3. Desertification et developpement des zones arides dans les pays de la CEI


Back to contents - Previous file - Next file


A. Définitions
B. Théories et hypothèses
C. Méthodologie et approches
D. Grandes entreprises de transformation des terres arides et semi-arides en URSS. "Conquête des déserts".
E. Phénomènes de la désertification
G. Impact de la désertification et du développement des zones arides sur l'environnement et les conditions socio-économiques
H. Lutte contre la désertification et développement des zones arides
I. Résultats des grands travaux de lutte contre la désertification et de développement des zones arides


A. Définitions


3.1 Dans les recherches sur les changements du milieu naturel dans les régions arides et semi-arides, les chercheurs distinguent souvent deux processus: désertisation et désertification. Cela est caractéristique surtout de l'école française. En URSS, presque toute la littérature portant sur la désertification a été écrite en russe. On utilise le terme "opoustynivaniïe" qui est considéré par les chercheures soviétiques et post-soviétiques comme le terme synonyme de la désertification (cf. fiche bibl. 69). Les chercheurs de l'Institut des déserts ne trouvant aucun correspondant dans la langue russe pour le terme "désertisation", introduisent le mot "dïesïertizatsiïa". Ce terme n'est pas passé dans la langue russe et nous ne l'avons rencontré que dans le travail évoqué ci-dessus.

3.2 La définition de B.G. Rozanov (cf. fiche bibl. 53) est la plus utilisée. Il l'a formulée en 1977, en écrivant sur la Conférence des Nations unies à Nairobi et on la retrouve, parfois un peu modifiée, dans plusieurs publications, même les plus récentes (cf. fiches bibl. 12, 60, 63, 90, 143). "La désertification est un processus naturel ou anthropique d'un changement irréversible du sol et de la végétation des zones arides vers une aridisation et la diminution de la productivité biologique. Dans les cas extrêmes ce processus peut mener jusqu'à une desintégration totale du potentiel biothique et la transformation du territoire en désert."

3.3 Une autre définition est utilisée par certains scientifiques de l'Institut des déserts à Achkhabad (cf. fiche bibl. 4): "l'intensification ou/et l'élargissement des conditions désertiques constituent un processus qui mène à la diminution de la productivité des écosystèmes, cette diminution - à son tour - mène à la diminution des ressources pastorales, de la productivité agricole et à la détérioration des conditions de la vie humaine."

3.4 C'est S.V.Zonn (cf. fiche bibl. 145) qui perçoit les processus de désertification dans le sens le plus large. Ils englobent, selon lui, tous les processus de dégradation biologique quelque soit leur facteur ou l'endroit où ils apparaissent. Conformément à cette définition, la désertification peut avoir lieu dans n'importe quelle zone climatique. S.V. Zonn distingue de nombreux types de désertification; ainsi en Amazonie on rencontre le type "technogénoérosif", au Maghreb le type "érosif". La définition de Zonn n'a cependant pas été admise dans les pays de la CEI.

3.5 D'autres définitions existent qui comprennent la désertification (opoustynivaniie) d'une manière plus restreinte, mais elles non plus ne sont pas couramment acceptées. On peut citer les trois exemples ci-dessous;

  1. La désertification est un processus d'extension de la surface des déserts, notamment sous l'effet de la mobilisation des sables. Elle se produit dans une étroite bande de semi-désert qui confine directement au désert. C'est une définition que l'on rencontre rarement et presque exclusivement dans l'ancienne littérature spécialisée, par exemple des années 60 et 70 (cf. fiche bibl. 109). Dans les travaux nouveaux, elle apparaît très rarement mais elle n'a pas disparu, comme en témoigne l'ouvrage de Gorchkov V.S., Losïev K.S. de 1992 (cf. fiche bibl. 91);
  2. La désertification est une aggravation des conditions biotiques des déserts (due uniquement à l'activité humaine) et une transformation de ceux-ci en déserts dépourvus de vie (cf. fiches bibl. 40, 65). Il conviendrait d'utiliser dans ce cas le terme "désertisation" et plus précisement "désertisation anthropique";
  3. La désertification est un vocable qui recouvre tout un ensemble de processus de dégradation d'écosystèmes arides et semi-arides, résultant d'une activité irrationnelle de l'homme (cf. fiches bibl. 15, 144).

