Programme conjoint sur les approches transformatives sensibles au genre pour la sécurité alimentaire et la nutrition

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Faire naître un changement transformatif sensible au genre : les organismes ayant leur siège à Rome et le Système CGIAR partagent leurs expériences

20 OCTOBRE 2023

Pendant le lancement des lignes directrices sur les modalités de mesure du changement transformatif sensible au genre dans le contexte de la sécurité alimentaire, de la nutrition et de l’agriculture durable, un dialogue entre un représentant des organismes ayant leur siège à Rome et un représentant du Système «One-CGIAR» a porté sur les possibilités et difficultés liées à l’évaluation des normes sociales faisant obstacle à l’égalité des genres dans les systèmes agroalimentaires.

On trouvera ci-après un extrait de la table ronde entre Mme Els Lecoutere, responsable de HER+, initiative du Système CGIAR sur l’égalité des sexes, et Mme Silvia Sperandini, Consultante principale sur les questions d’égalité des genres et d’inclusion sociale au Fonds international de développement agricole ( FIDA). La discussion était animée par Mme Elizabeth Burges-Sims, Directrice adjointe du Bureau Égalité des sexes du Programme alimentaire mondial (PAM).

Le texte a été édité pour plus de clarté et de concision.

Sur quelles activités vous et/ou vos partenaires travaillez-vous pour susciter un changement transformatif sensible au genre dans le contexte de la sécurité alimentaire, de la nutrition et de l’agriculture durable ?

Silvia Sperandini, FIDA : le FIDA a toujours été un acteur prépondérant de la promotion de l’égalité des sexes dans les communautés rurales, axant son action sur des résultats transformatifs et durables sensibles au genre. Notre conceptualisation de la programmation transformative sensible au genre a commencé il y a 10 ans. Nous avons d’abord défini un système de marqueurs de genre très précis qui est appliqué durant les phases de conception et de suivi, ainsi qu’à l’achèvement des programmes. Nous nous sommes fixés des objectifs spécifiques : 35 pour cent du portefeuille de projets du FIDA doivent être considérés comme transformatifs sensibles au genre dès la phase de conception, et 60 pour cent comme intégrant pleinement les questions de genre ou transformatifs sensibles au genre à achèvement.

L’accent mis sur l’élimination des causes profondes de l’inégalité entre les sexes et la promotion d’un changement durable, inclusif et transformatif sensible au genre nécessite de bonnes pratiques tant au niveau opérationnel qu’au niveau institutionnel. Nous investissons beaucoup pour garantir que le support technique approprié soit fourni tout au long du cycle de vie du projet. Une grande attention est par ailleurs accordée au renforcement des capacités des collègues, des partenaires de mise en œuvre, du personnel du projet et des experts du développement qui participent à la conception et à la mise en œuvre de nos activités.

Un autre élément clé est la génération de connaissances. Le Programme conjoint joue un rôle important car la FAO, le FIDA et le PAM se complètent en tant qu’organisations, et nous travaillons ensemble à l’élaboration d’outils d’orientation, essentiels à la conception et à la mise en œuvre de nos projets.

Au fil des années, certaines de nos approches et activités se sont révélées particulièrement transformatives sensibles au genre. Beaucoup d’entre vous connaissent peut-être déjà le Système de formation action pour l’égalité femmes hommes, mais lors de la route d’apprentissage du Programme conjoint récemment organisé au Malawi, nous avons pris connaissance d’autres approches mises en œuvre dans le cadre de projets financés par le FIDA. Je pense notamment aux dialogues sur le genre et au modèle de formation diplômante pour les ultra-pauvres intégré au mentorat familial, ainsi qu’au théâtre pour le développement, abordé selon un angle potentiellement transformatif sensible au genre afin d’intervenir au niveau des changements de comportement et des pratiques discriminatoires. Dans le cadre du Programme conjoint, nous avons récemment mis à l’essai à titre pilote un programme d’apprentissage actif dans le domaine financier au service de la durabilité (FALS) au Malawi et l’initiative Cerrando Brecha en Équateur.

Nous avons besoin de programmes tels que le Programme conjoint pour mettre à l’essai de nouvelles approches et activités transformatives sensibles au genre susceptible de renforcer nos interventions habituelles.

Els Lecoutere, initiative HER+ du Système CGIAR : à l’heure actuelle, plusieurs initiatives et programmes de recherche au sein du Système CGIAR œuvrent en faveur d’un changement transformatif sensible au genre. Pour ce faire, ils mettent en œuvre des approches contribuant à un tel changement ou s’attaquent par d’autres moyens aux contraintes structurelles qui pèsent sur l’égalité des sexes au sein des systèmes agroalimentaires.

