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Chapitre 1: DÉFINITIONS ET CADRE MÉTHODOLOGIQUE


1.1 - Définitions
1.2 - Un système de commercialisation
1.3 - Le cadre analytique

1.1 - Définitions

Bien que les termes «formel» et «informel» soient utilisés fréquemment par toute personne travaillant dans les pays en développement, la différence entre ces deux secteurs n’est pas toujours claire et évidente. Les débats qui entourent la définition du secteur informel sont toujours ouverts. Les définitions posent généralement des problèmes, comme le démontrent les exemples suivants. Oudin (1990) a choisi, au Niger, d’inclure dans le secteur informel l’ensemble des activités non agricoles n’ayant pas de comptabilité selon les normes du plan comptable national. Mais selon lui, le terme secteur est même contestable puisqu’il suppose une certaine homogénéité des unités qui le composent. Selon Madhuri Bose (1990), les essais visant à délimiter ces secteurs à l’aide de facteurs tels que la technologie traditionnelle, le employment status, la taille des opérations et la localisation, ne sont pas sans problèmes. La différence essentielle entre les secteurs formel et informel serait dans la nature des relations entre les participants. Frey (1995) décrit le secteur informel comme: «ne payant ni patente ni impôt... Leur rôle est d’autant plus lié à la vie familiale et aux relations sociales interpersonnelles...» Sur base du statut fiscal, il y a évidemment une différence entre différentes catégories d’entreprises, mais une classification sur la base de ce paramètre n’est pas évidente. Le secteur qui paie des impôts au Ministère des finances, entre autre la taxe sur la valeur ajoutée, est considéré comme formel. Le secteur informel ne paie pas ces taxes, mais paie généralement une contribution journalière ou mensuelle à l’administration locale du marché. Le simple fait d’avoir une patente ou d’être enregistré pose parfois des problèmes. Les autorités du marché peuvent, par exemple, accorder une autorisation journalière aux détaillants informels et occasionnels, mais ceux-ci peuvent-ils dès lors être classés comme des entreprises formelles? Même les femmes qui s’installent par terre autour des marchés, pour vendre quelques tubercules, paient généralement une petite taxe.

En réalité, il existe une gradation entre les activités qui sont sans doute formelles (par exemple l’importateur-grossiste) et celles qui sont à cent pour cent informelles (par exemple des vendeurs ambulants dans les rues et des vendeurs des marchés de détail). L’évolution des entreprises de commerce des vivres entre ces deux extrêmes fait l’objet de notre étude. Définir ce qui est sûrement formel et ce qui ne l’est pas reste arbitraire et nous intéresse en moindre mesure. Pour des raisons pragmatiques, le terme «semi-formel» sera utilisé. Il s’agit d’une catégorie d’entreprises possédant certaines caractéristiques du secteur formel, mais se comportant comme des sociétés informelles. Généralement, elles sont inscrites au registre du commerce, mais le personnel n’a pas de statut officiel, elles ne paient pas de taxes sur la valeur ajoutée, il n’y a pas de comptabilité selon les règles nationales, etc.

1.2 - Un système de commercialisation

Dans la recherche des systèmes, la chaîne de commercialisation est considérée comme un mécanisme qui transforme les produits des systèmes de production agricole et les intrants en produits intermédiaires et produits de consommation répartis dans l’espace et dans le temps. Cette approche considère la production des vivres, la commercialisation et la consommation comme un seul système, réparti en plusieurs sous-systèmes. Les interactions entre les niveaux sont cruciales pour comprendre et améliorer la performance de l’ensemble. Une petite croissance de la productivité dans une partie du système peut fortement influencer le potentiel de tout le système. Cet instrument d’analyse est relativement proche de l’analyse des filières, une méthodologie utilisée par l’école française. Selon Moustier et Leplaideur (1996), «la filière retrace la succession des opérations qui, partant en amont d’un produit, aboutit en aval, après plusieurs stades de transfert dans le temps, l’espace et la forme, à un produit fini au niveau du consommateur. La filière est définie comme l’ensemble des agents économiques qui contribuent directement à la production, puis à la transformation et à l’acheminement jusqu’au marché de réalisation d’un même produit».

