Troisième partie - Troubles associés a la malnutrition

Table des matières - Précédente - Suivante

13. Sous-alimentation et suralimentation
14. Le béribéri
15. La pellagre
16. Xérophtalmie et kératomalacie
17. Rachitisme et ostéomalacie
18. Le scorbut
19. La malnutrition protéino-énergétique
20. Le goitre endémique
21. Anémies nutritionnelles
22. Neuropathies nutritionnelles
23. Troubles nutritionnels mineurs

Il est malaisé de classer logiquement les maladies et troubles nutritionnels. Etiqueter les diverses maladies nutritionnelles en fonction de leur étiologie présumée, c'est-à-dire carence d'un élément nutritif particulier, donne un tableau trop simplifié. Pour beaucoup de ces affections, plus d'un facteur entre en jeu et il est bien rare qu'un régime alimentaire manque sérieusement d'un seul élément nutritif tout en étant satisfaisant pour tous les autres.

Il existe des altérations de la peau, du système nerveux, des yeux ou d'autres organes et tissus, d'origine nutritionnelle, que l'on ne saurait traiter sous l'angle d'un seul élément nutritif, car en fait plusieurs interviennent simultanément. Certains syndromes et maladies spécifiques évoluent selon un schéma précis et sont faciles à décrire. D'autres sont, de toute évidence, d'origine nutritionnelle, mais il est impossible de les classer dans une rubrique précise. Pour compliquer encore la situation, il existe des signes et des symptômes dus à des causes extérieures, à des blessures, et à des maladies qui ne sont ni nutritionnelles ni infectieuses, qu'il peut être difficile de distinguer de ceux de la malnutrition.

Un diagnostic multiple s'impose souvent en Afrique. En d'autres termes, le malade a fréquemment plus d'une maladie spécifique. Il est en effet particulièrement courant chez les personnes souffrant de malnutrition de trouver une autre maladie car une alimentation médiocre prédispose l'individu aux infections et autres maladies. De même, chez un sujet ayant une nourriture juste suffisante, le début d'une maladie peut rompre l'équilibre et provoquer des manifestations de malnutrition qui apparaissent presque en même temps que la nouvelle maladie.

Après un bref examen de la sous-alimentation et de l'obésité, on décrira d'abord dans cet ouvrage les maladies nutritionnelles classiques, béribéri, pellagre, xérophalmie, rachitisme, ostéomalacie, scorbut, goitre, pour finir par la plus importante de toutes, la malnutrition protéino-énergétique (kwashiorkor et marasme). Puis on passera aux anémies nutritionnelles, aux neuropathies et à quelques-uns des troubles nutritionnels moins importants.

13. Sous-alimentation et suralimentation

Inanition (sous-alimentation)

La description scientifique classique de l'inanition est celle de l'état de prisonniers de guerre et de réfugiés gravement sous-alimentés. Des conditions semblables se sont produites en Afrique à la suite de disettes. De grandes famines dues à la sécheresse ont, ces dernières années, exercé leurs ravages dans les populations des pays sahéliens d'Afrique de l'Ouest et de certaines parties de l'Ethiopie. Dans des cas individuels, l'inanition peut tenir à des affections graves du tube digestif, à des maladies comme le cancer, la tuberculose ou la folie, ou encore à la pauvreté ou au chômage. Chez les jeunes enfants, des causes différentes peuvent amener une maladie courante, le marasme nutritionnel (voir page 133).

Il y a de nombreux degrés de sous-alimentation, allant du cas bénin au cas mortel. Un homme en bonne santé peut supporter de perdre le quart de son poids, mais s'il perd davantage il tombe malade et sa vie peut être en danger.

