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Chapitre 2: LA DICHOTOMIE DU COMMERCE: CIRCUITS FORMELS ET INFORMELS


2.1 - La coexistence des circuits formels et informels
2.2 - Les transactions formelles et informelles
2.3 - L’analyse par produit

Les filières de commercialisation des vivres en Afrique subsaharienne peuvent être groupées en trois catégories: les circuits formels, les circuits informels et les circuits mixtes. Les circuits étatiques, relativement importants dans les années 1960-1980 sont considérés comme des circuits formels. Ils reçoivent peu d’attention dans cette étude en raison de leur importance actuelle restreinte. Ce chapitre décrira les caractéristiques de chaque type de circuit en termes généraux et donnera ensuite une analyse par produit.

2.1 - La coexistence des circuits formels et informels


2.1.1 - Le circuit informel
2.1.2 - Le circuit formel
2.1.3 - Le circuit mixte

2.1.1 - Le circuit informel

La filière informelle de commercialisation des vivres en Afrique subsaharienne comprend souvent un ou deux intermédiaires entre le producteur et le consommateur, à savoir un colporteur qui organise la collecte des vivres en milieu rural et le transport vers les centres urbains. Il achète les vivres auprès des paysans et les revend au détaillant et même au consommateur en ville. Ces colporteurs (voir étude de cas 4) n’ont généralement pas de propre véhicule ni de bateau. Ils louent une place sur un véhicule pour eux-mêmes et leurs produits. Ils se déplacent à vélo, à pied ou en minibus pour acheter des vivres en milieu périurbain (de 0 à 25 km). Les déplacements jusqu’à 25-50 km se font souvent en voiture pick-up, en taxi-bus ou en camionnette les longues distances en camion, en train ou en bateau. Frey (1995) fait la différence entre, d’une part, les «systèmes artisanaux marchands» avec des collecteurs-colporteurs professionnels à plein temps et, d’autre part, les «systèmes domestiques» avec des consommateurs urbains qui s’occupent du commerce lors de leurs déplacements occasionnels, ou avec des paysans qui vont en ville pour y vendre une partie de la récolte.

Les achats des colporteurs se font au champ, au bord de la route, à la ferme, éventuellement au marché du village du producteur, mais généralement peu à d’autres marchés ruraux. Les paysans ont souvent des problèmes pour transporter de grandes quantités de produits vers les marchés ruraux. Seulement au Sénégal, où la traction animale est disponible, les paysans ont plus de flexibilité: ils peuvent facilement remporter leurs produits quand le prix n’est pas satisfaisant. Les femmes des agriculteurs vendent des produits agricoles au marché pour financer l’achat de biens manufacturés ou de certains vivres.

Le colporteur vend au détaillant, au consommateur ou au grossiste urbain. Les ventes ont généralement lieu directement après l’arrivage en ville (par manque de financement), dans les rues, sur les parkings, dans les dépôts des grossistes locaux. La distribution au détail de ces vivres locaux se situe presque entièrement dans le secteur informel (voir étude de cas 1). Ce type de circuit «court» est prépondérant en Afrique subsaharienne pour tous les produits (semi-)périssables: les légumes, les fruits, le lait local, les tubercules séchés, le manioc frais et séché, la volaille, les chèvres, le gibier, le poisson local frais et fumé. La recherche de Eicher et Baker (1982), Jones (1972), David et Moustier (1993), Goossens (1994) et d’autres chercheurs démontre que l’extrême longueur des circuits de distribution en Afrique subsaharienne est généralement un mythe. Les filières de commercialisation sont souvent extrêmement courtes.

Parfois le colporteur vend aux grossistes locaux ou aux transformateurs informels qui financent le stockage, transforment et revendent le produit. Le nombre d’intermédiaires s’élève ainsi à deux ou trois. Le financement des stocks de l’igname, de l’arachide, de la banane, du maïs, du sorgho et du mil est souvent une contrainte pour le collecteur-colporteur même. Il y a par exemple les grossistes de l’igname et de la banane à Bouaké (Côte d’Ivoire), les stockeurs de l’arachide à Tuba (Sénégal) et à Kinshasa (Zaïre), etc. Il s’agit d’une catégorie de grossistes locaux qui fonctionnent à une échelle restreinte et qu’on pourrait souvent cataloguer comme semi-formels. La nécessité d’une transformation du produit est également une motivation pour la vente à un intermédiaire formel ou informel. La transformation des produits se situe aussi bien dans le secteur formel (agro-industrie) que dans le secteur informel selon la technologie utilisée. Le grossiste formel s’occupe de la transformation industrielle (la mouture du maïs, le décorticage du riz), les femmes dans les centres urbains s’occupent de la transformation informelle (la fabrication de gari, d’attiéké, de pâte de manioc; la préparation du sorgho, du poisson fumé, de bananes plaintains, etc.).

Selon Frey (1995), l’efficacité du système artisanal marchand repose sur une connaissance approfondie de l’économie rurale. Goossens (1994) démontre que ce type de collecte est plus efficace sur le plan du groupage de la marchandise en milieu rural est l’absence d’une standardisation des vivres dans le cas de vivres (semi-)périssables et dans le cas d’une atomisation extrême de l’offre. Le fort emploi de main-d’oeuvre pour la collecte et la distribution, et les risques encourus, expliquent la dominance du secteur informel dans certaines filières. Cette commercialisation, qui s’effectue de façon informelle, est bien organisée et tout à fait en mesure de s’adapter à un accroissement du volume des produits. Mais, il y a généralement une multiplication des activités et non une croissance des entreprises avec des économies d’échelle et une hausse de la compétitivité. D’autres désavantages sont la productivité très basse de la main-d’oeuvre, peu de compétition (Goossens, 1996) et l’absence d’innovation et d’adoption de nouvelles technologies.