3.6 Le fait que dans les définitions l'accent est mis sur l'activité humaine peut être expliqué par une conviction générale qu'en Asie centrale on n'a pas affaire à une évolution naturelle du climat vers l'aridisation; on considère que c'est l'homme qui est à l'origine de la dégradation de l'environnement naturel.

 


B. Théories et hypothèses


3.7 Les considérations théoriques à la base de la définition systémique de la désertification et de la typologie des processus de désertification ont surtout été développées par I.S. Zonn durant ces dernières années. L'analyse de ses ouvrages (cf. fiches bibl. 33, 59, 60, 144) montre que l'auteur ne cherche pas à mettre au point un ensemble cohérent mais plutôt expérimente avec des définitions. Il reste cependant conséquent en traitant la désertification en tant que processus. Puisque chaque processus se produit dans le temps, il peut être décrit sous la forme d'une fonction temporelle O(t) de la désertification:

O1(t0) = <x0 * y0 * z0>

(x: climat; y: sol; z: tapis végétal; t: temps).
La désertification a lieu au moment où des valeurs-seuils, non déterminées par l'auteur, sont dépassées.

3.8 Dans la typologie, il est très important de distinguer des processus-causes et des processus-effets. Si, par exemple, une culture irriguée est un processus cause, elle est à l'origine de divers processus effets: érosion d'irrigation, salinisation des sols, infiltration, formation des mares par infiltration, formation des cuirasses dans le sol, abaissement ou augmentation de la nappe d'eaux souterraines, changements d'albédo de la surface du sol, etc. Des processus effets, en revanche, provoquent des changements de l'état des sols, des eaux souterraines et superficielles, de la végétation et du climat. Les processus causes, les processus effets et les états ne doivent pas être confondus, ce que I.S. Zonn reproche à la "Carte mondiale de la désertification (PNUE/FAO/UNESCO 1977)".

3.9 Les auteurs de l'ex-URSS et de la CEI actuelle utilisent couramment la notion de la désertification technogénique liée à la dégradation des écosystémes des zones arides et semi-arides qui se produit par exemple sous l'effet de la construction de routes, de chemins de fer, de mines et d'autres grandes infrastructures. Ce type de désertification est très répandu dans les pays de l'URSS/CEI (cf. chap. 4E). Rien d'étonnant donc que plusieurs auteurs indiquent qu'il convient de la prendre en compte dans l'élaboration des cartes de désertification ou le font eux-mémes à l'occasion de l'évaluation des surfaces atteintes par la désertification (cf. fiches bibl. 14, 17, 38 et autres).

 


C. Méthodologie et approches


3.10 Les chercheurs soviétiques s'occupaient principalement de la problématique de "osvoïeniïe" des déserts. Littéralement, ce terme signifie "domestication", mais il peut être traduit aussi par "mise en valeur" ou "aménagement". Cependant, la problématique de la désertification était traitée également dans les études concernant l'environnement naturel des déserts, des semi-déserts et des steppes et leurs changements suite à l'aménagement.

3.11 Une très grande importance est donnée aux analyses chimiques, ainsi q'aux travaux concernant le cycle des éléments dans l'environnement et les changements de la composition chimique des sols et des eaux. Cela est lié en particulier à l'étude des phénomènes extrêmement étendus de salinisation. Il y a une approche méthodologique fort intéressante, dans la description du cycle du sel dans l'environnement, qui consiste aussi à prendre en compte l'atmosphère (déflation du sel, salinisation liée aux vents des terrains salés - cf. fiches bibl. 32, 45, 83, 100, 112, 127).