C'est ainsi, par exemple, qu'un Africain de taille moyenne, de sexe masculin, pesant 55 kg, peut être contraint, au cours d'une année de famine, de réduire énormément sa ration calorique. Comme il manque de nourriture, il brûle entièrement les réserves qui constituent une partie de son propre corps. Il maigrit et ses muscles diminuent de volume. Simultanément, il a tout naturellement tendance à réduire sa dépense d'énergie (voir page 61). Il est moins actif, se repose et dort davantage. La dépense énergétique pour un adulte africain de taille moyenne et de sexe masculin, ne faisant aucun exercice, est d'environ 1300 Calories par jour. Si la situation s'améliore, par exemple au moment de la nouvelle récolte, il mange davantage et, par conséquent, absorbe de nouveau plus de calories. Son appétit croît et il reprend son poids sans que son organisme ait réellement souffert. Ainsi, beaucoup de gens sont restés dix jours ou plus sans aucune nourriture; (ils doivent pouvoir boire de l'eau ou d'autres liquides). Dans ce cas, il y a une perte de poids mais aucune lésion permanente. Si, toutefois, cet Africain perd plus de 13,5 kg et s'il continue à avoir un régime déficient en calories, les signes et les symptômes d'inanition commenceront alors à se manifester.

Signes cliniques de l'inanition. En cas d'inanition, le sujet commence par maigrir, sa peau se dessèche et devient flasque. Les cheveux perdent leur lustre, le pouls se ralentit et la tension artérielle baisse. Des troubles hormonaux entraînent l'aménorrhée chez la femme et l'impuissance chez l'homme. L'œdème, parfois appelé « œdème de famine », est un signe fréquent de sous-alimentation sévère. Le patient alité paraît bouffi; debout, il présente des œdèmes localisés aux parties inférieures du corps, comme les pieds et les jambes. Il y a souvent anémie, mais elle est rarement grave. Par contre, le malade souffre presque toujours de diarrhée; elle peut apparaître très tôt ou survenir à la fin.

Les enfants d'âge préscolaire sont souvent très gravement atteints. Ils souffrent d'un marasme nutritionnel, et quelquefois d'un kwashiorkor, fréquemment accompagné de diarrhée récalcitrante qui, chez l'enfant très affaibli, peut conduire au prolapsus du rectum.

Le sujet atteint d'inanition présente habituellement des troubles psychiques et mentaux. Sa personnalité peut changer, sa faculté de concentration disparaître, mais en général il conserve sa raison.

Ces signes et symptômes peuvent s'accompagner de manifestations évidentes de carence en vitamines ou autres éléments nutritifs. En Afrique, on observe fréquemment des lésions buccales dues à une carence en riboflavine et des ulcères tropicaux. Chez les prisonniers de guerre en Extrême-Orient, le syndrome « des pieds brûlants » (brûlures intenses de la plante des pieds) était une manifestation caractéristique, mais presque tous les symptômes des différentes carences peuvent surgir. Cela dépend pour chaque cas du régime alimentaire.

Traitement. Le traitement consiste fondamentalement à donner une alimentation appropriée sous une forme utilisable par le sujet et à traiter toutes les manifestations spécifiques comme il convient.

Un Africain légèrement sous-alimenté, mais ne présentant que peu de signes d'inanition, se guérit souvent lui-même en mangeant simplement toute nourriture qui redevient disponible à la fin de la période de disette.

En cas d'inanition grave, un traitement dans un établissement spécialisé peut être nécessaire. Le patient peut avoir un gros appétit, mais la perturbation de ses fonctions digestives lui permet rarement d'absorber de grandes quantités d'une nourriture riche et variée. Du lait et des aliments faciles à digérer constituent la base d'un traitement efficace.

Chez les jeunes enfants, le traitement est le même que celui du kwashiorkor ou du marasme nutritionnel (voir pages 129-133).

Obésité (suralimentation)

C'est actuellement un problème nutritionnel majeur aux Etats-Unis, dans quelques pays d'Europe occidentale et chez tous les peuples prospères. Il est paradoxal, voire immoral, qu'une bonne partie de la population mondiale se préoccupe beaucoup des risques de suralimentation, alors que la moitié de cette même population souffre de sous-alimentation ou d'états carentiels divers.

Bien qu'en Afrique la suralimentation puisse se présenter chez quelques individus ou groupes sociaux, elle n'y constitue pas un problème aussi généralisé qu'en Europe ou en Amérique du Nord, et c'est pourquoi dans cet ouvrage nous nous contenterons de la mentionner.

