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EXPLIQUER LES JUGEMENTS DE VALEUR ET AUTRES FACTEURS QUI INFLUENT SUR LE PROCESSUS D’ANALYSE DES RISQUES AUX NIVEAUX NATIONAL ET INTERNATIONAL


L’analyse des risques est couramment représentée sous la forme d’un processus en trois phases: l’évaluation des risques, la gestion des risques et la communication des risques. L’évaluation des risques est une phase dans laquelle les outils quantitatifs et scientifiques sont appliqués de la manière la plus intensive. La gestion des risques est une phase dans laquelle des objectifs sociaux majeurs sont intégrés à la science, et dans laquelle les stratégies de traitement des risques sont élaborées et choisies. La communication des risques est une phase qui reconnaît le besoin de collecter de nombreuses informations provenant de segments divers du public et de les diffuser aux parties concernées. Ces phases étant interactives, itératives et se déroulant souvent simultanément, il est difficile de classer dans une seule phase les activités particulières qui interviennent dans l’analyse des risques. À l’aide de cette classification, il s’avère utile d’examiner le rôle des jugements de valeur et des considérations éthiques dans chacune de ces trois phases.

Certes, nous utilisons dans le présent document les catégories conventionnelles d’évaluation des risques, de gestion des risques et de communication des risques, mais nous tenons à souligner que ces distinctions sont beaucoup moins nettes que ce que l’on croit souvent. À vrai dire, dans la pratique, l’analyse des risques fonctionne comme un processus non linéaire. Tout d’abord, un danger particulier est identifié et un profil de risque est élaboré pour orienter les décisions sur la manière de procéder. À ce stade, il faut savoir si des ressources doivent être affectées à une évaluation détaillée des risques. Ensuite, une évaluation des risques est entreprise, conformément aux directives établies au cours de l’étape précédente. Enfin, les résultats de l’évaluation des risques sont utilisés, ainsi que d’autres informations, pour sélectionner les options de gestion des risques, puis les options choisies sont mises en application et les résultats sont contrôlés. La communication des risques intervient tout au long du processus décrit.

Ces trois phases donnent lieu à des jugements qui ne reposent pas uniquement sur des preuves factuelles. Beaucoup, sinon la plupart, de ces jugements sont de nature éthique ou possèdent des dimensions éthiques implicites. De tels jugements renvoient aux clauses relatives à l’«analyse scientifique objective» et aux «autres facteurs légitimes» incluses dans les déclarations de principe du Codex Alimentarius concernant le rôle de la science et dans des documents analogues utilisés dans les systèmes nationaux d’évaluation des risques et de gestion des risques. Pris ensemble, ces éléments comprennent une diversité de valeurs scientifiques, environnementales, sociales, culturelles, juridiques et économiques nécessaires pour procéder à une analyse des risques adéquate.

Dans la présente section, nous examinons certaines des sources de ces jugements de valeur et précisons la façon dont le rôle des valeurs dans les trois phases de l’analyse des risques pourrait être rendu plus explicite, et comment les jugements de valeur sont imprégnés de considérations éthiques.

L’évaluation des risques

L’évaluation des risques a été définie par la FAO et l’OMS[2] en 1995 comme suit:

«Évaluation scientifique d’effets connus ou potentiels préjudiciables à la santé et résultant de dangers alimentaires. Processus comportant les étapes suivantes: i) identification des dangers, ii) caractérisation des dangers, iii) évaluation de l'exposition et iv) caractérisation des risques.»

Dans une situation idéale, l’évaluation des risques consiste à évaluer quantitativement la probabilité que des effets préjudiciables à la santé puissent se produire. Cependant, dans de nombreuses situations, l’interprétation des données disponibles pose des problèmes. En outre, seuls quelques pays fournissent à l’heure actuelle l’essentiel des informations destinées aux évaluations des risques à l’échelle internationale, surtout en ce qui concerne les rations alimentaires et l’exposition, ce qui rend difficile l’application généralisée des résultats. Le système du Codex et ses organes de parrainage a pris conscience du besoin de collecter des informations auprès d’un plus grand nombre de pays afin de pouvoir élaborer une base de données universelle. Le problème, cependant, est que dans la plupart des cas, il n’y a pas de données qui permettent de procéder à une telle évaluation quantitative.

Ce constat fondamental a conduit la Consultation d’experts FAO/OMS à formuler la recommandation suivante:

«De nombreuses sources d’incertitude et de variabilité existent dans le processus d’évaluation des risques dus aux dangers alimentaires qui menacent la santé humaine. Il faut examiner avec la plus grande attention les facteurs d’incertitude et de variabilité dans le processus d’évaluation des risques pour qu’ils puissent être pris en compte dans la formulation des politiques de gestion des risques.»

