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Deuxième partie: Un cadre d'action


Au niveau national
Au niveau régional
Au niveau international


C'est aux gouvernements nationaux qu'il incombe au premier chef de mettre fin à la dégradation continue des terres en Afrique. Ce sont les seuls qui peuvent élaborer des plans, mobiliser les populations et exécuter les projets qui sont si urgents. Dans les pages qui suivent, nous décrivons rapidement certaines des mesures à prendre pour organiser la conservation des terres sur des bases nationales solides. Ces mesures ne sont pas exhaustives, mais indiquent l'éventail des actions requises.

Il vaudrait mieux aborder sur le plan régional certains problèmes, particulièrement ceux qui exigent une formation poussée et des recherches avancées. Des exemples de coopération régionale fructueuse en Afrique sont donnés aux pages 34 et 35.

Enfin, peu de gouvernements africains seront en mesure de combattre la dégradation des terres sans l'aide des organismes d'assistance technique et de la communauté internationale des donateurs. Un modèle efficace pour assurer une étroite coopération entre les gouvernements nationaux, les ONG, les organismes de développement et les donateurs est décrit aux pages 36 à 38.

AU NIVEAU NATIONAL
Trois questions, d'importance égale, doivent être prises en considération concurremment pour formuler un plan national de conservation et de restauration des terres
Améliorer l'utilisation des terres
inventorier les ressources en terres, rechercher les causes de la mauvaise utilisation des terres, prendre des mesures correctives appropriées
Encourager la participation
aider les utilisateurs des terres à gérer leurs ressources, à planifier leur avenir et à appliquer des solutions qui offrent des avantages à court terme
Développer les institutions nationales
créer et renforcer les institutions qui seront nécessaires pour fournir aux utilisateurs des terres l'assistance dont ils auront besoin
AU NIVEAU RÉGIONAL Catalyser les programmes régionaux
les réseaux régionaux peuvent assurer des échanges utiles d'informations, donner une formation avancée dans des domaines spécialisés et promouvoir des recherches sur la conservation
AU NIVEAU INTERNATIONAL Coordonner l'action internationale
un financement à long terme peut être assuré si les gouvernements nationaux, les ONG, les organismes d'assistance technique et les institutions de financement travaillent ensemble à l'élaboration de politiques et de programmes

 

Au niveau national


Améliorer l'utilisation des terres
Encourager la participation
Développer les institutions nationales


Améliorer l'utilisation des terres

LES CAUSES DE LA MAUVAISE UTILISATION DES TERRES VONT DES RÉGIMES FONCIERS INAPPROPRIÉS AU MANQUE DE MOYENS DE PRODUCTION AGRICOLE. LES SOLUTIONS PEUVENT IMPLIQUER LE CHANGEMENT DES POLITIQUES AGRICOLES, L'INTRODUCTION DE NOUVELLES TECHNOLOGIES OU LA RÉINSTALLATION DES AGRICULTEURS SUR DE NOUVELLES TERRES

La dégradation des terres est causée principalement par leur mauvaise utilisation. Il s'ensuit qu'un examen des causes de cette mauvaise utilisation est indispensable pour apporter des solutions durables à la dégradation, à l'échelle du continent.

Evaluation des ressources en terre

Même quand il existe déjà des informations, spécialement sur les sols et le climat, des enquêtes et des inventaires peuvent être nécessaires dans d'autres domaines.

C'est à ce stade que la planification de l'utilisation des terres entre en jeu. Une fois que des données suffisantes ont été accumulées, il devient possible d'identifier les zones exposées à la dégradation. Ces zones peuvent être prioritaires pour la restauration des terres. On est alors en droit de se poser la question qui est peut-être la plus importante dans tout le processus d'analyse: pour quelle raison les terres sont-elles mal utilisées dans ces zones?

Identifier les causes de la mauvaise utilisation des terres

La mesure la plus difficile, mais aussi la plus importante dans l'ensemble de ce processus, consiste à identifier les facteurs qui peuvent être maniés par le peuvent être maniés par le gouvernement pour stopper la dégradation des terres et améliorer leur utilisation.

Diverses causes peuvent être envisagées: choix de la mauvaise culture sur la mauvaise terre, régime foncier, structure des prix des produits agricoles, subventions, incitations, fiscalité ou législation ou coutumes sociales désuètes. Les gouvernements peuvent éprouver des difficultés à éliminer certaines contraintes, et il se peut que les changements doivent être échelonnés dans le temps. Même dans le pire des cas, où aucun des changements fondamentaux requis pour remédier aux problèmes de base ne peut être apporté, il importe que les causes de ces problèmes soient bien comprises, sans quoi on risque de perdre beaucoup de temps, d'effort et d'argent.