L'obésité est due à une consommation de nourriture excessive par rapport aux besoins. L'alimentation apporte plus de calories que l'individu n'en dépense pour l'exercice, le travail, son métabolisme basal, etc. L'obésité n'est que rarement due à un dérèglement endocrinien ou à ce que l'on appelle communément des « troubles glandulaires » et, même dans ce cas, il y a un apport énergétique excessif par rapport aux dépenses.

Les manifestations principales et les plus évidentes de l'obésité sont l'augmentation du poids et l'embonpoint. Dans les pays très industrialisés, une forte obésité peut entraîner des troubles psychologiques car les gens supportent mal d'attirer l'attention ou d'être difformes, mais la tristesse qu'ils en éprouvent peut les conduire à manger davantage plutôt qu'à se restreindre. En fait, un état anxieux ou un événement malheureux peuvent être à l'origine d'une obésité. En Afrique, on considère parfois que l'obésité ajoute du prestige à l'individu.

Une forte obésité peut entraîner de la difficulté à se mouvoir, de la fatigue, de l'arthritisme aux articulations qui supportent le poids du corps; elle diminue nettement l'espérance de vie. Sous des climats chauds et humides, on trouve souvent chez les sujets obèses des infections cutanées aux plis de l'aine et aux autres articulations. Le diabète sucré, les varices, l'augmentation de la tension artérielle et l'athérosclérose (y compris celle des artères coronaires) sont tous beaucoup plus fréquents chez les personnes trop fortes.

Selon de récentes preuves, la suralimentation des bébés et des jeunes enfants pourrait conduire à la production d'un nombre croissant de cellules adipeuses dans l'organisme et prédisposer le sujet à l'obésité.

Traitement. La seule façon logique de soigner l'obésité est de réduire l'apport énergétique et d'augmenter les dépenses. L'apport peut être diminué en mangeant moins à chaque repas. Les dépenses peuvent être augmentées en faisant davantage d'exercice. Aussi simple que cela puisse paraître, il est toujours très difficile de stabiliser longtemps la perte de poids chez un obèse.

Un régime amaigrissant doit toujours essayer de limiter l'apport énergétique sans laisser l'individu manquer des éléments nutritifs indispensables. La meilleure façon est de réduire la quantité des aliments essentiellement glucidiques et lipidiques, en diminuant à peine les aliments riches en protéines, sels minéraux et vitamines, comme la viande maigre, le poisson, les légumineuses, les fruits ou les légumes. Il n'existe pas de traitement prophylactique qui par lui-même fasse maigrir.

L'utilisation d'amphétamines, d'extraits thyroïdiens et autres médicaments dans le traitement de l'obésité est en général à proscrire et il ne faut y recourir à la rigueur que sous contrôle attentif d'un médecin expérimenté. La plupart des régimes tant vantés par la publicité, et parfois même par les médecins, en vue d'un amaigrissement rapide, se sont d'eux-mêmes révélés inopérants et parfois dangereux.

14. Le béribéri

Incidence en Afrique

Cette maladie n'est pas fréquente en Afrique, alors qu'elle est ou a été extrêmement répandue dans une grande partie de l'Asie. Parfois, des médecins en signalent quelques cas dans différentes régions du continent africain, mais assez peu ont été étudiés ou authentifiés de façon scientifique. On a relevé des cas de béribéri dans des circonstances particulières, par exemple, parmi des soldats africains qui recevaient une nourriture essentiellement composée de riz, chez des hommes Bantou alcooliques en Afrique du Sud, et parmi des populations se nourrissant surtout de riz en Egypte et en Afrique de l'Ouest, y compris le Congo. Le béribéri est du à une carence en vitamines B. plus particulièrement à un trop faible apport de thiamine, par rapport au nombre de calories d'origine glucidique. La maladie est surtout courante chez les mangeurs de riz. Cette association étroite entre le béribéri et la consommation de riz est difficile à expliquer si l'on considère la teneur en thiamine des céréales traitées industriellement; beaucoup de ces dernières, en effet, y compris le blé finement bluté et le maïs, sont également pauvres en thiamine. On connaît quelques cas certains de béribéri chez des individus qui se nourrissaient de blé, mais le fait qu'il n'y en ait pas davantage est sans doute du à ce que la plupart des personnes consommant du blé ont un niveau de vie qui leur permet d'avoir une alimentation plus variée.