Les jugements de valeur et les choix de politiques dans l’évaluation des risques peuvent être divisés en trois types:

Dynamique interne. L’évaluation d’un risque de manière scientifique exige toutes sortes de jugements de valeur. Par exemple, il est possible de ramener l’identification des dangers dans la sécurité sanitaire des aliments à de simples résultats bien identifiés comme la mortalité ou la morbidité associées à des mécanismes connus de toxicité ou de processus pathogènes. Il est aussi possible d’élargir le spectre des dangers en incluant des résultats moins identifiés ou même la possibilité de résultats inconnus ou imprévus. Les individus qui sont exposés à un danger, fût-il minime, et qui prennent conscience que les avantages personnels qu’ils retirent de leur exposition sont faibles, préféreront sans doute une interprétation des dangers relativement extensive.

Même lorsque les dangers sont parfaitement identifiés, la décision d’utiliser une série de données particulière se fonde sur l’hypothèse que l’extrapolation d’informations provenant d’une population X peut s’appliquer à la population Y précisément exposée à ces dangers. Les problèmes qui peuvent se poser lorsque l’on transpose à des populations humaines des conclusions concernant des études sur les animaux, ou lorsque l’on applique les segments observés d’une courbe dose-réponse à un niveau d’exposition plus faible sont mis en évidence dans la littérature sur la sécurité sanitaire des aliments. Dans le contexte international, les estimations d’exposition provenant de certains pays (généralement développés) doivent être souvent extrapolées à des populations aux régimes alimentaires très différents et habitant dans des pays où les données résiduelles sont rares. La réponse à de tels problèmes traduit souvent un jugement éthique sur le niveau de précaution qui devrait être incorporé dans une évaluation des risques. Les démarches philosophiques générales d’optimisation et de consentement informé peuvent être à la base d’attitudes contrastées sur la façon dont de telles questions doivent être abordées. Si l’on pense, par exemple, qu’il est particulièrement important de ne pas sacrifier les droits de groupes vulnérables, tels les femmes enceintes ou les jeunes enfants, au profit d’avantages procurés à la majorité, au moins deux attitudes peuvent être adoptées, fondées respectivement sur l’optimisation et le consentement informé. En premier lieu, on peut préférer tenir compte des hypothèses et des scénarios ou s’appuyer sur des données qui suggèrent des niveaux de risques plus élevés. À l’inverse, on peut utiliser des paramètres scientifiques moins conservateurs et envisager de prendre en compte les différents segments de consommateurs en étiquetant le produit final pour alerter ceux qui sont le plus exposés au risque.

Dans certains domaines importants de la sécurité sanitaire des aliments, les questions éthiques délicates doivent être abordées avant d’entreprendre une évaluation des risques. En ce qui concerne de nombreux dangers, on doit estimer l’exposition sur la base d’hypothèses et se demander si la meilleure pratique et l’utilisation prévue du produit représentent une approximation réaliste de l’exposition réelle. Parfois, une ambiguïté dans la manière dont un risque est conceptualisé ne devient apparente que lorsque des décisions relativement techniques de l’évaluation des risques sont formulées. Si l’on prend l’exemple des aliments génétiquement modifiés, la probabilité d’un danger pourrait être évaluée par rapport à l’ensemble des expériences de transformation, même si nombre de ces expériences ne débouchent jamais sur des récoltes commerciales ou des produits alimentaires. À l’inverse, elle pourrait être évaluée uniquement par rapport aux expériences de transformation prévues pour déboucher sur des produits alimentaire, même s’il existe une probabilité non nulle que les transformations prévues pour les aliments pour animaux ou la fabrication de produits non alimentaires (médicaments, produits industriels ou biologiques) entrent effectivement dans le système alimentaire. L’évaluation finale de la somme des risques associés à la modification génétique peut varier considérablement en fonction des choix effectués lors de l’identification de la population de référence pour les récoltes génétiquement modifiées.

Le modèle international de l’analyse des risques comprend un élément appelé Politique d’évaluation des risques qui établit «les principes directeurs sur lesquels sont fondés les jugements de valeur et les choix d'orientation qu'il est parfois nécessaire d'appliquer à certains points de décision particuliers dans le cadre du processus d'évaluation» (FAO/OMS, 1997)[3]. En général et dans des cas particuliers, la politique d’évaluation des risques est élaborée par les responsables de la gestion des risques conjointement avec les responsables de l’évaluation des risques. Elle intègre des informations provenant des parties prenantes et s’avère nécessaire avant toute évaluation détaillée des risques. Cette étape de l’analyse des risques constitue un contexte important dans lequel le choix des valeurs peut être identifié, précisé et débattu.

