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Première partie


Les faits: La menace de dégradation des terres
Les leçons du passé
Les chemins de l'avenir


Les faits: La menace de dégradation des terres

LES MODES D'EXPLOITATION PRATIQUÉS ACTUELLEMENT CONDUISENT À LA DÉGRADATION, À LA DÉSERTIFICATION, AU DÉBOISEMENT, AUX INONDATIONS, À L'ENVASEMENT DES RÉSERVOIRS ET DES VOIES D'EAU ET À LA CHUTE DES NIVEAUX DE PRODUCTION AGRICOLE

L'étude FAO L'agriculture africaine: les 25 prochaines années soulignait que l'Afrique a un potentiel agricole considérable mais qu'il y a plusieurs facteurs limitants à sa valorisation. Si ces obstacles pouvaient si ces obstacles pouvaient être surmontés, le continent pourrait produire assez de nourriture, de combustible et de fibres pour assurer la subsistance d'une population très supérieure aux 500 millions d'habitants d'aujourd'hui. Approximativement 840 millions d'ha, soit 30 pour cent de la superficie des terres, sont potentiellement cultivables; en 1980, moins du tiers de ce total était effectivement cultivé.

L'agriculture viable en danger

Une grande partie des ressources en terre de l'Afrique sont écologiquement fragiles et sujettes à la dégradation. De vastes superficies de terres de culture, herbages, terrains boisés et forêts sont déjà dans un état grave. Une importante conclusion de l'étude FAO était que, pour préserver les bases de la production agricole en Afrique, il faut protéger les terres. La faut protéger les terres. La durabilité de la production - qu'il s'agisse de l'agriculture, de l'élevage ou du bois de combustible - est tributaire de systèmes d'utilisation des terres permettant de maintenir la fertilité des sols et de réduire l'érosion et autres formes de dégradation. L'érosion est un processus naturel que l'on ne peut jamais éliminer complètement, mais que l'on peut réduire considérablement. C'est seulement lorsque l'on sera parvenu à ce résultat que l'agriculture viable préconisée par la Commission mondiale de l'environnement et du développement (Our Common Future, Oxford University Press, 1987) deviendra possible.

Solutions traditionnelles

Au fil des siècles, les agriculteurs et pasteurs africains ont mis au point des systèmes efficaces d'utilisation des terres compatibles avec leur environnement - par exemple, agriculture itinérante dans les zones tropicales humides et pâturage nomade dans les zones semi-arides.

Les agriculteurs itinérants défrichaient une zone de forêt et cultivaient ensuite la terre pendant deux ou trois ans. Lorsque les éléments fertilisants présents dans le sol s'étaient épuisés et que les rendements diminuaient, ils se déplaçaient pour exploiter une nouvelle parcelle, laissant, la première se régénérer sous la végétation naturelle. Il " pouvait s'écouler 20 ans ou plus avant que la parcelle originelle ne soit remise en culture. Dans l'intervalle, sa fertilité avait été restaurée par la jachère sous brousse ou il sous forêt, et les plantes adventices et les ravageurs avaient disparu.

Les pasteurs nomades se déplaçaient traditionnellement avec de petits troupeaux vers différentes zones de bons pâturages et d'approvisionnement en eau assuré, selon les changements de saison et l'évolution des conditions. Etant donné les faibles densités d'occupation, ils étaient en mesure de partir vers de nouvelles zones avant que les réserves de l'endroit occupé n'aient été épuisées et les sols mis à nu.

Avec ces systèmes et leurs dérivés, les rendements étaient faibles - des superficies relativement grandes étaient nécessaires pour faire vivre une population peu nombreuse. Les problèmes commencèrent lorsque la population devint plus nombreuse, avec un besoin accru d'exploitation des ressources en terres. Malheureusement, dans de nombreuses parties de l'Afrique, on n'a pas encore mis au point de nouveaux systèmes d'exploitation agricole susceptibles d'assurer une production à la fois accrue et durable; les vieux systèmes d'utilisation des terres ont été maintenus. Mais il n'y a plus assez de terres pour permettre de longues périodes de jachère; des troupeaux plus nombreux et plus grands se font concurrence pour le fourrage, et d'autres systèmes traditionnels d'utilisation des terres sont soumis à des contraintes croissantes.

«Pour assurer la sécurité alimentaire à l'échelle mondiale, il importe de conserver et de valoriser le capital de ressources disponibles pour la production alimentaire et, là où il a été réduit ou détruit, de le reconstituer.»