3.12 Une grande importance est donnée aussi aux études expérimentales réalisées dans les stations de terrain où, depuis quelques dizaines d'années, on observe les changements qui se produisent dans la nature. La station la plus connue et qui enregistre les plus grands acquis est celle de Repetek au Turkménistan. Elle est située dans le désert Karakoum, à 50 km environ d'Amou-Daria, et est d'accès facile. Elle a été créée en 1912 et durant la période d'entre-deux-guerres il s'y trouvait une station de l'Académie des sciences de l'URSS où travaillaient surtout des scientifiques de Moscou. Elle a été par la suite incorporée dans l'Institut des déserts de l'Académie des sciences du Turkménistan à la création de celui-ci. C'est dans cette station qu'ont été effectués la plupart des travaux soviétiques concernant les déserts de sable et leur typologie, régime hydrique, végétation et fixation. Repetek était aussi une base arrière pour les recherches menées dans la partie centrale de la vallée d'AmouDaria, ce qui explique que cette zone ait été particulièrement étudiée.

3.13 Des photographies aériennes et images satellite ont été abondamment utilisées dans les études des changements de l'environnement naturel, et notamment des processus de désertification. Les scientifiques soviétiques se trouvaient dans une situation particulièrement privilégiée: ils pouvaient se servir aussi bien des images, accessibles pour tout le monde, des satellites Landsat et Spot que des photographies des satellites soviétiques (Kosmos, Meteor). Les images satellite servent, entre autres, à dresser les cartes de la végétation, des changements de la végétation, des sols, de la salinisation, des dunes vives, des changements hydrographiques et surtout des changements de la ligne de contour de la mer d'Aral. Les cartes de la désertification, élaborées à l'aide des méthodes de télédétection, sont le couronnement de ce type de travaux. Dans certains ouvrages, on compare les résultats obtenus par différents satellites (cf. fiches bibl. 14, 23, 34, 71, 74). Les cartes de désertification sont élaborées à différentes échelles, par exemple carte relativement détaillée du Sud-est du Turkménistan, et plus particulièrement de l'aval du fleuve Murghab; et carte très générale de toute l'Asie centrale ex-soviétique. Cette dernière illustre très bien la qualité technique des cartes et des graphiques insérés dans les ouvrages et les articles scientifiques soviétiques.

FIGURE 1: Désertification au Turkménistan

1 - Désertification par taches dans les interfleuves Tedzhen-Murghab;
2 - Désertification par taches dans les interfleuves Murghab -Amou-Daria;
3 - Les oasis, partiellement affectés par la salinisation;
4 - Désertification le long du canal Karakoum;
5 - Réserves de pâturage;
6 - Canal Karakoum

 

FIGURE 2: Carte schématique de la désertification anthropique des terres arides de l'URSS (l'état actuel).

1 - Territoires non affectés par la désertification;
2 - Dégradation de la végétation;
3 - Érosion éolienne;
4 - Érosion fluviale;
5 - Salinisation des terres irriguées;
6 - Salinisation des sols liée à l'abaissement de la mer et à la régularisation des fleuves et des rivières;
7 - Désertification technogénique;
8 - Solontchaks;
9 - Dunes vives d'origine naturelle;
10 - Limites de zone aride;
11 - Degrés de la désertification (1: faible; 2: moyenne; 3: forte; 4: très forte).

3.14 Par rapport aux nombreux travaux concernant l'environnement naturel et les aspects physiques de la désertification, les travaux sur ses aspects sociaux et économiques sont faibles. Ce sont surtout des études: (i) où l'on décrit ceux-ci dans d'autres pays (cf. fiches bibl. 16, 63, 73, 109); soit (ii) où l'on parle des succès économiques de l'Union soviétique dans l'aménagement des déserts; et (iii) où on trouve des informations très brèves, données en passant, sur les pertes et les échecs rencontrés avant les succès attendus dans les étapes suivantes de la "conquêtes du désert. Ce n'est que dans les dernières années, à la suite des problèmes de la mer d'Aral, que l'on a vu paraître plus de publications sur les aspects sociaux et économiques de la désertification.

