Page précédente Table des matières Page suivante


Première session: Problématique de la filière lait de chèvre dans le bassin méditerranéen


Situation du secteur caprin au Maroc
La problématique caprine laitière: Le cas du Maroc
Le secteur laitier caprin en Espagne: L'exemple de la région de Murcia


La construction des filières laitières caprines en est à ses premiers stades dans la plupart des pays méditerranéens: tel est le constat qui se dégage de la confrontations des différentes expériences. L'élevage caprin apparaît généralement comme un sous-produit du troupeau ovin, plutôt que comme un atelier indépendant; le fait est que les deux espèces sont complémentaires pour l'exploitation des parcours, plutôt que concurrentes. Si le lait des meilleures laitières est souvent prélevé, c'est le plus souvent à des fins d'autoconsommation, ou pour le mélanger au lait de vache ou de brebis: la vocation première de l'activité caprine est la production de viande. Un secteur laitier caprin totalement différencié tel qu'en Poitou-Charentes est donc chose rare dans la région.

Car le processus d'émergence d'un véritable secteur caprin, distinct du secteur ovin, suppose la sécurisation de ses facteurs de production et d'écoulement, corollaire d'une certaine spécialisation. Cette nécessaire sécurisation est loin d'être la règle dans le pourtour méditerranéen. En premier lieu, une filière lait caprine différentiée suppose un marché suffisant et substantiel. Or, le lait de chèvre n'est pratiquement jamais consommé en frais. Reste le fromage. Mais la tradition d'un fromage pur chèvre est plutôt rare, et quand elle existe, reste très confinée. En effet, le goût "chèvre" est souvent peu apprécié, jugé trop fort par des consommateurs plus habitués au fromage de vache ou de brebis. Cependant - et le cas français en est une belle illustration - les goûts se forment et évoluent, et des marchés conséquents sont susceptibles de se développer rapidement, en milieu urbain particulièrement.

Si la mise en place d'une petite industrie de transformation - pour répondre à une demande qui se précise et s'affirme - est une opération finalement assez aisée, il n'en est pas autant de la "réforme" des modes de production. En effet, les systèmes d'élevage caprin reposent très généralement sur l'utilisation des ressources des parcours, souvent assez pauvres, sujets à d'importantes variations saisonnières de leur productivité, et dont l'accès est rendu parfois très difficile par les politiques "anti-chèvre" des services forestiers nationaux. Les cycles reproductifs sont eux-mêmes calés sur la disponibilité fourragère, ce qui signifie des lactations courtes, et une quasi interruption de quatre à cinq mois de la production du troupeau, les bêtes étant très saisonnées. Caractéristiques des zones marginales de montagne qu'aucun autre ruminant que la chèvre ne serait en mesure de valoriser, les exploitations caprines sont l'expression d'un milieu compartimenté: isolées, travaillant et évoluant individuellement, presque indépendamment les unes des autres. L'organisation collective que suppose la mise en place d'une filière est donc largement inconnue, étrangère aux habitudes et aux moeurs de sociétés qui restent, à l'orée du vingt-et-unième siècle, structurées sur des bases claniques. Le désenclavement économique, que permettrait l'amélioration des réseaux routiers et d'adduction d'eau et d'électricité, n'est donc pas une condition suffisante; une "refonte" du secteur caprin requiert également la transcendance de cet héritage culturel et social.

Situation du secteur caprin au Maroc

Dr. Abderrahman BENLEKHAL et M. Saïd TAZI

MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE ET DU DÉVELOPPEMENT RURAL.
DIRECTION DE L'ÉLEVAGE

1. Présentation du secteur

Le cheptel caprin au Maroc compte un effectif de près de 4,4 millions de têtes, dont 3,8 millions de chèvres (statistiques 1994). Il est caractérisé par son adaptation aux conditions climatiques du pays, et se trouve concentré essentiellement dans les zones de montagne et de parcours dégradés, où il constitue une activité économique importante de la population.

Sur le plan social, la chèvre contribue à la formation du revenu et à la couverture de besoins en lait et viande d'une large couche de la population dans la plupart des zones difficiles.

Par ailleurs, l'élevage caprin assure l'approvisionnement en matières premières (peaux, cuir, poil...) de l'artisanat et l'industrie de cuir.

1.1. Effectifs

L'effectif du cheptel subit des fluctuations annuelles, dues notamment aux effets des conditions climatiques (figure: 1).

Mais durant les 5 dernières années, l'effectif a connu une régression de l'ordre de 20% dont la plus importante a été enregistrée en 1994 (23%).

Fig. 1 Évolution des effectifs des caprins

Fig. 2 Répartition géographique des caprins

1.2. Les races caprines

Les caprins marocains sont caractérisés par leur grande diversité et leur hétérogénéité qu'ils doivent au brassage incontrôlé entre les différents types. Il s'avère donc difficile de distinguer des entités génétiques bien définies (race).

En absence d'études précises sur la caractérisation des races, plusieurs enquêtes se sont intéressées à la description des populations typiques localisées dans des zones géographiques et présentant des caractéristiques différentes:

Quatre types ont été alors décrits:

- La population caprine du nord, de couleurs différenciées rappelant celles des races espagnoles, types Murcia, Malaguena, Andalouse. Ce sont des animaux de taille relativement grande, de robe de différentes couleurs (marron, blanc, noir, tacheté), avec des signes laitiers apparents: (finesse de la peau, taille du pis...)

- Une population caprine de montagne localisée autour de Moyen et Haut Atlas (animaux de poils longs et noirs couvrant tout le corps, de petite taille, très habile et marcheurs).

- Des populations particulières telles que celles des Oasis (Draa) de robe hétérogène (marron, noir, tacheté...), très prolifiques, mais avec une production laitière plus ou moins importante.

- Une population des races importées "Alpine" et la "Saanen" peuplant essentiellement quelques fermes privées ou stations de l'État (Chefchaouen, Haouz).

1.3. Les systèmes de production (description sommaire)

Le système d'élevage le plus répandu est le système pastoral basé presque exclusivement sur l'utilisation des parcours et des forêts. Ces derniers fournissent selon les années et les régions, entre 75 et 90 % des besoins alimentaires.

Le deuxième système est du type agro-pastoral où les animaux vivent sur les résidus des cultures, les chaumes, et reçoivent une supplementation en orge et en légumineuse (féverole).

Ces deux systèmes sont caractérisés également par une conduite traditionnelle de la reproduction. La présence en permanence des boucs avec les reproductrices donne lieu à des chevrettages presque toute l'année, avec un pic en février-avril.

Le troisième système est du type semi-intensif, en train de se développer dans certaines zones, notamment le nord, et à proximité de quelques centres urbains (Tanger, Rabat-Salé, Tétouan, Nador, Larache).

Le système intensif, à base de races améliorées pour la production laitière, commence à se développer dans certaines zones, notamment au voisinage des centres urbains où la demande en fromage commence à se développer.