Un système de commercialisation est un ensemble opérationnel caractérisé par un flux de produits, un flux d’argent et un flux d’informations, et le tout est lié et interconnecté (voir figure 1). Les liens de communication sont très importants pour la coordination de la production et de la distribution des biens et des services, et pour l’utilisation optimale des intrants. Des forces externes d’ordre économique, politique, social et culturel influent sur le système. Suivant la recherche des systèmes, la chaîne de commercialisation est subdivisée en trois sous-systèmes: agriculteurs, commerçants et transformateurs, et consommateurs. Les structures de production et consommation déterminent la nature essentielle du problème de la commercialisation des vivres. La population, les revenus et la consommation sont des indicateurs importants des caractéristiques de la demande. L’effet des marchés sur les niveaux et la nature de la production et de la consommation sont d’une importance primordiale dans le développement économique, la répartition des revenus et la sécurité alimentaire. Le marché influence la production agricole à travers son impact sur les prix des outputs et des intrants, et à travers la disponibilité des intrants et des débouchés fiables et rentables. Les caractéristiques de la production ont un impact sur la nature et les coûts de la commercialisation, les bénéfices de l’agriculteur, la disponibilité et le prix des vivres.

Le système de commercialisation, ainsi que les systèmes de production et de consommation peuvent être considérés comme des sous-systèmes d’une unité plus large, laquelle est à son tour un sous-système du système national, etc. Le système de commercialisation est composé de plusieurs sous-systèmes (grossistes, semi-grossistes, détaillants, colporteurs, transporteurs, etc.), comprenant tous une catégorie plus homogène de commerçants. Ces sous-systèmes sont composés d’entreprises de commerce individuelles. Le principe «système/sous-système/supra-système» lie les systèmes de manière hiérarchique.

Un système de commercialisation remplit essentiellement trois fonctions, à savoir une fonction d’échange (achat, vente, formation des prix), une fonction physique (collecte et transport, stockage, transformation et emballage, triage et classification) et une fonction de facilitation (financement et couverture du risque, informations objectives sur les conditions de commercialisation, recherche et développement, promotion des ventes). Ces fonctions existent dans tous les systèmes de commercialisation, mais elles sont remplies de manière différente selon le niveau de développement du pays et le degré d’évolution du système. Les différences sont aussi bien quantitatives que qualitatives parce que le type de produits commercialisés, les quantités et les qualités sont tous fonction du niveau de développement du système qui dépend d’un ensemble de forces économiques, politiques, sociales et culturelles et du niveau de développement économique du pays. Les études empiriques démontrent que le secteur informel se concentre surtout sur la fonction d’échange et certains aspects de base de la fonction physique (collecte et transport). D’une manière générale, le secteur informel se concentre sur les activités qui nécessitent une quantité importante de main-d’oeuvre par unité de produit, ainsi qu’un personnel monétaire assez restreint. Il s’agit des produits périssables qui sont difficiles à collecter et qui nécessitent un contrôle extensif lors de chaque transaction. La fonction de facilitation est plutôt, mais pas exclusivement, typique pour le secteur formel. La plupart de ces aspects nécessitent une échelle d’activités relativement grande pour être rentables. Etant donné que chacune de ces fonctions donne une valeur ajoutée au produit, la commercialisation ne peut pas être considérée comme une activité parasite, car elle représente bel et bien un paquet de services ajoutés au produit pour lequel le consommateur est prêt à payer un certain prix.

L’output du système est limité et déterminé aussi bien par des facteurs exogènes qu’endogènes. Les facteurs, ou contraintes endogènes, sont dus à des sous-systèmes dans le système ou à des systèmes d’un niveau plus bas. Une fonction ou activité à entreprendre par un individu ou une firme peut être considérée comme non rentable, vu les contraintes dans le système. Des facteurs ou des contraintes exogènes se situent à un niveau plus élevé que le système en question. Dans le cas d’un système de commercialisation, les facteurs exogènes se situent au niveau de l’environnement physique, institutionnel et macroéconomique. L’environnement physique joue un rôle déterminant pour la faisabilité, les coûts de transactions et l’efficience économique de la commercialisation.