3.15 On peut noter aussi un intéressant groupe de travaux concernant les "terres d'ancienne irrigation" en Asie centrale. Les terrains irrigués autrefois (surtout aux 13ème et 14ème siècles, parfois encore jusqu'au milieu du 19ème) occupaient une superficie beaucoup plus grande que ceux qui sont irrigués aujourd'hui. Les spécialistes considèrent ces terrains comme particulièrement favorables pour les irrigations futures. C'est pour cette raison qu'ils sont répertoriés (entre autres, à l'aide des méthodes de télédétection) et que leurs sols sont scrupuleusement étudiés (cf. fiches bibl. 6, 105, 115).

 


D. Grandes entreprises de transformation des terres arides et semi-arides en URSS. "Conquête des déserts".


3.16 La spécificité des processus de désertification en ex-URSS résulte du fait qu'ils sont liés à d'énormes programmes de "conquête" et d'aménagement des déserts, caractéristiques de la période soviétique. Il s'agit tout particulièrement de (i) la transformation de la steppe en terres cultivables; et (ii) de la construction de grands systèmes d'irrigation et développement de la monoculture du coton en Asie centrale.

3.17 Bien que les débuts de la culture dans la zone steppique datent d'il y a quelques siècles, c'est seulement les programmes entrepris en 1954 qui ont eu une signification particulière pour l'environnement naturel. Au cours des six premières années, 40 millions d'hectares ont été mis en labour par de grands et lourds tracteurs. Après 1960, le labourage des steppes s'est ralenti et l'action s'est déplacée vers l'est. Après avoir labouré les steppes dans la partie européenne de l'URSS, les travaux ont commencé au Kazakhstan et en Sibérie du Sud. Aujourd'hui, la superficie labourée couvre environ 75 % de la surface totale des steppes. Une grande partie des steppes a été plus tard exclue de la culture.

3.18 Les programmes de développement de l'irrigation n'ont pas été menés au départ avec la même ardeur. Leur intensification s'est faite dans les années 70 et au début des années 80. L'ampleur des travaux entrepris est présentée dans le tableau suivant:

Accroissement de la superficie irriguée dans les Républiques soviétiques de l'Asie Centrale (en milliers ha)

RépubliqueßAnnéeÞ 1970 1980 1985 1990
Ouzbékistan 2696 3476 3930 4155
Turkménistan 643 927 1107 1245
Tadjikistan 518 617 653 694
Kirghizie 883 955 1009 1032

Source: Narodnoïe khozïaïstvo SSSR v 1990g. Statistïchïeskiï ïejïegoduik (L'économie nationale de l'URSS en 1990. Annuaire statistique) Gostkomstat SSSR, Moskva 1991 p.490.

3.19 Dans toute l'URSS, la superficie irriguée a augmenté de 10,8 millions d'ha en 1970 jusqu'à 17,5 millions d'ha en 1980, 19,9 millions d'ha en 1985 et 21,2 millions d'ha en 1990. Cela demandait bien sûr d'énormes captages d'eau qui en 1988 étaient de 152,5 km³: en Ouzbékistan 46,2 km³, au Kazakhstan 24,4 km³, dans la République fédérative de Russie 23,3 km³, au Turkménistan 18,2 km³, en Kirghizie 9,1 km³ et en Azerbaïdjan 8,7 km³

3.20 La consommation d'eau d'irrigation sur les terres arides était très élevée et égale en moyenne à 8,9 milliers de m³/ha en URSS, avec pas moins de 13,3 milliers de m³/ha en Arménie, 13,2 milliers de m³ en Ouzbékistan et 12,8 milliers de m³ au Kazakhstan (selon les statistiques russes, cf. fiche bibl. 56).

3.21 Durant les années 60, les efforts ont porté surtout sur un programme global d'aménagement de la Steppe de la faim (Golodnaïa Stiep') en Ouzbékistan. Cette initiative devait constituer un modèle de la transformation de la nature (cf. fiches bibl. 12, 47, 69, 86). Dans les années 1923-1956, 250 000 ha on été irrigués. Pour irriguer 246 000 ha supplémentaires, la construction du Canal de la steppe de la faim (Golodnaïa Stiep canal) avec une branche principale de 246 km de longueur et des canaux latéraux, a commencé en 1956. On a entrepis en même temps la construction des canaux de drainage, des villages, des voies ferrées (93 km), des chaussées (1746 km), des gazoducs, des usines de traitement du coton, etc. Dans les années 1961-1972, les récoltes du coton en URSS ont augmenté de 650 000 tonnes dont presque la moitié venait de la Golodnïa Steppe. La population s'est rapidement accrue pour atteindre, en 1974, 113 000 habitants (en 1878 - 2 000 habitants).