Le béribéri devint un fléau lorsque l'usinage industriel du riz se répandit en Asie, fournissant aux populations pauvres un riz poli, privé de sa thiamine, qui n'était pas plus cher que le riz traité chez soi, mais qui coûta le prix de plusieurs milliers de vies humaines. Il se peut que l'usinage industriel soit en train d'atteindre actuellement en Afrique, pour le mais, le stade qu'il avait atteint pour le riz en Asie au siècle dernier. La farine de maïs blanche et finement moulue devient rapidement de plus en plus populaire en Afrique. Certains pays en ont interdit la fabrication, tandis que d'autres envisagent une législation pour en prescrire l'enrichissement en vitamines.

De l'avis d'un certain nombre d'autorités médicales, le mais ne pose pas de problème réel. Pourtant, la farine de maïs très finement moulue et blutée, telle qu'on la vend dans une grande partie de l'Afrique, ne contient que 0,05 mg de thiamine pour 100 g. alors qu'il y en a 0,06 mg dans le riz poli fortement usiné qui se consomme dans les régions d'Extrême-Orient où sévit le béribéri endémique. En revanche, du mais ou du riz légèrement ou pilés à la main en contiennent respectivement 0,3 et 0,25 mg. Dans la farine de maïs finement moulue, le taux de riboflavine est comparable à celui du riz et la quantité d'acide nicotinique est inférieure. Comment se fait-il alors que le béribéri ne soit pas devenu un problème majeur? C'est très vraisemblablement parce que ce mais très raffiné est surtout consommé par des gens aisés, dont la nourriture comporte d'autres aliments; il commence seulement à se répandre dans les classes sociales les plus pauvres. De plus, comme les vitamines du groupe B se trouvent, dans le maïs, en proportions différentes de celles du riz, le syndrome classique et typique du béribéri d'Extrême-Orient atteint rarement ou même jamais les personnes qui se nourrissent essentiellement de maïs Mais il est possible que certains troubles cardiaques, parfois rencontrés en Afrique, proviennent d'une carence en thiamine.

A Madagascar, on a signalé une maladie cardiaque en relation avec une carence en thiamine. Les Africains présentent d'ailleurs des signes évidents de carence en riboflavine, et un certain nombre de neuropathies particulières ont été récemment décrites. Il est donc important pour les nutritionnistes et les agents de santé travaillant en Afrique de bien connaître les différentes manifestations du béribéri, afin de pouvoir les guetter. Il est tout aussi important qu'ils n'aient pas d'idée préconçue et qu'ils soient capables de remarquer d'autres syndromes qui peuvent très bien être des manifestations plus spécifiquement africaines de carences en thiamine ou en vitamines B.

La maladie

Il y a plusieurs façons de classer les types cliniques de béribéri. On en distinguera ici trois sortes: le béribéri humide, le béribéri sec et le béribéri infantile. Bien que ces trois états pathologiques diffèrent par de nombreux aspects, ils tiennent apparemment aux mêmes carences alimentaires et s'observent dans les mêmes zones d'endémie.

Premiers signes cliniques communs au béribéri humide et au béribéri sec. Ces deux formes de béribéri commencent en général de la même façon insidieuse. Le sujet ne se sent pas bien, les jambes ressentent vite la fatigue, deviennent pesantes, semblent avoir moins de force et sont un peu enflées en fin de journée. Il peut y avoir un léger engourdissement, des sensations de fourmillements et de picotements dans les jambes, et, à l'occasion, quelques palpitations. Cet individu peut poursuivre ses activités normales mais, souvent, il économisera ses gestes tant chez lui qu'au travail; cependant, il consulte rarement un médecin. S'il était examiné à ce stade, on constaterait une petite diminution de la faculté motrice des jambes, peut-être quelques modifications de la démarche' et des zones d'anesthésie partielle au niveau du tibia. Cet état peut s'améliorer avec une meilleure alimentation ou un apport de thiamine. Si le sujet n'est pas soigné, son état peut rester stationnaire pendant des mois ou des années mais il est susceptible à tout moment d'évoluer vers le béribéri classique humide ou sec. On n'a trouvé aucune explication satisfaisante quant aux raisons qui déterminent l'évolution vers l'une plutôt que l'autre forme.

