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Chapitre 3: LES CONTRAINTES AU DÉVELOPPEMENT DES CIRCUITS


3.1 - Les contraintes imposées par le profil du consommateur
3.2 - Les contraintes imposées par le système de production agricole
3.3 - Les caractéristiques du produit agricole et la technologie
3.4 - Les contraintes imposées par l’environnement socio-économique
3.5 - Le rôle social des marchés: L’emploi et la distribution des revenus
3.6 - Le commerce informel et la sécurité alimentaire

Il est clair que le développement et la croissance de la structure des entreprises de commercialisation formelles et informelles ne se font pas au hasard. Au contraire, la structure est dominée par les contraintes du système. La compétitivité entre formel et informel détermine la structure du circuit. Les circuits formels et informels sont en concurrence permanente et la forme la plus compétitive, étant donné les contraintes, domine la filière.

3.1 - Les contraintes imposées par le profil du consommateur

Suite à la croissance de la population nationale d’environ 3 % par an en Afrique subsaharienne durant les dernières décennies, la production des vivres doit nécessairement s’accroître du même pourcentage. L’exode rural et la croissance des centres urbains de 5 à 7 % par an aboutissent à une pression énorme sur le système de commercialisation et de distribution des vivres: chaque année, 5 à 7 % de plus doivent être commercialisés afin de maintenir un statu quo. Chaque année, d’autres marchés et infrastructures de commercialisation sont nécessaires.

Le profil du consommateur urbain en termes de pouvoir d’achat détermine:

Ce profil est une contrainte majeure pour les commerçants et surtout pour chaque décideur politique voulant intervenir dans les chaînes de commercialisation et de transformation des vivres. Chaque intervention doit nécessairement respecter les contraintes de la demande. Il est évident que le profil du consommateur diffère selon le pays et que des écarts considérables sont également possibles dans un même pays. Dans ce document, on s’intéresse surtout au consommateur urbain «moyen», c’est-à-dire à la masse populaire des centres urbains. Dans chaque pays en développement, il existe de petits groupes de consommateurs à revenu élevé ayant des habitudes alimentaires plutôt européennes. Ceux-ci ne font pas l’objet de notre étude.

Certaines relations de base entre la structure du régime alimentaire et le revenu du ménage sont universelles:

Encadré 5

L’ALIMENT DE BASE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE

Les dépenses de consommation en Afrique subsaharienne sont dominées par les aliments. Les ménages dépensent plus de 50 % du budget pour la nourriture. Dans certains cas, il s’agit même de plus de 70 %. La consommation alimentaire est dominée par les céréales et les tubercules (Goossens, 1994). Traditionnellement, le mil, le sorgho et le maïs représentent plus de 80 % de la consommation des céréales. Le sorgho et le mil sont les principaux aliments de base dans les zones arides et semi-arides de l’Afrique occidentale, tandis que le maïs domine le régime alimentaire du Kenya, de la Tanzanie et de la plupart des pays de l’Afrique australe. Les tubercules, surtout le manioc, sont les aliments de base dans les forêts humides de l’Afrique occidentale et de la plus grande partie de l’Afrique centrale, l’igname dans les zones de transition en Afrique occidentale. Depuis des décennies, on constate un glissement de la consommation vers le riz et la farine de blé dans toute l’Afrique et surtout dans les régions urbaines. Comme il existe de nombreuses régions où le blé et le riz ne peuvent pas être cultivés de manière économique, la demande accrue de ces denrées s’est traduite par des hausses massives des importations (Eicher & Baker, 1982).


La dévaluation du FCFA en janvier 1994 a influencé la consommation de la population urbaine de façon significative. Ces changements ont aussi bien été causés par une baisse du pouvoir d’achat que par une hausse des prix et un changement du rapport des prix entre produits locaux et importés. L’encadré 7 présente quelques exemples.