Commission mondiale de l'environnement et du développement
Our Common Future, 1987

Les agriculteurs ont réagi en s'efforçant de mettre en valeur de nouvelles terres. Mais, en Afrique, la plupart des meilleures terres sont déjà utilisées. En conséquence, l'expansion a principalement concerné des terres marginales - terrains en pente raide, zones où les pluies sont incertaines, sols pauvres et sujets à l'érosion. De vastes étendues de forêt ont été détruites et une grande partie des pâturages traditionnels ont été labourés. Les apports en éléments fertilisants sont très inférieurs à ce qui a été prélevé. Le résultat est une dégradation sévère.

La désertification menace

Plus d'un tiers de l'Afrique est actuellement menacé de désertification (voir carte). A l'extrémité sud du Sahara, quelque 650000 km2 de terres jadis productives - soit une superficie égale à celle de la Somalie - se sont transformés en désert au cours des 50 dernières années. On estime que! chaque année, de 50 000 à 70 000 km2 sont retirés de la production.

Cette évolution est aggravée par les sécheresses périodiques, mais elle ne leur est pas imputable; c'est la mauvaise gestion des terres mêmes qui est responsable de la désertification.

Le surpâturage est l'une des principales causes de la désertification. A mesure que les effectifs du cheptel augmentaient, les parcours ont été dépouillés de leur végétation, et le piétinement des animaux a transformé le sol exposé en poussière. Selon une étude faite par la FAO en 1986, les effectifs du cheptel dans la zone soudano-sahélienne ont augmenté de 76 pour cent entre 1963 et 1983; cette zone contient actuellement quelque 160 millions de bovins, ovins, caprins, chevaux et chameaux.

La désertification menace

Le surpâturage modifie également la composition de la végétation sur les parcours. Des plantes inutiles et légèrement vénéneuses tel les que Calotropis procera infestent maintenant de vastes superficies dans la zone soudano-sahélienne parce qu'elles ne sont plus concurrencées par les graminées nutritives qui formaient autrefois l'essentiel de la végétation des pâturages. Outre le surpâturage, l'utilisation croissante des arbres et des broussailles comme combustible, qui conduit progressivement au déboisement, a accéléré la désertification sur une grande partie de l'Afrique semi-aride.

Désertification

Dans les régions arides et semi-arides, en particulier, un résultat est que des superficies jadis productives et utiles, qui pouvaient représenter jusqu'à 34 pour cent des terres africaines, sont maintenant menacées de désertification (voir encadré). De vastes superficies de terres de bonne qualité sont déjà ensevelies sous le sable, ou bien la couche arable exposée à été emportée par le vent.

La désertification peut survenir rapidement et faire courir de graves risques à d'importants groupes de population. Pendant la sécheresse qui a sévi au Sahel au début des années 70, près de 1 million de «réfugiés écologiques», soit le sixième de la population, ont dû quitter le Burkina Faso. Cinq cent mille personnes de plus ont quitté le Mali.

Déboisement

En Afrique, à l'heure actuelle, le déboisement progresse 30 fois plus vite que le boisement. Au début des années 80, il était estimé à 3,7 millions d'ha. La destruction des forêts résulte principalement du défrichage au profit de l'agriculture. De même que les techniques traditionnelles d'agriculture sur brûlis, le défrichage permanent pour l'installation de nouvelles exploitations modernes a son prix.

La collecte de bois de feu, la fréquence et la gravité croissantes des incendies de forêt et de brousse se paient également très cher. Le déboisement a conduit à une pénurie extrême de bois de feu et de matériaux de construction en de nombreux endroits. Les résidus de récolte et le fumier animal qui étaient habituellement rendus à la terre doivent être brûlés comme combustible. Simultanément, le labour des pâturages a contraint les bergers à des incursions croissantes sur les terres marginales où leurs animaux détruisent la couverture végétale et accélèrent la dégradation.

Effets sur les ressources en eau

Dans une grande partie de l'Afrique, les conditions hydrologiques se transforment. Avec un moindre couvert végétal pour protéger le sol de l'obturation superficielle causée par l'impact des gouttes de pluie, moins d'eau infiltre le sol, le ruissellement s'accroît, le débit des cours d'eau fluctue davantage qu'auparavant, les inondations sont plus fréquentes et plus étendues, et les cours d'eau et les sources deviennent sporadiques. Ces conditions favorisent l'érosion; en conséquence, les charges de sédiments s'accroissent dans les cours d'eau, les barrages s'envasent, les installations hydro-électriques se détériorent, les cours d'eau navigables sont bloqués et la qualité de l'eau se dégrade. En de nombreux endroits, la pêche dans les eaux intérieures s'en ressent. Avec la réduction de la quantité d'eau qui pénètre dans le sol et qui est mise en réserve pour son utilisation pendant les périodes sèches, les rendements des cultures baissent également.

