisser les revenus des cultures de rente là où elles existent, mais aussi de cultiver leurs champs au village. Dans bien des pays d’Afrique et d’ailleurs, lors des périodes-clés du cycle agricole (semailles, désherbage, récolte), les épouses d’immigrés, parfois installés en ville de longue date, font le voyage au village pour consacrer le temps nécessaire aux travaux agricoles et subvenir ainsi au moins partiellement à l’alimentation du ménage.

Ce recours direct à la production vivrière des campagnes n’est pas uniquement le fait des ménages pauvres ou des immigrés récents. Les jours fériés et les week-ends voient se multiplier, sur les principaux axes routiers qui mènent à la ville, des étalages souvent rudimentaires à l’intention de citadins motorisés qui ne dédaignent cependant pas, malgré leur statut socioprofessionnel relativement privilégié, cet approvisionnement en vivres frais meilleur marché qu’en ville. On peut malgré tout supposer que l’économie permise par ces achats occasionnels n’a rien de commun avec celle que réalisent, selon la même stratégie, les ménages plus nécessiteux.

De tels échanges ne peuvent être actifs que dans la mesure où existent des voies de communication et des moyens de transport relativement commodes entre le village et la ville. On constate cependant qu’à égale distance de la ville existent de fortes variations dans l’intensité de l’utilisation de cette ressource “ville” par les producteurs. Ici, on cultive presque exclusivement pour vendre, parfois au risque de porter atteinte à l’équilibre alimentaire des familles, là, on se contente de vendre le surplus quand il en existe un, ailleurs encore, on vit quasiment en autarcie comme si la ville et les débouchés qu’elle offre n’existaient pas. De telles différences selon les zones géographiques, voire les individus, renvoient naturellement à des contraintes qui se traduisent dans les particularités de l’espace d’approvisionnement.

Les productions offertes à la consommation urbaine par l’espace périurbain sont généralement celles qui satisfont les besoins de l’alimentation de base; il s’agit des aliments (céréales, tubercules ou racines) qui constituent le fond de l’alimentation locale habituelle, qu’elle soit rurale ou urbaine. On peut s’expliquer le fait par le mode de peuplement de la ville: les immigrants qui ont constitué la première population de la ville provenaient (et proviennent peut-être encore) majoritairement de la région proche et ont gardé en ville la culture alimentaire qui était la leur et qui est devenue et demeurée celle de la ville. L’idée implique qu’à mesure que la ville étend et diversifie le bassin de recrutement de ses immigrés, l’alimentation des citadins tend à se diversifier et la zone d’approvisionnement à s’élargir vers de nouveaux espaces.

Restent cependant entre ces espaces d’approvisionnement, qu’ils soient anciens ou nouveaux, des sortes de no man’s land, des zones parfois relativement proches de la ville, que celle-ci ne semble pas réussir à intégrer à son arrière-pays.

2.2.1.3 - L’approvisionnement à longue distance

Une partie de l’approvisionnement urbain est de provenance lointaine, parfois très lointaine, ce qui ne manque d’ailleurs pas d’étonner lorsqu’il s’agit de villes modestes.

A l’intérieur même du territoire national, certaines zones ont pu réussir une spécialisation agroalimentaire qui fait d’une ou plusieurs de leurs productions une quasi-originalité régionale dont la valeur (économique ou symbolique) autorise un transport à longue distance. Il peut s’agir d’aliments de consommation directe mais peu périssables, ou bien de produits industrialisés ou semi-industrialisés conditionnés de façon à permettre un transport à longue distance.

Plus récent et plus spectaculaire est le développement des importations alimentaires, importations commerciales ou aide alimentaire livrée sous des modalités diverses. En Afrique, elle provient parfois des pays voisins, davantage à la faveur de la contrebande que comme résultat d’une intégration régionale réellement voulue. Mais son origine est généralement beaucoup plus lointaine (Europe, Etats-Unis, Asie) et sa particularité est de porter non pas seulement sur des denrées rares ou que le pays ne peut produire, mais aussi sur des aliments de consommation courante, ou plutôt dont la consommation est devenue si courante en milieu urbain que toute rupture d’approvisionnement peut tourner à la catastrophe.

A côté de ces importations généralement massives et de faible valeur unitaire se maintiennent des importations plus classiques, celles qui portent sur des produits alimentaires chers, voire de luxe, étrangers au pays et visant à satisfaire les besoins de consommation ostentatoire d’une clientèle riche et minoritaire.