Il n’est pas commode de rappeler ici la liste complète des jugements de valeur, hypothèses et choix d’orientations qui jalonnent la mise en œuvre d’une évaluation des risques dans le contexte de la sécurité sanitaire des aliments. Les responsables de l’évaluation des risques connaissent en général la nature de ces jugements et il existe un débat permanent sur les normes éthiques qui doivent être utilisées pour les établir. Pour les uns, il devrait y avoir des mécanismes cohérents et normalisés permettant à ces jugements de refléter une vision consensuelle des spécialistes qui interviennent dans les processus d’analyse des risques. Pour d’autres, la charge de la preuve recherchée dans une évaluation technique des risques varie selon le contexte de gestion des risques. Dans certaines circonstances, les politiques d’évaluation des risques peuvent être définies par le statut ou les orientations internes d’une organisation. Dans d’autres circonstances, le besoin de répondre à des préoccupations publiques particulières peut militer en faveur d’hypothèses propres au contexte en question. Par exemple, si le degré de défiance du public est important à l’égard des organisations qui effectuent l’évaluation des risques, il est parfois approprié de se montrer plus conservateur qu’à l’accoutumée lorsque l’on calcule l’exposition, alors que dans un cas plus classique, on pourra adopter des hypothèses aux fondements plus empiriques.

Pressions externes et exigences. Les jugements de valeur sur la nature des données à utiliser, la manière d’extrapoler les données observées et de fusionner les résultats en utilisant différentes méthodologies d’analyse peuvent conduire à de larges variations du degré estimé des risques associés à une activité ou une situation. C’est pourquoi les responsables de l’évaluation des risques peuvent faire l’objet de pressions et de réclamations les poussant à adopter les hypothèses ou à tenir compte des données qui pourraient faire avancer le dossier des parties intéressées. La disponibilité des données sur l’exposition alimentaire nécessaires à l’évaluation des risques constitue un problème particulier. Trop souvent, les données ne proviennent que d’un petit nombre de pays et la manière dont on doit ajuster les estimations d’exposition pour évaluer les risques dans d’autres cultures et régions géographiques n’est pas claire.

Les pressions externes qui s’exercent sur les responsables de l’évaluation des risques pour qu’ils ajustent leurs hypothèses et leur sélection de données placent ces derniers dans un dilemme éthique intéressant. D’une part, ils peuvent ressentir le besoin de résister à de telles pressions pour préserver l’objectivité et l’intégrité scientifique de l’évaluation des risques. D’autre part, les groupes externes peuvent être une source d’informations importante sur la manière d’identifier les dangers et de conduire des études qui seront en fin de compte très utiles dans le processus de gestion des risques. Ce domaine de l’évaluation des risques n’a pas fait l’objet d’un débat éthique particulièrement ouvert ou clairement établi, encore moins d’une analyse dans le cadre d’une étude de cas.

Transparence. En raison de la complexité technique de la plupart des évaluations scientifiques des risques, les non spécialistes peuvent éprouver de grandes difficultés à identifier et discerner les jugements de valeur employés au cours de l’analyse, et des difficultés encore plus grandes à les évaluer par rapport aux valeurs et intérêts qui leur sont propres. En conséquence, les éléments principaux de l’éthique de l’évaluation des risques peuvent être fonctionnellement cachés et les groupes qui n’ont pas l’expertise technique pour fournir des données ou participer à de telles analyses peuvent être effectivement (voire involontairement) exclus de ce processus critique de prise de décision. Par exemple, de nombreuses nations en développement ne disposent pas d’expertise scientifique ou manquent de ressources pour participer à la collecte de données et à l’analyse dans le cadre de l’évaluation scientifique des risques. Cette situation peut, par voie de conséquence, susciter la défiance envers les résultats d’une évaluation des risques. Il existe donc un besoin permanent d’assurer la transparence des jugements et des orientations d’une évaluation scientifique des risques, et d’améliorer la capacité technique des parties traditionnellement exclues pour qu’elles puissent y prendre une part active.

La gestion des risques

Selon la Consultation mixte FAO/OMS (FAO/OMS, 1997), la gestion des risques est définie de la manière suivante:

«Processus qui consiste à mettre en balance les différentes politiques possibles compte tenu des résultats de l'évaluation des risques et, au besoin, à choisir et à mettre en œuvre les mesures de contrôle et notamment les mesures réglementaires appropriées.»

Le consensus international sur les réglementations en matière de sécurité sanitaire des aliments a des conséquences importantes sur le commerce (FAO/OMS, 1997):

«L'OMC considère que les normes, lignes directrices et autres recommandations de la Commission du Codex Alimentarius sont l'expression du consensus international concernant la nécessité d'une protection sanitaire contre les risques d'origine alimentaire. (...) Bien que l'adoption et l'application des normes Codex soient toujours techniquement facultatives, la non-application de ces normes peut être une cause de conflits, pour peu qu'au plan commercial un Membre applique des normes plus restrictives que nécessaire afin d'atteindre les niveaux de protection requis.»