Ampleur des dommages

Les études FAO indiquent qu'au nord de l'Equateur plus de 35 pour cent des terres d'Afrique sont affectés soit par l'érosion soit par la salinité. Rien qu'au Zimbabwe, 1,6 million de tonnes d'azote et 240 000 tonnes de phosphore sont peut-être perdues chaque année par suite de l'érosion (voir encadré). Une étude FAO faite en 1987 suggérait que la charge de sédiments dans de nombreux cours d'eau africains augmente approximativement 1,5 fois plus vite que la population dans leurs aires d'alimentation.

Chaque année, les charges de sédiments augmentent à raison d'environ 5 pour cent au Nigéria, en Tanzanie et au Zimbabwe, 4,3 pour cent au Soudan et 3,2 pour cent en Tunisie.

Dans de nombreuses régions d'Afrique, les incendies causent des dégâts énormes en brousse et sur les terrains boisés. La dégradation des terres à la suite d'incendies accidentels est maintenant un grave problème dans beaucoup de zones semi-arides.

La dégradation des bassins versants au Maroc

Les grands barrages du Maroc fournissent 500 millions de m3 d'eau à usage domestique et industriel, de l'eau d'irrigation pour 600 000 ha et 1 500 GWh d'énergie par an. L'envasement des réservoirs du Maroc a pour effet de réduire de 40 millions de m3 (0,4 pour cent) par an la quantité d'eau disponible pour ces utilisations. Jusqu'à maintenant, 6 pour cent de la puissance installée (soit quelque 600 millions de m3 d'eau, quantité suffisante pour irriguer 60 000 ha) ont été perdus par suite de la sédimentation.

A cause de la sédimentation, des réservoirs importants tels que le réservoir Mohamed V sur le fleuve Moulouya, où 10 millions de m3 d'eau sont actuellement perdus chaque année, seront entièrement comblés d'ici à l'an 2030; d'autres réservoirs ont toutes chances de devenir inutiles d'ici huit ans seulement. Il a déjà fallu relever trois des principaux barrages marocains pour préserver la capacité de stockage. Pour maintenir les volumes actuels de stockage de l'eau au Maroc, il est maintenant nécessaire de construire un nouveau réservoir permettant de mettre en réserve 150 millions de m3 par an.

Zimbabwe: Le prix caché de l'érosion du sol

Des études récentes de la FAO utilisant des données recueillies au Zimbabwe donnent une indication de l'ampleur et du coût des pertes d'éléments fertilisants dans ce pays. En 1986, on s'est servi d'un ordinateur pour réanalyser des données sur l'érosion recueillies près de 30 ans auparavant, lors d'une importante série d'expériences conduites à la station de recherche Henderson.

Les taux d'enrichissement, qui indiquent de combien la concentration en éléments fertilisants dans le matériel perdu par érosion dépasse leur concentration dans le sol où ils sont prélevés, étaient de 2,5 en moyenne. Cela signifie qu'il y a un prélèvement sélectif considérable d'éléments nutritifs dans le sol sous l'effet du processus d'érosion.

Une extrapolation de ces chiffres au niveau national suggère que l'érosion emporte une moyenne annuelle de 1,6 million de tonnes d'azote, 15,6 millions de tonnes de matière organique et 0,24 million de tonnes de phosphore. Sur cette base, les terres arables perdent à elles seules chaque année, respectivement 0,15, 1,5 et 0,02 million de tonnes. Les quantités d'azote et de phosphore perdues par les terres arables représentaient approximativement le triple du volume total des engrais appliqués au Zimbabwe au cours de la campagne 1984/85.

L'application d'engrais pour remédier à ces pertes aurait coûté 1 500 millions de dollars U.S. par an en 1985. Sur cette base, il apparaît que le coût financier de l'érosion par hectare et par an s'est situé entre 20 et 50 dollars sur les terres arables et entre 10 et 80 dollars sur les pâturages. Ces chiffres veulent dire que l'érosion a un énorme coût «occulte» pour l'économie du Zimbabwe - ce qui est vrai en fait pour presque un pays d'Afrique sur deux.

