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Chapitre 1: La théorie


1.1 Le rôle des marchés
1.2 L'information courante et l'information historique
1.3 Le rôle de l'information courante
1.4 L'information courante et l'arbitrage spatial des négociants
1.5 L'information courante et les agriculteurs
1.6 L'information courante et les petits négociants
1.7 L'information historique et l'arbitrage temporel
1.8 L'information historique et les agriculteurs
1.9 L'information historique et les décideurs
1.10 L'information courante et l'information historique au service de la sécurité alimentaire

L'introduction a brièvement passé en revue certains arguments en faveur des SIM, et notamment la façon dont ils peuvent contribuer à l'arbitrage spatial des prix tout en ouvrant une perspective sur la manière de faire agir l'arbitrage temporel. Le fait de disposer d'informations devrait attirer de nouveaux venus dans le système de commercialisation. Une bonne information sur les marchés peut être utile aux agriculteurs dans leurs rapports avec les négociants. A plus longue échéance, elle devrait même permettre aux agriculteurs de mieux planifier et diversifier leurs productions afin de mieux répondre à la demande et de programmer les approvisionnements au moment où les prix leur sont le plus favorables. L'information sur les marchés peut s'avérer également utile aux SAR en prévenant les carences alimentaires qui se reflètent par une hausse des prix. De même, les planificateurs gouvernementaux peuvent y trouver un cadre de référence pour mieux comprendre la façon dont doivent fonctionner les marchés, et comment planifier leur développement. Le présent chapitre[1] reprend un certain nombre de ces arguments et les développe plus en détail. Il aboutit à la conclusion qu'il existe de bons fondements en faveur des SIM, ce qui rend l'incapacité des services gérés par l'Etat, décrits au chapitre 2, d'autant plus difficile à accepter.

1.1 Le rôle des marchés[2]

Pour prendre de bonnes décisions et bien planifier des activités commerciales, il faut pouvoir se fonder sur une information fiable permettant de suivre les conditions changeantes des marchés, ce qui s'exprime par les fluctuations des cours ou des prix. Ceux qui soutiennent les économies de libre échange considèrent que la flexibilité des prix est une chose positive puisqu'elle est le reflet de l'offre et de la demande et de l'alternance des saisons de production, et que, de plus, elle motive les producteurs à modifier leurs récoltes en fonction de la demande des marchés. Toutefois, une bonne information sur l'état des marchés est une condition préalable nécessaire à toute économie de marché, et doit donc être accessible à tous dans la mesure du possible.

Les marchés devraient être en mesure de fournir aux producteurs comme aux consommateurs les moyens et les services nécessaires pour permettre aux prix de se former correctement de façon à faciliter les échanges.

Théoriquement, du moins, les marchés devraient fournir les denrées alimentaires qui correspondent aux préférences des consommateurs. Dans le même temps, les prix que les consommateurs sont disposés à payer pour certaines denrées ou pour certaines qualités devraient remonter aux producteurs afin de les encourager à produire les denrées les plus demandées. Les écarts de prix dans le temps et d'un marché à l'autre devraient correspondre aux coûts de commercialisation supportés (transactions), notamment aux coûts de stockage et de transport.

Les cours et les prix se forment en fonction des conditions de l'offre et de la demande des marchés, conditions qui à leur tour sont influencées, entre autres, par les coûts de revient, les coûts de commercialisation et par les préférences démontrées par les consommateurs. Les prix pratiqués sur les différents marchés sont des indications sur lesquelles peut se baser, dans le secteur agricole, l'attribution des ressources destinées à la production. Toutefois, ceci n'est pas simple dans les nombreux pays où les conditions de vente des denrées agricoles changent selon les saisons, où les infrastructures (routes, télécommunications et emplacements de marché) sont insuffisantes et où les systèmes de commercialisation étatiques laissent peu à peu la place aux systèmes de libre-échange. Tout ceci provoque des situations souvent à risques, ce qui se traduit par des coûts de commercialisation excessifs.

