Première partie - Nutrition et santé publique

Table des matières - Précédente - Suivante

1. Nutrition, infection et maladie
2. Étiologie de la malnutrition
3. Nutrition, fertilité et planning familial
4. Aspects sociaux et culturels de la nutrition
5. Appréciation de l'état nutritionnel
6. La nutrition pendant la grossesse
7. Nutrition et allaitement maternel
8. La nutrition de l'enfant

 

1. Nutrition, infection et maladie

Pour beaucoup de pays en développement, la malnutrition vient au premier rang des problèmes de santé publique. Pourtant, les ministères de la santé, et avant eux les services de santé de l'époque coloniale, ont eu tendance à considérer la nutrition comme n'ayant qu'une importance secondaire.

Si en un an mouraient d'une maladie infectieuse seulement le quart de ceux qui, bon an mal an, meurent du kwashiorkor ou du marasme, le tollé serait général et on lancerait une campagne d'urgence sans précédent. Si l'on reste assez indifférent à la morbidité et à la mortalité qui vont de pair avec la malnutrition, c'est en partie parce que celle-ci atteint le plus souvent les jeunes enfants et également parce qu'il ne s'agit pas d'une maladie contagieuse. On sous-estime aussi beaucoup la part de la malnutrition dans les statistiques sur la maladie et la mortalité. Ceci tient à ce que l'on attribue le décès de beaucoup d'enfants à, disons, une gastro-entérite ou à une pneumonie, alors que ces enfants souffraient peut-être aussi de malnutrition. Mais cette négligence témoigne d'un manque de réalisme car la sous-alimentation et la malnutrition sont graves en soi et peuvent, même lorsqu'elles sont légères ou frustes, influer sur le développement et l'issue d'autres maladies. Le progrès économique d'un pays dépend dans une large mesure de leur élimination.

Une personne sous-alimentée risque bien plus de succomber à une maladie infectieuse qu'une personne bien nourrie. Il est prouvé que des maladies infectieuses de l'enfance, comme la rougeole et la coqueluche, peuvent précipiter l'évolution de la malnutrition protéino-énergétique. Ainsi, un enfant apparemment en bonne santé contracte la rougeole et se retrouve atteint de rougeole et de kwashiorkor. Toute tentative pour améliorer l'état nutritionnel des enfants doit donc s'accompagner d'une lutte contre les maladies infectieuses de l'enfance.

La vaccination contre la coqueluche est une mesure prophylactique désormais bien établie. Le vaccin est habituellement associé, dans une seule ampoule, à ceux contre la diphtérie et le tétanos. Il porte le sigle DTCoq (diphtérie, tétanos, coqueluque). Souvent, on vaccine en même temps contre la poliomyélite et la variole. La vaccination contre la rougeole peut aussi être très efficace. Ce vaccin, assez cher, doit en permanence être conservé en réfrigérateur et il est encore peu courant en Afrique. Chez les jeunes enfants la rougeole est souvent mortelle si le sujet est mal nourri, tandis que celui qui y survit peut perdre du poids ou être sur la pente de la malnutrition.

S'il est incontestable que la protection des enfants contre ces maladies est une bonne chose en soi, elle permet aussi de réduire l'incidence de la malnutrition protéino-énergétique.

La tuberculose, autre maladie importante qui sévit en Afrique, s'accompagne souvent chez l'enfant de marasme nutritionnel (figure 1). Le sujet atteint de tuberculose pulmonaire présente presque toujours des signes de malnutrition. La vaccination par le BCG est désormais très largement pratiquée en Afrique.

Le paludisme, autre grand problème de santé publique en Afrique, est généralement aggravé par la malnutrition. Certains parasites intestinaux, parfois très courants, y sont aussi étroitement liés. Il est bien connu que les ankylostomes, qui sucent le sang, drainent le fer et d'autres éléments nutritifs de l'organisme. Mais il n'est pas certain que les ascaris, même très grands et nombreux dans l'intestin, contribuent à la malnutrition. D'autres parasites intestinaux y prennent une part plus ou moins active.

