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Programmes d'action forestiers nationaux: outils de mise en oeuvre du développement forestier durable


J. Clément

Jean Clément est Directeur de l'Unité de soutien aux PAFN, FAO.

Les principes fondamentaux que les Programmes d'action forestiers nationaux doivent appliquer pour qu'ils soient de véritables outils de mise en oeuvre des décisions de la CNUED.

Au cours des trois années qui ont suivi le Sommet de la Terre, de nombreux pays ont adapté leurs politiques forestières, et élaboré et mis en oeuvre de nouvelles stratégies et de nouveaux plans visant à améliorer les programmes d'action déjà entrepris. La nécessité d'une approche intersectorielle, holistique et participative est apparue indispensable pour résoudre les grands défis d'un développement forestier durable compatible avec le respect de l'environnement. La cohérence d'ensemble des actions proposées s'est révélée nécessaire pour atteindre les objectifs fixés, et la multiplicité des interactions entre facteurs et acteurs tant intérieurs qu'extérieurs au secteur forestier a clairement justifié une programmation à la fois rigoureuse et souple permettant la meilleure combinaison possible de l'intervention des différentes parties prenantes. Que le résultat de la reconnaissance de ce besoin se nomme stratégie, plan ou programme national peu importe. Ce qui est indispensable c'est son élaboration à partir d'un certain nombre des principes de base énumérés dans les textes adoptés par la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED). Le présent article présente l'approche développée sous le nom de Programme (anciennement Plan) d'action forestier national (PAFN) à partir de l'expérience acquise depuis 10 ans dans le contexte des plans et programmes développés dans le cadre du Programme d'action forestier tropical (PAFT), des plans directeurs de développement forestier élaborés avec l'appui de la Banque asiatique de développement (BAsD) des analyses sectorielles et des Plans d'actions environnementaux soutenus par la Banque mondiale ou encore des Stratégies nationales de conservation de la nature promues par l'Alliance mondiale pour la nature (UICN) et le Fonds mondial pour la nature (WWF). Cette approche a l'avantage d'être basée sur l'expérience concrète de plusieurs dizaines de pays à travers le monde. De récents bilans effectués par plusieurs coordonnateurs nationaux de ces programmes et de ces plans ont montré tout à la fois leur utilité, leurs réussites, leurs échecs et leurs contraintes. Le but de cet article est de souligner les principes fondamentaux qu'il convient d'appliquer pour leur donner à l'avenir toute la qualité et l'efficience nécessaire et en faire de véritables outils de mise en oeuvre des décisions de la CNUED.

LE DÉFI

Le défi pour les responsables des politiques forestières et les planificateurs forestiers

Le défi pour les responsables des politiques forestières et les planificateurs forestiers est de concrétiser des approches intersectorielles tout en maintenant leur compatibilité avec les structures et procédures existantes de planification et d'assurer leur efficacité en tant que cadre conceptuel pour la programmation et la mise en oeuvre d'un ensemble cohérent de mesures et d'actions pour le développement des activités du secteur forestier. C'est dans cette perspective que le Chapitre 11 d'Action 21 de la CNUED invite tous les pays du monde à préparer et à mettre en oeuvre des PAFN comme outils pour la transcription en action concrète des principes et recommandations adoptés par la CNUED.

A vrai dire, les textes adoptés à Rio sont la concrétisation internationale et politique des réflexions et initiatives menées depuis deux décennies par de nombreux spécialistes techniciens, scientifiques et politiques. Il en est ainsi du besoin de reconsidérer les approches traditionnelles de la planification et de la programmation forestière qui ont émergé au cours des années 80 dans de nombreux pays du monde, en particulier dans les pays tropicaux traumatisés par les graves conséquences d'un taux alarmant de déforestation.

Nombreux sont les pays qui ont besoin d'adapter et de réviser leur politique, leur législation, leur stratégie, leur programmation d'action et leur gestion. Comment concevoir ces PAFN pour prendre en compte les principes arrêtés à Rio et les adapter aux problèmes et contraintes du milieu forestier? Comment à la fois satisfaire les besoins propres à chaque communauté et chaque pays et les équilibres globaux nécessaires à la durabilité des conditions physiques et biologiques de la vie? Ces questions ne sont pas propres au secteur forestier uniquement et les réponses ont sans aucun doute, de nombreux caractères communs avec celles relatives à d'autres secteurs. Mais la multiplication des rôles du secteur forestier et les intérêts divers rendent l'approche du développement durable particulièrement complexe et délicate.