Figure 3: Cadre conceptuel de la commercialisation des vivres en Afrique subsaharienne avec a) le circuit informel; b) le circuit mixte; c) le circuit formel

La plupart des grandes villes africaines ne possèdent pas de véritable marché de gros. Les installations utilisées pour la vente en gros de vivres sont souvent disséminées à travers la ville. Il n’existe pas d’infrastructures spécifiques, mais les colporteurs organisent la vente dans des rues et des parkings près des marchés de détail, où les camions s’arrêtent. Parfois, il s’agit d’une concentration de dépôts des grossistes locaux «semi-formels». Le chiffre d’affaires de ces entreprises est petit, le dépôt n’est qu’une simple construction car il y a peu d’infrastructures ou d’installations spécifiques. Les acteurs n’ont souvent pas de moyens de transport. La vraie fonction de vente en gros, en termes d’échelle de l’activité, existe pour certains produits spécifiques tels que les vivres importés (viande, poisson, volaille, riz, huile, blé, maïs), le riz, le maïs et les céréales produits localement et transformés de façon industrielle. L’offre est généralement contrôlée par un nombre restreint de grossistes (importateurs, producteurs, collecteurs). L’absence de marchés et de commerçants de gros pour les autres produits locaux mène à une segmentation des marchés urbains, ce qui est typique pour les circuits informels: les informations sur les prix passent difficilement, la situation de l’offre est confuse, les marchés ne sont pas transparents, les prix fluctuent de jour en jour, il faut marchander pour arriver à un prix correct, et les marges de distribution sont élevées. Dans une étude de cas portant sur les marchés de Yaoundé au Cameroun, Ongla (1978) note des écarts de prix importants d’un marché à l’autre. Goossens, Minten et Tollens (1994) ont fait le même constat au Zaïre: les écarts de prix entre les marchés s’élèvent parfois à plus de 10 à 15 % du prix de vente. Souvent des systèmes d’information sur les prix sont proposés afin d’améliorer la transparence des marchés.

Les transporteurs routiers et fluviaux peuvent être propriétaire, locataire ou gérant d’un camion ou d’un bateau. Souvent, ils ne sont pas propriétaires de toute la marchandise sur le camion. Celle-ci appartient à des commerçants et des colporteurs. Les propriétaires des camions se trouvent dans tous les secteurs de l’économie et considèrent un camion comme un investissement intéressant, facile à gérer et à contrôler, qui demande peu de savoir-faire spécifique et qui rapporte un cash-flow régulier. Les colporteurs louent une place sur le camion ou le bateau. Des camionneurs transportent les produits jusqu’à la ville où ces mêmes produits sont vendus aux semi-grossistes, aux détaillants et même aux consommateurs. Les camionneurs n’ont pas toujours d’emplacement et d’installation de vente fixe. Leur camion sert souvent au classement, à l’emballage et au stockage des produits. Ces camionneurs accomplissent des fonctions importantes de commercialisation, comme la collecte des produits vivriers d’un grand nombre de petits producteurs et le transport de ces produits vers les zones urbaines et leur distribution. Ils assurent le lien nécessaire entre les petites unités de production géographiquement éparpillées et les petites unités de vente au détail.

Les marchés de détail se trouvent toujours dans le secteur informel. Il y a les grands marchés urbains, les petits marchés des quartiers, les tabliers dans les rues, les kiosques et les vendeurs ambulants. Le fonctionnement d’un marché de détail est décrit dans l’étude de cas 1. Les bénéfices nets des détaillants se situent souvent autour de $EU 1 à 2 par jour. Une situation extrême d’insécurité alimentaire a un impact sur tous les niveaux de la chaîne de commercialisation, mais surtout au niveau du commerce de détail et des colporteurs en raison des barrières d’entrée qui sont extrêmement basses à ces niveaux. Goossens (1996) démontre que le rôle social de ces marchés est relativement important.

2.1.2 - Le circuit formel

La filière formelle comprend un importateur ou grossiste-collecteur et un point de vente au détail (supermarché, superette, kiosque). Parfois, une seule entreprise remplit les fonctions d’importation, de gros et de détail. Les grandes villes disposent souvent de supermarchés, de superettes et de détaillants spécialisés qui convoitent les groupes de revenus aisés. Ces supermarchés et épiceries libre-service ne jouent pas de rôle important dans la distribution des principaux produits vivriers de base. Parfois, le secteur formel organise la vente de certains produits bien standardisés (boissons sucrées, bière) dans ses propres boutiques. L’importance de ce circuit formel est généralement surestimée, parce qu’il est beaucoup plus visible que le circuit informel. Les grossistes formels sont souvent des entreprises anciennes qui, dans le passé, s’occupaient de la collecte de l’arachide, du maïs, du riz et du café en milieu rural, en combinaison avec la distribution d’intrants, de biens manufacturés et de poisson salé. Actuellement, ils ont réduit leurs activités à l’intérieur du pays et ils se concentrent surtout sur l’importation des vivres. Les nouveaux grossistes locaux, soi-disant «semi-formels» se concentrent plus sur les circuits à l’intérieur du pays.

2.1.3 - Le circuit mixte

Généralement, les grossistes formels utilisent les secteurs semi-formels et informels pour la distribution de demi-gros et de détail de leurs produits, ce qui mène à un circuit mixte formel-informel. La quantité de produits qui peut être distribuée à travers le circuit de détail formel est trop restreinte. La gestion d’un circuit de distribution qui s’adresse à la totalité de la population n’est pas rentable de façon formelle, en raison du grand nombre de points de vente qui sont nécessaires. Les investissements de base dans une infrastructure formelle de vente au détail sont toujours plus chers que ceux du secteur informel.

Les aliments importés sont canalisés à travers des maisons de distribution en gros qui les vendent dans leurs propres supermarchés et surtout en demi-gros. A travers ces semi-grossistes (parfois formels, généralement semi-formels, souvent informels), les produits trouvent leur voie vers les différents marchés de détail (voir encadré 1). L’assortiment de produits traités à travers le circuit mixte est remarquablement semblable dans toute l’Afrique subsaharienne: le riz importé, le poisson congélé ou salé, le poulet importé, les boîtes de purée de tomates, le lait en poudre, le lait concentré, le pain (ou blé), l’huile de palme industrielle, l’oignon importé, etc. Il s’agit également de produits locaux qui ont reçu une transformation industrielle.