Améliorer l'utilisation des terres: l'éventail des options possibles

D'autre part, si les gouvernements comprennent les causes de la dégradation des terres, il devient alors possible d'introduire dans les systèmes agricoles, progressivement et à peu de frais, des changements qui inciteront les agriculteurs à adopter des mesures d'utilisation des terres plus productives et plus durables.

Ces informations permettront, dans le meilleur des cas, d'élaborer les stratégies à appliquer pour entreprendre un nouveau programme de conservation. Au pire, elles empêcheront les pays de se lancer dans de nouveaux programmes qui, parce qu'ils traitent les symptômes et non les causes, sont probablement voués à l'échec. De toute façon, les résultats seront bénéfiques et les options ouvertes aux pays menacés d'une grave dégradation seront clarifiées.

Appliquer les améliorations

Réformer les stratégies agricoles

Les stratégies agricoles ont un effet profond sur le mode d'utilisation des terres. Les décisions de subventionner la production de certaines cultures ou de certains moyens de production agricole sont évidemment destinées à modifier le mode d'utilisation des terres et à encourager les producteurs à apporter les contributions dont le pays a besoin. C'est ainsi que les pays qui manquent de devises cherchent à encourager la production des cultures de rapport et ceux qui importent beaucoup d'aliments tendent à encourager la production de cultures vivrières mais, lorsque le lait en poudre ou d'autres produits laitiers sont disponibles à bas prix, parce qu'il existe des excédents dans les pays développés, la production laitière est découragée.

L'introduction de moyens de production modernes tels qu'engrais et semences peut améliorer radicalement l'utilisation des terres. Les meilleurs rendements ainsi obtenus permettent aux agriculteurs d'adopter des techniques agricoles plus appropriées qui protègent mieux le sol et redonnent à la terre sa vitalité. La dégradation des terres se ralentit.

Ces mesures, et d'autres encore, comme les restrictions aux importations agricoles et les subventions à l'exportation, doivent être analysées pour préciser leurs effets sur le mode d'utilisation des terres et sur le rythme de dégradation. Quand les effets sont préjudiciables à la conservation, il faut rechercher d'autres stratégies.

Introduire de nouvelles technologies

L'introduction de nouvelles technologies peut modifier radicalement l'utilisation des terres. L'équipement perfectionné, les engrais améliorés et les nouvelles variétés de plantes cultivées et de graminées constituent autant de contributions majeures à cet égard. Par exemple, on pense maintenant que le vétiver (Vetiveria zizanioides) pourrait contribuer dans une mesure insoupçonnée à conserver le sol et l'humidité. Il s'agit d'une graminée pérenne résistant au feu qui pousse bien dans les climats aussi bien humides qu'arides et qui peut être plantée en haie suivant les courbes de niveau pour enrayer l'érosion et améliorer la conservation de l'eau. Selon des études de la Banque mondiale, cette graminée peut être plantée le long des courbes de niveau, pour délimiter les champs, sur les berges des rivières, sur les flancs des ravins et dans d'autres zones incultes.

Bases de données sur les ressources en terres

Des données fiables sur les ressources en terres - y compris les sols, le climat, la végétation et la topographie - sont nécessaires pour élaborer des politiques judicieuses d'utilisation et de conservation des terres. Certaines de ces données sont plus facilement accessibles qu'on ne le pense généralement. Toutefois, elles sont généralement fragmentées, exprimées en échelles différentes, et plus ou moins fiables; elles sont stockées dans différents ministères, bibliothèques et universités.

Le premier grand problème consiste à déterminer quelles sont les données disponibles et où elles se trouvent. Le deuxième consiste à rassembler les données existantes, à les classer sous une forme utilisable, à évaluer leur utilité et à décider quelles sont les données supplémentaires qu'il faut encore recueillir. Même les pays qui ont déjà procédé à un inventaire de leurs données sur les ressources en terres constateront probablement qu'ils ont besoin d'un plus grand nombre de données dans un domaine ou un autre.

Maintenant que les ordinateurs deviennent plus accessibles, n'importe quel pays peut établir son propre système d'information géographique (SIG) pour le rassemblement, le stockage et le traitement des données sur les ressources naturelles. Avec ce système, toutes les données pertinentes peuvent être stockées en un seul endroit, complétées quand des données nouvelles et meilleures deviennent disponibles, et rapidement converties sous des formes utilisables. Tous les pays devraient envisager de créer leur propre SIG.