1.4. Production et consommation

1.4.1. La viande

La production de viande caprine à l'échelle nationale est évaluée à 20 000 tonnes, soit 7% de la production nationale en viande rouge.

Selon les statistiques d'abattage, les zones les plus consommatrices en viande caprine sont: Ouarzazat, Azilal, Haouz, Tafilalet, Guelmim, Al Hoceima, Chefchaouen.

1.4.2. Le lait

La production de lait de chèvres est estimée à 30 millions de litres (1994), soit 4% de la production nationale.

Cette production est orientée essentiellement vers l'auto-consommation. Sa valorisation sous forme de fromage est le fait des femmes d'éleveurs et concerne de très faibles volumes. Le passage au stade artisanal ou semi-industriel en est encore à sa phase de démarrage (Tanger, Tétouan, Chefchaouen, Larache, Rabat, Haouz, Ouarzazate...).

2. Actions de développement

Quoique le cheptel caprin ait été relativement marginalisé depuis les deux dernières décennies, ce secteur bénéficie d'un regain d'intérêt, plus particulièrement depuis 1989, à l'issue du 1er séminaire national tenu à Ouarzazat.

Des actions de développement de cet élevage ont été lancées et ont porté sur les trois principaux axes suivants:

- l'encadrement sanitaire
- l'amélioration génétique;
- le soutien à la valorisation de la production laitière.

2.1. Encadrement sanitaire

Le cheptel caprin bénéficie d'interventions sanitaires organisées dans le cadre du programme global mené par la Direction de l'Élevage.

Ces actions portent sur:

- La lutte contre les parasitoses
- Mesures d'éradication de certaines maladies d'apparition récente (CAEV)

2.2. Amélioration génétique

La population caprine constituée de types dits "locaux" présente deux caractéristiques majeures:

- une faible productivité (lait, viande);
- une adaptation aux conditions du milieu.

Aussi, l'amélioration des niveaux de performance de ce cheptel semblait-elle passer inéluctablement par l'introduction de races performantes, afin d'améliorer la valorisation économique des ressources fourragères de l'exploitation.

Dans ce cadre, les efforts consentis ont porté sur:

- la création d'unités de sélection à base de races améliorées importées: deux unités étatiques ont été créées (Chefchaouen, Haouz), et quelques unités privées (Fès, Tanger). Ces unités ont été peuplées de race Alpine et Saanen; elles ont pour mission la multiplication de reproducteurs sélectionnés et leur diffusion auprès des éleveurs, pour le croisement du cheptel local et l'amélioration des performances laitières.

- sélection de certaines races locales d'intérêt économique (Draa à Ouarzazat).

La mise en place de ces unités a constitué un premier noyau et un point de départ pour l'amélioration de la productivité caprine chez les éleveurs. Cependant, l'apparition de certaines maladies (encéphalo-arthrite virale caprine: CAEV) dans les centres utilisant des reproducteurs importés a entraîné une révision radicale du système d'intervention. La diffusion de la race améliorée a été alors suspendue.

Cependant, si le croisement du cheptel local par la race améliorée constitue une voie rapide pour l'accroissement de sa productivité, d'autres voies paraissent actuellement susceptibles d'être explorées avec profit, telles que l'insémination artificielle (mais son extension risque fort de rester trop limitée), ou la "sélection massale", notamment du cheptel des provinces du Nord; dont les performances offrent de grandes variabilités susceptibles d'une amélioration à court et moyen terme.

2.3. Soutien à la valorisation de la production laitière

L'amélioration de la production laitière caprine entreprise depuis 1990 devrait générer un surplus susceptible d'être valorisé en produits de haute valeur ajoutée.

Dans cette optique, un projet pilote a été réalisé à Chefchaouen avec le soutien de la FAO. Ce projet s'est matérialisé par la création d'une fromagerie qui devait être alimentée dans une première phase à partir de la chèvrerie pilote, puis à partir de la production laitière des éleveurs de la zone. Aussi, une coopérative de producteurs a-t-elle été crée, laquelle s'est vue confier la gestion de l'unité.

D'autres fromageries ont vu le jour à Ouarzazat, Haouz, Douiet et Tanger.

Actuellement, la quantité de lait traite dans ces fromageries industrielles avoisine les 1000 litres de lait par jour; elle reste en deçà des objectifs escomptés (2000 kg/j).

Parallèlement aux actions de développement de la production caprine ci-dessus évoquées, d'autres mesures ont été entreprises pour renforcer le programme notamment le soutien à l'organisation d'élevage caprin (coopératives, associations...). La dotation des éleveurs en aliments de bétail dans le cadre des opérations de vulgarisation, l'organisation de foires-concours, comme moyen de sensibilisation et d'incitation des éleveurs à la promotion de la chèvre.

3. Les niveaux de performances

Peu d'études se sont intéressées à l'évaluation des niveaux de performances des caprins dans les différents systèmes de production. Les données disponibles restent d'une portée limitée et manquent souvent de précision, à l'exception de certaines unités récemment installées et où le cheptel est soumis au contrôle des performances (Douiet, Ouarzazat, Haouz).

3.1. Performances laitières

Le tableau ci-après résume quelques données sur les performances laitières des populations caprines selon les zones concernées.

Populations caprine

Zone ou Lieu

Production moyenne (kg)

Durée de lactation

Référence

Locale

Haut Atlas

44

-

Bourbouze 1976

Drâa

Ouarzazat (station)

153

150 jours

Ezzahiri/Benlekhal

Murciana

Ouarzazat (Skoura)

142

150 jours

Ezzahiri/Benlekhal

Locale

Loukkos

67

140

Projet Haut Loukkos (1983)

(*) ORMVA Ouarzazat (1989)

De ces éléments, il se dégage que les niveaux de performance sont relativement faibles, mais la variabilité reste grande, d'où la possibilité d'une sélection massale, à même d'accroître les performances à moyen terme, si les conditions d'élevage s'améliorent au préalable.

3.2. La croissance

Ce paramètre fait rarement l'objet d'une mesure objective et précise, les données disponibles proviennent en majeure partie d'études ou d'enquêtes menées dans le cadre des travaux de mémoire de fins d'étude (IAV Hassan II, ENA Meknès).

Selon ces sources, les gains moyens quotidiens de 0-30 jours varient 34 à 76 g/j (Ouarzazat - Essaouira); et de 30-90 j de 40 à 60 g/j (Haut Atlas).

Quoiqu'il en soit, ces données ne reflètent pas les niveaux réels de production, et restent insuffisantes pour pouvoir juger ou analyser les niveaux de performance des populations caprines dans l'ensemble des systèmes de production.