On peut donc se trouver en présence, notamment pour les grandes villes, d’un espace d’approvisionnement qui laisse une impression d’incohérence et de démesure, et dont les principales caractéristiques sont une sorte de sousexploitation des ressources agroalimentaires locales et un recours à des ressources de provenance lointaine, parfois très lointaine, ce qui ne va pas sans faire peser un risque certain d’insécurité sur l’alimentation urbaine au quotidien.

2.2.1.4 - Le rôle des petites villes

Selon la théorie géographique, le maillage combiné des lieux centraux (grandes villes, petites villes, voire bourgs ruraux), devrait contribuer au fonctionnement harmonieux de l’approvisionnement urbain dans ses différentes composantes: collecte, stockage et redistribution. Mais ville et marché vont-ils nécessairement de pair en Afrique?

La situation est en réalité assez contrastée selon les pays et même selon les groupes ethno-culturels considérés. Il est des régions où le marché est une ancienne tradition pré-coloniale, sans avoir d’ailleurs donné nécessairement naissance à une ville car il pouvait aussi s’agir d’un simple lieu de contacts périodiques entre des sociétés aux économies complémentaires, mais qui restait totalement déserté entre temps. En d’autres régions d’Afrique, la ville, petite ou grande aujourd’hui, est une création purement coloniale, centre d’encadrement administratif, religieux et militaire, et centre de services variés à la mesure du degré de décentralisation du pays. Ces villes se sont peu à peu dotées de fonctions économiques, collecte et distribution, symbolisées par la création mi-organisée, mi-spontanée, d’un marché. Dans ce cas, la ville a précédé le marché.

Quelle que soit sa genèse, la petite ville constitue-t-elle réellement un maillon dans le réseau d’approvisionnement des grandes villes? Il semble qu’elle ne puisse jouer ce rôle qu’en fonction du type d’espace rural qu’elle commande. Selon que le milieu rural environnant est cohérent et actif ou, au contraire, désagrégé ou marginalisé, la petite ville joue son rôle d’animation économique régionale et de relais vers les centres supérieurs, ou au contraire participe, sans pouvoir y remédier, à l’atonie économique de la région. La petite ville, en effet, n’a d’existence que par sa région, car elle est soumise aux mêmes déterminations que celle-ci.

2.2.2 - La contrainte des données: un espace “rugueux”


2.2.2.1 - Les contraintes physiques
2.2.2.2 - Les déterminants économiques et sociaux

Si les réalités de l’approvisionnement urbain et la modélisation idéale construite par la théorie présentent dans l’ensemble peu de similitudes, c’est que l’espace géographique comporte des “rugosités” qui constituent autant de contraintes avec lesquelles les stratégies des acteurs doivent compter. Si les unes, assez évidentes, sont d’ordre physique, les autres sont plus difficiles à détecter dans la mesure où elles relèvent de l’économique et du social.

2.2.2.1 - Les contraintes physiques

La première contrainte qui pèse toujours lourdement sur l’activité agricole africaine est celle des conditions climatiques, au premier rang desquelles l’apport hydrique. Qui dit agriculture dit disponibilité de la ressource “eau”, et les formes parfois étranges de certaines zones de ravitaillement urbain ne font que refléter, en Afrique comme ailleurs, l’existence de cours d’eau, de points d’eau, de puits qui conditionnent et concentrent l’activité agricole. Les villes des zones sèches ne disposent souvent pas de cet arrière-pays censé les ravitailler et doivent compter en grande partie sur un approvisionnement à longue distance. De même en est-il de certaines villes minières qui ne peuvent vivre que de produits “exogènes” nationaux ou importés.

Parallèlement, d’autres éléments du climat contribuent également à poser des limites à l’agriculture, tels l’excès d’humidité, la chaleur constante, la persistance des endémies, et favorisent la multiplication de nématodes et ravageurs des cultures. A l’inverse, l’altitude peut fort bien autoriser certaines cultures venues de climats tempérés et normalement impossibles en milieu tropical, étendant ainsi de façon inattendue la gamme des denrées offertes sur le marché urbain.

Contrainte physique encore que celle du relief. Il est des villes construites sur des surfaces planes, sans écoulement, voire sur des lagunes ou berges remblayées qui peuvent être un obstacle ou, au contraire, un atout pour l’agriculture urbaine, et on retrouve par là le problème de l’eau, de son absence ou de son excès.

Le degré de fertilité des terres de la zone périurbaine, la nature des sols et leur épuisement, viennent enfin déterminer la faisabilité d’une agriculture régionale capable d’approvisionner de façon satisfaisante des villes en expansion continue. La pauvreté fréquente des sols tropicaux, leur latéritisation, le coût des intrants presque toujours importés, font que bien des villes se trouvent dans l’obligation de faire appel à un ravitaillement de longue distance pour s’assurer des disponibilités alimentaires suffisantes et régulières.