Les grossistes locaux se situent souvent à mi-chemin entre les secteurs formel et informel. Certains ont déjà quelques caractéristiques d’un statut formel: une comptabilité selon les règles nationales, un registre de commerce, des crédits bancaires. D’autres ne s’occupent qu’occasionnellement du commerce et sont tout à fait informels. Il y en a de toutes sortes et tailles. «Devenir formel» n’offre pas nécessairement des avantages. Au contraire, l’accès au crédit demeure problématique en raison des garanties bancaires. Se faire connaître au fisc et à l’administration ne donne pas d’avantages non plus. En plus, il est souvent presque impossible de devenir formel, étant donné la faiblesse de l’administration et l’absence d’un statut formel adapté au petites entreprises. Mais généralement, les détaillants les plus efficaces qui réussissent à élargir leurs activités, quittent le commerce de détail pour s’occuper du commerce de gros.

2.2 - Les transactions formelles et informelles

Les transactions d’achat du consommateur peuvent être classées en deux catégories, à savoir les achats «mensuels» et «journaliers». Ils se font dans des lieux bien différents. Le fameux «sac» de maïs, de riz, de sorgho, ou de manioc, est acheté par le ménage une fois par mois, soit directement auprès du colporteur lors de son arrivée en ville, soit dans le dépôt d’un semi-grossiste (voir encadré 1). Celui-ci remplit souvent le rôle de semi-grossiste et de détaillant en même temps. Cet achat n’a pas lieu au marché de détail. Ainsi, le rôle des marchés de détail types se limite à l’aliment de base. De petites quantités de légumes, de poisson, de haricots, de fruits, de viande, etc., pour la consommation journalière, sont achetées presque uniquement aux marchés de détail. Le transport en ville coûtant cher par rapport à la valeur de ces transactions, le client fait ses achats journellement près de chez lui au marché du quartier, d’où la nécessité d’un grand nombre de points de vente. Ce service lui est offert par le secteur informel.

Le problème de la standardisation est une contrainte majeure, qui est décisive pour la localisation d’une transaction dans le secteur formel ou informel.

Les multiples études de cas démontrent que le commerce de gros se concentre généralement sur des vivres hautement standardisés, pour lesquels l’information sur les prix et la qualité est bonne, pour lesquels le marchandage n’est pas nécessaire, les transactions étant efficaces et facile à contrôler (ce qui permet une échelle optimale assez grande), et pour lesquels, en cas de compétition, les marges bénéficiaires sont petites. Le circuit formel est spécialisé dans les types de commerce qui se caractérisent par:

Encadré 1

LES SEMI-GROSSISTES DE VIVRES LOCAUX AU ZAÏRE

Les semi-grossistes achètent un certain nombre de sacs de manioc, d’arachides, de riz ou de haricots, et ils en organisent le transport vers leur dépôt par charrette (pousse-pousse) ou par voiture pick-up et ils les revendent par quelques unités ou à la pièce aux détaillants, et même aux consommateurs. Environ la moitié des semi-grossistes sont locataires de leur dépôt, les autres sont propriétaires. Généralement, ils n’ont pas de moyen de transport, mais en louent un en cas de besoin. Etant donné que le but principal est d’approvisionner le commerce de détail, les dépôts se situent autour des grands marchés de détail. Les semi-grossistes avec dépôt se situent généralement dans le circuit des produits vivriers qui sont acheminés par bateau, qui sont importés ou qui arrivent par camion, mais qui ne sont pas directement vendus sur les parkings. Les entreprises de demi-gros se trouvent généralement dans le secteur informel. Les faiblesses sont: l’absence de comptabilité dans beaucoup de cas, la comptabilité réduite à l’enregistrement des recettes, l’absence de réinvestissements, les profits étant utilisés à subvenir aux besoins immédiats de consommation des propriétaires et de leurs familles. L’utilisation des fonds de roulement pour résoudre les problèmes familiaux est fréquente, ce qui empêche une planification à long terme. Le mélange des fonds familiaux et commerciaux pose une lourde hypothèque sur la stabilité et la santé financière des entreprises. Le point fort de ce secteur est son dynamisme.

La valeur d’une transaction d’achat des vivres est de $EU 550 en moyenne. Cette quantité est vendue en 7,2 jours. Le chiffre d’affaires est de $EU 92 par jour. La marge moyenne entre la valeur d’achat et la valeur de vente est de 22 %. La marge brute par jour est de $EU 60, ce qui est très élevé du fait qu’il n’y a guère de frais et qu’on ne produit généralement pas ou guère de valeur ajoutée.

La structure du commerce de demi-gros est atomistique, mais il y a des barrières à l’entrée: le financement des stocks et parfois l’accès aux produits. Pour les candidats semi-grossistes, trouver des fonds de démarrage semble constituer la plus grande difficulté. Environ 80 % des semi-grossistes renouvellent les stocks avec leurs propres moyens.


Une absence de standardisation des produits ouvre des opportunités au secteur informel à fort emploi de main-d’oeuvre bon marché parce que:

Eicher et Baker (1982) mentionnent que les chercheurs ont surestimé l’importance du marchandage. Dans la plupart des cas, tant l’acheteur que le vendeur ont une bonne idée de l’éventail des prix qui se pratiquent sur le marché pour la journée en question. Goossens (1994) démontre que le marchandage est utilisé pour corriger les imperfections dans le marché, comme l’absence d’un emballage standardisé, d’une qualité standardisée ou d’un contrôle efficace.