Les ménages urbains, ayant un revenu très bas, se concentrent d’abord sur la survie (pays avec un PNB inférieur à $EU 100, 150). Ces ménages consacrent parfois plus de 70 % du revenu à l’achat de la nourriture (voir encadré 5). En termes de consommation, ils désirent maximiser la quantité de calories consommées et éviter des risques. Ils choisissent la calorie la moins chère avec le minimum de valeur ajoutée. Ils organisent eux-mêmes la transformation dans la mesure du possible, ce qui empêche le développement de certaines transformations de façon industrielle. L’aliment calorique local domine leur régime alimentaire. Dans des circonstances extrêmes, ces ménages ne mangent que l’aliment de base dont ils achètent un sac à la fin du mois lors du paiement du salaire. Hormis l’achat mensuel du fameux sac de manioc, de maïs ou de riz, ils n’achètent que de petites quantités, et ceci presque tous les jours: un peu de poisson, de légumes (surtout des légumes-feuilles), de l’huile de palme. Souvent, ils ont un revenu irrégulier et fractionné et ne possèdent pas de frigo. Etant donné le coût du transport par rapport à la valeur moyenne de la transaction, ils font leurs achats près de la maison au marché du quartier. L’assortiment de produits et les services demandés par ces consommateurs sont offerts par le secteur informel, et non par le secteur formel (voir encadré 6).

Le consommateur à revenu élevé ne se fait plus de soucis quant à la quantité de calories ou de protéines, mais seulement quant à la qualité, la valeur nutritionnelle et la diversité. Il désire une nutrition équilibrée, il évite la matière grasse, il abandonne de plus en plus les vivres traditionnels de sa région et préfère diversifier à l’extrême. Il a remplacé partiellement la pomme de terre ou la pâte traditionnelle par la pomme nature, la pomme frite, le spaghetti, le maïs, le riz, la pâte de manioc, la semoule, le macaroni, le pain, la pizza, etc. Lors de ses achats de vivres, il a parfois d’autres motivations: l’environnement, la santé, le bien-être des animaux, des motivations politiques pour consommer ou refuser certains produits. Il préfère les produits ayant une valeur ajoutée élevée: de petits emballages adaptés à sa petite famille, des repas préparés. Les achats ne se font plus en fonction du paiement du salaire. Ils ont souvent lieu dans les supermarchés.

Il y a une relation entre le profil du consommateur et la structure du marché:

Encadré 6

LE CONSOMMATEUR URBAIN EN INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE AU ZAÏRE

L’insécurité a pour résultat direct que le consommateur achète ses vivres caloriques de base, tels que le manioc, le plus souvent au marché de demi-gros. Il préfère acheter un sac de cossettes de manioc (tubercules séchés), un produit avec une valeur ajoutée minimale et organiser le transport, le triage, la transformation lui-même afin de valoriser sa main-d’oeuvre. Les plus démunis sont obligés d’acheter au fur et à mesure qu’ils gagnent de l’argent. Ils sont obligés d’acheter de petites quantités au marché de détail, souvent à un prix plus élevé.

La demande de vivres des citadins en insécurité alimentaire a les caractéristiques suivantes:

  • étant donné leur pouvoir d’achat, ils préfèrent acheter les vivres les moins chers, délivrés avec le minimum de services supplémentaires (une valeur ajoutée limitée, un emballage qui ne coûte pas cher, un minimum de standardisation, etc.);
  • la consommation de viande est abandonnée et/ou évolue vers les types les moins chers: abats, tripes, etc.; les haricots, le poulet importé, le poisson frais remplacent partiellement la viande de boeuf;
  • le poisson le meilleur marché est le plus populaire: congelé, non éventré, importé en vrac, vendu à la pièce au marché de détail; les détaillants l’achètent en blocs congelés de 25 kg; le poisson local (fumé, séché) coûte trop cher; la quantité de poisson ajoutée à la sauce a souvent été réduite; souvent, il ne s’agit que d’une petite quantité ajoutée pour le goût;
  • la population n’achète qu’un assortiment limité de légumes: légumes-feuilles (patate douce, amarante, feuilles de manioc, haricots, courge, etc.), pili-pili, oignons, tomates (en boîtes); les légumes-feuilles les moins chers, c’est-à-dire les feuilles de patate douce et d’amarante, ont gagné d’importance;
  • la façon de préparer (bouillir longtemps) les légumes, la viande ou le poisson, implique que la présentation et la qualité visuelle ont souvent une importance secondaire;
  • les débouchés des légumes tels que les pommes de terre, les choux, le poireau, la ciboule, le céleri, etc., sont actuellement limités en termes relatifs de population, bien que pour les grandes villes il s’agisse d’un nombre considérable de consommateurs.