Le béribéri humide. En général, le malade ne semble pas particulièrement amaigri ou émacié. Le signe principal est l`œdème presque toujours présent aux jambes, mais que l'on peut aussi observer au niveau du scrotum, du visage et du torse. Habituellement, le malade se plaint de palpitations et de douleurs dans la poitrine. On note de la dyspnée (essoufflement), un pouls rapide, parfois irrégulier, et une turgescence des veines du cou dont on peut voir les pulsations. Le cœur augmente de volume. Les urines ont tendance à être moins abondantes et on devrait toujours y rechercher l'albumine, ce qui peut se faire à l'infirmerie ou même dans le plus petit dispensaire. Dans le béribéri, il n'y a pas d'albumine et ceci est très important pour orienter le diagnostic en présence d'œdème.

Un malade atteint de béribéri humide, même s'il a l'air assez bien, risque de voir son état empirer rapidement: refroidissement soudain de l'épiderme, cyanose, œdème beaucoup plus étendu, dyspnée intense, défaillance circulatoire aiguë et évolution vers la mort.

Le béribéri sec. Le malade est maigre, ses muscles ont fondu et sont sans force. Il y a perte de sensibilité normale, et les sensations de fourmillements et de picotements dans les pieds et les bras peuvent augmenter; le sujet a de plus en plus de mal à marcher, jusqu'à ce qu'il ne le puisse plus du tout. Avant d'en arriver à ce stade, il peut avoir une démarche ataxique bien particulière. Souvent, les mains sont tombantes, fléchies et les pieds ballants. A l'examen, les principaux signes sont l'émaciation, la perte complète de la sensibilité cutanée dans certaines zones (surtout au niveau du tibia), la douleur à la pression des mollets et la difficulté à se relever de la position accroupie. C'est en général une maladie chronique, et à n'importe quel stade une amélioration peut être obtenue grâce à une meilleure alimentation ou par la mise en route du traitement. Faute de quoi, le malade devient grabataire et meurt souvent d'infection chronique comme la dysenterie, la tuberculose ou les escarres.

Le béribéri infantile. C'est la seule maladie carentielle grave qui puisse atteindre des nourrissons de moins de six mois, normaux par ailleurs, et qui reçoivent des quantités suffisantes de lait maternel. Elle est due à un manque de thiamine dans le lait des mères qui, bien que ne présentant souvent aucun signe manifeste de béribéri, ont une carence vitaminique.

Les troubles surviennent en général chez des bébés âgés de deux à six mois. Dans la forme aiguë, l'enfant est dyspnéique, cyanosé et meurt rapidement d'arrêt cardiaque. Dans les cas moins aigus, le signe classique est l'aphonie: l'enfant fait toute la mimique des pleurs, comme le ferait un mime bien exercé, mais sans émettre aucun son ou, tout au plus, pousse des gémissements à peine perceptibles. Il s'émacie et maigrit, est pris de vomissements ou de diarrhée et, à mesure que la maladie progresse, devient réellement cachectique, en raison de l'insuffisance d'apport en calories et autres substances nutritives. Un œdème apparaît parfois, ainsi que des convulsions dans les derniers stades de l'évolution.

Diagnostic des formes humide, sèche et infantile de béribéri

Le diagnostic est difficile quand n'existent que les tout premiers symptômes. Si le régime alimentaire est de toute évidence déficient en thiamine, si on se trouve dans une région où la maladie est endémique et si l'état s'améliore lorsqu'on donne un bonne alimentation, il est alors plus facile d'établir le diagnostic.