La gestion des risques peut être examinée selon plusieurs dimensions éthiques. Elle est itérative et chevauche des éléments d’évaluation et de communication des risques. Néanmoins, en matière de gestion des risques, il est utile d’établir la distinction entre les jugements de valeur qui seront plutôt adoptés avant une évaluation technique des risques, ou au moins lors des étapes préalables de celle-ci, et ceux qui seront plutôt adoptés lorsque l’on dispose d’une compréhension scientifique plus complète des risques.

Lancer l’analyse des risques.

Les jugements de valeur jouent un rôle central dans le déclenchement de la décision d’entreprendre une analyse des risques. La plupart des activités humaines s’exercent sur la base de la routine ou de l’habitude, et déclencher un processus d’analyse des risques signifie que l’on estime que le risque dû à un danger quelconque n’est pas ordinaire et exige d’être évalué. Les circonstances qui déclenchent une analyse des risques particulière sont potentiellement d’une grande signification éthique. Le fait qu’une analyse des risques soit effectuée signifie souvent que l’on a estimé au préalable qu’une personne ou un groupe doit agir pour réduire la probabilité ou la gravité d’un effet préjudiciable. Il exprime le jugement que quelqu’un devrait donner aux parties potentiellement touchées la possibilité d’accorder ou de retirer leur consentement, ou que quelqu’un devrait être tenu pour responsable des dommages qui pourraient être causés par la suite. Il est donc concevable que chacun de ces «devrait» ou «pourrait» possède une connotation éthique et parfois juridique. Dans ce contexte, la question éthique de l’importance des mesures de précaution à prendre se pose de manière répétée et joue souvent un rôle décisif.

Ces possibilités montrent que la décision de conduire une analyse des risques n’est pas prise par simple curiosité scientifique mais qu’elle intègre des considérations éthiques préalables sur les rôles et les responsabilités des parties prenantes du secteur privé et des agences gouvernementales. En outre, dans presque toutes les situations, certains groupes auront intérêt à ce que l’analyse des risques soit effectuée dans l’espoir de voir se développer de nouvelles activités de gestion des risques, tandis que d’autres verront leur intérêt préservé dans la continuation du statu quo.

Le déclenchement d’une analyse des risques est donc l’une des décisions de la gestion des risques qui intègre le plus de considérations éthiques. Les circonstances du déclenchement doivent être jugées suffisamment sérieuses pour qu’une réponse soit exigée. Par exemple, avant toute caractérisation systématique des dangers ou essai de quantification, la situation doit être considérée comme suffisamment grave pour justifier le coût d’une analyse des risques, compte tenu des ressources limitées pour poursuivre de telles analyses. Il peut être utile de se rappeler qu’il y a une différence entre le niveau des ressources exigées pour une évaluation des risques qualitative et rapide et une évaluation des risques approfondie. L’attente des consommateurs peut aussi influer sur les facteurs qui déclenchent le besoin d’une analyse des risques. Si le statu quo est perçu comme étant synonyme d’un système alimentaire comportant de multiples dangers, comme c’était le cas au tout début du 20ème siècle, les technologies récentes ou nouvelles ont plutôt moins tendance à déclencher le besoin d’une analyse de risques que dans des circonstances analogues à celles de la fin du 20ème siècle, lorsque le fonctionnement du système de sécurité sanitaire des aliments était généralement considéré comme satisfaisant.

La décision de lancer une analyse des risques conduit à prendre d’autres décisions et à se demander, en particulier:

Il sera dans ce cas nécessaire de déterminer si le fait de conduire une évaluation scientifique et détaillée des risques est le meilleur moyen de continuer à traiter le problème. Toutefois, l’itération entre la gestion des risques et les étapes d’identification du danger de l’évaluation technique des risques peut brouiller la distinction entre les deux. Si des facteurs comme la nouveauté et l’inconnu influent sur la décision d’entreprendre l’analyse des risques en premier lieu, d’autres, comme les études précédentes, l’existence de données et de modèles scientifiques fiables peuvent influer sur la décision de savoir si le lancement d’une évaluation complète des risques est susceptible d’améliorer de manière importante la base de connaissances pour résoudre le problème. Enfin, il existe des considérations de nature éthique et politique qui rendent urgent le besoin d’apporter une réponse systématique à une situation existante. Chacun de ces paramètres exige des jugements avisés et les choix définitifs sont souvent porteurs de valeurs.

