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Les fonctions de protection de la forêt

Rapport entre la forêt et la conservation des sols et des eaux


Rôle du couvert végétal
Enseigner la conservation au grand public

Indépendamment de toute considération des besoins en bois de la population, il est toujours apparu que certaines portions du territoire de chaque pays devaient être maintenues sous un couvert végétal permanent et en bon état pour assurer certaines fonctions de protection.

D'une façon générale, les méthodes d'exploitation rationnelles de la végétation, tenant compte de la nécessité de maintenir toujours le couvert dans son état de densité optimum, ne sont nullement incompatibles avec les fonctions de protection. Par contre, le remplacement de cette végétation par des cultures qui, d'une part, laissent le sol découvert ou mal protégé pendant une partie de l'année et qui, d'autre part, enlèvent chaque année à ce sol une partie plus ou moins importante de ses richesses organiques et minérales, peuvent priver le pays de ces avantages de protection, soit d'une façon temporaire, soit d'une façon définitive si le sol est trop appauvri ou trop dégradé pour permettre la réinstallation de la végétation naturelle.

Cependant, dans bien des cas, la nécessité d'étendre les surfaces consacrées à l'agriculture est inéluctable. Grâce aux techniques de conservation, dont certaines sont très anciennes, mais auxquelles le développement du travail mécanisé du sol a ouvert de beaucoup plus larges perspectives, grâce à la généralisation ou au perfectionnement de l'emploi des engrais, non seulement des méthodes intensives d'agriculture peuvent être appliquées à de vastes surfaces autrefois réservées à une agriculture extensive, mais encore elles peuvent, théoriquement du moins, être étendues à des terrains dont, il y a seulement un siècle, la destination forestière n'aurait pu être mise en doute par les techniciens.

Le résultat de cette évolution est que certaines notions dont on pouvait penser, jusqu'ici, qu'elles étaient susceptibles de servir de base à la détermination des surfaces qu'un pays devait nécessairement conserver sous un couvert végétal permanent, perdent peu à peu de leur force. L'une de ces notions, la plus importante peut-être, est celle de la pente limite au-dessus de laquelle le sol ne devrait pas être travaillé. Parce que leur prix de revient va s'abaissant, les techniques anciennes des terrasses, des banquettes, de la culture en sillons dirigés suivant les courbes de niveau permettent, sur des pentes souvent très fortes, non seulement la conservation du sol, mais l'absorption et l'emmagasinement de l'eau qui, sur ces pentes, étaient considérés comme la fonction essentielle et irremplaçable du couvert végétal permanent. De même, il n'est pas certain que la rénovation de la fertilité du sol que l'on attendait de la forêt dans les types d'agriculture dits nomades ne puisse être demandée, même dans les régions tropicales, à des engrais convenablement dosés et utilisés.

Sans doute ces méthodes d'agriculture sont-elles coûteuses. Economiquement et socialement, elles ne peuvent être introduites partout. Il n'en reste pas moins que, du fait même de leur existence et de leurs possibilités de développement avec les progrès généraux de chaque pays, du fait aussi des besoins de plus en plus grands en produits alimentaires et en terres agricoles résultant de l'accroissement des populations, le choix entre les deux grandes formes de l'utilisation du sol, exploitation du sol par l'agriculture ou exploitation des ressources naturelles renouvelables, sera déterminé plus fréquemment par des arguments d'ordre économique et social que par la comparaison entre leur efficience pour la protection du sol ou de sa fertilité.

Il n'en est que plus nécessaire pour les forestiers de chercher à préciser de mieux en mieux ce qu'ils entendent par le rôle de protection du couvert végétal permanent, de poursuivre et d'étendre les recherches concernant l'importance de ce rôle, de détailler ces recherches en soumettant à l'expérience l'influence des différentes formes de végétation permanente susceptibles d'occuper le même terrain, enfin de chercher à définir les facteurs qui devront être pris en considération pour la détermination de ce que nous appellerons le «minimum absolu de surface protectrice», c'est-à-dire la surface minimum dont le maintien sous le couvert de la végétation naturelle s'impose pour des motifs de protection pure. Dans la pratique, sans doute, ce minimum absolu devra être largement dépassé. Chaque pays, pour déterminer son «minimum réel», devra tenir compte de sa situation économique et sociale. Là où les méthodes modernes d'aménagement des sols agricoles ne peuvent, quel qu'en soit le motif, être appliquées, le couvert végétal permanent devra subsister. Il n'est même pas évident, en réalité, que ces méthodes d'aménagement sauront remplir de façon complète le même rôle que le couvert végétal permanent ou que certaines formes de ce couvert, telles que la forêt pleine. C'est également là un point sur lequel les recherches pourront utilement porter et qui ne saurait être décidé à la légère. Quoi qu'il en soit, la détermination du «minimum absolu de surface protectrice»est évidemment d'une très grande importance et c'est pourquoi il a été proposé au quatrième Congrès forestier mondial de faire le point de l'expérience acquise en ce qui concerne le rôle de protection de la forêt, au sens large, de réexaminer la valeur des anciennes conceptions de la forêt protectrice, et de rechercher jusqu'à quel point le critère de protection peut guider les pays dans la détermination de leurs politiques forestières ou, plus précisément, dans la détermination des surfaces qu'ils doivent à tout prix maintenir ou reconstituer sous le couvert d'une végétation permanente.

Rôle du couvert végétal

La protection du sol forestier

Le rôle de protection de la végétation permanente peut se concevoir de deux façons, qui ont du reste, entre elles, des rapports étroits.

Le rôle protecteur de cette végétation concerne, en effet, d'abord le sol même sur lequel elle repose. La végétation permanente assure, ou du moins doit assurer, à ce sol à la fois sa stabilité et la conservation de ses qualités pédologiques.