Il ne faut pas confondre les œdèmes du béribéri humide avec les œdèmes rénaux ou ceux de l'insuffisance cardiaque. Dans ces deux derniers cas, il y a albuminurie.

Il arrive que l'on diagnostique à tort un béribéri sec alors qu'il s'agit d'une lèpre à forme névritique qui ne présente pas de lésions cutanées visibles. Dans la lèpre névritique, les nerfs affectés, particulièrement le nerf cubital et le nerf péronier, s'épaississent et ressemblent à une corde, alors que dans le béribéri cette augmentation de volume ne se produit pas. Il est souvent très difficile de différencier des neuropathies infectieuses et toxiques du béribéri sec, mais il faut faire une enquête approfondie sur le passé du malade.

Dans les cas aigus de béribéri infantile, la progression de la maladie est si rapide que le diagnostic est très difficile. Dans les formes plus chroniques, l'aphonie et les autres symptômes sont pathognomoniques. Dans les deux cas, la mère doit être examinée pour voir si elle présente des signes de carence en thiamine.

Il n'existe pas de tests de laboratoire vraiment fiables pour diagnostiquer le béribéri (aucun en tout cas que l'on puisse effectuer dans un hôpital africain moyen ou dans un dispensaire). L'électrocardiogramme, (ECG) donne un tracé variable.

Traitement

Béribéri humide

1. Repos absolu au lit.

2. Injection de 10 à 20 mg de thiamine par jour. Lorsque l'état s'améliore, arrêter les injections et faire prendre 10 mg quotidiennement, par voie buccale.

3. Régime équilibré, riche en aliments contenant de la thiamine (peut-être complété d'une préparation pharmaceutique associant les diverses vitamines B) mais comportant peu de glucides.

La forme sévère de béribéri humide est l'une des maladies les plus satisfaisantes à soigner car les résultats sont presque toujours rapides et spectaculaires. On constate une diurèse. une diminution de la dyspnée et, au bout de quelques jours, la disparition de l'œdème.

Béribéri sec

1. Repos au lit.

2. Thiamine - 10 mg par jour, par voie buccale.

3. Régime complet et équilibré, riche en thiamine, complété par une préparation pharmaceutique associant les diverses vitamines B.

4. Physiothérapie ou pose d'attelles aux articulations, traitement adapté à chaque cas.

Le traitement a tendance à agir lentement, mais la maladie cesse d'empiler.

Béribéri infantile

1. Injection de 5 mg de thiamine dès que le diagnostic est établi.

2. Faire prendre deux fois par jour, par voie buccale, 10 mg de thiamine à la mère si l'enfant est nourri au sein.

3. Si la mère n'est pas présente ou si l'enfant n'est pas nourri au sein, faire prendre à ce dernier des substances riches en thiamine (« Marmite » par exemple).

Prétention

1. Freiner ou empêcher la vente de riz poli ou d'autres céréales dépourvues de thiamine en utilisant les moyens suivants:

· Encourager la consommation de riz et autres céréales peu traités.

· Publier une loi ou exercer des pressions pour garantir que tout le riz destiné à la vente est peu usiné ou a été étuvé ou enrichi.

· Promulguer une loi qui garantisse un enrichissement en vitamines des céréales appauvries lors de leur mouture ou de leur traitement industriel.

2. Encourager la consommation d'aliments variés contenant des quantités convenables de vitamines B. Ainsi, lorsque la denrée de base est un riz blanc fortement usiné, on remplacera une partie de celui-ci par des céréales grossièrement moulues, par exemple du mil, et on complètera par des aliments riches en thiamine.

3. Enseigner les méthodes de préparation et de cuisson des aliments qui permettent de perdre le moins possible de thiamine.

4. Administrer de la thiamine, soit par le moyen d'aliments naturels, tels que levure, extraits de son de riz, soit sous forme de comprimés, à certains groupes vulnérables de la collectivité.

5. Dispenser une éducation nutritionnelle pour faire connaître la cause de la maladie, indiquer quels aliments doivent être consommés et de quelle façon on peut limiter la perte de vitamines pendant leur préparation.