1.2 L'information courante et l'information historique

L'information dont les acteurs des systèmes de commercialisation ont besoin est, en fait, de deux types. On considère ici en premier lieu l'utilisation de l'information pour son effet sur les prix: elle doit alors être la plus récente possible pour faciliter le marchandage et la compensation spatiale, c'est ce que l'on appelle l'information «courante» sur les marchés. On considère en second lieu l'utilisation de l'information pour la planification de la production, l'éventuel stockage des denrées, les décisions administratives et les SAR: elle doit donc consister en une masse de données recueillies au fil du temps, souvent sur plusieurs années, et on l'appelle alors, pour simplifier, l'information «historique».

1.3 Le rôle de l'information courante

L'accès à une information récente sur les prix et les quantités commercialisées a un rôle crucial quand on veut réduire les risques de perdre de l'argent dans des transactions. Plus les risques sont grands, plus les coûts de commercialisation ont tendance à s'enfler car il faut prévoir des marges qui puissent compenser les pertes éventuelles. Quand ils disposent d'une bonne information, certains agriculteurs peuvent, le cas échéant, décider de retarder l'envoi de leur production sur le marché juste au moment où le marché en regorge, en évitant ainsi d'en recevoir un prix qui ne couvrirait pas leurs coûts de récolte, de conditionnement et de transport.

Une information précise et récente devrait permettre de réduire les coûts de la commercialisation des denrées alimentaires. Il ne faut, toutefois, pas croire que l'information puisse être parfaite. Premièrement, les fluctuations des cours et des prix sont trop rapides pour que l'information disponible puisse permettre autre chose que de simples prévisions. Deuxièmement, les coûts que les intéressés doivent supporter pour améliorer leur information doivent être déduits des bénéfices supplémentaires qu'ils peuvent en tirer. Il peut également arriver qu'obtenir une information plus précise soit trop cher, même si elle existe. Les opérateurs de commercialisation auront donc toujours à prendre des décisions sur la base d'une information plus ou moins imparfaite.

Dès qu'il y a échange, des rapports de force favorisent l'une ou l'autre partie. Dans le cadre des transactions agricoles, c'est en général la partie qui dispose du plus grand nombre d'informations qui propose le prix initial, comme par exemple en Indonésie (Shepherd & Schalke, 1995). C'est alors à l'autre partie de décider si elle accepte ou refuse l'offre qui lui est faite. Quand la concurrence est faible, la partie la plus faible n'aura que peu de moyens de pression pour obtenir que le prix qui lui est offert corresponde aux coûts qu'elle a dû supporter. Quand la concurrence existe, la partie la plus faible peut en avoir une meilleure connaissance et obtenir ainsi un meilleur prix, soit par négociation directe, soit en s'adressant à d'autres intermédiaires. Dans un environnement de ce genre, avoir la connaissance des conditions de marché signifie accroître un pouvoir de tractation. Parmi les choses importantes que les gouvernements devraient faire pour encourager la formation correcte des prix sur les marchés est certainement de mettre à disposition de tous, en temps utile, une bonne information sur les conditions réelles des marchés.

Il faut que les agriculteurs puissent vendre leurs produits à un niveau de la chaîne de commercialisation qui leur soit favorable. Les agriculteurs peuvent en effet vendre leurs produits au niveau de la ferme, au niveau d'un marché de groupage local, directement à un marché de gros, à des détaillants, ou même directement aux consommateurs. Pourtant, un maximum de valeur ajoutée n'est pas toujours la meilleure solution. Cela dépend des coûts (transport, risques, délais) qu'ils ont à soutenir s'ils décident de vendre leurs produits à un stade plus ou moins proche du consommateur. C'est pourquoi ils ont besoin d'une bonne information sur les conditions de marché aux différents stades de la commercialisation, et aux différents endroits où se produisent les échanges.

1.4 L'information courante et l'arbitrage spatial des négociants

Le bon fonctionnement des marchés dépend du bon fonctionnement du mécanisme d'arbitrage de leurs échanges[3]. L'arbitrage spatial consiste à compenser l'offre et la demande en agissant sur plusieurs marchés, afin de réduire l'écart des prix au seul coût de transport des denrées. Or, entre deux marchés, plus les prix de transaction sont élevés, moins il y a de chances que se produisent des échanges entre eux[4]. Par conséquent, si on arrive à réduire ces prix de transaction, il sera plus facile de les mettre en rapport.