3.3. Les performances de reproduction

Les principaux paramètres de reproduction obtenus, par enquête dans certaines provinces du nord sont résumées ci-après:

Paramètre

Zone

Valeurs

- Taux de fertilité

Tétouan

80 %

- Taux de fécondité

Tanger

90 - 95 %

- Taux de prolificité

Tanger

1,3 à 1,50

- Intervalle entre deux mises-bas

Haouz

10 mois - 13 mois

Les performances de reproduction de la population caprine sont relativement satisfaisantes, les taux de fertilité et de prolificité sont élevées, ce qui serait en concordance avec la vocation "viande" d'une grande partie du cheptel caprin, où le taux de productivité numérique dépasse 100% (nombre de chevreaux produits par femelle en production), d'où une productivité en viande variant de 12 à 20 kg/UZ/an.

4. Les contraintes

Le diagnostic sommaire de la situation actuelle de l'élevage caprin au Maroc fait ressortir un retard net de développement par rapport aux autres secteurs (bovin, ovin...). Cette situation est la résultante de multiples facteurs qui n'ont cessé de peser sur l'évolution favorable de l'élevage de la chèvre et de la transformation des systèmes de production. Cette évolution s'est heurtée à diverses contraintes d'ordre structurel, socio-professionnel, environnemental, économique et technique.

4.1. Contraintes d'ordre structurel

Le gradient de répartition des caprins en fonction du relief et leur occurrence majeure dans les zones défavorisées ont sérieusement limité les possibilités de développement de cet élevage (manques de ressources, érosions sévères, inaccessibilité des zones...).

4.2. Contraintes liées à l'environnement

La chèvre a toujours été considérée comme une espèce dévastatrice des plantations forestières et arboricoles; à ce titre elle est souvent taxée d'"ennemie" de l'environnement, et son accès aux parcours restreint, ce qui l'expose à des pénuries alimentaires de plus en plus graves et la prive de ressources fourragères appréciables.

4.3. Contraintes d'ordre socio-professionnel

L'éleveur caprin, de par son cantonnement en zones défavorisées et d'accès difficiles, et son faible niveau d'instruction, reste à l'écart de toute innovation ou forme d'organisation à même de lui permettre de bénéficier d'un appui technique et professionnel approprié.

4.4. Contraintes d'ordre technique

Elles sont multiformes:

- Un système d'élevage mal connu et par conséquent une approche de développement pas toujours objective.

- une population caprine mal définie et à potentiel génétique limité.

- une conduite alimentaire, de reproduction, d'hygiène et habitat exposant le cheptel à des pénuries ou à des maladies pouvant entraîner des pertes graves.

Ces contraintes sont d'autant plus accentuées que les recherches restent encore timides et l'encadrement est très limité, voire inexistant.

4.5. Contraintes d'ordre économique

Les coûts des facteurs de production (aliments, produits vétérinaires) compares à la rémunération des produits caprins (notamment du lait) limitent toute possibilité de développement et découragent les éleveurs à améliorer leur production (la marge brute par chèvre et par an ne dépasse pas en moyenne 300 DH/an).

5. CONCLUSION - Vers une filière caprine

L'élevage caprin au stade actuel reste un secteur peu productif, malgré certaines potentialités et la vocation naturelle de certaines zones.

Les questions que nous poserons en guise de conclusion, et dans une perspective d'action à long terme seraient alors:

Dans quelles conditions l'élevage caprin contribue-t-il réellement et efficacement à la sécurité alimentaire des populations?

Quel serait alors le modèle de production compatible avec les données techniques, économiques et socio-professionnelles du secteur; autrement dit peut-on s'orienter vers une activité économique rentable, induisant l'émergence de groupements professionnels (producteurs, transformateurs...) capables de prendre en charge une filière spécialisée et performante? Dans cette perspective, une stratégie en matière de systèmes de production s'avère indispensable...

La problématique caprine laitière: Le cas du Maroc

Professeur A. EL AICH
INSTITUT AGRONOMIQUE ET VÉTÉRINAIRE HASSAN II - RABAT

INTRODUCTION

Au Maroc, comme tous les pays méditerranéens, l'élevage des caprins une activité majeure des zones de montagne et des régions arides. En effet, l'élevage caprin, dont l'effectif avoisine cinq millions de têtes, assure en plus des productions de viandes, lait et poils une multitude de rôles.

Concernant la production de lait, la quantité de lait trait de chèvre a oscillé entre 19,5 millions et 42,6 millions de litres au cours de la période 1960 - 1980 (F.A.O. 1986). Le lait trait de chèvre est souvent transformé en fromage, mélangé au lait des autres espèces, de vache principalement. La production nationale de fromage, toute origine du lait confondu, à partir des unités industrielles, est passée de 3 235 tonnes en 1980 à 7 839 tonnes en 1990 (M.A.M.V.A. 1990). Cette timide production illustre parfaitement la problématique du secteur caprin laitier et nous conduit à nous poser les questions suivantes: (1) existe-t-il réellement une filière de lait de chèvre au Maroc? (2) les races de chèvre laitières sont-elles bien caractérisées? (3) les systèmes de production de chèvres sont ils bien connus? Dans cette présentation, nous essayerons de traiter ces 3 questions en situant la problématique marocaine dans un contexte méditerranéen.

1. Présentation

1.1. Une répartition orientée vers les zones défavorisées

Concernant la répartition de l'élevage caprin à l'échelle nationale, il est localisé essentiellement en zones de montagne, notamment le Rif, le Haut Atlas et l'Anti-Atlas. Sur le plan bioclimatique, l'abondance des caprins est donc liée à l'augmentation du degré d'aridité. En effet, les caprins colonisent surtout les écosystèmes arides à pré-sahariens. La proportion des caprins dans ces zones oscillent entre 30 et 55%. Leur part dans les milieux plus favorables (périmètres irrigués et bour) est très faible et ne dépasse guère 1 à 2%.

Sur le plan des formations végétales, la distribution des caprins est intimement liée à la proximité des forêts. L'élevage caprin est associé essentiellement aux parcours forestiers à base d'arganiers, de genévriers, de thuya et de chêne. Naggar (1989) estime la proportion du troupeau caprin pâturant en forêts à 83.3% en comparaison à 27.7 et 29.6% respectivement pour les ovins et les bovins.

1.2. Un élevage caprin en régression

La population des caprins au Maroc, à l'image de celle du Bassin méditerranéen, a diminué significativement durant les trente dernières années. Les données de la F.A.O. indiquent une régression annuelle de l'ordre de 0.50% entre 1976 et 1992 pour les pays du Bassin méditerranéen (El Aïch et al 1995). Cette diminution trouve son explication dans: (1) la diminution de la population rurale, (2) l'intensification de la production caprine et les choix pour des races plus performantes, (3) la conduite des caprins dans les zones marginales, (4) l'intensification des systèmes de productions, et (5) les "législations anti-chèvre".