Bien des maladies infectieuses, notamment celles qui donnent lieu à des poussées de fièvre, entraînent un accroissement des pertes d'azote dans l'urine. Cet azote provenant de la fonte chimique des muscles, doit être remplacé par des quantités appropriées de protéines introduites dans l'alimentation de l'enfant pendant sa convalescence.

La perte de l'appétit, ou anorexie, est un autre aspect du rapport entre infection et malnutrition. Dès l'instant, en effet, où l'enfant est atteint d'une maladie infectieuse, il a généralement peu d'appétit et par conséquent absorbe moins de nourriture.

Mais, de toutes les maladies, c'est la diarrhée qui revêt le plus d'importance dans l'étiologie de la malnutrition. Elle peut surtout se produire au moment où cesse l'allaitement au sein et on la qualifie alors parfois de «diarrhée de sevrage ». Il se peut qu'une attaque de diarrhée puisse précipiter l'évolution de la malnutrition protéino-énergétique en changeant profondément l'absorption des nutriments à partir du tube digestif chez un enfant déjà médiocrement nourri. Dans les familles africaines, on soigne souvent la diarrhée du tout jeune enfant soit par une diète essentiellement glucidique, soit par le jeûne presque complet, ce qui diminue encore l'apport alimentaire. Par ailleurs, les antibiotiques administrés au dispensaire ou à la consultation externe de l'hôpital pour traiter la diarrhée risquent de modifier la flore intestinale et d'aggraver ainsi l'état nutritionnel de l'enfant. Il semble que traiter la fièvre par la diète, comme le veut le vieil adage, soit un moyen d'une efficacité douteuse et cette pratique risque d'avoir de graves conséquences pour l'enfant déjà sous-alimenté. Une diarrhée non infectieuse peut être due à un changement de nourriture tel que celui qui se produit lorsqu'un jeune enfant est sevré brusquement et mis au régime alimentaire familial qui souvent ne lui convient pas. L'alimentation au sein a une haute valeur nutritive et comporte moins de risques de contamination que les autres modes d'alimentation. L'enfant que l'on prive du sein maternel et à qui l'on donne une nourriture riche en féculents devient moins résistant et davantage exposé aux infections gastro-intestinales.

Mais, alors que la diarrhée entraîne la malnutrition, on sait que le kwashiorkor et le marasme s'accompagnent très souvent de diarrhée. Un régime extrêmement pauvre, surtout en protéines, peut conduire à une diminution de la sécrétion des enzymes digestives et plus particulièrement des enzymes pancréatiques. Cette insuffisance enzymatique peut entraîner une diarrhée métabolique non infectieuse. La malnutrition protéino-énergétique peut donc aussi bien être causée par la diarrhée qu'en être la cause.

Si nous insistons sur le rapport entre la diarrhée et la malnutrition protéino-énergétique, c'est parce qu'il faudrait que le personnel de santé considère l'amélioration de la nutrition comme un moyen de réduire l'incidence de cette maladie, et que les nutritionnistes pensent à recourir aux mesures de santé publique pour réduire l'incidence de la malnutrition.

Les maladies infectieuses, y compris les maladies parasitaires, peuvent jouer un rôle important dans l'étiologie de la malnutrition protéino-énergétique et de l'anémie dont il a déjà été question. Elles peuvent également aggraver des maladies comme la xérophtalmie (carence en vitamine A) qui est une cause majeure de cécité.

Comme on l'a clairement démontré, la malnutrition sape la résistance de l'organisme à l'infection. Un enfant mal nourri a plus de difficulté à former des anticorps et à fabriquer davantage de globules blancs (leucocytes), deux mécanismes très importants de défense. Certaines maladies carentielles peuvent porter atteinte à l'intégrité des tissus épithéliaux, notamment de la peau et des muqueuses, ouvrant ainsi la voie aux organismes pathogènes. Ainsi en va-t-il par exemple en cas d'avitaminose A.