Quand le risque ou le coût d'identification des débouchés commerciaux diminue grâce à l'information, les prix de transaction baissent. Or, plus ils sont bas, plus ils auront d'influence sur les quantités échangées et leurs prix. Prenons un exemple: si le prix de transaction baisse, l'offre destinée aux centres urbains est majeure et les prix pratiqués descendent, par conséquent la demande devient plus forte et les prix et les quantités échangées dans les zones rurales grimpent. Dans ce cas, les consommateurs urbains et les producteurs ruraux sont avantagés par des prix de transaction plus bas, mais les consommateurs ruraux ont à faire face à des prix plus chers. Par ailleurs, plus les producteurs sont proches des agglomérations desservies, plus les prix seront bas.

Tout ceci se produit quand l'information permet de faciliter un afflux des denrées de la campagne vers les villes. Une bonne information sur les marchés permet également d'encourager un arbitrage spatial entre deux marchés, notamment quand les coûts d'information et de transport sont relativement bas. S'il n'y a pas d'échanges entre deux marchés, chacun traitera son offre et sa demande à son prix d'équilibre respectif. Quand l'écart de prix entre les deux prix d'équilibre devient plus fort que le prix de transaction, des échanges se créent, sauf si des barrières viennent contrecarrer cette possibilité. Un nouveau prix d'équilibre se formera alors sur la base de la combinaison des deux marchés[5]. Les prix de transaction ont donc ainsi une influence sur les échanges et sur les prix pratiqués dans un marché donné. Quand le prix de transaction baisse, par exemple grâce à une bonne information sur les prix, on gagne en efficacité. Une bonne information sur les prix fait baisser le coût payé par les négociants pour obtenir les renseignements dont ils ont besoin, et elle les protège contre les risques d'une chute improviste des cours. Ils feront donc ainsi moins de mauvaises affaires et, petit à petit, cela devrait les amener à réduire leurs marges brutes.

Dans les pays en développement, les marges pratiquées tout au long de la chaîne de commercialisation sont assez fortes. Cela dépend de beaucoup de facteurs. Par exemple, en théorie, la commercialisation réalisée par un grand nombre de petits négociants, bien qu'elle ait pourtant des avantages sociaux qu'il ne faut pas oublier, sera moins efficace que celle faite par un petit nombre de gros négociants.

Par ailleurs, la cherté des prix de transaction est non seulement imputable aux coûts de transport, mais aussi, souvent, à une mauvaise information. Quand il n'y a pas de SIM, les négociants doivent se débrouiller tout seuls pour trouver les renseignements dont ils ont besoin, ce qui pèse particulièrement aux petits négociants. Le plus souvent, ils glanent ces renseignements par l'intermédiaire d'un réseau individuel d'informateurs, et ils les complètent par des visites directes sur les marchés. Mais tout cela leur prend du temps, et souvent les renseignements arrivent trop tard. Les gros négociants qui peuvent se permettre d'utiliser les télécommunications ont un atout de plus, et peuvent répartir leurs coûts d'information sur un plus grand nombre de produits.

1.5 L'information courante et les agriculteurs

Les agriculteurs se heurtent souvent au fait qu'ils n'ont que peu de débouchés pour leurs produits. Ils sont également souvent liés par des relations usuelles avec certains négociants, dont ils dépendent parfois quand ils ont besoin de crédit. Pour beaucoup d'agriculteurs, les avantages offerts par l'arbitrage spatial des prix sont donc souvent limités. De plus, les faibles quantités produites par nombre d'entre eux rendent souvent ces avantages illusoires.

Le fait que les petits agriculteurs ne bénéficient que faiblement de l'arbitrage spatial ne saurait toutefois conduire à conclure qu'une bonne information sur les marchés ne leur sert à rien. Au contraire, alors que l'organisation d'un SIM officiel se justifie en grande partie, mais théoriquement, par les occasions d'arbitrage qu'il crée, dans la réalité, les négociants disposent déjà souvent de réseaux d'information diffus et précis, et l'introduction d'un SIM n'apporte pas grand chose aux possibilités d'arbitrage. Les SIM apportent toutefois aux agriculteurs des avantages d'ordre pratique qui sont souvent plus précieux pour eux que les occasions d'arbitrage pour les négociants.