Perspectives d'avenir

Ces conditions sont directement responsables de souffrance et de misère humaines. Dépouillée de la plus grande partie de sa couche arable et de sa végétation, la terre ne peut pas produire beaucoup, même lorsqu'il pleut assez. Alors que, dans le passé, les agriculteurs pouvaient compter sur un minimum de récolte, même lorsque les précipitations avaient été insuffisantes, il arrive souvent maintenant qu'ils ne récoltent rien du tout et que les réserves de végétation soient insuffisantes pour permettre au bétail de survivre aux saisons déficitaires en pluies. C'est ce qui se passe en Ethiopie où les famines récentes peuvent être imputées, au moins en partie, à la dégradation des terres. A moins d'un renversement de la tendance actuelle, de nombreux autres pays d'Afrique pourraient bientôt se trouver dans la même situation.

Les leçons du passé

BIEN QUE CERTAINES SOCIÉTÉS AFRICAINES TRADITIONNELLES AIENT PRATIQUÉ AVEC SUCCÈS LA CONSERVATION DES SOLS, DE NOMBREUSES TENTATIVES RÉCENTES POUR ENRAYER LA DÉGRADATION DES TERRES ONT FINI PAR SE SOLDER PAR DES ÉCHECS COÛTEUX

Bien que les systèmes traditionnels utilisés en Afrique aient rarement provoqué une dégradation rapide des terres, des problèmes ont quand même surgi dans certaines des zones plus fragiles à forte densité de population. La riposte des agriculteurs a souvent consisté à culteurs a souvent consisté a mettre au point des mesures de conservation perfectionnées et efficaces pour combattre la menace de dégradation et pour maintenir ou accroître les rendements des cultures et de l'élevage.

Dans le sud de l'Ethiopie, par exemple, les Konso vivent dans une région accidentée, exposée à l'érosion et recevant des pluies irrégulières. Au cours des années, les Konso ont aménagé des terrasses sur la plus grande partie de leurs terres et mis au point un système complexe d'agroforesterie et de récolte de l'eau. Du compost et du fumier sont répandus sur les champs pour maintenir la fertilité du sol, tandis que le bétail est enfermé derrière des palissades et nourri à l'étable. Ce système semble avoir bien fonctionné jusqu'à une époque récente où la population est devenue trop importante pour les terres disponibles.

Il existe un autre exemple de système traditionnel de conservation dans les zones semi-arides du sud du Burkina Faso et dans les zones voisines du Ghana. Là, les Birifor ont mis au point un système qui comprend l'utilisation de billons empierrés suivant les courbes de niveau, de petites digues de terre, la dérivation des eaux de ruissellement, l'utilisation de fumier et de compost et la culture sur des buttes. Ce système a réduit la dégradation des terres tout en maintenant la fertilité des sols et les rendements des cultures et de l'élevage.

Ces systèmes ont deux choses en commun: ils sont adaptés à leur propre environnement et leur objectif principal est de maintenir à un niveau satisfaisant la fertilité du sol et les rendements agricoles, la prévention de la dégradation des terres étant simplement considérée comme un effet accessoire bienvenu.

Les Konso: une solution traditionnelle

Les Konso du sud-ouest de l'Ethiopie ont mis au point un système complexe d'agriculture qui leur a permis de subsister dans une zone montagneuse où les sols sont fragiles et les précipitations irrégulières (en moyenne moins de 900 mm par an).

L'agriculture, telle qu'ils la pratiquent, repose sur un système perfectionné de terrasses, diverses méthodes d'aménagement des sols et des eaux et l'intégration de l'élevage et de la foresterie dans le reste de leurs activités agricoles.

Leurs terrasses ont des parois de pierre pour maintenir le sol en place et le protéger contre l'érosion jusqu'à ce que les racines des plantes soient suffisamment développées pour remplir cette fonction. Les terrasses sont souvent irriguées à partir de bassins de collecte et par les eaux de ruissellement détournées des routes.

En terrain plus plat, les champs sont transformés en bassins subdivisés par des billons rectangulaires de 2 x 4 m. Les chaumes des cultures couvrent les billons comme mesure de protection, tandis que les cultures sont plantées dans les bassins où l'eau s'accumule.

L'arbre à chou (Moringa stenopetala), dont les jeunes feuilles vertes sont récoltées comme légume, est planté avec des arbres fruitiers dans les champs cultivés, principalement dans les lieux plus humides. Sur les pentes plus abruptes, les parois des terrasses sont faites d'une double rangée de pierres, et l'espace intermédiaire est rempli de terre et planté de légumineuses.