A l'échelle nationale, l'effectif total des caprins est passé de 8 millions en 1960 à 4,6 millions en 1991, soit une baisse de 43% (taux annuel moyen de baisse de 1,4%). La baisse importante des effectifs a pour cause la sécheresse des années 1981-82 et la législation forestière qui entrave la reconstitution du cheptel caprin. En effet, la législation forestière situe le troupeau familial à 8 caprins ou 40 ovins ou 8 bovins, et définit les redevances de parcours en forêts pour les caprins à deux fois celles pour les ovins.

1.3. Une multitude de rôles pour l'élevage caprin

Dans leur discussion sur les systèmes d'élevage méditerranéens, El Aïch et al (1995) soulignent le caractère multi-fonctionnel que revêt l'élevage caprin. Les chèvres constituent en effet un moyen de valoriser des terroirs de moindre qualité. Elles permettent de mobiliser des ressources collectives. C'est aussi, en plus du rôle d'épargne, une source de trésorerie qui permet l'investissement et la prise de risques dans d'autres activités. Enfin, elles représentent une opportunité de s'installer avec peu de capital. Les caprins font partie d'une stratégie anti-aléatoire globale des éleveurs dans les milieux exposés (steppe, arganeraies,...). En effet, le risque de perdre une brebis lors d'une année de sécheresse est supérieur au risque de perdre une chèvre.

Les caprins assurent aussi, dans les systèmes de production, une complémentarité avec les ovins. En effet, les produits de la chèvre sont souvent destinés à l'autoconsommation ou l'approvisionnement en denrées alimentaires pour la famille. L'abattage d'un chevreau pour l'autoconsommation est ainsi plus fréquent que celui d'un agneau. La chèvre est plus souvent traite pour les besoins de la famille en lait que la brebis. Le tableau 1 situe dans le Haut Atlas les niveaux de production comparées des ovins et des caprins et la part revenant à l'auto-consommation.

Tableau 1. Niveaux de productions comparées des ovins et des caprins et la part de l'autoconsommation dans le Haut Atlas (Bourbouze, 1983)


 

Brebis

Chèvre

poids vif (kg)

laine (kg)

poids vif (kg)

poil (kg)

Produit brut par femelle

10.00

1.80

11.00

0.25

Autoconsommation

1.00

0.60

2.70

0.25

Proportions de l'auto-consommation (en %)

10

33

25

100

1.4. Une population caprine très peu caractérisée

El Aïch et al (1995), en analysant, dans les différents systèmes de production caprins méditerranéens, les races utilisées, en distinguent trois type:

(1) celles qui colonisent les zones arides, en association avec les ovins, avec la viande comme principale production. Les populations des chèvres de l'Atlas et du Nord peuvent être incluses dans cette catégorie;

(2) celles élevées dans les systèmes semi-extensif;

(3) celles conduites dans systèmes intensifs. Les populations des oasis font partie de ce groupe.

2. Trois principaux système de production

Trois types de systèmes de production prévalent au niveau du bassin méditerranéen. Un premier système repose sur l'utilisation de la végétation spontanée. Le deuxième système est basé sur l'utilisation de la végétation spontanée et l'apport d'aliments aux chevrettes pour une production laitière soutenue. Le troisième système de production est le système de production intensive. Ces différents systèmes différent dans leurs objectifs et leurs modes de conduite et de gestion. El Aïch et al (1995) ont passé en revue la caractérisation de ces différents systèmes de productions et leurs possibles évolutions.

2.1. Le système de production extensif

Le système de production extensif prévaut dans les zones difficiles où aucune autre spéculation ne peut être conduite. Les races élevées sont rustiques, avec une production orientée vers la viande. L'objectif recherché dans ce système de production est la valorisation des ressources de l'environnement. Nous pouvons inclure dans ce type de système de production ceux: (1) du Sud-Ouest marocain, (2) le Haut Atlas et (3) les zones de parcours.

2.1.1. Le système de production du sud-ouest marocain

Cette région s'étend sur la plaine du Sous, très pauvre sur le plan pastoral (dominée par les espèces épineuses et les euphorbiacées), le Haut Atlas Occidental et l'Anti-Atlas Occidental. Le climat est aride, en général, avec l'apparition en altitude d'un étage semi-aride. Les formations forestières dominantes sont en altitude le thuya et la chênaie. En plaine et jusqu'à 500 à 700 m d'altitude sur le Haut Atlas Occidental et 1000 à 1500 m sur l'Anti-Atlas Occidental, on trouve l'arganeraie.

Les arganeraies du Sud Ouest marocain regroupent environ 26 à 30% du cheptel caprin national. Le système agraire repose sur trois composantes qui sont l'orge, l'arganier et la chèvre; El Aïch en 1995 a analysé le fonctionnement de ce système et le rôle que joue la chèvre.

2.1.2. Le système de production du Haut Atlas de Marrakech

Le système agraire des bassins versants de cette partie du Haut Atlas (c.a.d. Azzaden et Reraya) présente deux composantes. Une première composante agricole avec une partie intensive irriguée, caractérisée par la petitesse des exploitations (0.5 ha en moyenne), morcelées en terrasses de taille très réduite (120 à 150 m2). La deuxième composante pastorale repose sur l'exploitation des bassins versants occupés par des forêts et un matorral plus ou moins dense de genévrier thurifère, chêne vert, adénocarpe, retam et xérophytes épineux. Ces terroirs pastoraux sont utilisés surtout par les troupeaux des petits ruminants. Environ 20% du cheptel national caprin est élevé dans cette région.

Les caprins sont exploités en troupeaux réduits, souvent associés aux ovins. Plus de 50% des troupeaux sont composés des deux espèces (Chami 1982). La taille moyenne du troupeau caprin est de 17 têtes par exploitation, avec une majorité de troupeaux à moins de 20 têtes.

2.1.3. Les systèmes de production du Rif

Le Rif avec ses trois domaines: le Rif Occidental (Tetouan-Chaouen) à bioclimat sub-humide à per-humide frais à tempéré, le Rif Central (Bab Taza à Al Hoceima) à bioclimat semi-aride et le Rif Oriental (Al Hoceima-Nador) caractérisé par un bioclimat semi-aride à aride présente un système agraire caractérisé par la céréaliculture, une végétation forestière naturelle et un élevage de chèvre. La taille des troupeaux caprins est réduite, 85% des troupeaux ont moins de 20 têtes (Ben Lakhal et Kabbaj 1989).