Les spécialisations des entreprises formelles et informelles aboutissent donc à trois catégories de circuits qu’on retrouve dans tous les pays de l’Afrique subsaharienne, à savoir:

D’une manière générale, le secteur formel se développe d’abord dans le marché des céréales et, à un stade de développement plus avancé, dans le secteur des tubercules, des légumes et des fruits. Une analyse par produit permet d’identifier les contraintes et les avantages comparatifs pour le secteur formel dans chaque filière.

2.3 - L’analyse par produit


2.3.1 - Les arachides
2.3.2 - Les bananes
2.3.3 - Les fruits
2.3.4 - Les huiles
2.3.5 - L’igname
2.3.6 - Le lait et les produits laitiers
2.3.7 - Les légumes
2.3.8 - Le maïs
2.3.9 - Manioc
2.3.10 - L’oignon
2.3.11 - Le poisson
2.3.12 - Le riz
2.3.13 - Le sorgho et le mil

2.3.1 - Les arachides

Les exportations d’arachides au niveau mondial sont réalisées par une dizaine de pays seulement, dont deux en Afrique, à savoir le Sénégal (exportation de 41 % de sa production nationale) et le Soudan (25 % de sa production). Le marché mondial connaît trois formes d’arachides: graines de bouche, huile, tourteau. Pour l’arachide de bouche, il y a les normes du marché (taille, forme, couleurs des graines). Au Sénégal, la SONACOS, office de commercialisation et de transformation de l’arachide, organisait le marché de l’exportation. L’achat en gros au niveau du paysan pour l’exportation impliquait souvent l’approvisionnement en engrais, en semences, en crédit et en pesticides. La politique de désengagement des Etats en matière de fourniture d’intrants a rendu l’offre irrégulière. La disparition des circuits, souvent subventionnés, implique une baisse de la compétitivité du secteur formel sur le plan de la collecte. Les circuits de collecte informels sont beaucoup plus flexibles que les circuits formels.

Le taux d’autoconsommation d’arachides est très élevé dans tous les pays producteurs. Ce qui est vendu par le petit producteur entre généralement dans la filière locale. Celle-ci est caractérisée dans plusieurs pays par de petits grossistes locaux qui achètent auprès des paysans ou des collecteurs après la récolte, qui financent le stockage et qui vendent au fur et à mesure que le prix augmente. Ces grossistes sont aussi bien formels que semi-formels et informels. A côté de ce circuit, il y a le secteur formel qui est traditionnellement actif dans le commerce et la transformation de l’arachide. Les circuits s’étaient le plus formalisés au Sénégal où le rôle de l’Etat, en tant que régulateur, a permis la croissance facile d’un secteur formel. Suite à l’ajustement structurel et au dérèglement qui en fait partie, le secteur informel a crû. Dans d’autres pays, les grossistes et transformateurs locaux avaient déjà depuis longtemps remplacé les grandes sociétés formelles. Au Zaïre par exemple, le secteur informel se développe rapidement et remplace en quelques décennies les grossistes formels qui étaient autrefois actifs dans le secteur (voir étude de cas 2).

2.3.2 - Les bananes

Il y a trois systèmes de production de bananes en Afrique subsaharienne:

a) le système traditionnel de cueillette;

b) le système artisanal ou villageois: il s’agit généralement d’exploitations d’un à plusieurs hectares, faiblement intensifiées, avec une mise en vente d’une part significative de la production; souvent il s’agit d’anciennes plantations, de cultures dans les vallées en forêts et de cultures associées au cacao et au café;

c) le système industriel, constitué de plantations très intensives de quelques dizaines à quelques centaines d’hectares, à forte productivité, orientées essentiellement vers l’exportation (Rastoin et Loeillet, 1996).

Il est évident que le système de production a) aboutit à une consommation en milieu rural, et les ventes occasionnelles aux marchés ruraux ou éventuellement aux colporteurs. Ce commerce s’oriente surtout sur la consommation rurale. Le système de production b) est idéal pour les grossistes-collecteurs ou des coopératives qui organisent la collecte et le transport sur les longues distances et qui prennent des risques relativement élevés de collecte et de transport. Ces risques sont compensés par des marges élevées. Arrivés en ville, les collecteurs revendent aux détaillants, ou à d’autres semi-grossistes qui financent le stockage jusqu’à la distribution. Les grossistes formels ne s’intéressent pas à ce secteur. La distribution au détail passe traditionnellement à travers les marchés de détail. Les exportations se font surtout par la Côte d’Ivoire, le Cameroun et le Ghana, pays ayant une infrastructure générale relativement bonne basée sur le système de production c). L’exportation industrielle est seulement possible dans un environnement avec des infrastructures de base qui sont relativement efficaces.

2.3.3 - Les fruits

Les contraintes de l’organisation des filières des fruits en Afrique subsaharienne se situent à plusieurs niveaux et empêchent le secteur formel d’y être actif:

Etant donné les contraintes, il est donc normal que la commercialisation se situe dans le secteur informel. L’envergure des problèmes à tous les niveaux de la chaîne implique qu’il n’y a pas de simples solutions dans un proche avenir. L’exportation des fruits est possible moyennant un contrôle de toute la chaîne, avec une production contrôlée et un approvisionnement en intrants. Une production pour le marché local par les fermes modernes est possible, mais risquée, en raison de la demande limitée des centres urbains. Un marché urbain est très vite saturé en fruits.

2.3.4 - Les huiles

Plusieurs huiles végétales (le soja, le tournesol, l’arachide, le colza, le maïs), ainsi que des arbres pérennes tels que le cocotier et le palmier à huile, occupent une place importante dans l’alimentation quotidienne en Afrique subsaharienne. Le plat de base africain contient généralement une sauce à base d’huile, de légumes, de tomate et d’oignon. Pour la préparation de la viande, l’huile est aussi souvent indispensable. A l’époque coloniale, l’Afrique était un exportateur important d’huile. L’ouverture des marchés africains à la concurrence étrangère s’est traduite par des importations à bon marché. L’insuffisance des investissements dans les plantations et les usines de transformation a aggravé cette situation: baisse des rendements, de la qualité et de la productivité des exploitations agricoles, industries obsolètes. Ensuite, il existe aussi les économies d’échelle dans les pays concurrents, surtout en Asie. Récemment, la compétitivité s’est fortement amélioré après la dévaluation du franc CFA(FCFA) (voir encadré 2).