Diverses plantes annuel les et pérennes sont semées en séquences culturales échelonnées ou comme cultures relais, généralement avec du sorgho, de l'éleusine ou du maïs comme culture principale, mélangées avec des haricots, des pois, des lentilles, des arbres fruitiers, des plantes médicinales, des épices, des graines oléagineuses, des espèces fournissant du bois de feu et du bois de construction, des plantes à tubercules et des cultures de rapport comme le cotonnier et le caféier.

Il existe beaucoup d'espèces et de cultivars différents, spécialement pour le sorgho, dont plus de 23 cultivars ont été retenus pour des usages spécifiques, aussi bien pour leur tolérance à diverses conditions de sol et d'humidité que pour une série d'utilisations telles que la farine, la bière et l'alimentation animale. Ce dernier usage est particulièrement important pour les Konso, qui vivent dans des villages entourés de palissades et pratiquent l'alimentation à l'étable du bétail laitier. Les villages possèdent de grandes quantités de cactus (Opuntia), en partie comme réserve de fourrage sur pied et en partie comme protection contre le feu.

L'alimentation à l'étable permet de fumer les champs les plus proches du village. Les champs éloignés reçoivent peu de fumier mais sont soumis à un régime de rotations qui comprend des périodes de jachère.

L'agriculture pratiquée par les Konso est essentiellement une agriculture de subsistance. Peu de bétail est vendu, à cause de l'éloignement des marchés.

Au cours de nombreuses générations, les Konso ont ainsi mis au point un système perfectionné de conservation qui comprend:

• une série de mesures de conservation efficaces tel les que la fumure, le paillage, l'utilisation de déchets végétaux disposés en ligne et la jachère;

• un système complexe de culture qui comprend l'utilisation d'un large éventail de plantes et d'arbres, légumineuses ou non;

• un système souple d'utilisation des terres qui peut s'accommoder d'un climat rude et d'une pluviométrie irrégulière.

A l'appui de leur système perfectionné de terrasses, les Konso pratiquent largement la fumure, le paillage et la jachère.


Conservation durant le passé récent

Ni les systèmes traditionnels d'utilisation des terres, ni les mesures prises par les sociétés traditionnelles devant les pressions croissantes qui s'exerçaient sur la terre n'ont pu faire face à la croissance de la population, qui s'est accélérée en Afrique pendant la plus grande partie de ce siècle. Bon nombre des administrations coloniales africaines ont toutefois entrepris de vastes programmes pour enrayer ou réduire l'intensité de l'érosion.

Un programme typique de ce genre a été lancé au Lesotho au milieu des années 30. Au cours des 30 années qui ont suivi, environ 400 000 ha de terres - pratiquement toutes les terres cultivables de ce petit pays - ont été traités: des banquettes ont été construites suivant les courbes de niveau, des bandes de terrain enherbé ont été aménagées pour arrêter l'érosion, de petits barrages ont été construits dans les cours d'eau, des arbres ont été plantés dans les ravins, et les eaux de ruissellement excédentaires ont été détournées des champs cultivés. Malheureusement, ces dispositifs n'ont pas été entretenus par les agriculteurs qui en étaient arrivés à considérer que leur entretien incombait au gouvernement.

Le programme entrepris au Lesotho est caractéristique des nombreux projets vastes et coûteux qui ont été réalisés à cette époque. Malgré ces efforts, la bataille n'a pas été gagnée. De vastes zones d'Afrique ont continué à être victimes de l'érosion, et la dégradation de la zone semi-aride est devenue si alarmante qu'un nouveau mot, la désertification, a été inventé pour décrire la gravité de la situation.

Peu de gouvernements africains ont les moyens de supporter des dépenses comparables à celles que ces vastes programmes avaient entraînées dans le passé. En fait, de nombreux gouvernements semblent découragés par les résultats relativement modestes que les programmes passés ont donnés. Il importe donc de se demander pourquoi ces programmes n'ont pas obtenu de meilleurs résultats.

Qu'est-ce qui n'a pas marché?

La science de la conservation des terres existe depuis un peu plus de 50 ans. Au cours de cette période, les tentatives pour combattre la dégradation des terres ont visé surtout à prévenir ou à réduire les pertes en sol. L'érosion était considérée comme un phénomène physique à combattre surtout par des moyens physiques; elle n'était pas considérée comme la conséquence des problèmes plus fondamentaux que sont l'aménagement incorrect des terres et l'absence de couvert végétal.