1.3 - Le cadre analytique

Le but de cette étude est de comparer les systèmes d’approvisionnement en vivres des villes en Afrique subsaharienne et d’identifier, pour chaque produit vivrier, les facteurs qui retardent les interventions du secteur formel, ainsi que les facteurs et les caractéristiques générales qui déterminent la structure actuelle. On suppose que, dans chaque segment de la chaîne de commercialisation, le type d’entreprise le plus efficace, formel ou informel, dominera, étant donné les facteurs exogènes et endogènes.

Sur la base des aspects mentionnés ci-dessus, on peut déjà identifier les contraintes qui déterminent le fonctionnement d’un système de commercialisation et qui peuvent éclaircir la dichotomie «formel-informel» dans l’approvisionnement des villes et la distribution urbaine des vivres en Afrique subsaharienne, à savoir:

D’un point de vue dynamique, le développement et la croissance économique d’un pays se reflètent dans une augmentation du Produit National Brut (PNB) par personne. On suppose que l’évolution des chaînes de commercialisation des vivres, d’une situation informelle à bas niveau technologique vers une situation formelle à niveau élevé de technologie, est au fond liée au niveau de développement du pays. De nombreuses études empiriques dans différents pays du monde le mettent en évidence. Cette croissance du PNB implique entre autres:

Les pays ayant un PNB par personne de moins de $EU 100 (le Rwanda, le Zaïre, le Mozambique, l’Ethiopie, etc.) se caractérisent par un système de commercialisation des vivres locaux presque complètement informel, dominé par de petites entreprises. Dans ces pays, il n’y a que quelques secteurs qui sont typiquement formels, comme par exemple les importations de vivres et le commerce de gros du riz. Dans les pays industrialisés par contre, plus de 98 % du commerce est formel. Les autres pays de l’Afrique subsaharienne se situent entre ces deux extrêmes. La recherche empirique démontre que le premier secteur à se formaliser est souvent le commerce en gros des céréales, le dernier, celui du commerce des légumes. Le processus de «formalisation» ne se passe pas à la même vitesse dans tous les secteurs de l’agriculture et du commerce, ce qui résulte dans les structures dichotomiques qui caractérisent l’Afrique subsaharienne et les autres pays en développement.

Le PNB par personne est utilisé comme paramètre approximatif pour le niveau de développement économiques d’un pays. Il est correlé aussi bien au cadre général socio-économique, qu’au profil du consommateur et au niveau «technologique» de l’agriculture et du commerce. Au tableau 1, les pays de l’Afrique subsaharienne sont rangés en quatre groupes selon le PNB par personne (en $EU) en 1994.

Tableau 1

PAYS EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE SELON LE PNB PAR PERSONNE

PNB par personne

moins de $EU 201

de $EU 201 à 400

de $EU 401 à 600

plus de $EU 600

Rwanda (80)
Mozambique (90)
Ethiopie (100)
Tanzanie (140)
Burundi (160)
Sierra Leone (160)
Malawi (170)
Tchad (180)
Uganda (190)
Madagascar (200)

Niger (230)
Guinée-Bissau (240)
Kenya (250)
Mali (250)
Nigeria (280)
Burkina Faso (300)
Togo (320)
Gambie (330)
Zambie (350)
Bénin (370)
Rép.Centrafri. (370)

Ghana (410)
Mauritanie (480)
Zimbabwe (500)
Guinée (520)
Sénégal (600)

Côte d’Ivoire (610)
Congo (620)
Cameroun (680)

Source: La Banque mondiale, “World Development Report 1996”.
Les extrêmes sont le Rwanda ($EU 80 par habitant) et le Cameroun ($EU 680 par habitant). Il est facile à comprendre que cette différence (un sur huit) se reflète dans tous les domaines de la société.

Il est à remarquer que le PNB par personne est une moyenne nationale et qu’il ne dit rien sur la répartition des revenus. Il peut y avoir, par exemple, un biais pour certains pays en raison d’une production pétrolière, des exportations de minérais, etc.

Figure 1: Un système de commercialisation des produits agricoles

Figure 2: Relation entre le Produit national brut (PNB) et la part relative du secteur informel et le niveau du PNB par personne


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