Les taux élevés de mortalité dus à des maladies infantiles courantes comme la rougeole illustrent de façon spectaculaire l'effet de la malnutrition sur l'infection. La rougeole est une maladie grave, responsable d'environ 15 pour cent des décès dans beaucoup de pays africains, car les enfants qui en sont atteints pâtissent d'un mauvais état nutritionnel et d'une moindre résistance. Dans les pays pauvres, le taux de mortalité dû à la rougeole peut être jusqu'à 300 fois plus élevé que dans les pays industrialisés plus riches.

Il est tout à fait évident que la présence simultanée de la malnutrition et de l'infection entraîne une interaction dont les conséquences pour l'enfant sont souvent plus graves que les effets cumulatifs de ces deux états agissant indépendamment. Cette interaction est connue sous le nom d'effet synergique. L'infection aggrave la malnutrition, et la sous-alimentation accroît le degré de gravité de la maladie infectieuse.

Il est donc capital de s'attaquer de façon généralisée et concertée aux problèmes de la santé publique en menant une campagne visant à améliorer la nutrition. Il est par ailleurs tout aussi important de donner plus de place à la nutrition dans les activités de santé publique.

2. Étiologie de la malnutrition

La malnutrition est causée par l'apport insuffisant d'énergie ou d'un élément nutritif donné. C'est ainsi que le kwashiorkor peut être dû à une carence en protéines et en calories, la xérophtalmie à un régime insuffisamment riche en vitamine A ou en carotène, et le goitre à une alimentation ne contenant pas assez d'iode. Si cependant nous savons que ces carences causent la malnutrition que nous pouvons voir et diagnostiquer, il ne s'ensuit pas pour autant que nous comprenions bien les causes souvent complexes à l'origine de cette maladie. Tant que nous ne saisirons pas bien ces causes, il nous sera difficile de suggérer des méthodes pratiques pour lutter contre la malnutrition.

En Afrique, la malnutrition tient avant tout à quatre grandes causes d'ordre général, à savoir: la méconnaissance en matière d'alimentation, nutrition et santé; la rareté des aliments nécessaires à un régime équilibré, souvent due au manque de production; la distribution inégale des denrées alimentaires disponibles; et les maladies infectieuses.

Méconnaissance en matière d'alimentation, nutrition et santé

On ne saurait reprocher aux gens leur ignorance dans ce domaine. Personne n'a blamé Vasco de Gama quand, lors du premier périple en mer autour de l'Afrique, entre l'Europe et l'Inde, 100 sur 180 des membres de son équipage sont morts du scorbut. S'ils n'ont pas survécu c'est parce qu'ils ignoraient que la présence de vitamine C dans les aliments frais permet d'éviter le scorbut. Leur ignorance leur à coûté la vie, tout comme aujourd'hui des dizaines d'enfants meurent dans les villages de toute l'Afrique parce que leurs mères ne savent pas quels sont les aliments qui leur sont nécessaires pour prévenir leur maladie.

En Afrique comme dans d'autres régions, nombreux sont ceux qui ignorent tout du rôle des aliments. L'un des aspects majeurs de ce problème est la notion générale et tout à fait fausse selon laquelle il suffit d'avoir « le ventre plein » pour bien se porter. C'est cette conception erronée, cette ignorance, qui est la cause de bien des maladies nutritionnelles dans ces pays. Pour bon nombre de gens, il est inconcevable qu'une personne qui n'a jamais faim puisse souffrir d'une maladie physique parce que quelque chose manque à son régime.

L'auteur, quand il travaillait en Tanzanie, a souvent eu l'occasion d'expliquer aux parents que si l'enfant était atteint de kwashiorkor c'était parce qu'ils l'alimentaient mal. Les parents, incrédules, niaient alors avec véhémence que leur enfant puisse souffrir de malnutrition. « Jamais cet enfant n'a eu faim », répondaient-ils souvent. « Chaque fois qu'il pleure ou qu'il a faim, nous lui donnons autant d'uji qu'il veut ou peut manger.»

Les parents ne se rendaient pas compte, semble-t-il, que l'uji à lui seul, surtout s'il est fait seulement de manioc ou de maïs, ne suffit pas à protéger un jeune enfant de la malnutrition, même si on lui en donne beaucoup.