Il ne faut pas négliger les autres systèmes plus traditionnels de collecte, de stockage et de traitement des données sur les ressources naturelles. Chaque pays devrait au moins créer un petit bureau ou centre d'opérations chargé d'enregistrer les données pertinentes disponibles et d'indiquer où elles se trouvent.

Quand des données suffisantes se seront accumulées, elles pourront être utilisées pour la planification de l'utilisation des terres, afin d'identifier les zones où la restauration des terres est prioritaire. Ces zones pourront alors être examinées de plus près et des stratégies pourront être mises au point pour améliorer le mode d'utilisation des terres.

Les nouvelles approches en matière de conservation comprennent des techniques qui sont parfois négligées depuis longtemps. Les agriculteurs du Burkina Faso ont appris à construire des micro-dispositifs de captage des eaux autour des arbres plantés à la fois pour protéger les terrains en pente et pour produire du bois de feu. Des rendements en riz de coteau de 1200 kg/ha ont été obtenus dans ces micro-bassins hydrologiques, et les rendements ont doublé durant une période où les pluies annuelles moyennes ont été réduites de moitié. Ailleurs, les agriculteurs ont tiré un bon parti des techniques agroforestières, comme les cultures en couloirs. Les agriculteurs n'ont guère besoin d'être persuadés d'adopter des technologies qui leur assurent des avantages immédiats.

Encourager l'utilisation des moyens de production agricole

Dans plus de 85 pour cent des pays africains, les applications d'engrais minéraux sont encore inférieures à 10 kg/ha/an, bien que des milliers d'essais aient montré que l'utilisation accrue d'engrais pouvait faire doubler ou même tripler les rendements.

Les programmes qui encouragent l'utilisation des moyens de production agricole tels que les engrais et les nouvelles variétés de plantes et de bétail, la lutte intégrée contre les ravageurs et le développement de la mécanisation tendent à accroître fortement la production. Avec cette production accrue, les petits paysans n'ont plus le besoin pressant d'utiliser leurs terres de plus en plus intensivement ou d'exploiter des terres marginales, de sorte que souvent le rythme de la dégradation des terres diminue. Une attention particulière est accordée à l'utilisation des espèces fixant l'azote, pour accroître la fertilité, et à l'emploi de matière organique à la place ou en plus des engrais minéraux.

Conservation et développement:

Comment le Lesotho aborde-t-il ce problème?

Le Gouvernement du Lesotho a décidé d'aborder le double problème de la forte érosion et de l'absence de développement agricole en entreprenant un programme de mise en valeur des bassins versants. En 1987, la FAO a été invitée à aider à élaborer une stratégie pour ce programme.

Comment le Lesotho aborde-t-il ce problème?

Une équipe de consultants et de spécialistes nationaux a examiné les problèmes et les expériences du Lesotho dans ce domaine, puis elle a élaboré une stratégie fondée sur les éléments suivants:

• Au niveau national, la politique gouvernementale (ce que désire le gouvernement) est combinée avec une évaluation des ressources physiques (ce qui est réalisable avec le climat particulier et les terres existantes) pour établir un plan national de développement agricole qui sera approuvé par le cabinet. Ce plan donnera une image approximative des objectifs poursuivis et de ce qui peut être accompli au cours d'une période de 10 à 15 ans.

• Au niveau du district, le plan national formera la base des plans de développement agricole des districts dans lesquels interviendront un département restructuré des services agricoles de terrain, le Ministère de l'intérieur (secrétaire chargé des districts), les conseils de district, les chefs de district, les donateurs avec des apports pour renforcer la gestion et d'autres ministères appropriés. Le plan de développement agricole des districts aura une durée de cinq ans et sera reconsidéré, révisé et mis à jour tous les 12 mois.

• Au niveau local, le plan de développement agricole des districts fournit le cadre de plans opérationnels établis pour chaque bassin versant ou bassin versant secondaire. Ces plans seront suffisamment souples pour couvrir les sous-districts, les groupes de villages ou les villages individuels, de manière que leur zone d'application puisse être adaptée aux limites des bassins versants ou des bassins versants secondaires. La participation de la communauté locale deviendra un aspect essentiel de la planification et elle sera organisée par des comités de développement de village travaillant avec un grand nombre d'individus, de groupes informels et d'associations, avec l'aide de fonctionnaires gouvernementaux.

Coordination du financement et d'activités des organismes donateurs

Ce cadre de planification nationale, régionale et communautaire devrait servir de référence aux activités des donateurs. Les projets et apports futurs des donateurs seront les composantes d'un programme à long terme convenu de conservation des sols, qu'ils soient destinés à soutenir des activités au niveau de la nation, du district ou de la communauté. Cela renforcera la détermination des donateurs et assurera une utilisation efficace des ressources du gouvernement et des donateurs.