Le secteur de l’huile est caractérisé par une trichotomie remarquable: une production industrielle locale, une transformation artisanale et une importation; chaque catégorie a ses propres filières de commercialisation et de distribution. Dans chaque filière, il y a des (semi-)grossistes qui financent le stockage. Dans le circuit industriel et pour l’importation, ces grossistes forment le maillon nécessaire entre les usines et les dépôts qui organisent la vente au détail. Dans le circuit informel, ils achètent, financent le stockage et revendent aux détaillants. L’huile artisanale coûte généralement moins cher que l’huile industrielle. La transformation informelle a récemment gagné de l’importance. L’extraction de l’huile de palme se fait de cinq façons: extraction à la main, petite presse à vis, petite presse hydraulique à main, usine intermédiaire et grande usine à fort emploi de personnel. Selon Eicher et Baker (1982), l’extraction manuelle est moins efficace techniquement, mais plus rentable du point de vue économique, en raison des frais de transport moins élevés, de la moindre valeur monétaire du travail familial et d’une utilisation plus constante de fruits ayant une forte teneur en huile.

Encadré 2

L’HUILE DE PALME DE NOUVEAU À LA MODE AU CONGO

Dans plusieurs personneles africains, la dévaluation du franc CFA a fini par susciter un regain d’intérêt pour les produits locaux peu consommés depuis des lustres. C’est le cas, à Brazzaville, où les ventes d’huile de palme ont décollé. Aux marchés, dans les rues, les mamans en vendent dans des bouteilles de 20 à 65 cl. Le litre valait francs CFA 400 en 1993. Il est passé à francs CFA 500 en 1995. Le litre d’huile importée, qui valait francs CFA 500 en 1993 se négocie maintenant à francs CFA 1 000.

Source: Afrique agriculture, n°223, février 1995.


2.3.5 - L’igname

Le circuit de l’igname est caractérisé par des collecteurs spécialisés et informels, et par des grossistes locaux qu’on pourrait caractériser de «semi-formels». Le rôle de ces derniers est de financer le stockage durant une période de quelques mois, d’organiser le transport sur de longues distances, éventuellement d’exporter, et de vendre au détail à crédit. Les collecteurs informels ne disposent souvent pas de moyens financiers pour le stockage. La production étant atomisée, cet intermédiaire disposant de main-d’oeuvre bon marché est indispensable pour la collecte. Les pertes, au stockage, des racines et des tubercules semi-périssables sont élevées, qu’il s’agisse d’igname, de patates douces, de pommes de terre ou de taro. Le principal problème de stockage est que ces plantes contiennent beaucoup d’eau par rapport aux céréales, qu’elles continuent à respirer et se métabolisent plus vite que les céréales. L’incapacité d’entreposer, de transporter et de transformer ces denrées constitue une contrainte importante pour opérer à une échelle industrielle et pour attirer des investissements du secteur formel. De ceci résulte que la filière de l’igname est traditionnellement informelle au niveau de la collecte et de la vente au détail, et semi-formelle au niveau du commerce de gros. Ces grossistes spécialisés ont souvent réussi à créer des oligopoles aux marchés urbains. Anthonio (1968) avance qu’une pénurie d’étals sur les marchés d’Ibadan a permis aux grossistes d’igname d’établir des prix au-dessus des niveaux concurrentiels. Jespers et Goossens (1996) ont fait le même constat en Côte d’Ivoire.

2.3.6 - Le lait et les produits laitiers

Les filières du lait et des produits laitiers dans les différents pays de l’Afrique subsaharienne se ressemblent. Elles comprennent généralement cinq différents circuits:

a) le circuit formel qui importe surtout le lait en poudre et le lait concentré et qui distribue ses produits à travers le (propre) circuit de supermarchés et de superettes ou qui vend surtout en demi-gros;

b) le circuit mixte de distribution: ce sont les semi-grossistes formels et informels qui achètent en gros et revendent aux détaillants informels; il y a également une catégorie de transformateurs artisanaux qui utilisent le lait en poudre comme matière première et qui vendent du yaourt ou des bouillies dans les rues, les kiosques, les marchés;

c) la transformation industrielle à base de lait en poudre et la vente des produits (yaourt, fromage) à travers les points de vente formels;

d) le circuit de commercialisation du lait local: ce sont généralement les femmes des éleveurs et les colporteurs qui vendent le lait frais et caillé et le beurre dans les rues;

e) le circuit formel de production et de transformation du lait local (fromage, yaourt, lait de consommation) des fermes modernes: c’est la vente organisée surtout à travers les supermarchés et les superettes; au Kenya, au Burundi et au Zimbabwe, ce dernier circuit est relativement important; dans d’autres pays, il ne s’agit que de quelques fermes dont l’importance est négligeable sur le plan national.

Surtout les circuits b) et c) dominent le marché du lait en Afrique subsaharienne en termes de volume.

Le marché du lait local est extrêmement étroit et sa consommation le plus souvent limitée (Metzger, 1994). Des recherches au Burkina Faso ont démontré que la clientèle des producteurs locaux comprend souvent des gens qui préfèrent le goût spécifique du lait local bien que le revenu ne soit pas un facteur important dans ce choix. Ce groupe de consommateurs urbains ne comprend que 5 % de la population. Il existe bien une longue tradition de fabrication de lait fermenté (caillé), de beurre, de yaourt et plus rarement de fromages en Afrique chez les peuples d’éleveurs. Il s’agit le plus souvent d’une fabrication à petite échelle, artisanale, au niveau familial. Développer la collecte du lait des élevages traditionnels risque de créer un problème de demande solvable (Metzger, 1994; Goossens, 1996). Le prix du lait reconstitué sur la base du lait en poudre est généralement plus bas que le prix du lait local. De plus, le lait en poudre offre au consommateur des avantages sur le plan du transport, de l’hygiène et de la conservation. Les producteurs commerciaux à grande échelle ont un cheptel moyen d’une centaine de vaches laitières et optimisent le rendement par tête grâce à la technologie moderne. Les fermes modernes ne sont pas toujours compétitives. L’Afrique n’a pas d’avantages comparatifs sur le plan du lait.