Pour ce qui est de la nutrition des jeunes enfants, nombreux également sont ceux qui ignorent la nécessité de repas assez fréquents. Si, en effet, les adultes et les enfants plus âgés peuvent satisfaire tous leurs besoins nutritionnels en deux repas par jour, il n'en va pas de même pour le nourrisson ou l'enfant d'âge préscolaire, surtout si son régime de base est constitué par un aliment farineux comme la banane plantain, le manioc, la patate douce ou l'igname, ou même par une céréale comme le maïs, le mil, le riz ou le blé. Généralement, l'enfant n'a ni l'appétit, ni la capacité d'absorber en un repas la moitié de ce qu'il lui faut par jour. Même si cela leur prend du temps et leur est difficile, il est donc nécessaire que les mères alimentent leurs nourrissons et leurs jeunes enfants plus de deux fois par jour, c'est-à-dire six fois pour les enfants âgés de moins de 1 an, quatre à cinq fois pour les enfants de 1 à 3 ans, et au moins trois fois pour les enfants au-delà de cet âge. On verra au chapitre 8 comment le faire.

Manque de production et de disponibilités

On ignore la quantité d'aliments disponibles pour la consommation humaine chaque année en Afrique. Il est probable qu'en cas de récolte moyenne, ces aliments ne font pas globalement défaut, mais dans certaines régions, la disette sévit à la fin de chaque campagne agricole, avant la nouvelle récolte. A ce moment-là, il en est qui ne mangent pas à leur faim.

De grandes famines ont sévi certaines années, dans le Sahel par exemple au milieu des années soixante-dix. Dans plusieurs zones de l'Afrique de l'Est, des famines localisées et des pénuries alimentaires se produisent très souvent. Les parties septentrionales les plus arides du Kenya, certaines zones de l'Ethiopie et la région centrale de Tanzanie connaissent fréquemment ce genre de fléau.

L'insuffisance de la production alimentaire dans une zone donnée ou dans certaines familles peut tenir à bien des raisons: conditions climatiques, adaptabilité du sol à certaines cultures, connaissance limitée de l'agriculture, disponibilité des semences et de l'outillage, temps de travail consacré à la terre, etc. C'est ainsi que les agriculteurs tendent parfois à consacrer trop de temps et de terre à la pratique de cultures commerciales et pas assez à celle de cultures vivrières. D'où éventuellement des pénuries alimentaires ou des régimes pauvres, bien souvent compensés en partie seulement par des achats d'aliments avec l'argent provenant de la vente de la récolte commerciale.

Distribution inégale des aliments

Les aliments sont inégalement distribués, à la fois au sein de la famille elle-même et dans l'ensemble de la région.

Dans la famille, c'est bien souvent les membres vulnérables sur le plan nutritionnel qui passent après tous les autres et ne mangent donc que ce que l'on veut bien leur laisser aux repas. Dans beaucoup de régions d'Afrique, la coutume veut que ce soit les hommes de la famille qui mangent les premiers. Les plats les plus savoureux sont souvent aussi les plus nutritifs, et il ne reste pas grand-chose aux enfants qui viennent en dernier.

L'inégalité de la distribution alimentaire dans le pays peut résulter de l'absence de certaines denrées dans des régions données (absence de bovins dans les zones infestées par la mouche tsé-tsé, manque de fruits et de légumes dans les zones arides, manque de poisson dans les zones éloignées de la mer et des lacs). Ces pénuries localisées de produits dont dispose le reste du pays sont encore aggravées par la précarité des communications et moyens de transport (figure 2), et par l'absence d'installations d'entreposage et de conservation.