Gérer les risques évalués

La gestion des risques comprend les politiques, les actions et les choix qui visent à réduire les risques et protéger la santé publique, et pourraient être mis en œuvre par des groupes divers, notamment les agences de réglementation gouvernementales, les organismes de normalisation internationaux, les sociétés du secteur privé, les organisations non gouvernementales et les individus en qualité de consommateurs ou de citoyens.

Éviter ou atténuer un danger particulier n’est pas nécessairement l’unique objectif de la gestion des risques. Celle-ci peut être conduite pour favoriser les droits de l’homme, corriger les inégalités ou obtenir des résultats qui ne sont pas directement liés à la sécurité sanitaire des aliments, tels la qualité de l’environnement, les débouchés économiques ou la protection des intérêts des générations futures.

Les objectifs de la gestion des risques, et la façon dont les choix en la matière reposent sur une évaluation scientifique, sont particulièrement influencés par la tension entre l’optimisation et le consentement informé.

Selon la philosophie de l’optimisation, la gestion des risques impose souvent de mettre en balance la probabilité scientifiquement estimée et le degré de risque associé aux dangers alimentaires (auxquels s’ajoutent d’autres coûts ou conséquences indésirables) et les avantages qui pourraient être retirés d’activités réduisant l’exposition aux dangers alimentaires. D’une façon simpliste, on peut dire que les risques sont acceptables si les avantages prennent le pas sur les risques, même si dans la pratique, l’optimisation donne lieu à une comparaison complexe des coûts et des avantages espérés, fondée sur un certain nombre de choix possibles.

En revanche, la philosophie du consentement informé impose que l’évaluation scientifique des risques soit utilisée non pas pour déterminer la manière correcte de procéder à l’atténuation ou l’acceptation des risques d’origine alimentaire, mais pour fournir une base aux activités censées responsabiliser ceux qui supporteraient les risques en question. Ces activités consistent, au minimum, à identifier les populations à risques, informer les porteurs de risques sur la situation et donner à ceux-ci la possibilité d’éviter ou de sortir de la situation pour laquelle leur consentement informé est recherché. Dans de telles circonstances, permettre à des individus ou des groupes de choisir les risques qu’ils sont prêts à accepter peut être le choix approprié en matière de gestion des risques (par exemple, via un étiquetage informatif).

Les activités de gestion des risques entreprises pour répondre aux problèmes de la confiance sont particulièrement sensibles à cette tension. Du point de vue de l’optimisation, dès que les gouvernements ou les protagonistes du secteur privé ont perdu la confiance du public, la probabilité que le comportement des consommateurs, des activistes et des médias produise des résultats sub-optimaux est beaucoup plus grande que si l’on avait eu recours à d’autres moyens. Du point de vue du consentement informé, la confiance est le signal que les groupes et les individus ont délégué leur autorité pour donner ou retirer leur consentement à d’autres. Dès que ces décisions sont déléguées, le maintien de la confiance est essentiel à la légitimité de la prise de décision en matière de politique de sécurité sanitaire des aliments, car les individus qui ne peuvent pas compter sur les experts pour exercer leurs droits de consentement ou de non consentement en leur nom sont effectivement contraints à vivre des situations porteuses de risques.

Un certain nombre d’activités particulières de la gestion des risques pourraient contribuer aussi bien à ces deux objectifs éthiques que sont l’optimisation et le consentement informé. Faire participer les parties concernées au processus de décision peut aider les experts à comparer la valeur que les consommateurs et les citoyens accordent à la réduction du risque sanitaire par rapport à d’autres enjeux sociaux comme les débouchés économiques et la qualité de l’environnement. En conséquence, il est peut-être plus facile de procéder à des arbitrages lorsque les décisions de gestion des risques sont ouvertes à la participation des parties intéressées. Les mêmes possibilités de participation des parties prenantes peuvent contribuer directement à la responsabilisation des parties concernées, qui est un objectif plus cohérent avec le cadre formulé par le consentement informé. En tant que telle, la divergence entre ces approches ne devrait pas être surestimée. Néanmoins, la tension entre les démarches d’optimisation et de consentement informé peut produire des perceptions radicalement divergentes des objectifs fondamentaux de la gestion des risques.

Dans l’application pratique, un certain nombre de contingences autres que ces principes fondamentaux peuvent conduire les parties prenantes à des actions et des réponses d’un type particulier. La capacité des divers gouvernements, entreprises et individus d’exécuter un programme d’activités proposé peut sérieusement limiter le potentiel de mise en œuvre de versions idéalisées de l’optimisation ou du consentement informé. Le degré et la répartition des coûts d’administration et de mise en conformité avec la politique peuvent influer sur l’élaboration d’une stratégie générale de gestion des risques et de réponses tactiques particulières.