2.2.2.2 - Les déterminants économiques et sociaux

Parmi les héritages légués à l’Afrique par le système colonial, celui du dispositif des voies de communication est, avec celui des cultures de rentes, l’un des plus difficilement contournables. Pistes devenues aujourd’hui voies routières ou même autoroutières, chemins de fer vieillots ou parfois rénovés, ces infrastructures de communication qui étaient avant tout destinées à exporter les produits tropicaux et à importer les produits manufacturés de la métropole, constituent encore aujourd’hui les axes orientant les échanges intérieurs régionaux, y compris ceux de l’approvisionnement des villes.

Hormis quelques cas particuliers, les Etats africains n’ont guère disposé des ressources qui leur auraient permis d’organiser un réseau de communications mieux adapté aux besoins d’une intégration économique nationale ou régionale. L’histoire a donc fait que les villes, aujourd’hui les plus importantes, se sont construites et ont grandi aux extrémités des voies de communication existantes, tandis qu’apparaissaient, dans les interstices, des villes moyennes ou petites, au gré des ruptures de charge ou des étapes imposées par les moyens de transport.

L’approvisionnement urbain emprunte donc encore aujourd’hui ces couloirs de communication qui répondaient à un autre système économique, non certes sans en avoir élargi quelque peu l’assise, mais qui peuvent délaisser des zones parfois considérables se trouvant dans une situation géographique d’angle mort, d’espace inutile, ou tout au moins actuellement inutilisé.

Moins immédiatement perceptible, la contrainte que l’économie-monde fait peser sur le système de ravitaillement des villes n’en n’est pas moins déterminante et explique bien des aberrations géographiques de celui-ci. Des coût de production agricole extrêmement bas dans certains pays, des subventions à l’exportation dans d’autres, des surplus de production écoulés sous forme d’aide alimentaire, la libéralisation des échanges recherchée par les grands pays exportateurs, tout cela contribue à expliquer que l’espace de l’approvisionnement urbain se soit parfois élargi aux dimensions de la planète mais, dans le même temps, néglige des productions locales ou nationales qui ne trouvent plus preneur.

Enfin l’espace du ravitaillement urbain se trouve marqué par des déterminations qui ne relèvent pas toutes de l’ordre économique dans la mesure où l’immigré, contrairement à ce que l’on a souvent avancé, ne se fond pas en ville dans “ un melting pot “ où il perdrait tout identité propre, mais au contraire tient à conserver son originalité ou même à en renforcer l’affirmation, notamment en gardant des liens étroits avec son milieu d’origine.

En s’installant en ville, l’immigré y introduit sa culture alimentaire. La consommation quotidienne des produits de l’agroindustrie (pâtes, riz, pain, etc.) dont la banalisation fait souvent croire qu’ils sont définitivement devenus la base exclusive de l’alimentation urbaine, n’efface pourtant nulle part la préférence, ni le savoir-faire, à l’endroit des aliments et des plats typiques du “pays” d’origine. Demeure en effet, à côté d’une alimentation quotidienne vite préparée, et autant que possible à bas prix, une alimentation festive (en nourriture comme en boissons) qui souligne l’identité et resserre les liens sociaux, et qui suppose le maintien d’un approvisionnement depuis la région d’origine. Une telle consommation relève évidemment d’un modèle de satisfaction de besoins ou d’exigences socioculturelles, fort éloigné du modèle d’optimisation économique.

Cette apparente irrationalité économique ne diffère cependant pas du comportement des classes aisées dont la consommation ostentatoire induit des importations alimentaires de luxe, au coût unitaire élevé, et dont la “rentabilité” relève entièrement du social.

2.3 - Quelle optimisation des espaces de l’approvisionnement urbain?

L’approvisionnement alimentaire des villes d’Afrique de l’Ouest se heurte donc à un certain nombre de contraintes, visibles ou cachées, qui font que l’espace réellement mobilisé à cet effet paraît souvent peu cohérent, curieusement réduit, lacunaire et comme troué de sous-espaces aux ressources inexploitées, tandis qu’au contraire certaines de ses composantes proviennent de régions fort lointaines. Il faut voir là les effets à la fois des héritages historiques de ces pays, des données de la nature que la déficience des techniques utilisables ne permet guère de contourner, et aussi de la composition socio-économique et culturelle des populations urbaines.