Contrairement à ce qui est généralement supposé, les supermarchés et le secteur formel ne sont pas nécessairement plus chers que le secteur informel. Au contraire, pour certains produits importés (lait en poudre), les magasins formels sont parfois moins chers que les détaillants informels. Le secteur informel offre un assortiment de produits qui est différent et dont la valeur ajoutée diffère sensiblement.

Encadré 7

LES INDICATEURS DE L’IMPACT DE LA DÉVALUATION DU FRANC CFA SUR LA CONSOMMATION

Quelques exemples:

  • de nombreux ménages pauvres et à revenu moyen adoptent l’huile de palme et la mouambe (sauce extraite de la pulpe de noix de palme) pour préparer leurs repas, tels que le saka-saka, les haricots, les feuilles de courge (voir encadré 2);
  • la consommation de produits laitiers importés au Burkina Faso a baissé d’environ 50 % après la dévaluation; le montant dépensé, en francs CFA, pour l’achat de ces produits n’a pas changé, mais la quantité a diminué; il y a des changements comparables dans d’autres pays;
  • en 1988, un ivorien mangeait 13 kg de viande par an en moyenne; en 1993, il n’en consommait que 7 kg; en 1995, on est tombé à 3 kg par habitant; la baisse drastique du pouvoir d’achat y est pour beaucoup, ainsi que la hausse des prix (Spore, n°63, p. 11);
  • de vraies bouillies africaines deviennent de nouveau populaire (voir encadré 8);
  • les ateliers de fabrication d’attiéké, de gari et de chikwangue de manioc deviennent de plus en plus nombreux;
  • des vivres locaux, tels que l’igname et la banane plaintain, sont devenus plus compétitifs que le pain et le riz importé;
  • la viande bovine des pays du Sahel est de nouveau compétitive vis-à-vis des importations.

Durant la phase de croissance économique et d’augmentation du revenu, les consommateurs tendent à remplacer les céréales brutes et les tubercules par des aliments tels que la viande bovine, le poulet, le poisson, le lait, le riz et les repas préparés. Ils remplacent la viande la moins chère par des formes plus chères. Le consommateur remplace les légumes les moins chers par d’autres, par exemple, les légumes-feuilles par les carottes, les choux et les tomates. Il n’achète plus seulement son sac de tubercules, de maïs ou de riz, mais préfère acheter de temps en temps d’autres vivres caloriques afin de diversifier. Il achète des produits partiellement transformés au lieu de s’occuper lui-même de la transformation (triage et mouture des tubercules et du maïs, l’achat d’attiéké); en d’autres mots, il achète des services du marché ou de la valeur ajoutée. Ces effets se manifestent le plus en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Cameroun, les pays ayant un PNB par personne relativement élevé. Dans d’autres pays, comme le Zaïre et le Rwanda, il y a une évolution inverse. A mesure que le revenu augmente, la proportion des dépenses consacrées aux aliments ne diminue pas aussi vite qu’on pourrait s’y attendre. L’élasticité-revenu de la demande d’aliments de base, qui fournissent la plus grande partie des calories, est faible et tombe à mesure que le revenu augmente, tandis que celle de la viande, du lait, des aliments importés et des produits non alimentaires est supérieure à l’unité, quel que soit le niveau du revenu.


Encadré 8

DE VRAIES BOUILLIES AFRICAINES

La dévaluation du franc CFA a multiplié par deux le prix des produits d’importation. Les bébés africains risquent de consommer beaucoup moins de bouillies importées, telles que Cérélac, Blédine et autres. Revenir aux bouillies de sevrage traditionnelles peut être une bonne solution. Des recherches effectuées récemment au Congo et au Sénégal ont permis de mettre au point des aliments d’excellente qualité à des prix abordables. Mamadou Mamadou Sow a mis au point une farine infantile à base de farine de mil, maïs ou sorgho, huile d’arachide et de palme, fruit du baobab, oeufs et sucre. Seuls le lait en poudre et l’arôme sont importés. L’entreprise qui fabrique cet aliment déclare une vente journalière de 2 500 sachets, soit une ration moyenne de 15 000 bébés.