En ce sens, la différence entre «stratégie» et «tactique» mérite d’être précisée:

Là aussi, la tension fondamentale entre l’optimisation et le consentement informé peut influencer très fortement la manière dont ces questions sont traitées. D’une part, les considérations qui expriment le désir d’optimiser l’arbitrage entre les coûts et les avantages peuvent conduire à ce que l’on évalue de telles questions en fonction de l’efficacité avec laquelle les autres pratiques de gestion assurent le niveau souhaité d’exposition à un risque d’origine alimentaire. D’autre part, puisque l’objectif du consentement informé est de responsabiliser ceux qui sont exposés au risque, les questions liées au «qui et comment» pourraient être mieux évaluées si l’on considérait la manière dont les porteurs de risques eux-mêmes jouent un rôle essentiel dans la prise de décision.

La gestion des risques doit aussi être sensible aux questions éthiques liées à l’équité. Bien que les questions d’équité ne soient pas uniquement associées à la sécurité sanitaire des aliments, ces considérations ne peuvent pas être ignorées par ceux qui décident des choix d’orientation. Les considérations d’équité comprennent:

L’équité est essentielle dans la prise en compte des questions éthiques relatives à l’aide alimentaire et du droit à la nourriture examiné ci-dessous. L’un des éléments importants de l’équité dans la politique de sécurité sanitaire des aliments concerne les répercussions éventuelles de l’utilisation des normes obtenues par l’analyse des risques comme obstacles au commerce équitable. Certaines normes de sécurité sanitaire des aliments peuvent avoir comme conséquence pratique d’empêcher l’accès des producteurs aux marchés mondiaux, notamment les producteurs alimentaires des pays pauvres ou des régions qui manquent d’expertise technique. Si la conséquence d’une norme de sécurité sanitaire des aliments est d’entraver l’accès aux marchés mondiaux, notamment celui des producteurs alimentaires des pays pauvres ou des régions qui manquent d’expertise technique, le besoin de telles normes inéquitables doit être clairement démontré par une évaluation des risques appropriée.

La communication des risques

La consultation mixte FAO/OMS sur la communication des risques recommande la définition qui suit de la communication des risques (FAO/OMS, 1998)[4]:

«La communication des risques est l’échange d’information et d’opinions concernant les risques et les facteurs liés aux risques entre les spécialistes de l’évaluation des risques, ceux de la gestion des risques, les consommateurs et les autres parties intéressées. (...) Une communication des risques efficace doit avoir des objectifs qui suscitent et maintiennent la confiance. Elle doit permettre d’obtenir un degré élevé de consensus et de soutien de la part des parties intéressées pour les options de gestion des risques proposées. (...) La Consultation a considéré que les objectifs de la communication des risques sont de (...) renforcer la confiance du public dans la sécurité sanitaire de la filière alimentaire; (...) échanger les informations, les attitudes, les valeurs, les pratiques et les perceptions des parties intéressées concernant les risques associés aux aliments et sujets connexes.»

Il est suggéré dans le passage cité qu’il existe de nombreuses formes et contextes de la communication des risques. Le besoin d’une communication interactive entre les parties engagées dans l’analyse des risques et la valeur d’une telle communication pour établir la base des décisions prises sont examinés en détail dans le rapport cité.

La communication des risques sur les dangers d’origine alimentaire, les évaluations des risques et la gestion des risques doit prendre comme point de référence central le point de vue de ceux qui sont concernés par le risque. La communication des risques doit répondre à la question suivante: «compte tenu des risques connus, cet aliment est-il sain?» Le concept d’innocuité dans le langage populaire diffère de celui utilisé dans la recherche alimentaire. Dans le langage courant, «sain» est défini comme suit (Shorter Oxford English Dictionary):

«Sain: sans danger, sûr, sans risque, qui ne présente pas de danger; qui n’a pas aucun effet préjudiciable sur l’état physique.»

Cette définition de «sain» illustre la valeur de la «confiance» dans la perception que nous avons de la sécurité sanitaire des aliments; lorsque nous avons confiance dans l’innocuité d’un aliment, nous ne pensons pas aux risques potentiels que nous encourrons à le consommer. Du point de vue du système de sécurité sanitaire des aliments, cependant, il est important de retenir qu’un aliment, même considéré comme «sain», n’est jamais sans risque.

Les objectifs de la communication

Dans les deux approches éthiques examinées dans le présent rapport - l’optimisation et le consentement informé -, la communication est essentielle pour obtenir une meilleure compréhension des processus scientifiques engagés dans l’analyse des risques et de meilleures interactions entre toutes les parties intéressées. Du point de vue de l’optimisation, la communication des risques est le moyen de parvenir à une fin. Dans la démarche du consentement informé, la communication non directive, lorsqu’elle joue son rôle à plein, est l’objectif fondamental d’une stratégie qui cherche non pas à influencer mais à informer et à responsabiliser.