Ce sont cependant là des espaces en mutation, mutation à la mesure de l’urbanisation massive de l’Afrique et qui appelle des adaptations.

La tendance la plus claire de l’évolution actuelle est celle d’un élargissement des aires de l’approvisionnement urbain, élargissement qui va de pair avec la progressive mondialisation des échanges commerciaux. S’il en est bien ainsi, l’alimentation des villes reposerait de moins en moins sur les productions agricoles locales ou même nationales, mais plutôt sur des aliments de provenance lointaine, les uns de consommation directe, mais dont le faible coût de production permet le transport à longue distance, les autres des produits élaborés en masse par une agro-industrie sans frontières et distribués jusqu’aux endroits les plus reculés.

Cet élargissement de l’espace du ravitaillement alimentaire n’est cependant pas le fait de tous les citadins; certains sont à même d’en bénéficier, d’autres ne le peuvent pas, la ligne de partage étant tracée par le niveau socio-économique des ménages.

La question géographique posée par cette évolution reste celle des rapports de la ville avec son hinterland, dont l’utilité dans l’approvisionnement urbain se trouve remis en cause. De la ville autrefois considérée comme prédatrice parce qu’elle exploitait sa région en la vidant de ses hommes et de ses res-sources, on passe à la ville indifférente à sa région.

L’objectif des interventions devient alors d’éviter de telles extraversions et de mettre en place les solutions techniques et financières (transports, stockage et conservation des produits, aide à la commercialisation, etc.), les unes propres à stimuler l’offre vivrière régionale, les autres encourageant un conditionnement et une première transformation des produits dans le cadre de la centralisation primaire réalisée par les petites villes de l’espace d’approvisionnement.

2.4 - La distribution des aliments à l’intérieur de la ville


2.4.1 - Une distribution différenciée
2.4.2 - Vers quelles améliorations de la distribution alimentaire?

L’espace de l’approvisionnement alimentaire de la ville s’articule avec celui de la distribution dans la ville qui assure le ravitaillement des ménages urbains. La configuration de l’un comme de l’autre est à la fois commandée par les décideurs, les responsables économiques et politiques, et par les stratégies de chacun des acteurs.

2.4.1 - Une distribution différenciée

A la différenciation sociale très marquée qui caractérise les villes africaines correspond une différenciation de fait des circuits de distribution des denrées et des lieux d’approvisionnement des citadins. Les situations urbaines étant ce qu’elles sont, la stratégie choisie par la majorité des ménages urbains est bien celle de l’optimisation des ressources, quels qu’en soient par ailleurs les inconvénients, la question fondamentale étant, pour ceux-ci, où et comment se procurer la nourriture quotidienne de façon à réduire la dépense monétaire au minimum.

Le mode d’approvisionnement urbain le plus économique serait, bien sûr, l’auto-approvisionnement, l’exploitation d’un jardin intra-muros subvenant à la plus grande partie de l’alimentation familiale. Le paradoxe veut que ceux qui auraient le plus besoin de terrains à cet effet, sont justement ceux qui ne peuvent en posséder ni en louer, étant les plus pauvres, tandis que les villas des urbains aisés s’entourent de jardins n’ayant d’autre utilité que l’agrément. Cette possibilité d’auto-approvisionnement demeure donc relativement réduite, malgré sa généralisation visible dans le paysage urbain africain, y compris celui des grandes villes.

Plusieurs systèmes de distribution coexistent dans les villes africaines, dont le choix par le consommateur n’est nullement dû au hasard, car à chacun d’eux sont attachés une clientèle ou un objectif particulier. Il existe un circuit “supérieur” de la distribution urbaine, celui des supermarchés et des magasins d’alimentation, auquel s’ajoute souvent le marché central de la ville, et un circuit “inférieur”, celui des marchés de quartier, des boutiques de quartier et aussi du commerce alimentaire informel.

Ces deux circuits sont rarement étanches. Les commerçants se livrent à des opérations d’achats et de reventes entre les points de vente de l’un et de l’autre au gré de leur intérêt. De même, en fonction de l’aliment recherché, de la qualité voulue et de l’argent disponible sur le moment, le consommateur sait fort bien où faire son achat: auprès du petit revendeur “à la sauvette” qui occupe le trottoir, à la boutique “un peu de tout” du quartier, à celle du quartier voisin, au marché le plus proche ou encore sur un autre plus distant mais plus avantageux. Chacun de ces lieux apporte la réponse à la situation particulière du client.