La première de ces conditions est primordiale. Le couvert peut être constitué par des arbres, des arbustes, des arbrisseaux ou des végétaux herbacés pérennes, ou bien encore par un mélange de ces divers éléments. Considérée du point de vue économique et même à d'autres points de vue de la protection, la nature de ce couvert n'est évidemment pas indifférente. L'est-elle entièrement du point de vue de la stabilité du sol? C'est là une question qui peut être controversée et à laquelle seules des expériences locales peuvent probablement donner une réponse qui sera aussi de caractère local. Dans l'ensemble, il apparaît que toute végétation maintenue suffisamment dense pour protéger le sol contre l'impact des gouttes de pluie, pour pourvoir à l'infiltration de l'eau et pour supprimer ou diminuer le ruissellement, assure de façon satisfaisante la stabilité du sol.

On ne saurait dire, par contre, que la nature du couvert végétal permanent est indifférente en ce qui concerne la conservation des qualités pédologiques du sol, qu'il s'agisse de sa texture, de sa composition chimique ou de son contenu biotique. Certaines expériences malheureuses de plantations artificielles pures d'exotiques ont montré le danger de méthodes de reboisement qui paraissent à première vue du plus haut intérêt. Il n'est pas même démontré que les méthodes sylvicoles tendant au maintien de certains peuplements secondaires, peut-être économiquement plus intéressants que le peuplement climatique, mais qui n'assurent pas au sol un couvert de qualité équivalente, soient inoffensives du point de vue qui nous occupe. Dans les régions tropicales, l'irréversibilité des phénomènes d'évolution du sol provoqués par la substitution au couvert forestier du couvert herbacé paraît encore bien plus grande et le déclenchement de ces phénomènes bien plus rapide. Dans bien des cas, on peut aboutir à la transformation d'un sol relativement fertile en un sol sur lequel la forêt ne peut reprendre pied et dont les potentialités économiques se trouvent très diminuées, ou réduites à néant. Dans les cas les plus graves, la fertilité du sol peut être compromise au point que la densité même du couvert végétal devient insuffisante pour assurer sa stabilité et des phénomènes d'érosion accélérée peuvent alors se produire.

La protection de l'équilibre général des sols

Mais le point de vue que nous venons d'examiner est d'une importance relativement faible, et ce n'est pas en général à celui-là qu'on se réfère lorsqu'on parle du rôle de protection des surfaces maintenues sous le couvert de la végétation permanente.

Sans doute il est important de préserver la fertilité et plus encore la stabilité des sols sur lesquels repose cette végétation. La diminution ou la perte de leurs qualités pédologiques est une perte économique en elle-même; la perte de leur stabilité également. Si, cependant, la disparition de la couverture naturelle originelle n'affectait que les terres sur lesquelles elle repose, le dommage, si important qu'il soit, resterait dans les limites d'une perte qu'on peut arithmétiquement chiffrer.

Mais le rôle de protection de la végétation permanente, lorsqu'elle se trouve en certaines situations d'importance stratégique, s'étend sans aucun doute au delà de la terre sur laquelle elle repose. C'est le rôle de protection vis-à-vis des autres terres qu'il est essentiel de considérer pour la détermination du «minimum absolu de surface protectrice». Des études nombreuses sur ce sujet ont été faites et sont encore poursuivies; certaines ont commencé il y a près d'un siècle. Il serait particulièrement intéressant que le quatrième Congrès forestier mondial passe en revue les résultats obtenus jusqu'à ce jour, puisqu'ils constituent l'une des bases essentielles sur lesquelles les pays doivent fonder leur politique forestière. Il est probable, cependant, qu'on aboutira à la conclusion que l'expérience est encore trop limitée dans le temps, et surtout dans l'espace, pour que des conclusions suffisamment générales puissent en être tirées. Les aspects sous lesquels se présente cette question sont en effet extrêmement nombreux et nous croyons qu'il n'est pas inutile de les passer ici en revue, dans l'espoir que chacun d'eux pourra retenir l'attention des congressistes et provoquer d'intéressants échanges de vue.

La protection mécanique

Le rôle de protection de la végétation permanente a d'abord un aspect qu'on peut qualifier de purement mécanique. En ce qui concerne la forêt, c'est le rôle le plus aisément reconnu et celui qui a été utilisé par l'homme depuis les temps les plus anciens.

C'est, par exemple, pour se mettre à l'abri des éboulements rocheux que les habitants des agglomérations montagnardes placées dans des situations particulièrement exposées ont conservé au-dessus de ces agglomérations des bouquets de bois dont l'isolement au milieu de terrains défrichés pour l'exercice du pâturage ou pour l'agriculture atteste qu'ils ont été maintenus là à dessein. Leur composition indique même parfois que les exploitations, malgré leur proximité des villages, y ont été réduites au strict minimum ou même complètement interdites.

C'est également une protection d'ordre purement mécanique qui est demandée à la forêt contre les avalanches. Un boisement suffisamment dense ne saurait sans doute résister au choc de plein fouet d'une avalanche ou au déplacement d'air qu'elle provoque, mais il retient la neige et empêche le déclenchement même de l'avalanche. Le déclenchement des avalanches dangereuses se produisant fréquemment à haute altitude au-delà de la limite normale de la végétation forestière, le désir d'étendre le rôle protecteur de la forêt à des zones critiques a provoqué des recherches sur la sélection de races et d'essences susceptibles d'être introduites artificiellement au-delà de cette limite. Il faut noter aussi que tous les boisements n'ont pas ici la même influence protectrice. Certains types de broussailles basses, dont la cime peut être enfouie par la neige ou ne dépasser qu'à peine son niveau, en favorisant un tassement inégal des couches neigeuses et même la création de cavités internes, peuvent faciliter le déclenchement de l'avalanche ou son glissement.