2.1.4. Le système de production des parcours

Ce pôle regroupe le versant Sud du Haut Atlas et l'Anti-Atlas oriental et central avec un prolongement jusqu'à la région d'Errachidia, les Hauts Plateaux de l'Oriental (région de Figuig-Oujda) et les dans zones pré-sahariennes de Goulemime, où les caprins sont conduits avec les dromadaires. La végétation est dominée des formations pré-forestières à genévrier et à chênaie, avec des steppes dominées par l'alfa et l'armoise dans les piémonts. Les mêmes formations se retrouvent au niveau de l'Anti-Atlas, auxquelles succèdent les hamada subdésertiques avec, vers le Sud, des formations steppiques à désertiques dominées par Randonia africana et Acacia radiana. Le bioclimat est aride à semi-aride sur les reliefs et subdésertique sur les hamada. Les caprins de parcours dénommés "irehhaln" sont acclimatés à faire des longs déplacements, à pâturer en hiver sur la plaine et en été sur les parcours de montagne (Azzimani 1992). Environ 20% du cheptel national des caprins sont élevés dans ces parcours. Le système alimentaire des caprins repose sur l'utilisation des parcours collectifs et les résidus de l'agriculture.

2.2. Le système de production intensif

Nous pouvons inclure dans cette catégorie les élevages caprins périphériques des agglomérations et ceux des oasis.

Cas des caprins "D'man":

Les chèvres "D'man" bénéficient d'un mode de conduite particulier. En effet, l'alimentation de la chèvre D'man est apportée sur place et constituée principalement de luzerne verte, de foin de luzerne, de déchets de dattes et de paille. La complémentation automnale et hivernale est constituée de maïs, d'orge, de son et de pulpe de betterave sèche (Ezzahiri et Benlakhal 1989).

3. Des productions caprines très faibles

3.1. La production laitière

La production laitière moyenne à l'échelle nationale est de 30 litres par chèvre (DPAE 1977). Dans le sud du Maroc, la production laitière et la durée de lactation des chèvres D'man, estimées par Ezzahiri et Benlakhal (1989) sont résumées dans le tableau 2. Dans les élevages de la race caprine "D'man", Hachi (1990) note une variation de la production laitière de 500 à 2600 g/j et de la durée de lactation de 3 à 8 mois.

Tableau 2. Production laitière chez les chèvres D'man (Ezzahiri et Benlakhal 1989).


Moyenne

Écart type

Mini

Maxi

Quantité produite par an (l)

84.2

57

30

200

Production journalière (l)

1.0

0.4

0.25

2.5

Durée de lactation (j)

85

18

60

150

La chèvre D'man produit légèrement plus de lait que celle du Nord. Le tableau 3 compare les productions laitières et les durées de lactation des chèvres conduites dans des différentes régions du Maroc.

Tableau 3. Comparaison des productions laitières (en litres) et durées de lactation (en jours) de chèvres dans différentes régions du Maroc (Ezzahiri et Benlakhal 1989).

Populations

Lieu

Production laitière (l)

Durée de lactation (j)

Références

D'man

Station de Tinzouline

153

150

Ezzahiri et Benlakhal, 1989

Murciana

Station de Skoura

142

150

Ezzahiri et al, 1985

Nord

Station de Skoura

125

150

Ezzahiri et al, 1985

Locale

B. Sebou

38-57

-

Projet Sebou

Locale

H. Atlas

44

-

Bourbouze, 1976

3.2. Les performances de croissance chez les jeunes

Dans les conditions d'élevage en station de Tinzouline et de Skoura (région de Ouarzazate), le poids moyen à la naissance atteint 2.25 +/- 0.48 kg. Chez les éleveurs, les poids à la naissance enregistrés sont beaucoup plus faibles. Chami (1982) et Chraibi (1985) rapportent, pour les troupeaux caprins du Haut Atlas, des poids à la naissance qui varient entre 1,3 kg et 1,5 kg. Dans les troupeaux caprins de l'Anti-Atlas, Boudiab (1981) indique un poids moyen à la naissance de 1,50 kg. Les suivis effectués dans l'arganeraie d'Essaouira indiquent un poids moyen à la naissance de 1,5 kg (De Ponteves, 1989).

Les vitesses de croissance réalisées par les jeunes caprins sont généralement faibles. A Ouarzazate, la croissance entre 10 et 30 jours, liée étroitement à la production laitière de la mère, est en moyenne de 34 g/j. Pour la même période (0-30 jours) la vitesse de croissance moyenne est 76 g/j dans les élevages d'Essaouira (De Ponteves, 1989). De 30 à 90 jours, la croissance enregistrée est de l'ordre de 31 g/j (Boudiab, 1981). Dans le Haut Atlas, les vitesses de croissance sont de 40 g/j et 37 g/j respectivement pour les périodes de 10-30 jours et 30-90 jours (Chami 1982). Chraibi (1985) signale des croissances plus élevées dans la vallée de l'Azzaden, 83 g/j et 60 g/j pour les mêmes périodes. Le gain moyen quotidien des chevreaux "D'man" élevés en station, entre 0 et 30 jour, est de l'ordre de 111 g/j (Hachi 1990).

Entre 30 et 90 jours, les vitesses de croissance restent très faibles en raison du manque de disponibilité et de la médiocre qualité des aliments. Dans le Haut Atlas, les jeunes caprins enregistrent des gains de poids quotidiens (G.M.Q.) de l'ordre de 36 g/j pour Chami (1982) et 55 g/j pour Chraibi (1985). Dans les parcours de l'Anti-Atlas, Boudiab (1981) note un G.M.Q. qui ne dépasse pas 30 g/j, alors que De Ponteves propose un gain moyen quotidien de 90 g/j dans les parcours d'Essaouira. En station, Ezzahiri et Benlakhal (1989) rapportent un G.M.Q. de 95 g/j pour la race D'man.

Ces valeurs de GMQ compromettent la croissance et conduisent à des poids adultes très faibles. A titre d'exemple, Boudiab (1981) trouve des poids adultes moyens de 26,5 kg et 19,5 kg respectivement pour les mâles et les femelles. Dans le Haut Atlas, Chraibi (1985) souligne aussi la faiblesse des poids adultes, 21 kg pour les mâles et 16 kg pour les femelles.

Le caractère difficile et sévère des écosystèmes où évoluent les caprins est à l'origine des pertes de poids même chez les animaux adultes. Chami (1982) a trouvé que l'amaigrissement hivernal chez les caprins adultes varie entre 1 et 2 kg. Le même conclusion a été faite dans les parcours de Ouarzazate par Boudiab (1981).

4. Problématique et évolution

4.1. Les systèmes d'élevages sont mal connus

Les conditions de l'élevage caprin marocain sont largement méconnues. Pourtant, il s'avère que la production laitière caprine est en augmentation, notamment dans les zones inaccessibles à l'élevage bovin. En outre, elle contribue de manière croissante à la production fromagère nationale, répondant ainsi à une demande elle-même en croissance et satisfaite majoritairement par les importations.

4.2. Une meilleure caractérisation des populations est indispensable

En comparaison des autres espèces animales, les caprins sont mal connus sur le plan génétique et méritent davantage d'attention pour une meilleure caractérisation génétique. Quelques timides efforts ont été déployés pour l'amélioration de l'élevage caprin par le biais de croisement avec des races étrangères. Deux stations mènent un programme de développement de caprins, la station de Tahanaout au Sud et la station de Chefchaouen au Nord. Ces stations ont pour mission de fournir des chèvres et des boucs de race alpine pour augmenter la production laitière.