Un SIM, même très simple, peut permettre aux agriculteurs de vérifier les prix qu'on leur propose au vu des cours et des prix les plus fréquemment pratiqués sur les marchés. C'est le cas en Indonésie, où les prix maraîchers sont communiqués quotidiennement pour chaque zone principale de production. Si un agriculteur constate qu'on lui a payé un prix inférieur au cours communiqué, il peut envisager de changer de négociant la prochaine fois, ou de mener un marchandage plus serré, ou encore d'améliorer la qualité et/ou la présentation de ses produits. Les cours communiqués servent également souvent de point de départ pour les tractations du lendemain avec les négociants. Le SIM indonésien aide certainement les agriculteurs à négocier avec une force accrue.

Le SIM indonésien fournit aux agriculteurs les derniers prix à la ferme enregistrés au moment de la clôture des transactions. Peu d'autres pays ont une telle concentration de maraîchers dans un aussi petit nombre de zones de production, ni les ressources suffisantes pour se permettre un tel service. Toutefois, même un SIM plus simple peut offrir périodiquement des renseignements sur un ou deux marchés terminaux, ce qui aide les agriculteurs de plusieurs façons: l'information fait diminuer le coût de revient des produits parce qu'elle diminue le risque et, en dernier ressort, sur la base de ces informations, un agriculteur peut même décider de repousser sa récolte en vue d'en obtenir un meilleur prix.

Le fait de pouvoir disposer d'informations sur les cours peut induire un agriculteur à changer sa stratégie de commercialisation. Alors qu'au niveau individuel, les agriculteurs peuvent difficilement tirer un avantage de l'arbitrage spatial des prix, s'ils s'unissent, ils peuvent s'organiser pour gérer en commun leurs moyens de transport pour atteindre des marchés plus lointains, mais plus rentables. La commercialisation de groupe n'est certes pas exempte de problèmes, elle présente des avantages mais il faut toutefois éviter de la pratiquer à grande échelle. Une meilleure information peut quand même servir à encourager certaines initiatives de commercialisation groupées.

1.6 L'information courante et les petits négociants

Au début de ce chapitre, on a vu comment une bonne information sur les marchés peut avoir une influence théorique sur l'arbitrage spatial. A vrai dire, l'introduction d'un SIM porte rarement à un élargissement véritable des occasions d'arbitrage. Il existe certes des cas où des échanges jusque-là inexistants entre deux marchés peuvent se faire grâce à l'information, mais le plus souvent, un SIM attire de nouveaux négociants mais n'ouvre pas particulièrement de nouveaux débouchés. Par contre, si le marché a des carences, l'information peut permettre son accès à de nouveaux venus, ce qui le rend plus concurrentiel et plus efficace. L'information courante sur les marchés est d'une particulière importance pour les petits négociants car, contrairement aux gros négociants, ils n'ont pas les moyens de suivre les cours avec régularité (voir encadré 1).

1.7 L'information historique et l'arbitrage temporel

Les coûts de stockage (main-d'oeuvre, entretien, produits chimiques, amortissement des engins et du capital investi) peuvent être très importants. Toutefois, les variations de prix dans le temps dépendent moins des coûts du stockage que des quantités stockées et successivement mises sur le marché, des niveaux saisonniers de la production. Les prix les plus forts enregistrés dans le courant de l'année ne correspondent pas obligatoirement à la fin de la mauvaise saison, les prix pratiqués dans d'autres régions ou dans d'autres pays pouvant également avoir une influence. Des conditions climatiques différentes d'une région à l'autre ou d'un pays à l'autre viennent compliquer ultérieurement la situation car elles créent des opportunités d'arbitrage spatial, ce qui fait du stockage une activité risquée. C'est bien là qu'un SIM, en donnant des informations sur les cours pratiqués dans les différentes régions, sur leurs possibilités de stockage et les récoltes prévues, peut jouer un rôle important. Même un SIM très simple qui donne des informations sur les cours ou prix actuels et les tendances passées peut permettre aux négociants de se former une opinion sur le bien-fondé d'une opération de stockage et d'en mesurer les risques.