DES CONTEXTES NATIONAUX PEU FAVORABLES

Dans maints pays en développement, la forêt a absorbé la pression démographique qui s'exerce sur les terres pour leur mise en culture. Le déboisement est ainsi étroitement lié à la manière dont chaque pays est en mesure d'organiser l'exploitation et le mantien de cette ressource primaire. D'ailleurs, les interventions les plus efficaces contre le déboisement découlent généralement de politiques visant d'autres domaines comme la population, la répartition et la concession des terres, le développement industriel et le commerce.

Pour qu'un plan ou un programme forestier national puisse atténuer ces contraintes, son importance doit être reconnue par les plus hautes sphères politiques, et il doit être intégré à une démarche de planification plus globale, de niveau plus élevé. Il faut donc faire participer les politiciens au processus sectoriel, trouver des arguments politiques convaincants en faveur de la conservation et du développement durable des forêts et créer une "masse critique" de décideurs clés bien informés, dynamiques et déterminés à appliquer le plan ou le programme. Finalement, la mise en oeuvre du programme doit prévoir un mécanisme permettant de faciliter et de surveiller de manière efficace et transparente l'application des politiques et l'efficacité des institutions ainsi que leur évolution en fonction du contexte macroéconomique et des priorités du développement.

Mais au-delà de cet engagement politique nécessaire, subsiste la nécessité pour le secteur forestier de revoir ses conceptions traditionnelles d'approche en matière de planification et de programmation. On constate en effet, dans de nombreux pays (et pas seulement les pays les moins développés), un manque de capacité nationale en matière de planification et de mise en oeuvre de programmes forestiers, permettant d'assurer la viabilité et la durabilité de ces programmes et la pleine adhésion des différents partenaires.

Dans la plupart des cas, les plans et les programmes forestiers reposent largement sur une démarche descendante, tant pour la planification que pour la mise en oeuvre. Cette situation résulte principalement de deux traditions profondément ancrées. Premièrement, un certain nombre de pays ont appliqué une planification centralisée. Deuxièmement, partout dans le monde, la planification forestière est dominée par des technocrates. Il y a encore peu de pays où les collectivités locales ont pu participer activement au choix des objectifs, des stratégies et des démarches ou même être consultées quant à ces choix.

Une des carences les plus évidentes de nombreux plans forestiers est le fait que ceux-ci reposent sur un schéma classique de projets axés sur l'aide extérieure disponible, sans tenir compte des contraintes ou des dynamiques locales existantes, sans se préoccuper des mesures incitatives propres à encourager l'action locale, ni des manières les plus rentables d'utiliser l'aide au développement pour résoudre les problèmes. Dans bien des pays, le gouvernement est maître d'oeuvre des projets financés par l'aide extérieure alors que ses capacités d'intervention sont limitées. Par conséquent, la dépendance envers les donateurs est toujours forte et les activités de développement ont peu d'effets durables.

Les problèmes liés au renforcement des capacités procèdent en partie de la conception du rôle prépondérant des institutions gouvernementales, qui fait en sorte que le renforcement des capacités n'est pas toujours dirigé vers les secteurs où il est aussi indispensable, c'est-à-dire vers les entreprises privées et les organisations non gouvernementales directement reliées à la production. Mentionnons à cet égard le fait que, dans bien des pays, les responsables des forêts hésitent à confier au secteur privé l'exploitation, la transformation et la commercialisation de cette ressource et qu'il est difficile d'utiliser pleinement la capacité des organisations non gouvernementales et des organismes communautaires en matière de vulgarisation forestière.

Un des principaux obstacles au renforcement des capacités locales est la pratique courante, chez de nombreux organismes donateurs et bailleurs de fonds, de mettre en oeuvre les projets et programmes sans passer par les structures administratives régulières qui sont considérées comme manquant d'efficacité et de transparence; en conséquence, des structures parallèles sont créées, ce qui prive lesdites institutions des experts les plus compétents.