4.3. L'alimentation basée sur les ressources sylvo-pastorales: un mode de conduite précaire:

Le système alimentaire appliqué au caprin, qui est largement dominant à l'échelle nationale, est de type extensif et basé principalement sur l'utilisation des ressources sylvo-pastorales. La contribution des ressources fourragères du parcours dans la couverture des besoins varie entre années et selon les régions.

Dans le sud-ouest marocain, l'alimentation des caprins et des ovins est dépendante à 51% des ressources sylvo-pastorales (buissons et arganiers) dont l'utilisation s'étale sur toute l'année. Les chaumes, dont la contribution est de l'ordre de 9.5% (Boscher 1992), sont utilisées de juin à septembre. Les apports directs de l'exploitation et les achats d'aliments (paille, pulpe d'argan et orge) couvrent respectivement 7,2 et 32,2% des besoins des animaux (Boscher 1992). La pulpe d'argan (aligue) est la supplementation à laquelle les éleveurs recourent dès qu'ils estiment que le pâturage n'est pas suffisant. Le rythme de sa distribution et les quantités apportées varient selon les éleveurs.

Dans le Haut Atlas, l'alimentation des caprins est basée principalement sur les ressources pastorales. Chami (1982) signale que les caprins séjournent toute l'année sur les parcours par comparaison aux ovins qui descendent en plaine en hiver. Boubouze (1982) a estimé que 94% des besoins des caprins dans la vallée de l'Azzaden sont couverts par les ressources pastorales (parcours, feuilles de genévriers thurifère et de chêne vert). Chraibi (1985) souligne que ces mêmes ressources pastorales assurent 98% des besoins dans le système alimentaire des caprins. La distribution du feuillage du chêne vert est généralement pratiquée du mois d'octobre au mois de mars. Les glands sont utilisés surtout en période hivernale. Ces ressources proviennent de deux types de parcours; les parcours d'hiver et d'été, qui se situent à des altitudes comprises entre 1 300 et 2 500 mètres pour les premiers, et supérieures à 2 500 m pour les seconds (Darfaoui 1982).

Dans le Nord du pays, le système alimentaire comporte comme principales ressources alimentaires, la forêt et les chaumes. Benoudifa (1989), estime que 83% des apports proviennent du parcours et des branchages, alors que seulement 17% sont fournis par l'exploitation.

4.4. Une reproduction mal raisonnée en fonction de l'offre

4.4.1. La rareté des boucs sélectionnés

La rareté des bons boucs géniteurs incite les éleveurs à utiliser des chevreaux issus des élevages. Dans les élevages de la chèvre D'man, Ezzahiri et Benlakhal (1989) rapportent que 32% des éleveurs font appel à des jeunes chevreaux ou des boucs des troupeaux voisins.

Les critères de sélection varient entre les régions. Les critères de production sont plus recherchés dans le Haut Atlas, l'Anti-Atlas et le Rif. Dans le Sud-Ouest (arganeraies) le caractère "grimpeur" est apprécié par les éleveurs (De Ponteves 1989).

4.4.2. Des chevrettages trop étalés

Les études dans les élevages de chèvres indiquent que le calendrier de reproduction n'est pratiquement pas contrôlé. Les mâles sont en permanence avec les femelles et ceci quelque soient leurs états respectifs au moment de la lutte. Les chevrettages sont donc étalés tout au long de l'année en raison de la présence permanente des mâles dans les troupeaux. Une concentration de mise bas est observée à des époques de l'année qui varie avec les régions. Chami (1982) a trouvé que 62% des mises bas ont lieu durant la période fin hiver-début printemps, époque très défavorable à la survie des chevreaux du fait du manque de ressources alimentaires de l'exploitation et la difficulté d'accès aux parcours. Chraibi (1985) rapporte une concentration des mises bas (40% des chèvres) durant la période septembre-octobre avec une deuxième mise bas en mars chez 35% des femelles suivies. Dans la zone d'Essaouira, les mises bas sont concentrées entre novembre et avril avec une deuxième mise bas en juillet si les conditions du milieu le permettent (De Ponteves 1989).

4.4.3. Intervalles entre mises bas rallonges

Selon une étude de la distribution des intervalles entre chevrettages, (Hachi et Lahlou-Kassi 1989), 57% des chèvres dites locales ont un intervalle entre deux mises bas successives variant de 10 à 14 mois. Pour les chèvres D'man, 78% ont un intervalle de 6 à 7 mois (Hachi et Lahlou-Kassi 1989) donnant lieu à des possibilités de 2 chevrettages par an. Ezzahiri et Benlakhal (1989) trouvent que 85% des chèvres D'man ont un intervalle entre deux mises-bas consécutives de moins de 7 mois. Dans le Haut Atlas, l'intervalle entre deux mises bas consécutives est plus grand. Chami (1982) propose un intervalle moyen de l'ordre de 9 à 13 mois.

4.4.4. Des mortalités élevées

Les troupeaux de caprins élevés en système extensif connaissent des taux de mortalité très forts, plus particulièrement chez les jeunes. Dans le Haut-Atlas, Chami (1982) a noté une mortalité de 30% chez les chevreaux de moins de 3 mois. Le taux de mortalité dans la même classe d'âge est beaucoup plus élevé dans les zones steppiques (49% à Ouarzazate selon Boudiab (1981) alors que De Ponteves (1989) rapporte un taux de mortalité des jeunes très faible: moins de 1%). Chez les animaux adultes, les taux de mortalité sont beaucoup plus réduits, 9% dans le Haut Atlas (Chami 1982), 7% dans la steppe de Ouarzazate (Boudiab 1981) et 6% dans l'arganeraie d'Essaouira (De Ponteves 1989).

La cause principale des mortalités reste l'état de sous-alimentation des chevreaux pendant la période hivernale, liée à une production laitière des mères très insuffisante et à une production fourragère faible sur le parcours. L'absence d'une complémentation accentue les effets de la sous-alimentation.

La sous-nutrition donne lieu à des poids à la naissance très faibles qui sont responsables d'un manque de vitalité ou viabilité des jeunes caprins. En plus, l'état de sous nutrition diminue la résistance des jeunes aux maladies.

4.5. Un habitat précaire

L'habitat réservé aux caprins est généralement précaire. En effet, les caprins sont logés dans des zribats ou azibs sur le parcours. Ces espaces sont caractérisés par:

- une insuffisance de leurs surfaces qui limite la circulation des animaux;

- une construction sommaire qui n'assure pas totalement la protection des animaux contre le froid en période hivernale;

- un état d'insalubrité marqué favorisant le parasitisme des animaux.