2.3.7 - Les légumes

La problématique de commercialisation des légumes est comparable à celle des fruits: elle présente une offre atomisée, un produit périssable et une qualité très variable. Le commerce des légumes se trouve traditionnellement dans le secteur informel et passe à travers un système de colporteurs (voir étude de cas 7). Ala différence des fruits, la commercialisation des légumes ne se fait pas seulement à travers les systèmes artisanaux marchands, mais également à travers les systèmes domestiques. La production de légumes se situe surtout en milieu périurbain. En milieu rural, il s’agit de cultures de contre-saison dans les vallées, avec des pratiques culturales extensives et une technologie traditionnelle en Afrique centrale. Il est donc évident que le circuit court domine les filières, avec un colporteur qui organise la collecte, le transport, la distribution de gros et de demi-gros. Seuls le commerce de légumes au Kenya et à Madagascar (des régions avec des avantages comparatifs pour l’horticulture), et le commerce d’oignons en Afrique de l’Ouest connaissent des grossistes spécialisés, souvent avec leurs propres moyens de transport.

Les soi-disant «légumes-feuilles» comprennent un assortiment assez large de feuilles: feuilles de manioc (saka-saka), feuilles de courge, de haricot, de patate douce, d’amarante, d’épinard, de pointe noire, etc. Cette catégorie joue un rôle important dans la sécurité alimentaire car les risques de production sont bas; les investissements sont également peu élevés, les cultures demandent peu d’intrants externes, le cycle de la culture est court (trois semaines) et les légumes sont bon marché.

2.3.8 - Le maïs

Pendant des années, des offices subventionnés par le gouvernement ont participé à la fixation des prix et des conditions de vente, de stockage et de distribution du maïs dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, par exemple en Tanzanie, Zambie et Zimbabwe. Aujourd’hui, le secteur privé a pris entre ses mains ces activités (Spore, n° 58). Le Ghana, par contre, dispose toujours d’un puissant secteur privé dans ce domaine. Au Zaïre, il y a quelques minoteries privées qui dominent le marché de la personnele et de nombreux colporteurs. Le commerce de gros du maïs se situe surtout dans le secteur formel qui a des avantages comparatifs à deux niveaux: la collecte facile en milieu rural et la transformation industrielle de haute qualité.

Le broyage manuel du maïs, à l’aide d’un pilon et d’un mortier, est le principal moyen de transformation de cette céréale en milieu rural de toute l’Afrique subsaharienne. Miracle (1976) cite des études sur le broyage du maïs en Angola, au Malawi et au Soudan, qui ont révélé qu’il fallait une heure pour piler 1 kg de maïs. Il constate qu’il est normal que les Africains s’empressent de se procurer des moulins à broyer. Le goût des consommateurs est un facteur important du choix des techniques de transformation. Stewart (1979) mentionne que les petits moulins ne sont pas compétitifs, parce que les consommateurs jugent la farine produite dans les petits moulins inférieure à celle des grands moulins. Goossens (1994) a constaté au Zaïre que les consommateurs trouvent que la farine de maïs industrielle est plus fine et qu’elle donne une meilleure pâte ou bouillie (voir encadré 3). L’industrie formelle a quelques avantages comparatifs importants dans le secteur du maïs:

Le résultat est que la filière du maïs est généralement caractérisée par des grossistes qui organisent eux-mêmes la collecte et la transformation (la mouture, l’emballage), qui vendent ensuite à des semi-grossistes semi-formels. La distribution au détail se fait de nouveau à travers des marchés de détail et des dépôts des semi-grossistes/détaillants. Le maïs frais est commercialisé comme un légume.

Encadré 3

LA BOUILLIE DE MAÏS: UN NOUVEAU PETIT DÉJEUNER?

L’aklui est un produit granulé à base de maïs, très consommé le matin au Bénin, au Togo et au Ghana. La préparation traditionnelle est longue. Des chercheurs de l’Université du Bénin ont mécanisé le rou-lage en améliorant le rendement et la stabilité du produit qui est séché avant l’ensachage. Cet aklui amélioré permet de préparer la bouillie en cinq minutes et il est actuellement très demandé.

Au Zaïre aussi, la farine de maïs gagne de l’importance pour le petit déjeuner. Mélangée avec un peu de sucre et du lait en poudre, on obtient une bouillie qui est facile à préparer et qui est très nourris-sante. Elle remplace de plus en plus le pain. Le rapport de prix entre la farine de maïs et le pain est le facteur-clé pour ces changements des habitudes alimentaires.

Source: Spore n° 63; Goossens, F. 1994.


2.3.9 - Manioc

En Afrique subsaharienne, la commercialisation du manioc se situe presque complètement dans le secteur informel à cause du caractère périssable du tubercule frais et des problèmes de mécanisation de la transformation. Il y a les exemples des femmes-collecteurs en Côte d’Ivoire qui collectent les tubercules frais en milieu périurbain pour les vendre ou les transformer en attiéké en ville (voir étude de cas 9), et des colporteurs au Zaïre qui collectent des tubercules séchés en milieu rural (voir étude de cas 3). Le commerce de manioc frais a surtout lieu entre le milieu périurbain (jusqu’à 50 km) et les villes. Au Zaïre, la prédominance du manioc dans le régime alimentaire implique une plus grande zone de production et donc des distances plus grandes (jusqu’à 700 km) à parcourir par les commerçants, ainsi que des formes de manioc qui sont faciles à transporter. La distribution urbaine se fait à travers un grand nombre de points de vente, donc à travers des marchés de détail pour les petites quantités (voir les légumes), et à travers les dépôts et les parkings pour les sacs de tubercules séchés.