Régime foncier

Les régimes fonciers sont fréquemment la cause de la mauvaise utilisation des terres et sont souvent difficiles à modifier. Un exemple pris en Afrique de l'Est montre combien une modification juridique relativement simple peut être efficace pour améliorer l'utilisation des terres.

Lorsque des régimes fonciers traditionnels offrant toute garantie de sécurité étaient en vigueur parmi les agriculteurs Chaga du Kilimandjaro, des arbres ont été plantés et le sol était protégé. Sur le mont Kenya, toutefois, la précarité du régime foncier a incité les agriculteurs à creuser des fossés pour délimiter leurs parcelles et pour essayer d'établir leurs droits de propriété. Ces fossés, qui devinrent des canaux pour l'écoulement des eaux, provoquèrent une forte érosion et un grave ravinement. D'énormes projets de conservation ne réussirent pas à enrayer la dégradation qui s'ensuivit; mais des terrasses ont été construites aujourd'hui dans la région, des haies marquent les limites des terres et des levées enherbées ont été aménagées pour freiner l'érosion.

Cette situation s'explique notamment par le fait que le Kenya a entrepris un programme de réforme du régime foncier qui a accordé des droits sûrs aux petits paysans. En outre, les tribunaux ont décidé de ne pas accepter les fossés comme preuve de la délimitation des propriétés.

Diversifier les revenus ruraux

L'un des moyens d'alléger la pression sur les terres surexploitées consiste à offrir aux populations rurales des emplois et des sources de revenus qui dépendent moins directement de la culture des terres. Ces dernières années, beaucoup de petits projets ont montré la possibilité d'offrir avec succès aux populations rurales d'autres sources de revenus, moyennant l'introduction d'activités telles que l'aviculture, la production de miel et la fabrication de meubles et d'ustensiles ménagers simples, avec des matières premières disponibles sur place.

Réinstaller les utilisateurs des terres

Quand toutes les autres solutions échouent, il faut parfois envisager de réinstaller les utilisateurs des terres dans des zones où la dégradation est moins grave et les rendements potentiellement plus élevés. La réinstallation peut finalement se révéler bénéfique pour ceux qui partent et donner une vie nouvelle aux terres qu'il' quittent. Les programmes de réinstallation doivent être volontaires, et assortis d'incitations économiques.

Amélioration de l'utilisation des terres dans la vallée de Keita, au Niger:

Mariage des technologies anciennes et nouvelles

Le centre-sud du Niger souffre fortement de la désertification. Dans la vallée de Keita, où le désert cède la place aux terres agricoles, les cultures des Touaregs nomades et des Hausa sédentarisés se rencontrent. Mais la pression démographique a eu des effets dramatiques sur le paysage de la vallée: moins d'un cinquième des terres de cette province sont actuellement cultivables, les autres s'étant transformées en terres désertiques et en parcours dégradés. Les bonnes terres sont devenues rares - les arbres et les buissons ont été coupés, laissant le sol exposé au soleil, au vent et à l'eau. Quand les pluies arrivent, elles dévalent le long des flancs de la vallée, emportant le sol superficiel et détruisant les champs et les cultures des villageois.

Aujourd'hui, toutefois, un projet imaginatif de développement rural intégré aide à rétablir l'équilibre. Exécuté par le Gouvernement du Niger avec l'aide de la FAO et d'un fonds fiduciaire italien, ce projet marie les systèmes traditionnels de production avec la technologie moderne. Les habitants de Keita exécutent eux-mêmes le travail, vérifient les résultats et préservent les améliorations. La technique fondamentale est celle de la «récolte de l'eau» pour assurer que l'eau reste dans le sol là où elle tombe, au lieu de s'écouler pour créer des dommages ailleurs.

Des arbres et des cultures croissent maintenant là où il n'y avait que des dunes et des pierres il y a quelques années. Et un nouvel esprit de solidarité est né parmi les populations de la vallée de Keita.

Il existe plusieurs régions d'Afrique où la réinstallation de certaines populations peut devenir nécessaire. Une mission FAO d'évaluation envoyée en 1983 dans les hautes terres du centre de l'Ethiopie a conclu: «De toute évidence, la terre peut recevoir une charge humain' limitée... Il est douteux que la technologie puisse à la fois rattraper et distancer la croissance démographique actuelle dans les hautes terres et répondre convenable ment aux besoins humains fondamentaux et aux exigences de la stabilisation de l'environnement. C'est une réalité inéluctable.»


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