Source: Spore n°57.

3.2 - Les contraintes imposées par le système de production agricole

Le secteur agricole en Afrique subsaharienne comprend, d’une part, des millions de petites exploitations agricoles et, d’autre part, des plantations et un nombre limité de fermes modernes. La production des produits vivriers est presque entièrement entre les mains de petites exploitations familiales. Le manioc, le maïs, le riz, le mil, les bananes, les fruits et légumes sont souvent produits pour l’autoconsommation, le surplus familial étant mis en vente. La superficie moyenne cultivée par ménage agricole varie entre 0,8 et 10 ha dans toute l’Afrique subsaharienne, selon le degré de mécanisation et de fertilité du sol. Les investissements dans le logement, l’entreposage et les cultures pérennes sont principalement créés par la main-d’oeuvre familiale à l’aide de matériaux locaux. Les petits agriculteurs cultivent avec des instruments manuels. La traction animale et la mécanisation sont très rares en Afrique centrale, mais plus fréquentes dans certains pays de l’Afrique de l’Ouest (le Sénégal, la Côte d’Ivoire). L’outillage classique du paysan comprend principalement des houes et des machettes. Les terres retrouvent leur fertilité dans le système de la jachère. L’utilisation d’engrais chimiques diffère selon le pays. L’agriculteur traditionnel n’achète pas beaucoup de facteurs de production comme des semences, des engrais et des pesticides. Mais au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Nigéria, l’utilisation des engrais est déjà plus répandue. Les boutures de manioc et les semences de maïs, d’arachides, de riz et de haricots proviennent principalement de la propre production. Les crédits et l’épargne formels sont souvent inexistants auprès du paysan. La plupart du temps, il vend une partie de la récolte quand il a besoin d’argent.

La vente se fait souvent au bord du champ, à la maison ou au marché rural. La plupart des marchés ruraux ont lieu une fois par semaine, ou tous les quinze jours. Plusieurs commerçants-camionneurs-collecteurs achètent sur ces marchés. Ils peuvent également rendre visite aux cultivateurs individuels quand le marché ne se tient pas le jour prévu. La plupart des aliments de première nécessité vendus en ville sont achetés par des collecteurs. Ces marchés ruraux périodiques servent souvent de premier centre de rassemblement des aliments destinés aux villes et aux centres urbains. Le commerce des aliments de base destinés aux centres urbains est souvent différent du commerce local et se déroule dans des lieux différents. Il ne faut pas surestimer l’importance de ces marchés. Les femmes y portent des produits pour les vendre et elles y achètent des biens manufacturés.

Le secteur formel s’intéresse uniquement aux produits qui peuvent être achetés en quantités suffisantes avec une norme fixe de qualité. Il n’est plus intéressé lorsque chaque transaction de vente nécessite un contrôle personnel et approfondi de la quantité. Dans un marché atomisé, il est intéressant pour l’agriculteur traditionnel de tromper le commerçant. Pour un commerçant, il est presque impossible de récupérer sont argent. En outre, les montants concernés sont généralement trop petits pour faire des démarches. L’agriculteur ne doit pas avoir peur pour sa réputation. Il y aura toujours d’autres commerçants. Un système de production traditionnel impose certaines contraintes au système de collecte des vivres (voir étude de cas 4):

Il est évident que dans un système de production traditionnel, la collecte rurale des vivres exige beaucoup de main-d’oeuvre par unité de produit et de prises de décision au moment de la transaction. La collecte des céréales est plus facile que celle des tubercules; la collecte des légumes et des fruits est la plus problématique. Le résultat est que le secteur formel, à fort emploi de personnel et avec une gestion centrale, perd de sa compétitivité. Au fur et à mesure que la taille des entreprises agricoles augmente et que la mécanisation et l’achat d’intrants deviennent plus importants, il y a une standardisation de l’offre, la valeur de la transaction moyenne augmente et le secteur formel devient plus compétitif.