1.8 L'information historique et les agriculteurs

Un SIM peut faciliter les décisions en permettant de connaître à l'avance les avantages des différents marchés. En l'absence d'information, les agriculteurs hésitent sur les produits à cultiver et les quantités à produire, mais aussi sur la période la plus propice pour moissonner, récolter, collecter ou cueillir pour maximiser leurs gains. Disposer d'informations sur les fluctuations des prix leur permet d'avoir une idée sur les risques que comporte la culture de certains produits. Toutefois, si une meilleure information peut porter les agriculteurs à une plus grande rentabilité, il faut associer à cette information des services de divulgation pour les aider à bien l'interpréter. Un manque d'information est un obstacle pour les négociants comme pour les producteurs. Dès que les agriculteurs disposent d'informations appropriées, ils se tournent souvent vers des produits autres que les produits de simple subsistance. On a pu constater qu'ils passent également à des assolements englobant des produits de plus haute valeur marchande, notamment en ce qui concerne les légumes (Holtzman et al, 1993).

Encadré 1: Les coûts de l'information

Au Bénin, l'existence d'un SIM est récente. Auparavant, les agriculteurs désireux de vendre leurs surplus devaient se débrouiller comme ils le pouvaient, pour savoir quelles étaient les conditions des marchés. Mais s'il leur était aisé d'avoir des informations sur le marché local, puisqu'ils y allaient régulièrement pour y acheter des produits, la chose n'était pas si aisée quand il s'agissait de savoir comment se comportaient les marchés plus lointains. La famille, les parents, les voisins n'y allaient que rarement. Le coût du déplacement et le temps nécessaire pour obtenir les informations voulues représentaient un poids supplémentaire sur leurs possibilités de gain, surtout quand les quantités qu'ils avaient à vendre étaient minimes (le plus souvent quelques quintaux).

Les petits négociants, nombreux sur le marché béninois, avaient le même problème. Ils collectaient les productions de maïs par petites quantités dans les villages (souvent moins d'un quintal par village) qu'ils vendaient ensuite sur le marché régional le plus proche, le seul dont ils connaissaient les conditions. Même les grossistes n'avaient que peu de marge d'intervention par suite des faibles quantitatifs traités (moins d'une tonne par jour). Ils travaillaient donc sur un réseau limité. Les informations dont ils disposaient sur les conditions offertes par les marchés étaient des informations qu'ils glanaient eux-mêmes. Le plus souvent, les négociants se rendaient eux-mêmes sur les marchés et décidaient sur le moment s'il leur convenait de vendre ou d'acheter. Leurs coûts d'information consistaient donc essentiellement en coûts de transport (taxi) et en coûts de main-d'oeuvre. Les coûts de transport pouvaient être lourds, surtout quand les quantitatifs traités quotidiennement étaient faibles. En plus, quand une fluctuation des cours faisait que la transaction cessait d'être profitable, le coût de l'information devenait une perte sèche qu'il fallait récupérer sur les transactions futures. La plupart des négociants trouvaient trop chère la recherche de renseignements sur d'autres débouchés, d'une part parce que les échanges étaient insuffisants pour récupérer les coûts supportés, d'autre part parce qu'il y avait toujours risque de perte sèche (Lutz, 1994).


Disposer d'une bonne information sur les marchés s'avère particulièrement utile dans les pays en transition, passant d'un système de commercialisation géré par l'Etat, à un système où ces opérations sont laissées au secteur privé. L'encadré 4 du chapitre 2 expose le fonctionnement du SIM mis en place en Zambie pour aider les agriculteurs à connaître les possibilités qui s'ouvraient désormais à eux alors qu'ils avaient été habitués, jusqu'à récemment, à ce que leur entière production de maïs soit automatiquement absorbée par les coopératives paraétatiques de l'Etat zambien. Dans un contexte libéralisé, les agriculteurs doivent, désormais, non seulement chercher leurs propres débouchés mais aussi prévoir des stockages plus longs que par le passé. Or, pour la plupart des systèmes agricoles qui suivent le régime des pluies, les agriculteurs doivent se conformer à des limites de calendrier assez strictes, aussi bien pour cultiver que pour récolter. La plage qui leur est laissée pour savoir «quand produire» est donc assez courte et tombe à période fixe. Ceci rend la question de «quand vendre» d'autant plus importante. Une bonne information sur les fluctuations saisonnières des cours devrait donc les aider à savoir quand ils peuvent vendre leur production. Les responsables du SIM mis en place en Zambie ont également conclu que de seules informations provinciales ne suffisent pas aux agriculteurs si l'on veut leur permettre d'intégrer pleinement le marché. Au début du processus de libéralisation, il faut également prévoir de fournir des informations sur qui achète leurs récoltes, où, à quel prix et à quelles conditions (au comptant, au crédit, en sacs ou en vrac). Le SIM zambien est actuellement en train de mettre au point l'envoi aux agriculteurs, au plan provincial, d'un bulletin d'information en ce sens.