La lutte contre le sable

C'est également à une action mécanique qu'on peut attribuer, du moins partiellement, l'action protectrice de la végétation permanente sur les sables mobiles. Cette action, cependant, est visiblement beaucoup plus complexe que dans les cas précédents, et ses possibilités d'utilisation par l'homme posent également des problèmes beaucoup plus difficiles à résoudre.

Elle est plus complexe parce que la rétention des fines particules de terre entraînées par le vent n'est évidemment pas due seulement, comme dans les cas précédemment examinés, à l'action des tiges, herbacées ou ligneuses, des végétaux installés ou susceptibles d'être installés sur le terrain. Il est clair qu'il existe aussi des influences d'ordre physique et physiologique. Le réseau radiculaire, plus ou moins serré et complexe suivant les essences, des végétaux implantés, fixe le sol; la couche d'humus qui se forme à sa surface rend les horizons superficiels moins facilement entraînables; l'humidité entretenue sous le couvert de la forêt ou dé la végétation herbacée a le même effet; enfin, la force exercée par le vent lui-même sur chacune des particules du sol est réduite par la rencontre des cimes des arbres ou du gazon. Toutes ces considérations impliquent qu'un choix devra être fait - lorsqu'il est possible de choisir - entre les essences suceptibles d'être maintenues ou introduites pour exploiter ce rôle protecteur de la forêt.

D'un autre côté, les sables mobiles se trouvent essentiellement dans des régions où la végétation forestière ou herbacée rencontre généralement de grandes difficultés à se maintenir ou à s'installer. Tantôt il s'agit de dunes côtières où la salinité du sol ou de l'air interdit l'emploi de la plupart des espèces. Tantôt il s'agit de zones arides soumises à de longues périodes de sécheresse et à de grands écarts de température, peu favorables à la végétation. Le choix des espèces à introduire ou à maintenir sera donc, en général, très limité. Cependant, au cours des 50 dernières années, de très importants travaux ont été exécutés, de nombreuses recherches faites sur ces importantes questions dans tous les continents. Dans quelle mesure les résultats obtenus, même s'ils n'ont aucune portée économique directe, permettent - ils aux pays qui ont à faire face à ce problème, par la mise en œuvre de politiques forestières appropriées, d'abord de s'opposer à l'avance des déserts, puis de reconstituer dans les zones désertiques des conditions favorables à la vie humaine et aux activités agricoles, pastorales ou forestières? Telle est l'une des questions que doit se poser le quatrième Congrès forestier mondial.

Les influences climatiques

Un autre rôle protecteur de la végétation permanente, de nature cette fois nettement physique ou physiologique, tout en ayant donné lieu à de nombreuses spéculations, a été sans doute beaucoup moins étudié, bien qu'il soit d'un intérêt majeur non plus pour chaque pays pris individuellement, mais pour des régions entières et peut-être en certains cas pour l'ensemble du monde. C'est le rôle respectif des grandes masses boisées ou couvertes de végétation naturelle herbacée sur la répartition des climats mondiaux. La difficulté des études de cette nature est évidente. Elles se heurtent au fait que les modifications du climat sur l'ensemble de la terre, même en se plaçant seulement à l'échelle des temps historiques, sont mal connues et que les causes de ces modifications sont encore moins bien déterminées. L'homme, par les transformations qu'il a fait subir, volontairement ou involontairement, à la végétation en certains points du globe, a-t-il ou non eu une part sensible dans ces causes? Mais il est même difficile de dire précisément quelle a été l'action de l'homme, ou du moins quelle amplitude elle a eue. Les données d'ordre historique manquent donc pour apporter quelque lumière à ces problèmes. A quelle méthode d'enquête se référer, quelles possibilités d'observation ou d'expérimentation sont ouvertes à ceux qui voudraient les élucider? Ce sont là des questions auxquelles il serait utile de chercher des réponses.

Ce n'est nullement, en effet, une spéculation que de constater, comme l'ont fait tant d'observateurs distingués, le recul de la forêt dans certaines parties du monde, et notamment en Afrique. L'augmentation de la population de ces régions, l'introduction de cultures exigeant un défrichement plus ou moins complet, la persistance de certaines coutumes destructives de la forêt, telles que le feu de brousse, tout indique que ce recul est susceptible de se poursuivre à une allure accélérée. Quels seront les résultats de la destruction ou de la réduction à une fraction plus ou moins importante de la surface qui en subsiste actuellement, des grandes masses boisées du centre de l'Afrique? C'est évidemment là un problème vital, non pas seulement du point de vue économique, mais du point de vue même de l'homme en Afrique, et peut-être sur l'ensemble du globe.

Il semble en tout cas que des certitudes soient acquises en ce qui concerne l'influence des massifs forestiers boisés sur l'arrêt ou l'orientation des grands courants du vent. On en a pour témoin les grands travaux entrepris dans certains pays pour mettre à l'abri des vents desséchants de vastes surfaces agricoles et leur assurer une production régulière d'année en année. L'action de ces grandes ceintures boisées ne doit pas être confondue avec celle des brise-vent, installés en vue d'une protection purement locale. Ce qu'on a recherché ici, c'est bien une modification globale du climat, ou plutôt une régularisation de ce climat, et les résultats qui seront obtenus, en dehors de leur intérêt économique pour les pays qui les ont entrepris, auront une valeur d'exemple et d'expérience pour l'ensemble du monde. Bien que l'action des massifs boisés sur les vents chargés d'humidité puisse être toute différente de leur action sur les vents secs, ces résultats confirmeraient aussi les vues de ceux qui pensent que l'étude du rôle protecteur de la végétation naturelle vis-à-vis des climats du monde est d'importance primordiale. En raison de son intérêt international, l'étude de ce rôle pourrait être une entreprise commune des institutions spécialisées des Nations Unies.