Les grosses exploitations remontent souvent à la période coloniale et à la création de plantations et de grosses fermes produisant pour l’exportation. Selon Eicher et Baker (1982), les complexes alimentaires à grande échelle avec une main-d’œuvre importante ne peuvent pas faire concurrence aux petites exploitations africaines pour satisfaire les besoins alimentaires de base. Néanmoins, il existe un champ d’action limité pour quelques sociétés multinationales produisant des fruits et légumes frais et des fleurs coupées pour les marchés d’exportation (par exemple les haricots verts, expédiés par avion du Burkina Faso, les fleurs du Kenya, etc). Dans ces cas, toute la chaîne est contrôlée et la société prévoit les intrants, les semences, la technologie et la vulgarisation. Ceci permet d’organiser une collecte efficace. La même approche est utilisée dans les secteurs du coton, de la canne à sucre et d’autres agro-industries.

Dans beaucoup de pays africains, il y a également des fermes modernes qui produisent des légumes pour les supermarchés locaux. La compétitivité de ces fermes vis-à-vis de l’horticulteur informel n’est pas basée sur la qualité même des légumes, mais sur l’organisation de la vente. Un supermarché ne peut pas acheter des légumes auprès de petits paysans aussi longtemps qu’un contrôle extensif de chaque transaction ainsi qu’une discussion sur le prix sont nécessaires.

L’absence d’un système de collecte dynamique et ordonné a comme effet de maintenir un statu quo de la production à petite échelle, et une compétition déséquilibrée, dominée par de bas niveaux de productivité et vice versa. Les petites transactions sont des contraintes qui mènent à une utilisation inefficace des camions en raison du nombre élevé de commerçants impliqués. Cette inefficacité a des implications sur la chaîne de commerce. Afin de réaliser une collecte plus efficace, les agriculteurs devraient centraliser les transactions de vente dans le temps et à moindre mesure dans l’espace. La collecte optimale se situerait au niveau du village ou d’un groupe de villages, avec un calendrier de vente fixe. Une transaction de vente de trois à quatre sacs par ménage au lieu du nombre actuel de un ou moins, mènerait de manière significative à de moindre coûts de collecte et de transport. L’introduction d’équipements de transport bon marché dans les régions rurales permettrait aux agriculteurs de transporter leurs produits aux marchés sans perdre leur pouvoir de négociation.

Dans les pays industrialisés, le problème de la collecte des légumes et des fruits a été résolu par l’organisation des criées, souvent par les coopératives des paysans. Ces organisations peuvent être considérées comme les successeurs des marchés semi-permanents. La grande différence avec les pays en développement est que:

La figure 4 présente la manipulation d’un produit dans un marché de gros typique. Ce système n’est souvent pas compatible avec les systèmes traditionnels de production et de collecte pour plusieurs raisons:

Aussi longtemps qu’une standardisation des vivres avec un système de contrôle et de pénalisation n’est pas réalisée, il est presque impossible pour le secteur formel d’organiser la collecte en commun d’une façon durable en raison du problème de confiance. Ceci implique que pour certains produits, un vrai commerce de gros n’est pas possible en Afrique subsaharienne. Il ne suffit pas de construire les installations et les infrastructures nécessaires pour obtenir un marché de gros efficace. Des exemples où le secteur informel est traditionellement plus efficace que le secteur formel sont la collecte des tubercules de manioc et de la banane, le circuit du lait local, des légumes et des fruits. Des exemples où le secteur formel a des avantages comparatifs sont la mouture du maïs et les importations de riz.

3.3 - Les caractéristiques du produit agricole et la technologie

Les facteurs mentionnés ci-dessus démontrent comment l’évolution d’un système informel de commercialisation vers un système formel est liée au développement économique d’un pays; en effet, le profil du consommateur et la structure de l’agriculture dépendent du niveau de développement du pays. Cette évolution se passe à une vitesse différente selon le produit. La technologie de commercialisation et de transformation y joue un rôle crucial. Selon Braudel (1979, p. 58), «le colportage stimule et entretient l’échange. Mais là où il a priorité, la preuve est faite, à l’ordinaire, d’un certain retard économique. Cette forme de commerce s’éteint d’elle-même, chaque fois qu’un pays atteint un certain stade de développement.»