1.9 L'information historique et les décideurs

Dans les pays en développement, les négociants sont souvent accusés par les gouvernants d'avoir tendance à exploiter les agriculteurs en pratiquant des écarts excessifs entre les prix à la ferme et les prix de vente au détail. On suppose que ce déséquilibre entre agriculteurs, négociants et consommateurs vient du fait que les négociants ont une meilleure connaissance des marchés et qu'ils travaillent dans le cadre d'une concurrence mal organisée, ce qui leur permet des marges de profit excessives. Il est toutefois souvent difficile de prouver ces accusations, justement parce que l'on manque d'informations claires. On ne dispose pas d'informations fiables sur les prix pratiqués et il est difficile de faire une estimation sérieuse des coûts et des risques que les négociants doivent supporter. En plus, les plus-values qu'ils doivent appliquer aux prix pour pallier aux risques de fluctuation des cours sont rarement prises en considération par les gouvernants qui avancent ce genre d'accusations. Les SIM permettent de suivre la manière dont fonctionnent les marchés de produits agricoles et d'en déterminer les contraintes microéconomiques. Il ne faut toutefois pas oublier que d'autres informations sont nécessaires, notamment sur les coûts de commercialisation, si l'on veut se former une opinion valable sur le bon rendement d'un marché (Shepherd, 1993).

Encadré 2: Interaction de l'arbitrage spatial et de l'arbitrage temporel

Il peut arriver que l'arbitrage spatial interagisse avec l'arbitrage temporel (Lutz, 1994). C'est le cas du Bénin où les récoltes dépendent beaucoup des précipitations. Dans le sud du pays, il y a deux récoltes de maïs, en juillet-août et en décembre-janvier, alors que dans le nord, il n'y en a qu'une, en septembre-novembre. Le fait que les périodes de récolte ne coïncident pas et que la distance qui sépare ces deux marchés soit d'un maximum de 500 km rend possible une interaction de l'arbitrage spatial et de l'arbitrage temporel.

Mais on ne peut pas se fier aux précipitations, elles peuvent arriver plus tôt ou plus tard. Les récoltes peuvent être médiocres ou abondantes. D'une manière générale, les surplus produits par le nord sont envoyés au sud à la fin de la mauvaise saison, c'est-à-dire en avril-juin. Quand, dans le sud, la récolte est abondante ou prématurée (par suite de précipitations arrivées en avance), les prix peuvent atteindre leur maximum en avril puisque les stocks sont liquidés durant une relativement courte période, juste avant le début de la nouvelle récolte. Quand, toujours dans le sud, la récolte est par contre médiocre ou en retard, les prix peuvent monter très haut jusqu'en juillet, ce qui attire les surplus produits dans le nord ou même au-delà, comme au Nigeria. Mais, dès que le Sud commence sa récolte, les prix baissent alors que les prix dans le nord continuent à se maintenir à un certain niveau parce que la récolte n'est pas encore faite. Ces conditions font qu'il est risqué de pratiquer le stockage et qu'il est donc très important de disposer, en temps utile, d'une bonne information (Lutz, 1994).


Tous les gouvernements cherchent à assurer la sécurité alimentaire de leurs administrés. Les politiques mises en place pour améliorer la disponibilité des produits alimentaires, et le fait d'y avoir accès, doivent obligatoirement s'intéresser au bon fonctionnement des marchés. Un bon système de commercialisation est souvent la vraie réponse si l'on veut garantir une bonne sécurité alimentaire: le marché présente bien évidemment une demande majeure quand l'offre locale devient insuffisante. Un bon système de commercialisation peut donc la favoriser mais, pour ce faire, l'Administration doit toutefois prévoir d'instaurer des mécanismes appropriés, comme par exemple la mise en place d'un SIM.