La production d'eau

L'influence protectrice de la végétation naturelle, qui a sans doute donné lieu, à ce jour, aux recherches les plus anciennes et les plus détaillées, concerne les relations de cette végétation avec l'eau. Plusieurs pays n'ont pas hésité à consacrer aux expériences portant sur ce sujet de larges moyens financiers et de vastes surfaces englobant la totalité de deux ou plusieurs bassins de réception, où les conditions du ruissellement ont été étudiées en détail durant de longues années, ainsi que leur évolution à la suite des diverses modifications apportées au couvert végétal protecteur. Ces expérimentations, qui ont le grand mérite de permettre de chiffrer approximativement l'influence relative sur la production quantitative et qualitative d'eau des divers types de couverture végétale, sont d'un grand intérêt. Mais comme les résultats obtenus localement ne peuvent être étendus de façon très large, ces expérimentations devraient être multipliées, car elles seules permettraient une détermination scientifique des «influences forestières» en cet important domaine et fourniraient une base solide pour la détermination des surfaces à réserver à la forêt ou aux divers types de couvert végétal naturel, ainsi qu'à la détermination des pratiques auxquelles cette couverture doit être soustraite ou qui doivent être strictement réglementées.

A défaut de cette multiplication des expérimentations, l'expérience courante est largement suffisante, il est vrai, non seulement pour justifier le proverbe russe que «la forêt est la mère de l'eau», mais pour affirmer que seul un aménagement rationnel des bassins de réception, dont une végétation naturelle en bon état doit occuper une proportion minimum, est susceptible de garantir la stabilité relative des régimes hydrologiques, de limiter les dégats des crues, de contrôler le développement de l'érosion accélérée, de diminuer la sédimentation des réservoirs, de prolonger la vie des grands barrages vitaux pour l'industrie hydro-électrique et l'irrigation, d'éviter l'ensablement progressif des estuaires, d'assurer aux grandes cités un approvisionnement continu en eau de bonne qualité.

Malheureusement, cette expérience accumulée aux dépens de graves dommages ne saurait se substituer à l'expérimentation et au rassemblement d'informations systématiques pour former la base d'une politique forestière. Or, ainsi qu'on l'a dit, ces études et ces expérimentations exigent de grands sacrifices financiers, et la question est encore si mal comprise de la plupart des pays qu'on doit constater avec regret que bien peu sont disposés à consentir ces sacrifices. En 1951, Mr. E. P. Stebbing entreprit une vaste étude mondiale sur ce qui peut être considéré, suivant ses propres termes, comme le fondement essentiel d'une compréhension générale des relations existant entre l'eau et la forêt, à savoir l'étude «des sources des fleuves et de leurs affluents en vue de déterminer avec précision la proportion de la surface de leurs bassins protégée par des forêts, de quels types sont ces forêts et quel traitement leur est appliqué». Malgré l'importance des informations recueillies par M. Stebbing, l'auteur devait terminer la présentation de leur publication par ces mots: «Le point principal qui s'est dégagé de cette étude, et qui n'est pas le moins intéressant, est l'extraordinaire rareté des renseignements disponibles.» Cette incompréhension générale du rôle de l'aménagement des bassins fluviaux est un problème sur lequel il importe que se penche le quatrième Congrès forestier mondial, mais on y reviendra tout à l'heure, car il n'est qu'un cas particulier, spécialement important il est vrai, de l'incompréhension générale du problème de la conservation des ressources naturelles.

Si les expérimentations synthétiques, du genre de celles auxquelles on a fait allusion tout à l'heure, sont difficiles à mettre en œuvre, les études analytiques portant sur les relations entre la couverture végétale permanente et l'eau ne doivent pas être négligées pour cela. Elles permettent d'analyser le mécanisme de ces relations, depuis le moment où une goutte d'eau rencontre le couvert supérieur de la végétation jusqu'au moment où elle s'emmagasine dans la nappe phréatique ou se déverse dans les filets du réseau hydrographique. Ces études analytiques se sont poursuivies elles aussi, depuis un siècle environ, et il serait peut-être possible d'en tirer maintenant des conclusions sur un plan général.

Il convient cependant de ne pas perdre de vue deux points importants.

Le premier de ces points est que ces études analytiques doivent, elles aussi, aboutir à une synthèse. Le fait que la présence d'une forêt provoque des précipitations plus abondantes ou une condensation plus importante de l'humidité ambiante présente, sans doute, un certain intérêt en lui-même. Mais ce qui importe finanalément, c'est la balance, saison par saison, de l'eau reçue et de l'eau utile ou disponible pour les diverses utilisations auxquelles l'homme peut la soumettre. C'est dire que la combinaison des analyses relatives à l'influence de la couverture naturelle sur la pluviosité, sur l'évaporation, sur la transpiration, sur l'infiltration doit être le but final de ces analyses de détail.

Le second point est que le but visé, et par conséquent l'orientation à donner aux recherches, n'est pas le même dans tous les bassins. Pour prendre deux cas extrêmes, l'objectif désirable dans un bassin de région montagneuse à pentes abruptes avec précipitations abondantes et bien réparties sera essentiellement un écoulement aussi régulier que possible et une bonne protection du sol contre une érosion excessive. Dans un bassin situé dans une zone de collines soumises à des précipitations peu abondantes, avec de longues périodes de sécheresse, l'objectif essentiel sera d'assurer l'arrivée au sol d'une quantité d'eau aussi importante que possible, son infiltration rapide et sa conservation jusqu'au moment où elle pourra être nécessaire pour l'irrigation des zones situées en aval du bassin.