Il se peut que, dans une communauté, l'inégalité de la distribution soit due à la pauvreté. Les aliments riches en protéines animales et en lipides sont plus chers que ceux riches en glucides. Les gens qui ne produisent pas eux-mêmes leurs aliments peuvent ne pas être en mesure d'acheter ce qu'il faudrait, simplement parce qu'ils n'ont pas assez d'argent. Le plus souvent c'est le cas des salariés, cas que l'on retrouve fréquemment dans les zones urbaines. Ainsi, un ouvrier payé au salaire minimum et ayant trois enfants et une femme qui allaite ne peut généralement pas acheter assez d'aliments pour garder sa famille et lui-même en bon état nutritionnel et subvenir en même temps aux dépenses de combustible, de logement et d'habillement. Le salarié rural est en meilleure position. Sa femme peut toujours trouver un lopin de terre à cultiver et ramasser des feuilles et fruits sauvages. Si l'on veut qu'une collectivité urbaine jouisse d'un bon état de santé, il est évident que tout ou partie des mesures suivantes s'impose: relever les salaires en fonction du prix des aliments de base; servir un repas ou fournir des rations sur le lieu de travail; apprendre aux familles les méthodes de planning familial et leur donner les moyens de les mettre en application pour leur permettre de n'avoir que le nombre d'enfants qu'elles peuvent nourrir convenablement; mettre le travailleur citadin en mesure de produire lui-même une partie de sa nourriture, en lui fournissant par exemple une parcelle de terrain pour y jardiner.

Maladies infectieuses

Les maladies infectieuses et parasitaires sévissent beaucoup dans tous les pays d'Afrique, et surtout parmi les jeunes enfants. Comme nous l'avons déjà dit, ces maladies contribuent notablement à la malnutrition. Rares sont les enfants atteints de malnutrition protéino-énergétique ou de xérophtalmie qui n'ont pas eu récemment ou simultanément une maladie infectieuse ou parasitaire. De la même façon, la malnutrition ou la dénutrition chez un enfant aggrave les maladies infectieuses.

Comme il a été dit, l'ignorance dans le domaine de l'alimentation et de la nutrition, l'insuffisance de la production et des disponibilités alimentaires, l'inégalité de la distribution des aliments et les maladies infectieuses sont parmi les causes fondamentales de la malnutrition en Afrique. Ces causes tiennent à certains facteurs tels que:

- Pertes alimentaires dues aux insectes, aux champignons, aux rongeurs, aux oiseaux et aux animaux sauvages comme le babouin, le phacochère, l'éléphant et le porc-épic.

- Erosion du sol, souvent causée par le surpâturage et les brûlis anarchiques (figure 3).

- Pratiques agricoles médiocres souvent dues à un manque de connaissances, d'argent, de temps ou de matériel.

- Manque d'eau, qui peut être saisonnier et sévit plus gravement dans certaines régions et certaines années. L'absence de pluies peut entraîner sécheresse et famine.

- Manque de temps pour produire les aliments, les préparer convenablement et confectionner des plats spéciaux pour les jeunes enfants. La femme rurale africaine passe en effet beaucoup de temps et dépense beaucoup d'énergie à aller puiser et transporter l'eau sur de longues distances (figure 4), et à préparer et piler les céréales à la main (figure 5). On pourrait, en lui amenant l'eau à proximité de chez elle et en lui permettant de se procurer du grain légèrement usiné, la relever d'une tâche écrasante et lui laisser ainsi plus de temps pour préparer les aliments nécessaires aux jeunes enfants. Des programmes communautaires tels que ceux des villages ujamaa en Tanzanie sont un premier pas dans la bonne direction.

- Surpeuplement et pénurie de terre, problèmes sérieux dans certaines régions de l'Afrique rurale.

- Familles trop nombreuses dans des ménages qui n'ont que trop peu de terres ou de revenus.

- Urbanisation et exode rapide vers les grandes villes, qui ont pour résultat le chômage et la faiblesse des revenus.

De meilleurs produits et méthodes agricoles (variétés de semences à plus haut rendement, utilisation plus large des engrais et des insecticides' entreposage plus efficace des denrées alimentaires) accroîtraient de toute évidence les disponibilités alimentaires à l'hectare pour la consommation humaine. Mais, dans bien des régions du monde, la population augmente plus vite que la production agricole. C'est là un problème grave dans presque toute l'Asie, où la terre manque fréquemment pour produire les aliments nécessaires à la population d'une région donnée. En Afrique de l'Est cependant, mis à part quelques rares districts, la terre est suffisamment abondante et on dispose donc d'un potentiel pour y produire les vivres nécessaires au maintien de toute la population en bonne santé. Il arrive toutefois que soit pratiqué un système de régime foncier inéquitable qui ne permet pas de tirer tout le parti possible des terres agricoles disponibles.