4.6. Des efforts de recherche timides

La recherche entreprise à l'échelle nationale a intéressé essentiellement les bovins et les ovins. Il y a eu très peu d'investigations sur les caprins. Sans trop me hasarder, je dirai que moins de 5% des moyens consacrés à la recherche en élevage ont été alloués aux caprins. Cette recherche doit avoir comme axes:

(1) la caractérisation des populations caprines;

(2) l'identification des éléments qui influencent la productivité des troupeaux caprins;

(3) la mise au point de systèmes alimentaires appropriés: En effet, le défi pour les pays méditerranéens est de définir un équilibre entre les ressources et les besoins des caprins pour répondre à des objectifs de production sans nuire à l'environnement.

Références bibliographiques

AZZIMANI, M. 1992. Les ressources pastorales et leur appréciation par les Ait Zekri (Ouarzazate), Mémoire de 3ème cycle d'Agronomie, I.A.V. Hassan II, Rabat, 150 p.

BENOUDIFA, M. 1989. Système d'élevage de la chèvre dans la province de Chefchaouen. 19ème journées de l'Association Nationale pour la Production Animale, Ouarzazate du 31 Mai au 2 Juin, pp. 36-44.

BOSCHER, C. 1992. Fragilité et Résilience du système agraire de l'arganeraie des Ait Baha, vis à vis des aléas climatiques, Rapport de stage, Ecole Supérieure d'Agronomie Tropicale, Centre National d'Etude Agronomique des Régions chaudes, Montpellier. 85 pp.

BOUDIAB, A. 1981. Contributions à l'étude du système de production animale sur parcours dans la région de Ourzazate. Mémoire de 3ème cycle d'Agronomie, I.A.V. Hassan II, Rabat, 210 pp.

BOURBOUZE, A. 1982. L'élevage dans la montagne marocaine. Thèse de Doctorat Ingénieur de l'INA Paris-Grignon.

BOURBOUZE A. 1983. L'association des ovins et des caprins sur les parcours méditerranéens. Symposium sur la production des petits ruminants, Ankara, Décembre 1982, 23 pp.

CHAMI, M. 1982. Systèmes alimentaires des troupeaux dans les Reraya. Mémoire de 3ème cycle d'Agronomie, I.A.V. Hassan II, Rabat, 158 pp.

CHRAIBI, E. 1985. Productions Animales en zones de montagne, étude comparée de la vallée de l'Azzaden entre 1975 et 1985. Mémoire de 3ème cycle d'Agronomie, I.A.V. Hassan II, Rabat, 153 pp.

DE PONTEVES, E. 1989. L'arganier, la chèvre, l'orge: Approche du système agraire de l'arganeraie dans la commune rurale de Smimou, Province d'Essaouira, Maroc. Mémoire de fin d'étude. Ecole Supérieure d'Agronomie Tropicale, Centre National d'Etude Agronomique des Régions chaudes, Montpellier. 261 pp.

DARFAOUI, 1982. Etude des ressources et de l'activité pastorale et du comportement alimentaire des caprins dans la vallée de Reraya. Mémoire de 3ème cycle Agronomie, I.A.V. Hassan II, Rabat, 138 pp.

EL AICH A., S. LANDAU, A. BOURBOUZE, R. RUBINO ET P. M. FEHR, 1995. Goat farming in Morocco, in Chapter 13 in present book.

EZZAHIRI, A. ET M. BENLAKHAL. 1989. La chèvre D'man. 19ème journées de l'Association Nationale pour la Production Animale, Ouarzazate du 31 Mai au 2 Juin, pp. 99-113.

EZZAHIRI, A. ET M. BENLAKHAL. 1984. La chèvre D'man, O.R.M.V.A.O. Ouarzazate.

EZZAHIRI, A. ET M. BENLAKHAL. 1985. Comparaison des performances de 3 races de chèvres élevées dans la région de Ouarzazate, O.R.M.V.A.O. Ouarzazate.

HACHI, A. 1990. La chèvre D'man: Contribution à l'étude des caractéristiques de reproduction. Thèse de Doctorat Vétérinaire, I.A.V. Hassan II, Rabat, pp. 90.

HACHI, A. ET A. LAHLOU-KASSI. 1989. Données préliminaires sur les paramètres de reproduction chez la chèvre. 19ème journées de l'Association Nationale pour la Production Animale, Ouarzazate du 31 Mai au 2 Juin, pp. 89-98.

M.A.R.A. 1991. Enquête Elevage, Effectifs des bovins, ovins et caprins, Octobre-Novembre 1990.

Le secteur laitier caprin en Espagne: L'exemple de la région de Murcia

Dr. A. FALAGAN
CENTRO DE INVESTIGACION Y DESAROLLO AGRARIO - MURCIA (Espagne)

INTRODUCTION

Il existe en Espagne, comme dans la majorité des pays du bassin méditerranéen, une tradition d'élevage ovin et caprin. Les systèmes économiquement les plus importants sont ceux qui s'orientent vers la production laitière, utilisant des races autochtones et leurs croisements, et qui sont localisés principalement au sud de la Péninsule (régions autonomes de Murcie, d'Andalousie, et d'Extrémadure) et dans les Iles Canaries.

L'objectif de l'exposé est de mettre en évidence la problématique de la filière caprine en Murcie (Espagne). Le présent document correspond au résumé dont la Direction de l'Élevage (Maroc), le CIRVAL et la FAO m'ont chargé à l'occasion de la 3ème foire régionale caprine de Chefchaouen.

1. La production du lait de chèvre en Espagne

L'Espagne produit annuellement 472 millions de litres de lait de chèvre, à partir de 1 800 000 chèvres traites, principalement des races suivantes: Murciana-Granadina M-G (400 000), Malaguena (200 000), Canaria (130 000) et Verata (100 000). Les autres sont des croisées.

La production moyenne des troupeaux les plus productifs, avec une traite par jour et une mise-bas par an en automne, approche les 500 Kg en plus de 240 jours de lactation. Le lait contient 5% de matière grasse et 3,3% de protéines (tableau 1).

Tableau 1: Quantité et composition du lait produit par les populations caprines espagnoles les plus importantes

Race

Production (Kg)

D.L (jours)

Composition %

Gras

Protéine

MG

482

276

5,2

3,3

Ma

446

244

5,1

3,4

Ca(a)

443

210

4,1

3,9

Ve(a)

369

210

5,2

3,4

M-G - Murciana-Granadina; Ma - Malaguena; Ca - Canaria; Ve - Verata
D.L: Durée de lactation, (a): Lactations normalisées à 210 jours

2. Commercialisation du lait de chèvre

En Murcie, le lait de chèvre, jusqu'en 1985, avait trois types d'utilisation:

a) Consommations dans l'exploitation: par la famille (CF) et par les chevreaux (CC).

b) Vente à domicile (VD): de lait non traité et de fromage frais

c) Ramassage par des fromageries: deux coopératives de MU (à Jumilla et à Yecla) et trois industriels hors de la région.