Deux modèles de transformation dominent le marché du manioc de l’Afrique subsaharienne. Le modèle de l’Afrique centrale avec un cycle de production de deux à trois ans et une consommation des feuilles de manioc, domine au Cameroun, dans la République Centrafricaine, au Congo, au Gabon, au Zaïre et en Angola. La transformation des tubercules aboutit à des formes humides telles que la chikwangue (voir encadré 4) à base de pâte (kimpuka), les tubercules séchés (cossettes) et la farine «fufu». Le modèle de l’Afrique de l’Ouest (le Nigeria, le Bénin, le Togo, le Ghana, la Côte d’Ivoire, la Sierra Leone, la Guinée), a un cycle de production court d’un an. Le manioc y est transformé en gari ou en attiéké. Cette transformation de manioc se développe dans le secteur informel. Nombreuses sont les initiatives de grandes usines de transformation de manioc, mais qui ont arrêté leurs activités par manque de compétitivité vis-à-vis du secteur informel. De nouvelles tentatives de mécanisation à petite échelle se développent, surtout au Nigéria, en Côte d’Ivoire et au Cameroun. Il s’agit généralement de formes à haute valeur ajoutée, à savoir le gari et l’attiéké.

Dans les centres urbains, la transformation de manioc a abouti à toute une industrie informelle, basée sur la main-d’oeuvre bon marché, surtout après la dévaluation du FCFA en Afrique de l’Ouest:

Encadré 4

LA CHIKWANGUE: UNE INNOVATION DE LA TRANSFORMATION À BRAZZAVILLE

La chikwangue (pâte fermentée et cuite), est ce pain de manioc qui continue d’avoir la faveur des consommateurs urbains de Brazzaville. Les trois quarts des habitants de Brazzaville déclarent préférer leur pain de manioc au pain de blé. Les petits ateliers ont fleuri un peu partout depuis une quinzaine d’années à Brazzaville. On en dénombre près de trois mille, ce qui représente environ 850 tonnes de chikwangues produites par mois. Le revenu des fabricants se situe entre francs CFA 14 000 et 28 000 (avant dévaluation) par mois, ce qui n’est pas négligeable et ce métier continue d’attirer de nombreuses femmes. Autrefois, on fabriquait les chikwangues uniquement à la campagne. Les procédés de fabrication sont sensiblement les mêmes. Les femmes épluchent les racines fraîchement récoltées et les font macérer quelques jours dans le marigot ou, plus récemment dans de grands fûts en plastique. Elles doivent ensuite écraser les tubercules qu’elles mettent à égoutter un jour ou deux. La pâte obtenue est alors défibrée, laminée, cuite, malaxée et modelée jusqu’à obtention de la texture et de la forme désirée.

On utilise également la pâte en provenance de la région du Mai-Ndombe au Zaïre. Dans cette région de forêt, il y a des problèmes de séchage des tubercules. Alors, le manioc est vendu sous forme de pâte qui est vendu dans des sacs de 120 kg. Ces sacs sont transportés par bateau via le fleuve Zaïre à Kinshasa et à Brazzaville.

Source: Courrier Afrique, n°16, 1993 et Goossens, F. 1994.


2.3.10 - L’oignon

L’oignon, ingrédient traditionnel du plat de base en Afrique subsaharienne, est souvent importé à partir de l’Afrique du Sud et des Pays-Bas. L’oignon est difficile à produire et les pertes de stockage sont souvent très élevées dans les conditions climatologiques africaines. Néanmoins, il y a de petites unités de production très intensives, comme par exemple au bord de la mer au Sénégal et au nord du Bénin. Partout en Afrique, les variations saisonnières des prix sont élevées. La production d’oignons au Burkina Faso, par exemple, s’étale de décembre à avril, période pendant laquelle le marché est inondé et les prix sont au plus bas. Six mois après, la pénurie s’installe et les prix sont multipliés par dix. Il faut alors importer l’oignon des Pays-Bas, de la France, du Niger ou du Bénin. C’est pourquoi on a mis au point des maisons de conservation de l’oignon à l’est et au centre du Burkina Faso qui n’enregistrent que 10 % de pertes au bout de huit mois (Spore, n° 64). Pour le Bénin, la quasi-totalité de la production d’oignons vient du nord du pays. Principale hantise des paysans: l’énorme fluctuation des cours: de FCFA25 000 pour un sac de 80 kg à FCFA2 500.

Il y a pas mal d’initiatives dans ce domaine: amélioration du séchage en milieu rural, amélioration de la production, etc. L’échalote pourrait être un substitut intéressant de l’oignon en Afrique de l’Ouest. L’échalote peut être récoltée deux fois par an, à des périodes où l’oignon est rare sur les marchés locaux, permettant ainsi aux producteurs de gagner autant d’argent qu’avec l’oignon.

2.3.11 - Le poisson

La pisciculture a été introduite en Afrique dans les années 50. Lorsque la densité de population et les possibilités de commercialisation sont faibles, comme dans la province de Luapula en Zambie, ou au nord du Malawi, ou dans la province de Bandundu au Zaïre, les gens creusent des bassins d’élevage pour leur propre consommation. Dans l’ouest du Kenya, où la densité de population élevée et le dynamisme économique offre un bon marché, les bassins procurent un revenu (Spore, n° 63). L’offre est complètement atomisée et irrégulière et la qualité est très diverse. Il s’agit du domaine préféré des colporteurs: un commerce à petite échelle, complètement informel.

Il y a également la pêche industrielle de haute mer. La prospérité du commerce local du poisson a diminué à cause de la baisse des prises, d’une hausse de l’offre de la pêche maritime et de l’expansion de la commercialisation du poisson surgelé dans les centres urbains. A Kinshasa par exemple, une seule entreprise approvisionne la personnele et beaucoup de villes à l’intérieur du pays en produits congelés (poisson de mer, poulets, viande bovine). De grands camions frigorifiques et des chambres froides assurent une chaîne de froid non interrompue. Ces chambres froides, situées près de tous les grands marchés, vendent le poisson par bloc congélé de 25 kg. Les économies d’échelle à l’importation et la maîtrise technique et économique de la distribution des vivres importés garantissent au secteur formel une compétitivité face aux circuits informels.