3. Nutrition, fertilité et planning familial

La population mondiale s'accroît à un rythme effrayant. Mais ce qui est peut-être plus effrayant encore, c'est la course entre la population et les disponibilités alimentaires. La population mondiale d'environ 250 millions d'hommes il y a 2000 ans, n'est passée à 500 millions qu'au bout de 16 siècles, alors qu'il ne lui en a fallu que deux et demi pour atteindre le milliard en 1850, et un pour arriver à 2 milliards en 1950. Et maintenant, cette même population double tous les 35 ans.

C'est dans les pays asiatiques comme le Bangladesh, l'Inde, le Pakistan et Sri Lanka que la pression démographique est la plus forte et suscite le plus de problèmes. Bien que la Chine soit le pays le plus peuplé au monde, son gouvernement a pris ces dernières années les mesures voulues pour que tous soient convenablement nourris et pour contenir tout accroissement rapide de la population.

Même si, dans certaines zones, la pression sur les terres constitue un problème, l'Afrique dans son ensemble n'est pas actuellement surpeuplée. Pourtant, le taux de croissance démographique dans certains pays d'Afrique est parmi les plus élevés au monde. C'est ainsi qu'au Kenya il est d'environ 3,5 pour cent par an, et à ce rythme la population doublera en 22 ans. En admettant même que ce pays ait assez de terres, ainsi qu'une capacité de production alimentaire et d'autres ressources suffisantes pour faire face aux besoins d'une population double ou triple de celle d'aujourd'hui, il ne faut pas oublier que s'il veut atteindre les objectifs en matière de progrès et d'amélioration de la qualité de la vie, il lui faut, ne serait-ce que pour se maintenir au stade de développement acquis, doubler aussi en l'espace de 22 ans le nombre des écoles ou des places dans les écoles, des hôpitaux ou des lits d'hôpitaux, des logements et de tous les services.

Même s'il incombe à chaque gouvernement de décider de ses propres politiques en matière de population, il n'en reste pas moins évident que pour améliorer l'état nutritionnel de la population d'un pays, les disponibilités alimentaires doivent augmenter plus vite que la population.

Le planning familial est toutefois un domaine qui touche plus la famille que la nation. Il ne s'agit pas en l'occurrence de dicter de l'extérieur à un couple le nombre total d'enfants qu'il doit avoir, mais plutôt de lui donner le moyen de décider lui-même du nombre d'enfants qu'il aura et de l'espacement des naissances.

Le planning familial est étroitement lié à l'état de santé et de nutrition en ce sens par exemple qu'une famille nombreuse, des naissances trop rapprochées, des sevrages brutaux sont autant de facteurs qui nuisent à la santé, engendrent la malnutrition et même accroissent le taux de mortalité chez la mère et les autres membres de la famille en question.

Il est également important que la famille, et en particulier la femme, compte au nombre de ses droits celui de choisir si elle veut et quand elle veut des enfants. C'est là un luxe dont jouissaient uniquement les riches qui savaient comment utiliser les contraceptifs et avaient les moyens de les acheter. L'éducation toujours plus poussée dans le domaine du planning familial fait prendre conscience aux couples des moyens disponibles pour éviter des grossesses non souhaitées, tandis que des programmes sont conçus pour fournir des contraceptifs, soit gratuitement, soit à bas prix, grâce à une politique de subvention.

Etat nutritionnel et reproduction

De nombreuses grossesses et périodes d'allaitement, surtout si elles sont rapprochées, ne peuvent que réduire la teneur en éléments nutritifs de l'organisme maternel, à moins que la mère n'ait un régime exceptionnellement bon. Toute femme ayant beaucoup d'enfants en peu de temps risque d'être en mauvais état nutritionnel.