Actuellement, la situation a changé de façon substantielle, car le CF diminue petit à petit, la VD a pratiquement disparu et la destination c) s'est diversifiée: le lait de chèvres est collecté quotidiennement dans l'exploitation par des fromageries artisanales (situées dans les zones de production et qui fabriquent des fromages pur chèvre) et par des grandes industries.

3. Systèmes de production caprine

On peut distinguer deux types de systèmes de production caprins en Espagne:

a) Extensif (SE): Il s'agit du système traditionnel, qui est soumis à l'interdiction de ventes à des particuliers et aux campagnes sanitaires obligatoires.

b) Semi-extensif ou "en voie d'intensification" (SVI): Appartiennent à ce système les éleveurs qui adoptent peu à peu certaines des nouvelles technologiques.

Le pâturage journalier est commun aux deux systèmes, et la différence réside dans le complément alimentaire apporté à l'auge. L'intensification extrême (ce qui signifie l'absence de pâturage quotidien) est pratiquement inexistante en Espagne, et les systèmes pastoraux se caractérisent par la présence constante du berger.

4. Évolution du secteur producteur caprin 4.1. Création d'associations

- Associations de Défense Sanitaire (ADS), qui veillent sur l'état sanitaire des bêtes avec un vétérinaire en tant que responsable.

- Associations d'Éleveurs de la chèvre Murciana-Granadina (ayant son siège à Jumilla de Murcie), composée de 49 membres qui appartiennent aux ADS, et qui s'occupent de l'amélioration génétique et de la promotion de la race.

Cette situation fait que, d'un côté, le contrôle des maladies à l'intérieur des ADS non seulement a permis une augmentation de la productivité des troupeaux (les animaux étant sains), mais aussi une amélioration de l'image du fromage de chèvre; et de l'autre, que les éleveurs associés, bénéficiant d'un prestige sans cesse en progrès vendent des reproducteurs à des prix élevés, même en dehors de Murcie.

4.2. Problématique de l'industrialisation

Sont listées ci-dessous certaines des difficultés les plus importantes qui, depuis toujours, ralentissent à Murcie l'industrialisation du lait de chèvres.

4.2.1. Conditions hygiéniques du lait

Il existe une tendance progressive à la traite mécanique. Certains éleveurs acquièrent des citernes frigorifiques, étant donné que, d'une part, le lait - de meilleure qualité microbiologique - est mieux valorisé, et que, de l'autre, l'investissement ne réclame pas de mise de fonds initiale, puisque le tank est placé chez l'éleveur en location-vente par le transformateur.

4.2.2. Conditions sanitaires

La brucellose cesse peu à peu d'être un problème, parce qu'on vaccine pratiquement tout animal d'introduction et de renouvellement avec du REV-1 (notamment les troupeaux qui appartiennent à l'Association et aux ADS). En outre, le lait qui est transformé en fromage doit subir une pasteurisation obligatoire.

4.2.3. Caractère saisonnier de la production

Quoique les exploitations traditionnelles continuent à avoir la plupart des mises bas à la fin de l'hiver, ce qui provoque une production élevée de lait au printemps et en été, les éleveurs en voie d'intensification essaient de vendre la plus grosse partie du lait en automne-hiver (lorsque le prix est le plus élevé).

4.2.4. Technologies nouvelles

Il est vraisemblable que l'un des plus graves handicaps que rencontre la mise au point et la transformation des produits nouveaux soit encore la pénurie de connaissances techniques sur la matière première: le lait. Les spécialistes sont d'accord pour affirmer qu'un développement global du secteur caprin régional passe par la mise au point de technologies nouvelles, d'autres produits ayant des présentations différentes, etc.

Les progrès, dans ce sens, sont lents car, il y a quelques années seulement, on pensait à produire du lait et à le vendre au plus offrant. Ensuite, quelques éleveurs commencèrent à élaborer du fromage frais dans de petites fromageries. Ultérieurement, la taille des fromageries augmenta et, à l'heure actuelle, ces mêmes transformateurs essaient d'affiner un pourcentage variable de la fabrication quotidienne, profitant parfois du petit-lait pour produire de la crème fraîche ou du fromage caillé.

5. La transformation du lait de chèvre

5.1. Transformation en fromage

Traditionnellement en Espagne, les industries fromagères possèdent des circuits de ramassage journalier du lait, dans les élevages ou dans de petits centres de collecte réunissant la traite de plusieurs bergers. Elles mélangent le lait de chèvre et de vache ou de brebis pour fabriquer des fromages de pâte cuite type "Manchego". Mais, ce sont surtout les petites fromageries artisanales qui élaborent le pur fromage de chèvres.

D'autre part, il est difficile de déterminer la production et la consommation du pur fromage de lait de chèvre, étant donné la diversité et la dispersion de sa fabrication, ainsi que l'existence de fromages mélangés.

5.2. Secteur transformateur

L'Université de Cordoue en 1989 a recensé en Andalousie un total de 12 fromageries avec une capacité inférieure à 4 000 l/jour et de 19 possédant une capacité de fabrication supérieure. A été recensé aussi, un total de 10 industries installées en dehors de la région, mais recueillant plus de la moitié du lait de chèvre produit en Andalousie.

D'autre part, dans la région de Murcie, les fromageries (tableau 2) emploient 45% du lait de chèvre produit dans ce territoire, le reste est recueilli par 3 grandes entreprises extra-régionales.

Tableau 2: Fromageries de la région de Murcie

Fromageries

Quantité de lait traité (l/jour)

500

1000-2000

3000-5000

+5000

Nombre

6 (5)

8 (2)

1

1

(...): Bien que tous achètent du lait, on indique entre parenthèses les fromagers possédant un troupeau

6. CONCLUSION

Le système traditionnel, ou extensif, de production caprine au sud de l'Espagne, bien que toujours prépondérant, est en régression continuelle, et ce pour deux raisons fondamentales: l'abandon de l'activité caprine (âge avancé des chevriers, manque de repreneurs, etc...) et l'évolution vers le système semi-extensif. Sans aucun doute, lorsqu'un éleveur est encore éloigné de l'âge de la retraite, et a fortiori, s'il dispose d'un successeur, il se dirige vers une modernisation de l'exploitation, ce qui est en faveur du maintien de l'activité agraire et de la population en milieu rural.

Il faut relever également, l'apparition d'un mouvement associatif encore actuellement non consolidé, qui, dans un futur proche, devrait faciliter l'amélioration sanitaire et génétique des troupeaux, la concentration et la diversification des produits à commercialiser, et les différents services pour l'exploitation, ce qui permettra certainement un meilleur équilibre du secteur.

Finalement, nous réalisons qu'il est important et urgent de réaliser et de mettre en pratique les mécanismes assurant des relations étroites entre les différents acteurs de la filière caprine.


Page précédente Début de page Page suivante