Ce second point mérite peut-être, dans l'état actuel des choses, plus de considération que le premier, car on a parfois reproché aux forestiers d'utiliser sans assez de discrimination l'arme du reboisement. Certains exemples, où des reboisements en essences exigeant une forte consommation d'eau auraient provoqué des déséquilibres dans l'alimentation des sources et des ruisseaux, pourraient justifier ces critiques. Il importe, pour les éviter, que le forestier recherche sans parti pris les solutions les meilleures dans chaque cas particulier. La forêt de haute valeur économique peut ne pas être la meilleure solution du problème de l'aménagement d'un bassin placé sous des conditions climatologiques données. Il y a lieu de comparer à l'action de cette forêt, avant de l'installer, l'action que peuvent avoir les autres types de végétation permanente, telles que les broussailles basses et la végétation herbacée. De longues discussions se sont produites sur les mérites relatifs de la futaie et de la végétation herbacée (supposées toutes deux convenablement entretenues) par rapport à la défense du sol contre l'érosion et à la qualité du sol pour l'infiltration de l'eau. En Australie, par exemple, sous la forêt d'eucalyptus, protectrice essentielle est attribuée non pas à l'arbre, mais à la couverture herbacée. Aucune solution à priori ne devrait être proposée en aucun cas. Il est évidemment désirable que la couverture protectrice des bassins de réception ait, en même temps, la plus haute utilité économique possible, mais la couverture herbacée, si elle est convenablement utilisée, peut avoir, elle aussi, une haute valeur économique et, si le but essentiel recherché est la production d'eau, il ne faut pas oublier que la valeur économique de cette eau peut être bien supérieure à celle du bois comme à celle du fourrage.

Les plantations «hors forêts»

L'une des recherches sur l'influence protectrice des forêts qui ont reçu le plus d'attention depuis une vingtaine d'années a trait aux plantations d'alignement et aux haies établies en bordure des terrains cultivés.

La constitution et l'entretien de haies de ce genre n'est pas une nouveauté pour de nombreux pays. Cependant, telles qu'elles existent surtout dans les régions pauvres en forêts, on peut penser qu'elles avaient surtout un but économique, et qu'elles ont été établies principalement en vue d'assurer aux exploitations rurales le bois dont elles manquaient, et parfois aussi un supplément de fourrage pour leur bétail. Pour de nombreux pays, ce but économique n'a nullement perdu de son intérêt et le développement de haies ou de plantations d'alignement dans certaines régions où le bois manque presque totalement peut apparaître comme le moyen le plus pratique d'assurer à court terme et au moins partiellement la satisfaction des besoins en bois de ces régions. Pour ces mêmes régions et pour d'autres encore, la contribution que ces arbres pourraient fournir à l'alimentation du bétail est très importante.

Ce point de vue économique n'est pas celui qui nous intéresse ici, mais il a paru nécessaire de rappeler son intérêt pour montrer que le forestier se trouve ici placé dans d'excellentes conditions pour utiliser pleinement les effets protecteurs des brise-vent et des plantations d'alignement.

Grâce aux recherches et à l'expérience acquises, on connaît assez exactement dès maintenant l'influence qu'exercent les haies sur le vent. On connaît aussi, bien que des recherches locales puissent être nécessaires pour préciser certains points, les dimensions, la forme, l'espacement qui doivent être recherchés pour obtenir une action efficace. Le point le plus important reste donc, en chaque cas particulier, de déterminer les essences qui peuvent s'adapter aux conditions climatiques et édaphiques locales, et dont la croissance sera suffisamment active pour donner en peu de temps le résultat recherché. Sur ce point également, les progrès paraissent devoir être rapides.

L'action indirecte des brise-vent sur l'évaporation par suite de la réduction de l'action du vent est également bien étudiée. Cependant, ils consomment ou évaporent une certaine quantité d'eau. Par la surface qu'ils occupent, par leurs exigences en matières organiques et minérales, ils peuvent également diminuer la production des arbres fruitiers ou des récoltes agricoles. En certains pays, ils peuvent abriter une faune dommageable à ces mêmes récoltes. Leur action, enfin, n'est pas limitée à la protection contre le vent et à l'évaporation; dans certaines régions, où une part importante des précipitations est sous forme de neige, les brise-vent favorisent une égale répartition des couches de neige sur les terrains cultivés, ralentissent en général la fusion des couches accumulées sur leurs lisières facilitent l'infiltration des eaux provenant de la fonté de ces neiges et en diminuent le ruissellement.

Dans ce cas encore, c'est donc un travail de recherche de synthèse qui s'impose, en général, et qui doit s'étendre à toutes les régions où l'installation des brise-vent boisés semble intéressante du point de vue économique aussi bien que du point de vue de la protection contre l'érosion éolienne. Il s'agit d'examiner, en somme, quelle est l'influence de ces brise-vent sur le rendement moyen des récoltes agricoles. Ces recherches de synthèse doivent évidemment s'étendre non seulement dans l'espace, mais aussi dans le temps, car des conclusions précises ne peuvent être obtenues que sur des moyennes. Non seulement les conditions climatiques sont, en effet, variables d'une année à l'autre, mais les pertes de sol par l'érosion éolienne peuvent ne faire sentir leur effet qu'au bout d'un certain nombre d'années. D'autre part, l'influence du brise-vent ne joue pleinement que lorsqu'il à atteint son degré de développement optimum. Les résultats publiés jusqu'à ce jour concernant l'amélioration de la production agricole sur les terrains protégés par les brise-vent boisés sont assurément très encourageants. Cependant ces recherches de synthèse doivent, incontestablement, être poursuivies et élargies.