À titre de premier exemple, dans notre initiative HER+ en faveur de l’égalité des sexes, le module de travail « Transformer » cherche à lutter contre les normes sociales discriminatoires. Il repère les contraintes normatives, conçoit des outils de mesure et élabore en collaboration avec des partenaires des innovations telles que des approches transformatives sensibles au genre, afin de remédier à ces contraintes. L’accent est principalement mis sur les institutions informelles et les normes sociales non écrites aux différents maillons de la chaîne de valeur des systèmes agroalimentaires.

Women's EmpowermentPar exemple, l’ indice multidimensionnel des normes de genre s’intéresse aux contraintes normatives au niveau de différentes sphères d’influence – niveaux familial, communautaire et systémique – dans la perspective de libérer l’action des femmes en levant les contraintes liées à la mobilité, à la répartition du travail, au leadership, à la prise de décision et à la participation aux marchés et aux chaînes de valeur. Il vise à révéler et à remettre en cause les relations de pouvoir ancrées dans les normes

Autre exemple, celui de l’outil d’évaluation de la gouvernance en matière d’autonomisation des femmes dans le système agroalimentaire (WEAGov), destiné aux responsables de l’élaboration des politiques, aux différentes parties prenantes et aux chercheurs, afin qu’ils repèrent de manière collaborative les segments des processus d’élaboration des politiques dont la voix des femmes est absente, et trouvent des moyens d’ouvrir des perspectives d’inclusion effective. Sont visées les institutions formelles et les relations de pouvoir, principalement dans le macroenvironnement.

Vous a-t-il été difficile, dans le cadre de votre travail programmatique, de mesurer le changement transformatif sensible au genre ? Et si oui, pourquoi ?

Els Lecoutere, initiative HER+ du Système CGIAR : du point de vue de la recherche et en termes de mesure, la validité conceptuelle des indicateurs du changement transformatif sensible au genre ainsi que du changement normatif a été un défi. Par exemple, dans les enquêtes menées à vaste échelle, on mesure le soutien apporté à différents phénomènes : violence conjugale, responsabilité de la garde des enfants attribuée à la mère, octroi prioritaire des emplois aux hommes, leadership des femmes. Mesure-t-on réellement ce que l’on compte mesurer ? Ces éléments permettent-ils de rendre compte des normes à l’œuvre et du résultat qu’elles produisent ? Ou sont-ils à la fois le reflet des normes et de certains phénomènes sociétaux ? Par ailleurs, ces données peuvent-elles être utilisées à différents points dans le temps comme données longitudinales pour mesurer le changement normatif ou le changement transformatif ? Je pense que les lignes directrices aident à réfléchir à ces questions.

De plus, dans bien des cas, en ce qui concerne l’autonomisation, nous évaluons les résultats obtenus en partant du principe que ce n’est qu’en présence d’interventions transformatives que l’on pourra constater une évolution positive. Or, ce qui manque parfois, ce sont ces voies de changements progressifs et catalytiques, qui forment la toile de fond théorique propice à cette évolution.

La dernière difficulté est que le changement transformatif sensible au genre n’est pas toujours mesuré comme un processus, ni comme un processus qui s’opère à différentes échelles et à différents rythmes. À cet égard, les lignes directrices aident bien à visualiser les choses et à les rendre explicites.

Silvia Sperandini, FIDA : lorsque nous essayons de suivre les changements sur le terrain, nous nous rendons parfois compte que nous ne disposons pas des indicateurs qualitatifs et quantitatifs, des structures, des outils et des méthodes adéquats. Et même si c’est le cas, nous avons du mal à les intégrer aux systèmes de suivi et d’évaluation existants.

Le personnel affecté à notre projet estime qu’il est difficile de mesurer les différentes dimensions du changement transformatif sensible au genre, car le temps et les ressources à y consacrer sont particulièrement importants. Mener des enquêtes annuelles détaillées sur les résultats, prenant en compte des aspects complexes tels que l’action, les relations de pouvoir et les institutions sociales formelles et informelles, est considéré comme coûteux.

Une autre difficulté tient au fait que nous ne disposons pas de données de référence dignes de ce nom, et à la nécessité de réaliser des diagnostics portant sur les normes sociales afin de comprendre le contexte. Compte tenu du manque de ressources affectées à cet usage dès la phase de conception, cela n’est pas toujours facile.

Enfin, un autre problème qui se pose concerne la structure des systèmes de suivi et d’évaluation. Disposer de systèmes de suivi et d’évaluation sensibles au genre n’est pas à prendre pour acquis. Les données disponibles sur les bénéficiaires sont généralement ventilées par sexe mais ne rendent pas toujours compte de l’âge ou d’autres caractéristiques socio-économiques des groupes cibles. Il est donc difficile d’évaluer la portée réelle de nos interventions et des changements par type de bénéficiaire, par statut de pauvreté, par âge ou par appartenance ethnique. Seuls de véritables systèmes de suivi et d’évaluation complexes peuvent réellement rendre compte de l’incidence des actions menées.



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