3.22 Le canal Karakoum de V.I. Lénine a été l'autre grande entreprise dont la réalisation a commencé en 1954. Le canal, considéré en URSS comme "la plus grande construction hydrotechnique du monde " mesure 1 200 km (au départ, il devait avoir 1 400 km mais sa dernière partie n'est pas achevée). Il capte l'eau d'Amou-Daria (400 m³/s) et la conduit vers les oasis de Murgab, Tedjen et autres, plus petites, situés aux pieds de Kopet Dag. Il est complété par environ 2 000 km de petits canaux. Le long du canal, 55 grandes fermes d'Etat on été créées, chacune avec une superficie de 27 000 à 650 000 ha (cf. fiches bibl. 12, 47, 50, 69). Outre le développement de l'agriculture irriguée, on note un net accroissement du cheptel en Asie centrale.

3.23 Cependant, le PNB par ha de terres irriguées qui avait sensiblement augmenté de 1430 roubles/ha en 1970 à 1715 roubles/ha en 1980, a par la suite diminué atteignant dans certains républiques des niveaux inférieurs à ceux enregistrés en 1970. La désertification d'origine anthropique est sans doute une des causes de cet appauvrissement.

PNB par ha de terres irriguées (en roubles)

Républiqueß AnnéeÞ 1970 1980 1985
Tadjikistan 1880 2409 2310
Ouzbékistan 1563 1849 1553
Turkménistan 1351 1479 1251
Kirghizie 792 986 1046
Moyenne pour la région 1430 1715 1533

Source: M.Turnball, 1991, Soviet Environmental Policies and Practicies, Dartmouth.

 


E. Phénomènes de la désertification


3.24 Il n'a pas été possible de trouver de publication présentant d'une manière complète les phénomènes de la désertification en URSS. Sur la base de différentes publications (cf. Index) on peut admettre que les plus importants phénomènes de la désertification sont (i) la déflation et la mobilisation des dunes; (ii) la salinisation des sols; et (iii) la dégradation de la végétation, notamment autour des puits. Il convient de noter que le complexe des phénomènes de la désertification liés au dessèchement de la mer d'Aral concerne la Turkménistan, l'Ouzbékistan et le Kazakhstan.

3.25 Outre les phénomènes évoqués ci-dessus, d'autres, tels que l'érosion des sols à la fonte des neiges en printemps (seulement au nord de la zone steppique en Sibérie de l'Ouest), l'appauvrissment de la diversité du monde animal, des changements du niveau des eaux souterraines, la pollution des eaux et autres. Les estimations quantitatives des dimensions de la désertification varient; des différences sont parfois très grandes.

3.26 Quant à l'Asie centrale (Ouzbékistan, Turkménistan) et le Kazakhstan, ce sont les travaux de N.G. Kharin et de A.A. Kiril'tsïeva (1988, cf. fiche bibl. 38) qui constituent l'une des sources les plus fiables. Ils mettent en question la fiabilité des évaluations antérieures et fixent l'étendue des terres affectées par la désertification à 60,2% de la superficie de ces régions (Ouzbékistan 59,2%, Kazakhstan 59,9%, Turkménistan 66,5%). Les régions à surpâturage occupent 37,3% de la superficie totale de ces pays, les terres partiellement désertifiées autour des puits en représentant 5,7% (jusqu'à 18,6% en Ouzbékistan). Les zones touchées par l'érosion éolienne couvrent 3,3% des terres, la salinisation des terres irriguées 1,3%, la salinisation résultant de l'abaissement du niveau de la mer d'Aral 5,3%, la désertification technogénique 6,5% et l'érosion hydrique 0,7%. Soulignons la désertification "technogénique" évoquée dans plusieurs travaux: les trajets des voitures traversant ces terrains, atteignent jusqu'à 1 km de large (cf. fiches bibl. 14, 17, 64, 65).