Généralement, le problème n'était identifié qu'après que la situation était déjà devenue alarmante: un nouveau barrage s'était envasé, un pont avait été emporté par les eaux, ou une route avait été coupée par les eaux de ruissellement. A ce moment, de grandes quantités de sol superficiel avaient déjà été perdues et la productivité des terres était sérieusement compromise. Bien que la question la plus importante soit la productivité, le problème était généralement considéré comme un problème de pertes de sol provoquant des dommages physiques aux cours d'eau et aux réservoirs situés en aval. On examinait alors les mesures physiques à prendre pour empêcher ou ralentir le processus des pertes de sol. On établissait des plans qui, s'ils étaient correctement exécutés, réduiraient fortement le rythme de dégradation des terres.

Les branches de palmier fixent les dunes de sable au Maroc

Une technique simple mais efficace a été mise au point pour stabiliser les dunes de sable dans le sud du Maroc. Au milieu des années 70, les dunes empiétaient sur les zones cultivées, entravant fortement les plans de développement agricole. En 1980, un projet PNUD/FAO de quatre ans a été entrepris pour étudier les moyens de stabiliser les dunes de sable dans les provinces méridionales.

On a pensé d'abord que le sable venait du Sahara, mais le projet a montré que le sable était transporté par le vent au niveau du sol depuis l'Atlas, dans l'est du Maroc. Comme il était impossible de stabiliser la source de sable, il fallait empêcher ces empiétements.

La technique considérée comme la plus efficace consistait à construire des clôtures de branches de palmiers de moins de 1 m de hauteur, en formant des carrés contigus de 7 m de côté. A l'intérieur de ces carrés, le vent n'était pas assez violent pour emporter le sable et des plantes pouvaient prendre racine. Plusieurs types d'arbres et d'arbustes ont été expérimentés et sélectionnés pour améliorer leur résistance au vent et au sable.

Quatorze villages, sept palmeraies et un grand nombre de canaux d'irrigation, de routes et de voies ferrées ont été protégés dans cette région, et des superficies considérables ont été récupérées pour l'agriculture.

Les branches de palmier fixent les dunes de sable au Maroc

Quand le projet a pris fin, le personnel local a continué le travail; une base permanente pour la lutte contre la désertification, qui desservira toute l'Afrique du Nord et le Proche-Orient, a été établie.

Dans la plupart de ces plans, la construction de terrasses en gradins, de banquettes suivant les courbes de niveau, de barrages régulateurs et d'autres ouvrages analogues occupaient une grande place. Les problèmes étaient traités comme des problèmes de génie civil; il était rare que les planificateurs s'occupent beaucoup de la gestion et de l'utilisation incorrectes des terres, dont le ruissellement superficiel et les pertes de sol n'étaient que les symptômes. Il était rare que des contacts directs aient lieu entre l'agriculteur et le planificateur.

Les plans ainsi élaborés n'accordaient guère d'attention aux effets qu'ils pourraient avoir sur la production future ou sur les besoins immédiats des agriculteurs. Ils visaient simplement à maintenir le sol en place.

Le plan était ensuite expliqué aux agriculteurs, qui étaient incités à l'appliquer, de gré ou de force. C'est à ce stade que les problèmes commençaient réellement à se manifester: les programmes progressaient plus lentement que prévu parce que peu d'agriculteurs y trouvaient un intérêt quelconque ou étaient disposés à les exécuter s'ils n'étaient pas payés. Plus rares encore étaient ceux qui étaient disposés à entretenir les ouvrages, à moins qu'ils ne soient contraints à le faire.

Comme les utilisateurs des terres n'étaient associés que marginalement à ces plans, il n'est pas surprenant que ceux-ci se soient si souvent soldés par des échecs coûteux. Les agriculteurs, les pasteurs et ceux qui tiraient leurs moyens d'existence des bois et des forêts ont souvent été considérés comme une partie du problème, plutôt que comme la solution potentielle. Aucune tentative n'a été faite pour analyser les causes réelles de la mauvaise utilisation des terres, comme les régimes fonciers, la pénurie de main-d'œuvre et le manque d'incitations économiques, d'informations et de conseils.

Les cicatrices de l'érosion s'étendent sur de vastes zones du Lesotho, témoignant de l'échec des programmes vastes et coûteux de conservation des terres entrepris dans le passé. Les agriculteurs n'avaient guère d'intérêt à entretenir les ouvrages de conservation après leur construction.

Pourqoi les programmes de conservation échouent-ils souvent?


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