6. Diagnostiquer rapidement les cas de carence en thiamine et prendre les mesures voulues pour le traitement et la prévention.

15. La pellagre

C'est une maladie que l'on rencontre dans beaucoup de pays africains, mais surtout dans ceux où le maïs constitue l'aliment de base. Elle est rare chez les enfants. On pensait autrefois qu'il s'agissait plutôt d'une maladie subtropicale que tropicale et l'on croyait qu'en zone tropicale, elle se manifestait uniquement dans des institutions ou dans les villes. C'est faux. On trouve de nombreux cas chez les populations rurales et pauvres d'Afrique, vivant des produits de leur exploitation, dans les régions très proches de l'Equateur. Cette maladie ne sévit pas apparemment chez ceux pour qui le mil ou le sorgho est l'aliment de base, et il se peut qu'elle ne soit apparue en Afrique qu'avec l'introduction du maïs et du manioc.

Comme nous l'avons indiqué dans le chapitre traitant de la niacine (voir page 89), on a invoqué, à différentes époques, un certain nombre de facteurs pouvant être à l'origine de la pellagre. Chaque théorie semblait, à première vue, contredire l'autre. Trois grandes théories comportent un élément de vérité. On a d'abord pensé que la pellagre était due à une toxine présente dans le maïs puis à une carence protéique et, enfin, à un manque de niacine dans le régime.

On sait maintenant que le mais contient plus de niacine que certaines autres céréales alimentaires, mais on pense que la niacine du maïs se trouve sous forme d'un complexe non dissociable. On sait également que le corps humain est capable de transformer un acide aminé, le tryptophane, en niacine et, par conséquent, une alimentation riche en protides, à condition que ceux-ci contiennent de bonnes quantités de tryptophane, protégera de la pellagre. Il n'en reste pas moins que la niacine demeure l'élément le plus important dans la pellagre, et que tout programme de prévention doit viser à l'introduire dans l'alimentation en quantités convenables. Tous les malades atteints de pellagre doivent également recevoir de la niacine, comme thérapeutique.

La maladie

Les personnes souffrant de la pellagre ont généralement une alimentation pauvre. Elles sont souvent affaiblies et amaigries. Cette maladie est caractérisée par «les trois D »: dermatose, diarrhée et démence (figure 19).

19. Caractéristiques de la pellagre.

La dermatose. La maladie est le plus souvent diagnostiquée sur l'aspect de la peau qui présente des lésions caractéristiques (figure 20). Cette dermatose commence chez l'Africain par une pigmentation plus intense. Les zones hyperpigmentées perdent cet éclat huileux qu'a la peau d'un Africain bien portant. Elles deviennent sèches, squameuses et parfois craquelées. Il existe généralement une ligne de démarcation bien nette entre ces lésions et la peau saine, que l'on peut sentir au toucher car la région atteinte est rugueuse. Cet état peut rester stationnaire, guérir ou empirer. Dans le dernier cas, la desquamation est fréquente, ou bien il apparaît des crevasses ou des fissures, ou encore quelquefois des lésions vésiculaires. Celles-ci contiennent un exsudat incolore. Les endroits qui ont desquamé sont luisants, la peau est mince et a perdu sa pigmentation. Toutes ces lésions cutanées sont généralement plus ou moins symétriques. Mais, plus important encore, elles se produisent sur les parties du corps exposées au soleil, telles que le visage, le des des mains, le cou, les avant-bras et la partie découverte des jambes.

Chez les Européens, les lésions ressemblent d'abord à l'érythème causé par les brûlures de soleil. Bien que les Africains ne soient pas sujets à ces brûlures, lorsque les endroits atteints se trouvent exposés directement aux rayons du soleil, les malades ressentent une brûlure très douloureuse, comme en éprouve un individu à peau blanche à la suite d'un coup de soleil. Des lésions peuvent aussi être constatées à l'emplacement d'un trou existant dans un vêtement souvent porté, le trou ayant permis au soleil d'atteindre la peau. De la même façon, le classique collier de Casal (figure 21) autour du cou et sur la partie haute de la poitrine est dû à l'action soleil sur cette partie du corps lorsqu'un individu porte une chemise à col ouvert.