L'absence de priorités a été souvent évoquée par les donateurs comme un obstacle important à l'efficience des plans et programmes forestiers nationaux. Cette raison n'est nullement généralisable car, dans les pays en développement qui avaient bien défini leurs priorités, on a souvent observé que les donateurs hésitaient à y donner leur adhésion. Le problème fondamental est qu'il existe pour chaque programme deux ensembles de politiques et de priorités: celui du pays et celui de l'organisme donateur, chacun considérant que ses intérêts sont tout à fait légitimes. Cette situation doit être reconnue ouvertement et des solutions mutuellement acceptables doivent être négociées. Le problème est encore plus complexe dans les nombreux pays en développement qui n'ont pas encore d'institutions démocratiques fortes; en pareil cas, il faudra prévoir des mécanismes spéciaux garantissant que les priorités seront définies en fonction des intérêts de l'ensemble de la société et respecteront, comme il se doit, ceux des groupes minoritaires.

LES PAFN COMME APPROCHE DU DÉVELOPPEMENT FORESTIER

La solution à ces contextes institutionnels, économiques et sociaux souvent difficiles est à rechercher dans l'adoption: i) d'une démarche participative de planification et de mise en oeuvre favorisant l'implication de tous les acteurs qui se sentent concernés par la forêt aux niveaux local, national et global; ii) d'une approche qui aborde les questions forestières dans le contexte plus large des problématiques sociales et environnementales et des liens intersectoriels; et iii) d'une approche qui, assure aussi le développement d'un véritable partenariat entre tous les acteurs en mettant l'accent sur la souveraineté, ainsi que sur les responsabilités de chaque pays vis-à-vis de la gestion de ses ressources forestières.

Encadré: Approches du développement forestier

Cette approche est proposée à l'ensemble des pays de la planète sous l'appellation de Programme d'action forestier national (PAFN) qui constitue un référentiel conceptuel et méthodologique permettant de planifier les activités du secteur forestier (en particulier la contribution des forêts et du secteur forestier aux autres secteurs et initiatives prises aux niveaux national et international). Un PAFN fournit le cadre d'une stratégie cohérente pour l'harmonisation des activités forestières et non forestières (mais liées à la forêt), le contrôle de leur exécution et l'évaluation de leur impact.

Le but d'un PAFN est de promouvoir la conservation, la gestion et l'utilisation durable des ressources forestières pour faire face aux besoins locaux et nationaux et ce, dans le cadre d'un partenariat national et international dont l'objectif global est la durabilité du développement au bénéfice des générations futures. Les principales fonctions des PAFN sont donc: i) d'accroître la prise de conscience des problèmes liés à la surutilisation ou à la mauvaise utilisation des ressources forestières afin de mobiliser les énergies pour renverser ces tendances négatives; ii) d'introduire des approches de planification intersectorielle impliquant tous les partenaires concernés pour la formulation de politiques cohérentes et la mise au point de programmes qui soient en harmonie avec ces politiques; iii) de développer les partenariats aux niveaux local, national et international; et iv) de mobiliser les ressources nationales et internationales pour la mise en oeuvre coordonnée des programmes.

Récente publication PAFT/PAFN

CARACTÉRISTIQUES CLÉs DES PAFN

Un processus à long terme dirigé par les pays concernés

En tant qu'aproche de planification, un Programme d'action forestier national est un processus à long terme qui met l'accent sur les réformes politiques et la construction ou l'amélioration des capacités nationales de gestion et de mise en oeuvre de programmes d'action. Cette approche comprend une analyse de la situation à la lumière des objectifs nationaux de développement, la préparation et l'analyse de scénarios de développement, le choix d'une politique forestière et d'une stratégie de mise en oeuvre ainsi que la mise au point d'un plan d'action. Les performances et l'impact du PAFN sont évalués de manière continue afin de permettre sa mise à jour périodique.

Un PAFN est un processus continu et récurrent. Il devrait tenir compte des éléments de planification qui ont déjà été plus ou moins élaborés, ainsi que des programmes et projets en cours d'exécution. Le contrôle continu est particulièrement important et doit être mis en place dès le lancement de la phase de planification; la mise au point d'outils de suivi et de contrôle appropriés est absolument indispensable.

Enfin, la préparation d'un PAFN est une initiative nationale pour laquelle le pays endosse sa pleine responsabilité. Même si, pour de nombreux pays démunis, une aide extérieure paraît nécessaire pour la mise en route du Programme, celui-ci doit être pleinement dirigé par les pays.