On a déja démontré que les caractéristiques d’un produit vivrier ont un impact significatif sur la structure du commerce. La théorie économique suppose qu’un système de marchés est efficace dans le cas d’une situation de «participants rationnels», «d’information parfaite», de «concurrence parfaite» avec des «produits homogènes». Un produit homogène, parfaitement divisible et standardisé, a donc subi un triage ou une transformation parfaite. Ce produit ne correspond pas à la réalité et l’écart entre théorie et réalité diffère fortement selon le produit. Les observations et les études empiriques démontrent que les entreprises formelles à forte main-d’œuvre s’intéressent surtout aux produits dont les caractéristiques s’approchent de ceux du produit optimal:

Figure 4: Manipulation du produit dans un marché de gros typique

Source: FAO (1994).
Certaines transformations sont adaptées aux petites échelles. Il existe des techniques qui ne réclament que peu d’investissements pour le séchage des fruits, des noix et des légumes, pour l’extraction de l’huile ou la préparation de produits alimentaires. D’autres le sont moins, comme la mise en conserve des fruits ou la production de lait en poudre, qui nécessitent de gros investissements (Spore, n° 60). Le résultat technique de ces transformations à petite échelle est souvent bonne. Les problèmes concernent la rentabilité économique et le prix de vente.

Afin de commercialiser ces produits «non homogènes» à grande échelle et de résoudre le problème de compétitivité du secteur formel, il est nécessaire de traiter les vivres semi-périssables, ce qui implique une technologie de triage et de transformation. Il faut donc les transformer en «produits homogènes». Le développement et l’adoption d’innovations adaptées sont une contrainte majeure. Les innovations concernent aussi bien l’adoption et le développement de la technologie que la gestion et l’organisation des filières. Le niveau d’instruction des petits entrepreneurs et agriculteurs constitue un frein fondamental. La taille des entreprises agricoles constitue un problème de rentabilité des innovations. Le résultat est une multiplication des activités de commerce informelles et non une augmentation de la taille moyenne des transactions.

3.4 - Les contraintes imposées par l’environnement socio-économique

Le PNB par personne englobe, à l’exception de la consommation de vivres, une quantité d’autres services offerts au consommateur: routes, enseignement, soins de santé, système judiciaire, sécurité, système financier, moyens de télécommunications, etc. La quantité et la qualité de ces facteurs, ou leur absence, ont un impact considérable sur le type de commerce dans un pays. En absence de ces services, le secteur formel perd beaucoup de sa compétitivité vis-à-vis du secteur informel. Ensuite, il ne faut pas seulement compter en termes monétaires, mais également en termes de risques. Un cadre macroéconomique sain et stable pourrait davantage améliorer la performance du secteur vivrier par une croissance économique durable, une stimulation de l’épargne et de l’investissement, et par la maintenance et l’extension des infrastructures économiques essentielles. En termes dynamiques, la croissance économique causera une évolution dans le commerce du secteur informel vers le secteur formel.

Dans plusieurs pays, les entreprises commerciales sont étouffées par le manque d’investissements, souvent parasitées et paralysées par des politiques inappropriées, des infrastructures inadéquates et une gestion inefficace (Spore, n° 61). Le cadre socio-économique est en relation étroite avec la structure et le fonctionnement d’un système de commercialisation:

Il est donc normal que l’agriculture moderne et l’agro-industrie se développent d’abord dans les pays ayant un PNB élevé. Quelques exemples:

Le Zaïre est actuellement un exemple d’une situation extrême où le secteur formel est remplacé par le secteur informel. Il est évident qu’avec une évolution macroéconomique pareille, le nombre de familles qui se trouvent dans une situation d’insécurité alimentaire a augmenté de façon exponentielle. Les soins de santé, l’enseignement, la nourriture de base ne sont plus une certitude, les risques généraux de survie ont augmenté. Dans la situation actuelle, les ménages ont changé leur comportement en tant que consommateur, employeur, entrepreneur, membre de la société civile, etc. Partout dans le monde, il y a eu une croissance rapide du secteur informel lors d’une période d’instabilitité macroéconomique. Pour le système de commercialisation et de distribution des vivres, il existe plusieurs implications:

3.5 - Le rôle social des marchés: L’emploi et la distribution des revenus

A l’exception du rôle économique, le rôle social des circuits de distribution des vivres en Afrique subsaharienne est important. Dans chaque ville, le système fournit un emploi à des milliers d’habitants dans le commerce, la transformation et la préparation domestique des aliments. Le système contribue à une distribution des revenus, permet l’organisation de systèmes de solidarité entre participants et peut être utilisé pour protéger le revenu contre l’inflation. Il contribue donc à une certaine forme de protection sociale, comme le démontre l’exemple suivant.