3.27 La salinisation des sols en ex-URSS a atteint un niveau qu'on ne rencontre probablement nulle part ailleurs dans le monde. Rien d'étonnant donc que ce phénomène soit évoqué dans presque chaque publication concernant la désertification, ainsi que dans plusieurs travaux traitant plus généralement des caractéristiques de l'environnement naturel et des processus qui s'y produisent (cf. index).

3.28 I. Szabolsc (1991, cf. fiche bibl. 132) évalue à 29,5 millions d'ha la superficie des terres salées dans la partie européenne de l'ex-URSS (cf. carte). Par contre, dans les autres pays européens pris ensemble, les terres salées ne recouvrent que 3 millions d'ha. La plus grande salinisation est notée en Asie centrale. De grandes taches blanches de solontchaks, en bordure des régions artificiellement irriguées sont visibles aussi bien de la voie ferrée centre-asiatique que de l'avion (cf. photo).

3.29 On décrit souvent aussi la déflation et la formation des dunes (cf. index). C'est notamment au printemps et en automne, c'est-à-dire à la période des tempêtes de poussière, que la déflation revêt des dimensions inquiétantes. Les régions les plus affectées par la déflation sont: l'Ukraine du Sud, les hauteurs de la Volga, la dépression aralo-caspienne, le Kazakhstan du Nord et la Sibérie Sud-ouest, soit un total de 1,6 millions km². Dans certaines régions, la déflation atteint déjà de 2 à 7 cm de la couche supérieure par an et on enregistre plus de 20 jours de tempêtes de poussière par an (cf. fiche bibl. 51). Pendant les plus grandes tempêtes, la poussière parvient même jusqu'en Pologne et Hongrie.

3.30 Dans la période 1961-1988, l'abaissement de près de 15 mètres du niveau de la mer d'Aral a dénudé 25 000 km: de l'ancien fond. Cela a causé un abaissement des nappes d'eau souterraines, jusqu'à à 200 km de la mer, un dessèchement des lacs dans le delta de Syr-Daria et une baisse de la productivité des pâturages (les évaluations varient, mais on parle d'énormes pertes: par exemple dans le delta du Syr-Daria, déjà en 1975, on ne pouvait récolter que 0,8 millions de tonnes de fourrage sur 1,4 millions d'ha, comparé à 3,6 millions de tonnes vers 1960 (cf. fiche bibl. 106). Cela provoque aussi la déflation du sable, de la poussière (accroissement du nombre de tempêtes de poussière) et du sel du fond du réservoir, contribuant à l'augmentation de la salinisation des sols, jusqu'à 400 km de la mer. Le sel qui se dépose même sur les glaciers des masifs de Alaï (Alaïskiï khrïebïot) et Zaalaï (Zaalaïskiï khrïebïot) provoque leur fonte.

FIGURE 5: Les changements de l'environnement dans les terrains situés près du canal Karakorum (fiche bibl. 69): 1 - sables mobiles; 2 - sables partiellement stabilisés par la végétation; 3 - sables stabilisés par la végétation; 4 - marais; 5 - lacs d'infiltration.

FIGURE 5: Les changements de l'environnement dans les terrains situés près du canal Karakorum (fiche bibl. 69): 1 - sables mobiles; 2 - sables partiellement stabilisés par la végétation; 3 - sables stabilisés par la végétation; 4 - marais; 5 - lacs d'infiltration.