La diarrhée. On observe souvent dans la pellagre des crises abdominales douloureuses, de la diarrhée et d'autres troubles digestifs. La bouche et la langue peuvent être douloureuses. La stomatite angulaire et la chéilite sont fréquentes et généralement en rapport avec une carence en riboflavine. La langue et la cavité buccale sont souvent rouges, lisses et semblent être à vif. Il est probable que des troubles analogues se produisent dans différentes parties du tube digestif et il se peut qu'ils soient à l'origine des douleurs abdominales et des brûlures intestinales. Parmi ces symptômes et signes, bien peu sont spécifiques de la pellagre. Mais s'ils s'accompagnent de lésions cutanées ou de troubles mentaux, ou s'ils réagissent favorablement à la niacine, on a des arguments plus solides pour affirmer le diagnostic de pellagre.

La démence. L'atteinte du système nerveux se manifeste par des symptômes extrêmement variables. Les plus courants sont l'irritabilité, la perte de mémoire, l'anxiété et l'insomnie. Ils peuvent même aller jusqu'à la démence et il n'est pas rare, dans la pratique africaine, de voir de tels malades admis dans des établissements psychiatriques. C'est pourquoi, dans tous les cas de folie qui se présentent en Afrique, un examen doit être fait pour voir s'il existe d'autres symptômes de la pellagre.

De légers troubles sensoriels et moteurs, tels qu'une moindre sensibilité à l'effleurement, une certaine faiblesse musculaire et des tremblements doivent toujours être notés. Beaucoup d'autres signes ont également été décrits. La paralysie, cependant, est rare.

Diagnostic

Les lésions de la peau ont généralement un aspect caractéristique. Si elles sont symétriques et se produisent sur les parties du corps exposées à la lumière solaire, le diagnostic s'en trouve renforcé. Les symptômes digestifs et nerveux sont peu spécifiques. Les antécédents digestifs, la présence d'altérations de la peau, l'aspect de la bouche et surtout la réponse favorable à la niacine sont plus caractéristiques. Les urines ont également une faible teneur en niacine.

Traitement

1. Hospitalisation et repos au lit sont souhaitables pour les cas graves. Les cas plus bénins peuvent être traités comme malades externes.

2. Niacine (acide nicotinique, nicotinamide) - 50 mg, trois fois par jour, par voie buccale.

3. Ration alimentaire quotidienne comportant au moins 100 g par jour de protéines de bonne valeur biologique (si possible, viande, poisson, lait ou Œufs, sinon, arachides, haricots ou autres légumineuses) et de haute valeur énergétique (3 000 à 3 500 Calories par jour). S'il existe des troubles intestinaux importants, cette ration ne doit comporter que peu de matières fibreuses.

4. Comme il peut aussi y avoir une carence en d'autres vitamines B. prescrire une préparation contenant les diverses vitamines B ou un produit à base de levure.

5. Il est recommandé de faire prendre des sédatifs pendant quelques jours. Les malades présentant des troubles mentaux tireront un grand bienfait de l'administration d'un des nombreux tranquillisants plus forts, par voie buccale, ou, si le malade n'est pas coopératif, par injections.

Prévention

1. Dissuader les populations d'abuser du maïs comme aliment de base et les encourager à consommer d'autres céréales en remplacement partiel.

2. Augmenter la production et la consommation d'aliments connus pour leur action préventive de la pellagre, c'est-à-dire ceux qui sont riches en niacine, tels que les arachides, et ceux qui sont riches en tryptophane, tels que les œufs, le lait, la viande maigre et le poisson.

3. Etablir une législation ou faire pression pour que le maïs moulu soit enrichi en niacine et/ou en protéines.

4. Administrer, à titre préventif, des comprimés de niacine dans les prisons et institutions des régions où la pellagre est endémique.

5. Dispenser une éducation nutritionnelle pour faire connaître aux populations les aliments susceptibles de prévenir la pellagre.


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