Les investissements se font généralement dans le petit commerce de distribution des vivres pour les femmes, et de collecte et de transport des produits agricoles pour les hommes, en raison des barrières d’entrée extrêmement basses. Pour la plupart de ces femmes, qui sont souvent nées en milieu rural, qui ne connaissent que l’agriculture et le commerce de vivres, qui ont un niveau d’éducation limité et ne parlent souvent que les langues vernaculaires, il n’y a pas d’autres sources d’emploi dans une métropole urbaine. Ces femmes ne font presque jamais appel aux caisses d’épargne pour des crédits de démarrage et les fonds de fonctionnement d’une petite entreprise familiale. Généralement, elles trouvent les fonds nécessaires dans la famille ou reçoivent des produits à crédit des semi-grossistes. Le conjoint constitue la principale source des fonds investis: le mari prélève de son salaire un montant qu’il met à la disposition de son épouse pour s’installer au marché de détail ou organiser la vente des biens de première nécessité sur une table devant la maison.

Le premier souci d’un ménage qui reçoit le salaire mensuel du mari est d’acheter un sac de manioc, d’igname, de riz, de millet, etc.. Dès que le sac est acheté, la survie de la famille jusqu’au mois prochain est en principe garantie. Ce qui reste de l’argent est investi dans la marchandise qui est vendue au marché de détail par l’épouse ou la fille. Cette activité commerciale aide les ménages à réaliser un bénéfice direct et à réduire les risques généraux:

Il est clair que «gagner un revenu supplémentaire» n’est qu’une des motivations pour faire du commerce. Les marchés de détail jouent également un rôle social dans une situation de crise. Une implication cruciale est que ce rôle pour les marchés de détail peut empêcher une compétition saine et efficace. En fait, les commerçants sur le marché évitent de se concurrencer sur les prix, c’est-à-dire de «casser les prix».

3.6 - Le commerce informel et la sécurité alimentaire

L’utilisation de ces différentes formes de personnel (personnel social, physique, humain), dans une combinaison bien définie, donne à la personne en insécurité alimentaire accès à la nourriture. Dans le cas d’une population urbaine pauvre, ce personnel n’est souvent qu’une main-d’oeuvre ayant une connaissance technique limitée dans l’agriculture urbaine et périurbaine et le petit commerce. L’impact de la situation d’insécurité alimentaire massive sur le circuit de commercialisation des vivres est analysé par Goossens (1996). Il y a une explosion d’activités informelles, à basses barrières à l’entrée, telles que le commerce de détail et de micro-détail des vivres et le commerce par les colporteurs. Les marchés de détail s’approchent du modèle du marché libre tel que décrit dans la littérature économique: un grand nombre de vendeurs et d’acheteurs, de l’atomicité, l’absence de barrières à l’entrée, une certaine transparence, l’absence de monopoles, etc. Le problème, par contre, est qu’il n’y a que peu de compétition entre les commerçants qui évitent les risques et préfèrent la solidarité entre eux, d’où il résulte une hausse des marges de distribution. Le rôle social des marchés, c’est-à-dire la création d’emplois à basses barrières à l’entrée, la distribution des revenus, la création des systèmes d’assurance, de solidarité et de crédits entre les petits commerçants, etc., devient relativement plus important que le rôle économique du marché, à savoir la distribution efficace des vivres. Les marges de distribution augmentent au fur et à mesure que le rôle social d’un système devient plus important. Les plus pauvres, pour qui la barrière à l’entrée au commerce de détail est encore trop élevée, en sont les victimes. Ceux-ci ne profitent pas des avantages, mais paient souvent un prix plus élevé pour la nourriture.

En ce qui concerne la structure des marchés, l’impact de la demande actuelle du consommateur est la suivante:

Actuellement, les activités horticoles dans les centres urbains s’accroissent en raison de la détérioration des infrastructures de transport et des citadins essaient de valoriser leur personnel humain (la main-d’oeuvre et une connaissance de l’agriculture).


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