On peut en dire autant des recherches concernant l'influence des plantations, largement développées en certains pays, le long des canaux d'irrigation ou en bordure des réservoirs, et même, dans une large mesure, des plantations routières. La somme des avantages et des inconvénients de ces plantations, soit en y comprenant soit en excluant leur intérêt économique, doit être faite. Elle sera vraisemblablement très en faveur de leur développement. Cependant, une meilleure compréhension de leurs effets est indispensable d'une part à ceux qui sont responsables de l'établissement des politiques forestières, d'autre part aux techniciens qui ont à mettre cette politique en œuvre. En s'écartant plus encore du domaine proprement dit de la forêt, les influences sur la conservation des sols et sur le cycle de l'eau des plantations d'arbres forestiers et fourragers sur banquettes, qui prennent également un grand développement dans de nombreux pays, aussi bien que leurs effets sur les récoltes agricoles ou sur la production de la végétation herbacée, pourraient utilement faire l'objet de recherches de synthèse. De plus en plus se développe l'idée, qui vient des pays méditerranéens, mais qui a déjà été largement exploitée dans d'autres régions, que l'utilisation optima de certaines terres n'est peut-être pas une utilisation spécialisée, mais une double ou même une multiple utilisation, combinant l'arbre, la culture agricole, le pâturage.

Les forêts et les conditions sanitaires

Ce sont également des recherches de synthèse qui seraient nécessaires dans le domaine de l'influence des forêts sur la purification de l'air et sur les conditions d'hygiène en général. Cette influence paraît solidement reconnue, du moins dans les régions tempérées du globe, et c'est presque un lieu commun que de citer l'exemple français de l'installation de la forêt landaise au début du siècle dernier, installation à laquelle on attribue le développement frappant de la population, la chute de la mortalité, l'amélioration générale de la santé qui ont coïncidé avec elle. Les urbanistes modernes, eux aussi, réservent avec raison à l'arbre et à la forêt de grands espaces autour et à l'intérieur même des plans qu'ils conçoivent. Il est difficile de décider, du reste, si ces ceintures ou parcs forestiers sont destinés plus à la purification de l'air qu'à la récréation, si indispensable aujourd'hui, des habitants des villes; du point de vue de l'hygiène, ces deux objectifs se confondent d'ailleurs à peu près.

Cependant, il convient de remarquer ici que, dans les zones tropicales, les forêts sont réputées occuper les régions les plus malsaines et il est, en tout cas, indéniable qu'elles abritent fréquemment des insectes dangereux et même mortels pour l'homme et son bétail. Il est vrai qu'il existe des méthodes pour détruire ou rendre inoffensifs ces insectes, en dehors de la méthode qui consiste à raser les forêts qui les abritent. Il n'en reste pas moins que la question ainsi posée est loin d'être négligeable car, dans certaines régions de l'Afrique, l'éradication de la mouche tsé-tsé, la destruction des insectes nuisibles au bétail, sont les raisons les plus fréquemment mises en avant par les partisans du défrichement brutal ou du feu de brousse incontrôlé qui aboutit à un défrichement lent.

La question de l'influence des forêts sur les conditions de l'hygiène mérite donc, elle aussi, une étude de synthèse, étendue dans le temps et dans l'espace.

Pour une synthèse plus générale encore

C'est enfin une étude de synthèse, mais plus générale encore, dont seules des bribes ont été faites jusqu'à ce jour et dont bien des éléments de base manquent et manqueront sans doute pour longtemps, qui pourrait seule permettre, à l'échelle de vastes régions ou du monde lui-même, d'élucider le problème de l'équilibre biologique optimum général et du rôle qu'y devraient jouer les divers types de terrains portant une végétation naturelle.

Le défrichement d'une petite surface de forêt, la mise à feu d'une aire limitée d'un terrain naturellement recouvert de végétation herbacée, n'entraînent apparemment que des conséquences réduites. Sur ces terres de nouveau abandonnées à elles-mêmes, la végétation originelle reprend généralement pied peu à peu et l'équilibre primitif se rétablit naturellement. Mais si les mêmes opérations se reproduisent à courts intervalles de temps si elles s'étendent sur de vastes surfaces, si, naturellement ou artificiellement, la végétation climatique est mise dans l'impossibilité de reprendre pied sur ces terrains - et c'est ce qui s'est passé depuis que l'homme a conquis la terre - la rupture de cet équilibre est bien plus grave.

A l'homme, nécessairement limité dans son horizon, seules apparaissent les conséquences immédiates de ce déséquilibre, celles qu'il a sous ses propres yeux, telles que la dégradation du sol qu'il cultive, conséquences assez graves souvent pour lui inspirer quelques précautions. Mais il ignore les effets lointains, et dans le temps et dans l'espace, du déséquilibre qu'il a provoqué. Quelle part a eu le défrichement de larges surfaces sur les modifications du climat du globe dans son ensemble? Quel rôle joue la dégradation des pâturages et des forêts aux hautes altitudes du bassin de réception d'un grand fleuve, sur les divagations de ce fleuve et sur le comblement de son estuaire, peut-être à des milliers de kilomètres de là? Quel est leur effet sur les populations animales qu'abritait le milieu ainsi modifié et sur les insectes parasites de ces populations? Quel est enfin leur effet sur l'homme lui-même, qui n'est après tout qu'un des éléments biologiques de la planète?