1.10 L'information courante et l'information historique au service de la sécurité alimentaire


1.10.1 Systèmes d'alerte rapide
1.10.2 Gestion des réserves alimentaires de sécurité

1.10.1 Systèmes d'alerte rapide

Il existe deux aspects pour lesquels le fait de disposer d'informations sur les marchés est de la plus grande importance: ces informations permettent en effet de discerner à temps d'éventuelles carences de denrées alimentaires et donc de mieux gérer les réserves. La constatation d'une certaine tendance des prix peut venir confirmer des soupçons de carences indiqués par d'autres sources (pluviométrie anormale, mauvaises prévisions de récolte). Le fait de pouvoir comparer, d'une année sur l'autre, les variations saisonnières des prix peut certainement donner des indications valables sur la gravité d'éventuels déficits de la production. Quand on dispose de séries de prix, on peut identifier les points où il y a carence, ce qui n'est pas toujours facile avec d'autres méthodes. Il faut toutefois se souvenir que l'enregistrement des cours ou prix pratiqués dans les marchés donne plutôt des indicateurs a posteriori puisqu'ils sont le reflet de l'offre et de la demande du moment. De plus, les cours ou prix pratiqués dans les marchés ne peuvent que refléter la demande effective ou commerciale et ne peuvent en aucune façon donner des indications aux familles trop pauvres pour se procurer de quoi manger. Une autre façon de voir s'il y a risque de carence est de suivre la fluctuation des cours des denrées qui ne font pas partie des denrées alimentaires de base. Les agriculteurs qui voient venir une carence alimentaire ont souvent tendance à vendre leur bétail pour se procurer de l'argent liquide qui leur permettra d'acheter ces produits de base. On peut donc s'apercevoir qu'un problème de sécurité alimentaire est en train de se produire quand on observe une baisse dans les prix du bétail (Helder & Nyhoff, 1994).

1.10.2 Gestion des réserves alimentaires de sécurité

Pour décider à quel moment il faut écouler sur le marché les stocks de denrées alimentaires de sécurité (FAO, 1997), ou à quel moment il faut au contraire les reconstituer, les responsables des réserves alimentaires ont besoin de pouvoir consulter des informations détaillées sur les prix courants et sur leurs prévisions, de même qu'ils ont besoin de disposer d'informations historiques sur les prix saisonniers pratiqués. S'il est vrai que la libéralisation des marchés fait qu'il soit désormais particulièrement nécessaire d'organiser ces réserves, il est également essentiel que la gestion de ces réserves évite de bouleverser les opérations commerciales normales. Il faut donc que les réserves soient gérées sur la base de règles claires et nettes régissant aussi bien l'achat que la misee sur le marché des réserves. Une information détaillée sur les prix est donc nécessaire pour que ces règles puissent être appliquées et pour que le commerce privé ne soit pas gêné dans ses activités d'arbitrage.


[1] Ce chapitre a été préparé par Andrew Shepherd, Clemens Lutz et Aad van Tilburg.
[2] Le concept de «marché» a de nombreuses connotations. Les géographes entendent en général par ce mot une zone physique où des échanges commerciaux ont lieu. Les économistes, le plus souvent, vont outre cette idée de simple emplacement physique et l’utilise dans un sens plus large pour indiquer un point de rencontre entre l’offre et la demande. C’est dans ce dernier sens que le mot «marché» est utilisé ici.
[3] L’arbitrage est un mécanisme d’achat ou de vente simultanée de denrées sur différents marchés pour profiter d’un écart entre les prix permettant de gagner plus que sur les prix de transaction usuels.
[4] On entend souvent par «prix de transaction» le prix couvrant les frais à soutenir pour faire des affaires ou simplement pour conclure une transaction, c’est-à-dire les coûts d’information, de crédit, d’organisation et de documentation. Dans le présent document, on l’utilise uniquement dans le sens de «coûts de commercialisation”.
[5] Il est facile de démontrer que ces échanges vont avoir des effets bénéfiques dans les circonscriptions respectives des deux marchés. Le motif en est qu’une partie des ressources d’une des circonscriptions ne va plus être nécessaire pour produire les denrées qu’elle «importe» de l’autre et qu’elle va donc reporter sur une autre activité qui lui sera plus favorable.

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