Une femme mal nourrie pendant sa grossesse aura, surtout si son alimentation est très insuffisante en quantité et en calories, un bébé plus petit qu'une femme bien nourrie. Comme les décès sont plus fréquents parmi ces enfants, il est évident que de mauvais régimes alimentaires pour la mère accroissent les risques de décès chez le nourrisson. Selon une étude faite au Guatemala, les aliments de complément fournis à des femmes enceintes ont permis à ces dernières de donner naissance à des bébés plus lourds.

Il a également été démontré que des naissances rapprochées peuvent accroître le risque de malnutrition et même de mort chez ces enfants, et plus spécialement après le quatrième enfant. Des grossesses trop nombreuses et trop rapprochées peuvent donc être nuisibles tant à la mère qu'à l'enfant. Sur le plan de la nutrition comme sur celui de la santé, il est donc de l'intérêt de la mère de recourir au planning familial même si ce n'est que pour espacer davantage la naissance de ses enfants.

La menstruation cesse généralement quand les femmes sont gravement sous-alimentées ou totalement privées de nourriture, par exemple en période de grande famine. Dans ces cas-là, la conception se trouve empêchée par la nature.

Allaitement maternel, fertilité et planning familial

On a longtemps considéré comme un conte de bonne femme le fait que l'allaitement empêche la grossesse. S'il est vrai qu'une femme qui allaite encore peut être enceinte à nouveau, il est maintenant certain que chez les femmes qui allaitent, la menstruation reprend généralement plus tard et que, par conséquent, elles risquent moins une grossesse immédiate que les femmes qui n'allaitent pas. L'allaitement peut en effet retarder de 5 à 8 mois en moyenne une nouvelle grossesse. Dans les pays en développement, l'allaitement complet au sein, s'il est prolongé, contribue donc puissamment à limiter la fertilité, à contrôler la croissance démographique et à espacer les naissances. C'est là un moyen offert par la nature pour atteindre ce dernier objectif. Si l'on devait substituer à l'allaitement maternel l'allaitement au biberon sans prévoir en même temps des contraceptifs, le nombre des enfants s'accroîtrait considérablement.

La pilule contraceptive, surtout si elle contient beaucoup d'œstrogènes, risque de diminuer la sécrétion de lait. Il faut donc se montrer prudent avant de conseiller aux femmes de prendre ces pilules peu après la naissance. Il semblerait par contre que les dispositifs contraceptifs intra-utérins (DIU) favorisent, voire améliorent, la lactation.

Il se peut que certains contraceptifs aient un effet sur l'état nutritionnel. Quelques types de pilules provoqueraient de l'anémie car elles entravent l'utilisation du folate. Les dispositifs contraceptifs intra-utérins peuvent causer de plus forts saignements qui amènent une anémie ferriprive.

Il semble que la diminution du taux de mortalité des nourrissons et des enfants soit une condition préalable essentielle à une large acceptation du planning familial dans les sociétés où les décès d'enfants sont courants. La malnutrition étant l'une des causes principales ou accessoires de la mortalité infantile, l'amélioration de la nutrition devrait amener les populations à accepter plus facilement le planning familial. Il faut en effet que les familles aient l'assurance que leurs enfants survivront avant qu'elles ne prennent le risque d'en limiter le nombre.

Une meilleure nutrition va de pair avec une meilleure qualité de la vie. Dès l'instant où une famille compte moins d'enfants, elle peut mieux s'alimenter, elle a plus de place et elle est moins affligée par la pauvreté, d'où amélioration de la qualité de la vie. Espacer davantage les naissances signifie aussi améliorer l'état de santé et de nutrition des enfants et des mères. Tout se tient.

Il est on ne peut plus logique de lier, voire d'intégrer, les activités de la nutrition et celles du planning familial dans un seul programme. Les unes et les autres touchent à la santé de la mère et de l'enfant et à celle de toute la famille. Aussi peut-il être bon que le même personnel de santé s'occupe de la nutrition, du planning familial et de la santé de la mère et de l'enfant.


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