Encadré: Mise en oeuvre du PAFN au Cameroun

Un partenariat dans lequel le mot d'ordre est la participation

Le processus PAFN a pour caractéristique de rompre la barrière entre les "initiés" et "spécialistes" de la forêt et "les autres" afin de permettre une analyse franche et transparente des relations qui existent entre le secteur forestier et les différents éléments sociaux, politiques et économiques qui engendrent les contraintes auxquelles le secteur doit faire face. Les interdépendances et les interrelations ne peuvent être reconnues qu'à travers ce partenariat. Ces partenaires nationaux sont multiples car ils ne comprennent pas seulement les agents de l'Etat: fonctionnaires, techniciens, politiques, mais également les représentants des organisations non gouvernementales, ceux des groupements professionnels, des groupements villageois, des peuples vivant dans les forêts, des entreprises privées, des associations, etc.

Un PAFN s'efforce essentiellement d'apaiser les conflits d'intérêt en encourageant les débats entre les différentes parties prenantes. En effet, sans la participation active de tous les partenaires, les PAFN ont de faibles chances d'atteindre leur objectif de gestion durable des ressources forestières.

Parmi les objectifs de cette participation, on retiendra:

Il existe différentes étapes à franchir pour parvenir progressivement à un degré satisfaisant de participation. La première concerne le stade de la consultation qui devrait permettre la libre expression des opinions, puis la participation concrète dans les débats et, enfin, la participation aux prises de décision. La pleine participation découle d'interactions permanentes qui doivent favoriser toutes les parties. Enfin, la participation est un processus coûteux qui demande la mobilisation de moyens suffisants. En particulier, la transparence des informations, la diffusion de celles-ci et leur accessibilité (par exemple du point de vue linguistique) requiert une disponibilité permanente de ressources et de talents.

Encadré: Remodelage d'un PAFN: l'expérience de l'Equateur

Une approche holistique, intersectorielle et multidisciplinaire

Le contexte dans lequel les PAFN sont élaborés est celui d'une vision large et holistique de ce que le secteur forestier représente avec ses composantes et ses enjeux. Par secteur "forestier", il faut entendre toutes activités liées aux forêts et aux ressources forestières, ainsi que les êtres humains qui y vivent et/ou qui y travaillent.

L'approche holistique suggérée par les PAFN implique donc que:

D'un point de vue opérationnel, il est donc essentiel que le processus de mise en oeuvre des PAFN examine de façon approfondie les liens et impacts intersectoriels, et clarifie les problématiques communes entre le secteur forestier et de nombreux autres secteurs. L'aboutissement de cette analyse intersectorielle se situe dans la pleine intégration du PAFN dans la stratégie nationale de développement et son harmonisation avec les plans de développement subnationaux et locaux existants. En fin de compte, un grand nombre des actions dites "forestières" menées au niveau local n'auront de sens que si elles sont conçues comme éléments constitutifs d'une action intégrée de développement local multisectoriel.

Enfin, l'approche PAFN ne peut être multidisciplinaire que si l'on évite qu'elle soit confisquée par des forestiers. Les biologistes, les agronomes, les économistes, les sociologues, les ethnologues doivent non seulement être consultés, mais faire partie des équipes de réflexion, de proposition et de mise en oeuvre des décisions prises.

Encadré: Formulation de politiques et de stratégies au Viet Nam

CONCLUSION: LA DURABILITÉ, UN OBJECTIF ET UN ÉTAT D'ESPRIT

La durabilité ne peut être considérée uniquement comme un objectif. Elle doit être vécue. C'est au fond la révolution proposée par la démarche des PAFN. Les étapes de l'analyse, de la formulation des politiques, stratégies et programmes doivent être pleinement inspirées par le critère de durabilité. Les politiques et programmes doivent être techniquement applicables, financièrement viables, socialement acceptables, environnementalement sains et, enfin, institutionnellement durables. La forêt et la foresterie ne s'accommodent pas d'àcoups, de ruptures brutales, de changements fréquents d'orientation. Puisque les enjeux complexes du monde d'aujourd'hui exigent un changement, celui-ci doit être pleinement nourri de cette exigence de durabilité. L'avenir de la forêt, l'avenir de la planète est à ce prix.

Notre façon de faire et les valeurs qui sous-tendent nos actions sont actuellement remises en question. Le développement durable catalyse ce changement et nous incite à agir, à réfléchir, à changer nos habitudes et nos attitudes. Le développement durable ne peut se réaliser sans la volonté de chacun de mieux connaître son environnement et de prendre des décisions éclairées. Il nous faut réaliser le dur passage de l'"égocitoyen" à l'"écocitoyen", selon l'habile formule de Joël de Rosnay. Il n'en tient qu'à nous de réviser nos choix pour notre bénéfice et celui des générations futures.


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