Sans doute il ne saurait être question de conserver ou de retrouver l'équilibre original pour la simple satisfaction de conserver ou de rétablir. Les progrès de l'homme sont liés à la modification de cet équilibre qui les rend possibles. Elle est nécessaire à ce progrès. Mais l'exemple de trop de régions stérilisées doit inciter à la prudence. Puisque précisément l'horizon de l'homme moderne s'est élargi, puisque, dès maintenant, l'homme des hautes vallées est étroitement solidaire de l'homme de l'estuaire pour le maintien et l'amélioration de ses conditions de vie, il importe de peser jusque dans leurs effets les plus lointains les conséquences de chaque modification nouvelle de grande envergure apportée au milieu où il vit, et cette science de l'équilibre biologique mondial est d'autant plus urgente et nécessaire que l'homme dispose de moyens plus puissants pour modifier cet équilibre. Ce n'est pas là qu'une simple vue de l'esprit: cette science est effectivement celle qui permettra de déterminer les étendues du globe qui, sous peine d'un appauvrissement de plus en plus marqué de l'humanité dont la seule richesse réelle est le sol, doivent nécessairement rester sous la protection d'un couvert végétal permanent.

Enseigner la conservation au grand public

C'est peu de chose, cependant, que de bâtir une science, si pleine d'intérêt soit-elle, tant que ses enseignements ne peuvent être mis en action. Par bonheur, dans le cas qui nous occupe, l'action peut devancer de beaucoup l'établissement ou du moins l'approfondissement de cette science, qui nécessite le concours de tant d'hommes versés dans des disciplines variées et le rassemblement et l'analyse de tant d'informations non encore collectées.

L'action, dans ce cas, n'est autre, en effet, que l'enseignement de la conservation.

On ne veut, bien entendu, parler ici que de la conservation au sens actuel du mot, c'est-à-dire de l'utilisation rationnelle des ressources naturelles renouvelables, qui se fixe comme tout premier objectif de conserver les potentialités de production de ces ressources.

Bien entendu, aussi, on ne veut pas parler ici de l'éducation donnée aux techniciens relativement à la conservation de ces ressources naturelles, bien que, en certains cas, elle gagnerait peut-être à donner à ces techniciens des vues plus larges sur l'interdépendance des ressources naturelles dont traite leur spécialité, et sur l'intégration nécessaire des différentes utilisations du sol. On ne veut parler ici que de l'éducation du public en général, et de ceux qui doivent guider ce public. Les vues de ces derniers sur ces questions ne sont d'ailleurs souvent que le reflet de l'opinion de ce public, mais c'est d'eux que dépend, en dernière analyse, la formulation de saines politiques d'utilisation des richesses naturelles.

Il est indéniable que, dans de nombreux pays, de grands progrès ont été faits pour l'éducation des adultes, et surtout des enfants, dans ce domaine. A l'occasion d'une enquête relative aux «Fêtes de l'arbre» célébrées dans le monde, beaucoup de gouvernements ont fait connaître à la FAO les méritoires efforts qu'ils soutenaient en vue de promouvoir dans le public le respect de l'arbre et de la forêt. Les «Fêtes de l'arbre» n'en sont, en général, qu'un seul parmi d'autres. Pépinières ou forêts scolaires, causeries aux élèves des écoles ou cours à leurs maîtres ou à leurs futurs maîtres, propagande par l'affiche, la presse, la radio, organisation de sociétés d'amis des arbres, de groupes d'enfants, de jeunes gens ou d'adultes s'intéressant à la nature et s'occupant activement de propager leurs idées, action de vulgarisation auprès des propriétaires privés de forêts, de terrains de parcours, ou auprès des usagers de ces terrains, tels sont les moyens mis en œuvre par les gouvernements.

Est-ce suffisant? Nous ne le croyons pas. Ces divers moyens ne font en général qu'attirer pour un temps plus ou moins long l'attention de ceux auxquels ils s'adressent sur un problème dont on peut bien dire qu'il est vital, mais qui, dans la majorité des cas, ne leur paraît pas les concerner directement. L'impression produite est temporaire alors que, pour chaque membre de la population, le sentiment de la nécessité de la conservation devrait s'incorporer à sa pensée et à sa vie même. La conservation des ressources naturelles devrait devenir un instinct au même titre que «l'instinct de conservation» tout court, car elle ne diffère pas au total de cet instinct, si, suivant un point de vue familier aux forestiers, on considère que les générations présentes n'ont que l'usage des terres du globe et doivent, sous peine de leur lente extinction, les transmettre aux générations futures avec le même potentiel de production qu'elles possédaient lorsqu'elles les ont reçues des générations antérieures et, si possible, avec un potentiel amélioré.

Certains pays, peu nombreux malheureusement, sont arrivés au résultat qui vient d'être énoncé, ce qui montre qu'il n'est nullement irréalisable. Dans les pays qui en sont grands consommateurs, on apprend aux enfants à ne pas gaspiller le pain. Pourquoi serait-il plus difficile de leur apprendre le respect de ce bien infiniment plus précieux: la terre qui le produit, avec tous les autres biens indispensables à la vie de l'homme? Il convient, en fait, d'imprégner de l'idée de conservation toute l'éducation des enfants et des jeunes gens. L'enseignement du rudiment de toutes les sciences qui touchent directement l'homme, l'histoire, la géographie, les sciences naturelles, pourrait constamment s'y référer, aussi bien que les manuels de lecture. La technique des éducateurs aurait vite fait de rendre ce sujet - qui n'est nullement aride - aisément assimilable aux jeunes cerveaux. Il serait illustré par les classes en plein air, les promenades, qui sont une habitude de plus en plus fréquente dans les écoles modernes. Tous les livres de géographie élémentaire expliquent aux enfants le cycle de l'eau. Serait-il plus difficile de leur expliquer que ce cycle n'est pas immuable, et que l'érosion accélérée est un phénomène dangereux qui, trop souvent, y trouve sa place?

Pour une action internationale

La formation d'une opinion publique éclairée est indispensable, parce que, ou bien elle peut seule éclairer à son tour les autorités responsables de la conservation des ressources naturelles sur le plan gouvernemental, ou bien elle peut seule leur faciliter l'application des mesures à prendre sur ce plan. D'un autre côté, cependant, la formation directe de ces autorités elles-mêmes, ou plutôt leur information, est indispensable si l'on veut que l'habitude de la conservation s'implante dans le public, auquel ces autorités servent de guides.