De ce fait, la distinction classique entre gros et détail est souvent rendue inopérante. Elle n’est valable que pour les grandes sociétés de commerce de type européen. Ce cas mis à part, la cascade des intermédiaires devient rapidement infinie, chacun jouant à son tour le rôle de grossiste pour le détaillant qu’il approvisionne; selon le pouvoir d’achat de celui qui la réalise, la même transaction opérée sur une même quantité de produit relève du “gros” ou du “détail”.

Deux stratégies de ravitaillement coexistent donc en ville, l’une, pratiquée par une minorité, qui consiste à recourir à la distribution “supérieure”, de façon à acheter tout le nécessaire en une seule fois, et l’autre, pratiquée par la majorité, selon laquelle le temps perdu en déplacement, qui peut être considérable, s’agissant le plus souvent de marche à pied, représente de l’argent économisé grâce à une rentabilisation maximale de l’achat, grâce aussi aux relations personnelles qu’entretiennent clients et vendeurs.

La clientèle que dessert le supermarché des villes africaines est donc aux antipodes de celle des pays occidentaux. Les supermarchés ne sont fréquentés que par les citadins riches, pouvant acheter en quantité et recherchant des produits de préférence importés.

L’extrême diversité des acteurs de la distribution rend difficile le repérage des vrais commerçants, notion qui convient mal ici, chacun pouvant exercer simultanément des activités variées. Dans les quartiers africains, nombre de petits commerçants, et pas seulement les jeunes, considèrent leur activité davantage comme un gagne-pain provisoire que comme un métier véritable, ce qui explique que la durée dans le métier est souvent brève et le turn-over dans la même activité rapide.

La généralisation de l’informel alimentaire, due à sa facilité d’accès, rend particulièrement ardue l’étude de la distribution urbaine, mais négliger cet aspect des choses expose à ne pas comprendre celle-ci dans toute sa réalité et à en laisser dans l’ombre une part qui va croissant. Ces petits vendeurs qui apparaissent en n’importe quel point de la ville dès que s’y manifeste une occupation humaine rendent en effet un service non négligeable à la population, en particulier à celle des quartiers sous-équipés.

2.4.2 - Vers quelles améliorations de la distribution alimentaire?

Ces dernières remarques donnent à penser que, selon les circuits de ravitaillement qui leur sont accessibles, les citadins des villes africaines adoptent des modèles de consommation alimentaire qui peuvent être fort différents et surtout de valeur nutritive fort inégale. Ainsi peut-on supposer que la situation la plus critique serait celle du citadin, natif de la ville même, pauvre et sans autre possibilité de ravitaillement que celle fournie par l’espace urbain (et, à l’extrême, pour lequel le seul aliment quotidien réellement à sa portée serait le pain), tandis que la situation la meilleure serait celle de l’immigré ayant réussi sa migration, dont les espaces de ravitaillement sont multiples et qui n’a même plus besoin de travailler lui-même sa terre au village parce qu’il s’y est taillé un prestige propre à entretenir de fructueuses relations de clientélisme. L’abondance et la diversité de l’alimentation que permet cette situation exceptionnelle garantissent une sécurité alimentaire non moins exceptionnelle en milieu urbain.

Quelles évolutions de la distribution souhaiter qui éviteraient de telles distorsions?

La dualité des circuits constitue une réponse en quelque sorte spontanée aux besoins des diverses situations des populations urbaines. L’amélioration consisterait à garantir le fonctionnement régulier de l’un comme de l’autre.

On peut imaginer, à condition qu’elle soit rentable, une distribution “populaire” organisée selon un système de masse, à bon marché, sur le modèle des supermarchés européens (de type E.D. par exemple). L’objectif serait de combler les lacunes que laissent subsister les équipements commerciaux et les marchés de quartiers, ou encore d’accompagner l’extension des nouveaux quartiers. Le risque est grand, cependant, de porter ainsi atteinte au commerce alimentaire informel qui permet la survie d’une forte proportion des citadins et possède une souplesse de gestion de trésorerie et d’adaptation aux besoins du consommateur que ne présenterait pas une structure commerciale plus classique.

Plus souhaitable paraît l’aménagement d’infrastructures, même élémentaires, pour l’approvisionnement et la vente des aliments sur les marchés surgis spontanément dans les quartiers populaires où ils n’ont souvent pas d’existence légale. Il s’agirait alors de mieux préserver la santé publique, de mieux assurer la conservation des denrées ainsi que la régularité de leur approvisionnement et de leurs prix. L’objectif doit être, non pas d’étendre le circuit “supérieur” de distribution dans ces quartiers, mais de faire que le circuit populaire présente des garanties comparables à celui-ci.


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