Puisque la plupart des questions difficiles qui se posent lorsqu’il faut prendre une décision en matière de sécurité sanitaire des aliments portent généralement sur le conflit entre les valeurs et les intérêts, il s’ensuit que la communication des risques doit mettre l’accent sur les dimensions éthiques et les valeurs liées à la décision à prendre. Les parties concernées par les décisions en matière de politique de sécurité sanitaire des aliments peuvent avoir deux avis concurrents sur la communication des risques qui leur sont associées. Ils peuvent croire d’une part qu’il existe un manque d’ouverture et de transparence dans la prise de décision et que cela peut les empêcher de participer effectivement au processus ou d’en accepter les résultats. Il peut leur sembler d’autre part qu’ils ont à faire face à une pléthore d’informations qui ne sont pas toujours faciles à comprendre.

Les informations dont un individu a besoin sur la sécurité sanitaire des aliments peuvent varier selon l’époque et les circonstances. Par exemple, les besoins d’information d’un individu peuvent évoluer lorsque le style de vie change, lorsque surviennent des événements extraordinaires comme une crise ou une épidémie d’origine alimentaire, ou lorsqu’un dossier devient une cause célèbre. Il faudrait élaborer toute une série de stratégies de communication des risques pour anticiper sur les incidents imprévus et faire en sorte qu’elles prennent en compte les changements de situation des destinataires de l’information.

La nature interactive de la communication des risques entre ceux qui prennent les décisions et les parties prenantes (et au sein de chaque groupe) montre que la communication doit être efficace et intégrée dans chaque étape de l’analyse des risques, et pas simplement ajoutée à la fin pour donner une rétrospective des événements passés. Elle exige aussi que toutes les parties intéressées et impliquées jouant un rôle à une étape quelconque du processus d’analyse des risques comprennent et appliquent une approche éthique à leurs actions de communication des risques alimentaires. Quelques-unes de ces considérations éthiques sont exposées ci-après.

Individus. Les individus peuvent participer au processus de communication des risques en tant que citoyens ou membres d’organisations de consommateurs. Le citoyen exige:

S’il faut indéniablement démocratiser le processus de communication, la plupart des consommateurs ne souhaitent pas passer leur temps à lire des informations détaillées sur l’analyse des risques, pour autant qu’ils aient la capacité d’interpréter et d’utiliser les masses d’informations communiquées.

Les questions éthiques qui se posent aux organisations de consommateurs sont celles du besoin de transparence dans les domaines qui ont trait à leur financement et de la nécessité d’apporter toute la clarté nécessaire sur les personnes qu’elles représentent lorsqu’elles interviennent en tant que porte-paroles sur la sécurité sanitaire des aliments et les préoccupations éthiques connexes. En particulier, la voix des consommateurs des pays en développement est sous-représentée dans la gouvernance internationale de la sécurité sanitaire des aliments, et il est largement admis qu’il faut renforcer la capacité de ces pays afin de favoriser la participation de leurs consommateurs aux niveaux national et international.

Responsables de la gestion des risques

Bien que chacun ait à gérer les risques dans le système de sécurité sanitaire des aliments, nous désignons ici le spécialiste de la gestion des risques qui intervient au sein d’un établissement public de sécurité sanitaire des aliments. Les responsables de la gestion des risques nouent un partenariat itératif et interactif avec les responsables de l’évaluation des risques pour s’assurer que les informations scientifiques appropriées et complètes sont disponibles et peuvent contribuer aux décisions prises en matière de gestion des risques. Ils doivent aussi s’assurer que les parties intéressées aient la possibilité de participer à des points précis du processus d’analyse des risques et que les informations valables communiquées par ces participants soient effectivement prises en compte dans le choix entre les différentes orientations de la politique de gestion des risques. Le responsable de la gestion des risques communique avec les consommateurs en participant - en tant que représentant de l’autorité publique - aux programmes d’information nationaux sur les questions alimentaires. La manière de diffuser ces programmes d’information et leur efficacité devraient être réexaminées périodiquement. La gestion efficace de chacun de ces aspects de la communication des risques est essentielle pour maintenir la confiance des consommateurs dans le système de sécurité sanitaire des aliments et obtenir des résultats optimaux des stratégies de gestion des risques.

Responsables de l’évaluation des risques

Les spécialistes de l’évaluation des risques doivent être convaincus que le langage et la terminologie scientifiques peuvent poser un problème pour les non scientifiques qui participent à l’analyse des risques. Ils doivent aussi faire face aux difficultés particulières que représentent la communication claire des jugements de valeur utilisés dans l’enquête scientifique, les incertitudes liées au processus d’évaluation des risques et la présentation des données. La communication itérative entre les responsables de l’évaluation des risques, ceux de la gestion des risques et les parties intéressées, et en particulier l’élaboration d’une politique d’évaluation des risques en tant qu’étape essentielle de l’analyse des risques, sont autant de moyens importants permettant de préciser et de s’entendre sur les jugements de politique et scientifiques qui orientent et ressortent d’une évaluation des risques.