La plus grande partie du poisson local est fourni par des gens qui se spécialisent dans la pêche artisanale. Souvent, un village entier ou un groupe de villages près des grands lacs et des océans sont des «villages de pêche». Il y en a dans le bassin du lac Tchad, le long des frontières du Tchad, du Cameroun et du Nigéria, le long du fleuve Zaïre, etc. Ils dépendent des échanges commerciaux pour leurs approvisionnements en céréales de base. Les pêcheurs vendent leurs poissons à des commerçants dès qu’ils mettent pied à terre et ces derniers se chargent de sécher et de fumer les poissons et de les amener au marché. Il y a par exemple les femmes au quartier Dockyard (Cameroun) qui possèdent un atelier de fumage de poissons, case-fumoir ou kitchen. Ces femmes font appel au service de bolo-boys, des jeunes sans emploi, pour la manutention, le transport du poisson et du bois, etc. (Oumarou, 1995). Au Zaïre, les pêcheurs, le long du fleuve Zaïre, s’occupent eux-mêmes de la fumigation du poisson, car les colporteurs ne passent qu’irrégulièrement. L’une des meilleures façons d’améliorer la productivité des petites exploitations de pêche est de se concentrer sur la transformation du poisson. Selon Gret (1996), environ 25 % du poisson pêché en Afrique subsaharienne est perdu par manque de moyens efficaces de conservation et de transformation. Les causes de la dégradation rapide des poissons sont: le non-respect de la chaîne du froid, la manutention trop brutale, le manque d’hygiène, les attaques de parasites, les mauvaises conditions de stockage, de conditionnement et de transport. Gret propose de simples petites améliorations: piler la glace dans des endroits propres, vider les poissons sur des surfaces lavables, évacuer régulièrement les débris, manipuler doucement la marchandise. Il est évident que le commerce de poisson local est situé dans le secteur informel. Le contrôle intensif lors de chaque transaction ne permet pas au secteur formel d’y être actif. Il est peu probable que les poissonneries locales bénéficient à court terme de l’adoption de techniques de préservation par congélation.

2.3.12 - Le riz

En Afrique subsaharienne, l’urbanisation a généré une demande croissante pour le riz. La demande augmente de 5 % l’an depuis des décennies, bien qu’on observe actuellement un ralentissement de cette croissance par rapport aux années 70, l’écart entre la consommation et la production continue à s’élargir en Afrique subsaharienne (Spore, n° 64). Jusqu’à présent, les importations, surtout en provenance de l’Asie, ont comblé ce manque. Plus facile et rapide à préparer que les traditionnels sorgho et millet, le riz est la céréale que les citadins préfèrent. Le riz n’est plus considéré comme un aliment de luxe. Alors que les modes de transformation des céréales séchées tels que le mil, le sorgho et le maïs, ne sont pas adaptés actuellement à la consommation urbaine et que les possibilités de substitution sont limitées, le riz répond aux besoins alimentaires (nutritifs, facilités de préparation).

Le problème majeur du riz local en Afrique est qu’il n’est souvent pas compétitif. Bien que la dévaluation du FCFA en janvier 1994 ait renforcé la production rizicole de régions comme le Mali, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, les études de l’ADRAO ont démontré qu’il n’est pas réaliste sur le plan économique de supposer que les productions locales puissent satisfaire la demande des personneles côtières. Même s’il était possible d’augmenter suffisamment les volumes de production, les coûts de transport depuis les zones de production jusqu’au littoral, sur un réseau routier généralement inadapté, rendraient rapidement le riz local plus cher que le riz importé. En revanche, il est tout à fait possible que les riziculteurs locaux puissent approvisionner les marchés de certaines villes éloignées des ports côtiers. (Spore, n° 64). En septembre 1995, le prix du riz local au Mali était de FCFA180 le kilo, contre FCFA220 à 225 pour le riz importé.

Le circuit du riz est traditionnellement caractérisé par:

Généralement, le prix du riz importé fonctionne comme prix de référence dans les filières. Le riz local coûte souvent 5 à 10 % moins cher que le riz importé.

Selon Spencer (1976), l’efficacité technique (en kilos de riz propre par 100 kilos de riz non décortiqué) s’est établie à 68,4 % pour le broyage manuel, à 67,5 % pour les petits moulins à cylindre d’acier, à 70 % pour les petits moulins à rouleaux de caoutchouc et à 65 % pour les gros moulins à rouleaux de caoutchouc. L’efficacité technique de la transformation informelle est donc relativement élevée. Néanmoins, il y a des plaintes au sujet de la de qualité: impuretés, brisures, etc. Face aux exigences de qualité des consommateurs, il faut améliorer la qualité du riz local.

2.3.13 - Le sorgho et le mil

Le mil et le sorgho sont caractérisés par des problèmes spécifiques de transformation, pour lesquels le secteur formel n’a pas encore trouvé de solutions. Suite à la dévaluation du FCFA, la meilleure compétitivité des céréales locales a abouti au renforcement des activités informelles de transformation. Cette activité est devenue attractive à la main-d’oeuvre bon marché dans les grands centres urbains de l’Afrique de l’Ouest. Eastman (1981) a comparé le broyage manuel au décorticage et à la mouture mécanique au Botswana, au Ghana, au Nigéria, au Sénégal et au Soudan. Il constate que:

Le consommateur préfère de loin la mouture humide, qui ne permet que deux à trois jours de stockage et qui donne un avantage comparatif énorme au secteur informel. Il est donc évident que le commerce a lieu à travers le circuit informel avec des grossistes locaux (semi-formels) qui financent le stockage.


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