C'est là la tâche des techniciens de chaque pays. Mais il peut se passer fort longtemps avant que leurs avis soient écoutés, malgré les arguments les plus convaincants, surtout si les mesures qu'ils suggèrent se heurtent à des habitudes anciennes, à des droits plus ou moins reconnus par l'usage, à des coutumes profondément ancrées dans les populations.

Dans un grand pays qui n'est entré que depuis trois quarts de siècle environ dans le cycle du développement moderne, et qui met du reste actuellement en vigueur des mesures sévères pour la défense de son sol, les dégâts de l'érosion furent signalés dès 1900. Cependant, malgré les doléances des exploitants agricoles, les rapports alarmants de commissions spécialement constituées pour étudier ce problème, les dogâts causés par certaines années de sécheresse exceptionnelle, il fallut attendre 1933 pour que les premières mesures de restauration fussent prises par le gouvernement, qui dut y consacrer dès le début une somme équivalente à 25 millions de dollars. Mais l'érosion avait déjà entraîné d'irréparables dommages. Le pâturage désordonné des moutons, dont le nombre avait quadruplé en 30 ans, tandis que le cheptel bovin triplait, les feux de brousse, des défrichements inconsidérés et des pratiques agricoles funestes avaient entraîné de graves modifications du régime des eaux, l'assèchement de nombreuses rivières, la dégradation tant des pâtures que des terrains cultivés. La capacité de quatre grands barrages - réservoirs construits entre 1920 et 1925 se trouvait réduite en 1933 à des fractions variant de 14 à 45 pour cent de leur capacité initiale.

Il importe donc d'aider dans toute la mesure possible les efforts de persuasion des techniciens et de faciliter aux gouvernements les mesures qu'ils seront amenés à prendre tôt ou tard, mais qui, si elles sont prises trop tard, risqueront d'entraîner des dépenses considérables et ne constitueront qu'un remède partiel à une évolution irréversible.

C'est pourquoi l'idée peut être suggérée d'une action internationale dans ce domaine qui pourrait prendre la forme d'une reconnaissance solennelle, à l'échelon gouvernemental et par tous les pays du monde, d'un certain nombre de principes fondamentaux d'une politique de conservation du sol, dont l'adoption serait recommandée comme base d'une action vigoureuse à entreprendre dans le plus bref délai, partout où cela n'a pas déjà été fait.

Parce que, ainsi qu'on l'a montré, la forêt occupe une position - clef pour la conservation de tous les sols, il ne serait nullement déplacé que l'initiative de cette action internationale vienne des forestiers. Un congrès mondial de ces techniciens est la place de choix pour lancer une telle initiative.

On peut objecter, il est vrai, que la formulation de principes de conservation du sol se heurterait à de grandes difficultés du fait de la différence des conditions de sol et de climat dans les diverses régions du monde, aussi bien que du fait des différences entre leurs organisations sociales et entre le développement des techniques et des industries. Ces difficultés apparaissent grandes, en effet, mais non insurmontables. Le moyen d'y faire face paraît être de rechercher des principes de caractère dynamique et non statique.

Ainsi qu'on l'a déjà expliqué plus haut, conservation et utilisation des terres vont de pair. D'autre part, utiliser un terrain quelconque sous une forme déterminée, tout en assurant sa conservation, n'est pas nécessairement à la portée de tous les pays dans les conditions économiques et sociales où ils se trouvent. A des circonstances suceptibles de se modifier, il faut donc des principes assez larges pour tenir compte de ces modifications. Certaines formes d'utilisation du sol, un équilibre déterminé des diverses utilisations seront convenables sous une certaine forme d'économie mais non sous une autre. Telle forme d'économie imposera une limite à l'utilisation de certaines terres par l'agriculture ou par la forêt, indépendamment des limites qui sont imposées par la nature. Elle imposera aussi, pour le bien-être des populations du pays, un équilibre particulier entre les diverses utilisations de ces sols. Ce sont les idées de limitation de l'utilisation et d'équilibre des utilisations, compte tenu des conditions physiques, économiques et sociales, que devraient, semble-t-il, souligner des principes de la conservation des sols.

Ils devraient naturellement être complétés par la nécessité de règles déterminées pour chaque utilisation, ou si l'on veut d'une politique de chacune de ces utilisations. Ce sont des règles de base de ce genre qui, sur l'invitation du troisième Congrès forestier mondial, ont été recommandées par la FAO en ce qui concerne l'utilisation forestière. Il est clair en effet que, quelles que soient les précautions prises en ce qui concerne l'établissement d'un équilibre rationnel de l'utilisation des sols, toute utilisation mal conduite peut compromettre la stabilité ou la fertilité du sol sur lequel elle s'exerce et par là même l'équilibre de l'ensemble.

Quel que puisse être le point de vue du quatriènie Congrès forestier mondial sur la dernière question qu'on vient de soulever ici, le seul fait qu'il mettra l'accent qui convient sur le rôle que joue la forêt dans la conservation des sols, et sur le rôle qu'elle peut et doit jouer dans la restauration des sols dégradés, est d'une grande importance.

La valeur économique de la forêt, entendue dans son sens le plus large, est en général une idée aisément comprise, quoique trop inconsidérément exploitée. Sa valeur protectrice, souvent très supérieure à sa valeur productrice, est encore trop souvent incomprise, bien qu'en réalité ces rôles de protection et de production soient intimement liés.

Par tous les moyens il faut que cette valeur protectrice, dans un monde dont l'évolution fait courir à la forêt de graves dangers, soit largement reconnue.


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