Chercheurs

La science moderne repose sur la recherche. Les risques associés aux nouveaux produits de la recherche appliquée peuvent déclencher le besoin d’une analyse des risques alimentaires, et les connaissances produites par la recherche sont essentielles pour mener à bien une analyse des risques. Dans ce dernier cas, les chercheurs, en particulier dans les domaines de la santé et des sciences alimentaires, peuvent apporter leur contribution tout au long du processus. Le chercheur est confronté à des préoccupations éthiques lorsqu’il interprète et présente les données de recherche mais ces préoccupations peuvent aussi provenir de faits en relation avec les programmes de recherche nationaux et l’extension de la recherche pro bono. La recherche portant sur les processus de communication réels employés tout au long de l’analyse des risques est aussi pertinente.

L’industrie agroalimentaire

L’engagement de l’industrie agroalimentaire (notamment les fournisseurs d’intrants, les producteurs agricoles, les transformateurs alimentaires, les organisations de services alimentaires, les organisations industrielles et de producteurs et les distributeurs alimentaires) dans la communication des risques consiste à conserver les dossiers d’assurance qualité, à travailler avec les agences de réglementation gouvernementales et à communiquer avec le consommateur par le biais des étiquettes des produits, entre autres processus. Cette industrie est un acteur et un participant important dans toutes les étapes de l’analyse des risques et dans d’autres activités, telles la mobilisation en faveur de lois alimentaires particulières et la promotion commerciale de ses produits et services. Cela étant, l’industrie alimentaire doit s’interroger sur un ensemble de valeurs éthiques, notamment la confiance, la bonne foi, la loyauté et la transparence.

Les médias

Les médias (radio, télévision, presse, édition, médias électroniques), qui forment l’industrie de la communication, sont des sources importantes mais non essentielles des informations publiques sur les risques sanitaires. Ils sont extrêmement efficaces pour diffuser des informations à de grandes quantités d’individus sous des formes aisément compréhensibles et pour surmonter les barrières de la langue, le niveau d’éducation et l’appropriation culturelle. Cependant, par leur nature même, les médias peuvent parfois simplifier une information à l’extrême ou la rendre sensationnelle pour séduire un public et induire, volontairement ou non, celui-ci en erreur sur les dangers d’origine alimentaire. Il faut des mécanismes pour que les spécialistes en communication des médias comprennent mieux la science et les valeurs véhiculées par l’évaluation des risques, et le cadre dans lequel fonctionne l’analyse des risques. Il faut aussi mettre en place des programmes de formation pour les responsables de la réglementation et les autres participants à l’analyse des risques, afin d’augmenter leur capacité à communiquer efficacement avec les médias.

Le fait que le système de sécurité sanitaire des aliments international comprenne désormais ses besoins et ses responsabilités en matière de communication des risques ne doit pas faire oublier certaines considérations. Premièrement, la communication doit être structurée pour que les composants éthiques des décisions en matière de sécurité sanitaire des aliments soient clairement identifiés le plus tôt possible dans le processus. Deuxièmement, le système doit fonctionner de telle manière que les choix porteurs de valeurs qui sont effectués par les responsables de la gestion des risques le soient dans le cadre d’un processus participatif et ouvert qui respecte les droits et les rôles des parties intéressées. Appliquer une telle stratégie ne rendra pas forcément l’analyse des risques alimentaires plus efficiente, car le traitement de toutes les questions difficiles peut prendre beaucoup de temps. Mais une stratégie plus réceptive aux questions éthiques devrait rendre l’analyse des risques alimentaires plus efficace, car elle rendrait les décisions plus objectives, transparentes, démocratiques et mieux comprises, et, par voie de conséquence, plus acceptables et utiles aux citoyens et gouvernements de toutes les nations.


[2] FAO/OMS, 1995. Rapport de la Consultation mixte d'experts sur l’application de l'analyse des risques dans le domaine des normes alimentaires. Genève, Suisse, 13-17 mars 1995. WHO/FNU/FOS/95.3, Genève.
[3] Rapport d'une consultation mixte FAO/OMS sur la gestion des risques et la sécurité sanitaire des aliments. Rome, Italie, 27-31 janvier 1997. Étude FAO Alimentation et nutrition, document 65.
[4] FAO/OMS, 1998. Rapport d’une Consultation mixte FAO/WHO sur l’application de la communication des risques aux normes et à la sécurité sanitaire des aliments, Rome, 2-6 février 1998. OMS, Genève.

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