 


F. Causes de la désertification


3.31 La désertification naturelle, même si elle se produit dans les pays de la CEI, a une portée fort limitée. Bien que nous n'ayons pas réussi à trouver de publications confirmant l'existence de ces processus, les oscillations climatiques au passé, les variations du niveau de la mer d'Aral ainsi que de la mer Caspienne et la périodicité du fonctionnement de grands systèmes d'irrigation en Asie centrale, dans l'Antiquité et au Moyen âge, laissent supposer que ce sont de lents processus naturels qui peuvent constituer la toile de fond de très rapides processus de désertification auxquels nous avons affaire aujourd'hui. Il ne faut cependant pas oublier que les variations du niveau des réservoirs de l'Asie centrale relèvent de plusieurs facteurs (la transgression actuelle de la mer Caspienne est probablement conditionnée par des mouvements tectoniques). Il est hors de doute que c'est l'activité humaine et, surtout, des erreurs commises dans l'aménagement des terres arides et semi-arides, qui constituent le facteur principal de la désertification actuelle. Dans les publications, on met l'accent avant tout sur les résultats négatifs du surcaptage de l'eau pour l'irrigation et pour d'autres buts (cf. fiches bibl. 28, 44, 49, 79, 121, 125). Au début des années 80, le captage de l'eau de l'Amou-Daria a atteint 70 des 79,5 km³ de toutes ses eaux (87,6%); pour ce qui est de Syr-Daria, le captage a dépassé le débit de 24% (double utilisation de la même eau). Dans les années 60, la mer d'Aral recevait en moyenne 55 km³ d'eau de l'Amou-Daria, quantité qui s'est réduite dans les années 19781981 à 9-10 km³ En 1982, pour la première fois, les eaux du fleuve ne sont pas parvenues à la mer d'Aral. Déjà en 1976, le même phénomène s'est produit avec le Syr-Daria. Dans les dernières années, les eaux de ces fleuves ne parviennent à la mer d'Aral qu'occasionnellement (par exemple lors des inondations en 1992, cf. fiche bibl. 28). A la fin des années 80, IIi a pratiquemment cessé d'alimenter le lac Balkhash en eau.

3.32 Les pertes en eau d'irrigation causées par l'évaporation et par l'infiltration dans des canaux longs de centaines de km, creusés parfois dans les sables perméables, sont énormes. Par exemple, dans le voisinage du canal Karakoum, plusieurs petits lacs se sont formés. Une évaporation rapide mène directement à la salinisation (cf. fiches bibl. 12, 69, 112, 125). En Asie Centrale, la production de 1 tonne de coton nécessite 2 000 à 3 000 m³ d'eau; la consommation réelle dépasse 1,25 à 1,75 fois les normes admises et se trouve supérieure à la consommation d'eau d'autres régions de monde (fiche bibl. 121). Dans certains cas, l'accroissement de la salinisation est dû au retard dans la construction des systèmes de drainage ou à leur mauvais fonctionnement. En 1990, dans toute l'URSS, on a irrigué 23,1 millions d'ha dont seulement 18,5 millions d'ha ont été drainés (fiche bibl. 56). La construction du réservoir Kaptchagaï dans le bassin d'IIi (fiche bibl. 54) constitue un exemple spectaculaire de la salinisation anthropique. Des sols fortement salés ont été submergés ce qui a contribué à la salinisation des eaux du réservoir. Ces dernières ont été ensuite employées à l'irrigation.

3.33 On considère que les facteurs principaux de l'érosion éolienne sont le labourage des steppes et le surpâturage. Vu l'énormité des dimensions de la déflation du fond de la mer d'Aral (on l'évalue à 100 millions de tonnes par an), le développement de la culture irriguée peut être considéré comme une importante cause indirecte. La formation des dunes est également occasionnée par des travaux au cours desquels les machines déplacent de grandes quantités de terre (par exemple à proximité du canal Karakoum ou à côté des villes minières) et par le déplacement des camions (leurs trajets sont visibles - par exemple à côté de Tachkent - de l'avion à une altitude de plus de 3 000 m). L'exploitation minière des terres et les brûlis inconsidérés de forêts et de broussailles sont aussi facteurs de désertification.

3.34 B. Komarov (cf. fiche bibl. 43), estime que la cause principale d'une dégradation des terres aussi sévère ne réside pas tant dans un manque de règlements appropriés que dans la légitimisation de l'augmentation de la production à tout prix et une conscience écologique insuffisante des décideurs.